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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Les saisons de l'esprit. (1935)
Avant-propos
Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Alain (Émile Chartier) (1868-1951), Les saisons de l'esprit (1935). Paris Éditions Gallimard, 1976, 7e édition, 311 pp. Une édition numérique réalisée par mon amie, Marcelle Bergeron, bénévole, professeure à la retraite.
Avant-propos
Alain, 16 octobre 1935.
L'homme pense contre saison ; c'est sa gloire propre. L'hiver, au lieu de dormir, il allume sa lampe. À cette lampe il calcule et mesure le soleil absent. Au rebours, quand juillet le chauffe pour rien, il forme l'hiver en ses pensées et grelotte par raison. L'intelligence va d'idée en idée, soucieuse de n'en oublier aucune ; comme on voit que les nombres sont tous tirés de l'un, et tous les polyèdres de leur idée. C'est la loi, car justice ne peut attendre ; mais c'est une loi qui pâlit nos pensées ; c'est un jeûne, c'est un carême. Il s'agit bien de séparer l'âme et le corps, comme Descartes voulait. Maigre écriture ; anémique algèbre.
Seulement Descartes n'a pas ordonné pour tous les jours cette sévère méthode, disant au contraire qu'il faut souvent joindre l'âme au corps par promenade et société. L'homme se refait sur son geste, et se réconcilie au bonheur sans mémoire. Toutefois, où le corps se plaît comme un animal, on peut encore glaner des pensées et souvent un clin d'il ou un changement de pied ont fait envoler l'idée comme l'oiseau. On nomme esprit ce hasard d'esprit. D'où les poètes ont appris cette méthode de penser qui est de jeter des mots et encore jeter, selon des règles corporelles. L'esprit est un peu fou alors, mais non pas faible ; c'est que le corps a pris le pas. D'où vient qu'on admirera ensuite quelque idée tout à fait commune, mais vigoureuse par rencontre et coïncidence. La circonstance fait donc tout le poète.
Sans chercher et secouer les sorts, on peut les guetter. Ce monde jette les métaphores. Quel dieu lance les hirondelles, et puis les pose sur les fils en étranges musiques ? Tout est défait avant qu'on ait lu. Les dieux paraissent sans avertir et aussitôt s'enfuient. Chacun d'eux se montre à un tournant de saison, et laisse cette place vide d'un dieu, l'idée. Mais l'occasion est courte. Une vague qui roule à contre-vent élève une crinière ; sous la crinière l'encolure courbée ; c'est Neptune, son char et son cortège. Le lendemain, Jupiter verse sa pluie d'or ; et heureux qui s'ouvre comme la terre. La fumée d'automne écrira d'autres pensées sur les nuages ; la bûche encore d'autres sur l'âtre ; et tant de signes humains vus du coin de l'il ! Il faut que la plume coure comme le vent et comme l'étincelle. On y perd l'ordre vrai qui, d'une idée, tire sa juste voisine. On y gagne un autre ordre, qui fait courir le corps avec les pensées, jusque-là qu'il les devance et les devine. Cet autre ordre est de santé. Puisqu'il y a une philosophie pétrée et une heureuse, voici l'heureuse.
16 octobre 1935.
Dernière mise à jour de cette page le mercredi 30 mai 20076:37
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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