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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Une édition électronique réalisée à partir du livre d’Auguste Comte, Lettres inédites à C. de Blignières, présentées par Paul Arbousse-Bastide, agrégé de Philosophie. Lettre rédigées entre 1849 et 1857. Bibliothèque des textes philosophiques, Paris: Librairie philosophique J. Vrin, 1932, 139 pages. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole, professeur à la retraite de l'École polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi, Ville de Saguenay. Les originaux des documents que nous publions appartiennent à M. le Docteur A. Drouineau, de la Rochelle, gendre de Célestin de Blignières. Nous tenons à lui exprimer publiquement notre gratitude pour l'obligeance avec laquelle il nous a autorisé à éditer ce précieux fonds, ainsi que pour la confiance avec laquelle il a laissé les lettres autographes à notre disposition, pendant tout le temps nécessaire à la correction des épreuves, qui a pu, ainsi, être faite sur le texte original. La correspondance d'Auguste Comte à Célestin de Blignières n'a jamais été publiée intégralement. Il convient cependant de signaler la publication d'une lettre et de quelques extraits :
Célestin de Blignières naquit à Paris le 14 juillet 1823. Son père dirigeait, rue de Clichy, une pension très réputée où passèrent de nombreux jeunes gens de la haute société parisienne, en particulier le duc de Broglie. Célestin de Blignières était le second de cinq enfants : Gabrielle, qui épousa M. de Saint-Clair et mourut à vingt-trois ans ; Auguste, professeur de rhétorique au Collège Stanislas, auteur d'un Essai sur Amyot, très apprécié, mort à 26 ans ; Eugénie, qui épousa M. le Mélorel de la Haichois ; Ernest, inspecteur des finances qui épousa Mlle de Monistrol, Célestin voua une affection particulière à sa sœur Gabrielle, à laquelle il dédia son livre. Il resta très lié avec son frère Auguste, mais n'avait pour sa mère qu'une sympathie très limitée. Il reçut sa première instruction dans la pension de son père. Comme il se destinait à l'École Polytechnique, il entra à l'Institution Laville, connue pour préparer au concours d'entrée de l'École. C'est chez Laville qu'il fut, pour la première fois, l'élève d'Auguste Comte, alors professeur de mathématiques. Reçu, en 1843, à l'Ecole Polytechnique, de Blignières y retrouva Auguste Comte, chargé provisoirement du cours d'analyse. « L'impression très profonde, écrit-il dans la Préface du livre qu'il publia en 1857 sur Comte, produite par son admirable enseignement, m'ayant conduit à l'étude de ses ouvrages, je devins ainsi très naturellement d'élève, disciple. » Sorti de l'Ecole en 1845, avec le grade de sous-lieutenant d'artillerie, de Blignières tint garnison à Metz, puis à l'armée du Rhin, comme lieutenant. En 1849, il quitta l'armée du Rhin, après une chute de cheval, et vint à Paris passer un congé de convalescence d'un an. Aussitôt, il se mit en rapport avec son ancien professeur, se fit admettre parmi les membres de la Société Positiviste et assista assiduement aux réunions de la rue Monsieur le Prince. Son adhésion avouée aux doctrines positivistes le mit immédiatement en froid avec ses parents demeurés très attachés aux traditions et à la religion. À l'expiration de son congé en 1850, de Blignières, fut détaché à l'arsenal de Rennes. À cette date, et surtout en 1851, l'année du coup d'État, il eut non seulement le désir, mais encore l'intention de donner sa démission. Son père s'y opposa énergiquement. La rupture devint totale avec sa famille, qui à partir de ce moment, lui refusa toute aide financière. C. de Blignières, pour gagner sa vie, fut contraint de rester dans l'armée, malgré son aversion de plus en plus grande pour la vie militaire. En 1857, nous le trouvons capitaine à la fonderie de canons de Douai, et un peu plus tard à Bergues. * Depuis 1850, Célestin de Blignières travaillait à un livre sur l'ensemble du positivisme. Il avait l'ambition d'en donner un résumé plus aisément assimilable que le « Cours » du maître. Ce fut cette ambition qui le perdit dans l'estime et la confiance de Comte. Célestin de Blignières apporta à son travail un véritable acharnement. Le 18 janvier 1856, il écrivait à M. Corne : « Ce n'est vraiment qu'à la faveur d'une sorte d'engourdissement de tous mes souvenirs et de tous mes sentiments que je puis trouver le calme nécessaire à mon travail. Pour en venir là, j'ai besoin de toute l'énergie de ma volonté, mais ce n'est, en quelque sorte, qu'un équilibre instable, et la moindre secousse, le moindre ébranlement produit en moi une agitation désordonnée que le temps et de longs et pénibles efforts, peuvent alors seuls calmer. Je ne dors plus, j'ouvre tous mes livres les uns après les autres sans pouvoir me fixer sur aucun, et je n'ai alors d'autres ressources pour trouver le repos, que la fatigue matérielle, il me faut aller au loin dans la campagne et rentrer chez moi épuisé. Vous le voyez, mes rapports de famille sont toujours pour moi une plaie saignante... Si tant de bonne volonté et d'efforts n'ont encore abouti, cela tient certainement à mes malheurs privés. Mais gémir sans cesse sur eux, ne pas savoir s'y résigner et contre eux énergiquement réagir, est-ce là l'existence d'un homme ? J'en suis à ma septième année de travail ; le moment est venu pour moi d'écrire ; ma position n'y met pas des obstacles dirimants ; que toute ma volonté et mon attention, se détournant de mes affaires particulières se concentrent donc sur mon travail. Sans doute, quand on souffre, quand tout tend à vous distraire, quand on n'a personne auprès de soi, à qui demander aide on conseil, personne seulement qui soit animé des mêmes sentiments, s'intéresse aux mêmes études, ait les mêmes préoccupations, personne avec qui on puisse échanger ses idées et éventuellement s'éclairer, sans doute alors le travail, et les efforts, toujours nécessaires pour fixer son attention sur les généralités et les abstractions, en deviennent bien plus pénibles. Mais puisque j'ai pu écrire, à propos des difficultés de ma vie, que j'osais espérer grandir à leur hauteur, que j'arrive donc ou que je meure à la peine. » L'ouvrage parut en 1857, sous le titre suivant : Exposition abrégée et populaire de la philosophie et de la religion positive (un vol in-12, Paris). « Quand j'ai composé ce livre, disait de Blignières, j'ai employé tout l'argent que j'avais à le faire imprimer. Il a été tiré à 1571 exemplaires, ce qui m'a coûté 2.428 francs, et le libraire qui l'a vendu m'a constamment répété que les demandes venaient, en réalité, non de la France, mais de l'Allemagne, et même aussi de l'Angleterre et de la Russie. » « Mon but, dans mon livre de 1857, écrivait-il à Hermann, le 25 mars 1886, a été d'exposer clairement et dans la mesure où cela était possible, l'état de la science au point de vue des idées générales au moment de la découverte de la vraie philosophie de l'histoire. Il faut donc que ce livre garde sa date, qu'il reste comme un point fixe et invariable, comme un symptôme et un résultat d'une situation intellectuelle et morale dont l'avenir montrera les très graves conséquences et qui sera profondément étudié par la postérité. » « En publiant mon ouvrage, ajoute de Blignières, dans une lettre à Le Roy du 17 novembre 1883, je faisais sciemment et systématiquement une chose défendue par les règlements militaires. Mais cela ne pouvait m'arrêter et depuis sept ans je me disais : ou je mourrai à la peine, ou j'arriverai à publier une exposition de ce que renferment, selon moi, de bien et de particulièrement important, les ouvrages d'Auguste Comte. » Comte conçut d'abord pour son jeune disciple, la plus vive estime. Il loue son agréable société (lettre à M. de Tholouze, 9 août 1851, Correspondance, t. I, p. 105). Il aime ses visites cordiales (lettre à P. Laffitte, 1er septembre 1851, Correspondance, t. II p. 124). C'est « le noble lieutenant » que la conduite de Littré indigne (lettre à Audiffrent, 7 mai 1852, A divers, t. II 1re partie, p. 105). Il trouve seulement que ses lettres sont « trop rares et trop réservées » (lettre à Audiffrent, 7 juin 1852, A divers, t. I, 1re partie, p. 113). Il espère qu'il pourrra lui conférer un jour le sacerdoce de l'Humanité (lettre à M. de Cappelen, 19 septembre 1852, Correspondance, t. I, p. 88). Déjà il compte sur lui pour orienter des disciples moins avancés (lettre à Audiffrent, 14 juin 1853, A divers, t. I, 1re partie, p. 188). Toutefois, dès qu'il connut le projet d'exposition populaire du positivisme par de Blignières, il le désapprouva formellement et ne cacha pas son humeur : « Mon disciple de Douai, écrit-il à Henry Edger, le 21 novembre 1856 (A divers, t. I, 2e partie, p. 197), ne remplit pas les conditions de cœur et d'esprit, qu'exige une popularisation qui, loin d'émaner d'une lourde préparation de sept ans, devrait normalement résulter de quelques mois de verve, si ce jeune homme en était assez susceptible. » Les rapports s'envenimèrent rapidement. Des propos irrespectueux furent rapportés à Comte. Blignières aurait dit : « Mon père spirituel, c'est M. Littré. » Comte tenait ce propos de M. Foucart, avocat à Valenciennes (A M. de Constant, 24 février 1857, Correspondance, t. 1, p. 332, ou A divers, t. I, 2e partie, p. 245). Comte ne manquait pas d'interpréter l'attitude de son disciple infidèle : « Toute paternité supposée, écrivait-il, chez un homme qui n'a jamais pu rien engendrer, doit autant embarrasser l'acceptant que l'adoptant. Je crois pourtant que le motif de cette étrange préférence consiste dans la secrète prédilection de M. de Blignières pour les âmes radicalement dépourvues d'énergie, auprès desquelles sa personnalité compte finalement obtenir un essor toujours incompatible avec un ascendant tel que le mien. » (cf. à Audiffrent, 29 janvier 1857, A divers, t. I, 1re partie, p. 363, et 12 février 1857, ibidem, p. 368 et à M. Hadery, 18 mai 1857, Correspondance, t. II, p. 382 ; ainsi que Deroisin. Notes sur Auguste Comte par un de ses disciples, pp. 101-102, Paris, 1909.) Après avoir d'abord refusé de lire l'ouvrage que de Blignières avait d'ailleurs omis de lui adresser [2], Auguste Comte se décida avec emportement à la « dégoûtante corvée exceptionnelle », « l'horrible corvée de quinze heures » exigée par l'examen de l'Exposition abrégée et populaire.... Le jugement de Comte fut sans indulgence : tout ce qui n'est pas pillé est médiocre, lourdeur prétentieuse, travail qui met le cœur au-dessous de l'esprit, exposition qui n'est, ni abrégée, ni populaire, absence totale de sympathie pour les douleurs et la situation des prolétaires occidentaux, pas un mot d'hommage à Mme de Vaux, pas la moindre indication de l'aptitude et de l'avenir pratique du positivisme, pas une seule mention de la domesticité (Cf. à Audiffrent, 25 et 29 juin 1857, À divers, t. I, 1re partie, pp. 407 et suiv. A Dix Hatton, 28 juin 1857 ; ibidem, pp. 639 et suiv.). Blignières est exclu de la Société positiviste le 29 juin 1857 à la suite d'une lettre où Comte était accusé de préférer « par des motifs purement personnels », que le positivisme reste obscur et ignoré, que connu par la plume d'un autre. (A Audiffrent, lettre citée du 25 juin 1857.) Par une addition au Testament, écrite le 25 juin 1857, Comte exclut le capitaine de Blignières de son convoi funèbre. (Testament, p. 36, cf. à Audiffrent, lettre citée du 25 juin 1857, p. 408.) A partir de ce moment, Blignières devient « le méprisable fou de Douai », l'agent plus ou moins conscient de « l'incohérente coterie graduellement formée, depuis cinq ans, par les faux positivistes, nominalement groupés autour du rhéteur usé que le positivisme a passagèrement décoré d'une auréole de penseur, mais réellement soumis à la femme monstrueusement exceptionnelle à laquelle j'eus le malheur de donner mon nom ». (A Hadery, 7 juillet 1857, Correspondance, t. II, p. 388.) Les graves déceptions que lui réservait soit disciple favori coïncidèrent avec la crise physique qui devait emporter Comte. Celui-ci ne manqua pas de faire retomber sur de Blignières la responsabilité de sa maladie. Le 27 mai 1857, Comte fut très ému par la mort de son ami le sénateur Vieillard. Par suite d'un malentendu, il dut se rendre très rapidement au cimetière. La course le fatigua, il se coucha, tout fiévreux. Ses maux d'estomac habituels revinrent. La crise paraissait sur le point de s'apaiser lorsque parut le livre de Blignières. La colère de Comte sévit parallèlement à l'aggravation du mal qui devait l'emporter le 5 septembre 1857. Il déclara que sa maladie était due à « l'ignoble conduite du faux disciple [3] ». C. de Blignières apprécia d'une manière très calme et très digne, la sévère réprobation du maître. « Des circonstances regrettables y aidant, écrit-il dans l'avant-propos de sa Lettre sur la Morale (Paris 1863), M. Comte fut très peiné par cette publication (1'Exposé abrégé et populaire...) dans lequel il vit surtout la pensée de son insuffisance à exposer convenablement sa doctrine, et il prétendit que j'avais systématiquement et coupablement caché dans ma préface, l'existence de deux opuscules : Le Catéchisme Positiviste, publié par lui en 1852 et L'Appel aux Conservateurs, en 1855, qui selon lui, mais non selon moi, rendait mon exposition parfaitement inutile. Enfin, il comprit bien que ma pensée n'était pas que le pouvoir spirituel dût se condenser chez un pontife, et je jus déclaré par lui, c'est triste à dire, mais cela est, un schismatique coupable et dangereux. « Tout en regardant comme fort regrettable une rupture avec M. Comte, qui restera toujours le plus important de mes professeurs et le maître, je ne trouve rien d'effrayant dans cette position qu'il m'a faite pour ainsi dire, malgré moi, et, interprétée raisonnablement et bien comprise, je l'accepte très volontiers. Si M. Comte a beaucoup fait, il n'a assurément ni tout fait, ni même vraisemblablement toujours bien fait, et je me crois comme à tout le monde, le droit de triage. » * En 1859, C. de Blignières se fait mettre en congé de maladie et vient à Paris. Depuis le mois d'octobre 1851, il n'avait revu ni son père, ni sa mère. Par l'intermédiaire du Général Perrodon, son père qui avait été heureux de ne pas le voir quitter définitivement l'armée, consent à lui faire une rente de 3.000 francs et se reconcilie avec lui par une lettre pacificatrice [4]. Nanti des avantages matériels qu'apporta la réconciliation familiale, Célestin de Blignières ne quitta plus Paris. Mis en non-activité pour infirmités temporaires jusqu'en 1866, il obtint sa retraite au début de 1867. Il habitait la rue d'Assas, à Paris, et continuait à s'intéresser au positivisme. Il publia alors différentes brochures : La vraie liberté, conséquence nécessaire de la séparation du pouvoir temporel et spirituel, 47 pages, in-8°, 1860 ; Lettre sur la morale à Mgr l'Évêque d'Orléans. L'un des quarante de l'Académie Française, 48 pages, in-8°, 1863 ; Du progrès des idées politiques. La liberté et la souveraineté nationale. Lettre à un positiviste (M. Charles Mellinet fils, de Nantes, 18 pages, in-8°, 1884) ; La Doctrine positive, projet de revue, 32 pages, in-8°, 1867 ; Études de morales positives, 23 pages, in-8°, 1868. En 1860, C. de Blignières, avec Littré, Charles Robin, Bourdet et Charpentier, voulut créer une société pour fonder et publier une revue positiviste. Des imprimés furent établis pour déclarations d'actions de cent francs. La société n'a jamais fonctionné et la revue n'a pas vu le jour. Dans une lettre au Dr Ritti, du 25 décembre 1881, de Blignières exprime quelque mécontentement à l'égard de Littré. « Quand dans l'hiver 1865-66, j'ai dit à M. Littré qu'il faudrait faire une revue et appliquer les idées positivistes à l'appréciation de tous les événements se produisant et dignes d'attention, M. Littré m'a dit que c'était là une chose impossible et que, ni lui, ni personne, n'était capable de le faire, et je me rappelle avec toute la certitude et la précision possibles que je dis alors très vivement à M. Littré : « Eh, bien ! Moi, je le ferai ; que l'on me garantisse contre les difficultés » matérielles ou au moins que l'on m'aide à les surmonter, et je le ferai. » M. Littré ne fut pas content. Il fit l'incrédule et quelque temps après Wyrouboff s'étant présenté, M. Littré profitant des circonstances difficiles et de la situation dépendante dans laquelle je me trouvai, me coupa l'herbe sous le pied, comme alors je lui écrivis. » En 1868, 1869 et 1870, de Blignières entreprit quelques voyages de propagande. Il donna à Bordeaux, le 5 septembre 1869, une conférence sur la politique positive qui fut l'occasion d'une polémique dans le journal La Gironde. Enfin, de Blignières se fixa à Versailles. * Au début de 1874, il épousa Marie Liouville, la plus jeune fille du célèbre mathématicien Joseph Liouville, professeur au Collège de France, à la Sorbonne, à l'École Polytechnique, Président de l'Académie des Sciences [5] ; de Blignières entretint avec son beau-père un commerce intellectuel suivi dont il parla toujours, soit dans ses lettres, soit dans ses conversations, avec la plus grande chaleur. Le ménage de Blignières s'installa d'abord à Versailles, puis en 1875 vint à Neuilly, où il avait fait l'acquisition d'une propriété 38, rue de Longchamps. Il y mena une vie solitaire. « Je vis ici en ermite, écrit-il à Delerot, le 25 décembre 1887, comme doit le faire tout homme sage et raisonnable qui a des idées tout autres que les idées de ses contemporains. » Il recevait quelques amis positivistes, dont les Drs Ritti et Cotard, et passait son temps à écrire, soit des lettres, soit quelques ouvrages restés inédits. (Lettres sur la sociologie, Le tire-bouchon, etc.), soit ce qu'il appelait son mémorandum, et qui consistait à recopier les passages qui l'intéressaient particulièrement dans les quotidiens divers, et en particulier dans Le Temps. Après la mort de son père, ses relations avec sa mère redevinrent plus froides. Sa mère, à l'instigation d'une demoiselle de compagnie, laissa un testament destituant complètement Célestin, sous prétexte que de son mariage il n'avait eu que trois filles et pas de garçons. Célestin de Blignières fut obligé d'intenter un procès qu'il gagna, mais le fit brouiller avec son frère Ernest. Il mourut à Neuilly, le 30 septembre 1905. * Il n'entre pas dans le dessein de cette édition de proposer une interprétation des textes donnés. Il suffira de noter que l'intérêt des lettres de Comte à de Blignières, outre les renseignements de détails qu'elles nous apportent, réside dans le fait qu'elles nous font assister à l'évolution complète d'une initiation positiviste, aboutissant, après une période de vive estime philosophique, à une violente rupture. Le maître y apparaît, plus nettement que jamais, imbu de sa mission religieuse et décidé à exiger de ses disciples la plus complète docilité de pensée. « Le droit de triage », comme dit de Blignières, constitue aux yeux de Comte une inexcusable impiété. C'est pour ne l'avoir pas compris que « le Capitaine, de Douai » s'est vu rejeter du cercle des purs, après avoir été destiné au sacerdoce de l'Humanité. Paul Arbousse-Bastide. [1] Les principaux renseignements biographiques et bibliographiques qu'on trouvera dans cette notice nous ont été fournis par M. le Dr A. Drouineau et par M. Henri Gouhier, Directeur de cette collection. Qu'il nous soit permis également d'exprimer toute notre gratitude à notre collègue Maurice Savin, professeur agrégé au Lycée de Rochefort pour l'aide qu'il nous a apportée dans la correction des épreuves. [2] Dans le brouillon d'une lettre à Comte, non datée, de Blignières écrit : « Le samedi 3 j'avais porté à la poste, en même temps que la lettre de moi que vous devez avoir reçue le lendemain, un exemplaire de mon ouvrage. En retournant à la poste le dimanche toucher le mandat que vous m'avez renvoyé, j'ai retrouvé cet exemplaire qui n'était pas encore parti, la lettre seule ayant été envoyée. D'après votre lettre j'ai dû naturellement le reprendre et ainsi s'explique donc que vous ne l'ayez par reçu. » [3] Cette thèse, conforme à l’étiologie positiviste a été longuement développée par le Dr Robinet dans le dernier chapitre de son livre : « Notice sur l’œuvre et la vie d'Auguste Comte » (1re éd., Paris, 1864). Littré au contraire la rejette, mais déclare : « Il est vraiment malheureux que le hasard des circonstances ait fait coïncider une grave peine morale avec les souffrances physiques d'un mal incurable ». Auguste Comte et la Philosophie positive, 3e éd., 1877, p. 628. Cf. également A Dix Hutton, 12 août 1857. A divers, t. I, 1re partie, p. 654. A M. Hadery, 9 août 1857. Correspondance, t. II, p. 393. A M. de Tholouze, 22 août 1857, Correspondance, t. III, p. 151. A M. Alfred Sabatier, 23 juin 1857. Correspondance, t. III, p. 303. [4] Voici le texte de cette lettre assez curieuse et fort digne : Paris, le 25 février 1859. Mon cher fils, Si j'avais suivi le premier mouvement de mon cœur, je t'aurais répondu par cette seule ligne : viens donc vite embrasser ton Père et ta Mère. Mais j'ai voulu me recueillir, j'ai pensé qu'il ne faut pas seulement jouir du présent, mais encore assurer l'avenir autant que faire se peut. Il m'a paru à propos de te présenter par écrit quelques observations que tu prendras encore, je l'espère, en bonne part. Et d'abord si j'eusse mieux aimé sans doute que tes goûts et tes forces te fissent pencher vers un autre parti que celui que tu as pris, je suis bien aise cependant que tu n'aies pas complètement brûlé tes vaisseaux. Je suis heureux d'apprendre que tu as eu à te louer du chef du personnel et j'attends avec la même impatience que toi que tout soit terminé à ta satisfaction. J'entre en matière : 1° Il ne sera jamais question entre nous du passé, ce serait bien inutile. Donc ni reproches, ni regrets, ni récriminations, ni allusions ; 2° Je touche à un point délicat ; je serai net et franc ; ce que je te dirai à ce sujet sera dit une fois pour toutes. Tu connais mes opinions, elles n'ont pas varié. Nous éviterons de nous mettre sur un terrain où nous ne pourrions nous entendre. J'ai pu apprécier le travail excessif qu'a dû te coûter ton livre, et j'en ai frémi ; mais plus il révèle de talent et d'élévation, plus je regrette que tant de généreux efforts et de dons précieux aient été employés à défendre une cause contre laquelle s'élèvent tous les spiritualismes depuis celui du P. Gratry jusqu'à celui de Jules Simon. Mon vœu le plus ardent serait de te voir un jour revenir par cette route qu'indique un mot célèbre de Bacon à cette foi, dont a si bien connu le bienfait cette angélique jeune femme que nous avons beaucoup aimée l'un et l'autre et qui nous le rendait bien. Ce sujet donc ne sera point abordé. Point de discussions. Respect mutuel d'opinions qui, si divergentes qu'elles soient, ont cela de commun, du moins, qu'elles sont désintéressées et consciencieuses. Encore un coup, silence complet à cet égard. Il nous sera facile de trouver d'autres sujets de conversation, nous chercherons ce qui nous rapproche, nous éviterons ce qui nous divise ; 3° Ces points admis tu seras le bienvenu au foyer paternel. Quand, et toutes les fois que tu y viendras, les bras y seront ouverts pour t'y recevoir. Nous n'apporterons pas la moindre entrave à tes goûts de retraite studieuse. Dans nos rapports donc, cordialité et franchise. Qu'il y ait à nous voir : consolation pour nous, satisfaction pour toi, gêne pour personne. Ta mère te reverra avec bonheur et partage mes sentiments. Ton Père dévoué. [5] Rappelons qu'en 1835 Liouville fut préféré à Comte pour une chaire à l'École Polytechnique. Il devait être un des plus ardents adversaires de Comte. Cf. J. BERTRAND. Souvenirs académiques : A. Comte et l'École Polytechnique. Revue des deux mondes, déc. 1896, pp. 543 et 544.
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