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Collection « Les auteur(e)s classiques »

René Descartes, Les méditations métaphysiques de René Descartes
touchant la première philosophie, dans lesquelles l’existence de Dieu,
et la distinction réelle entre l’âme et le corps de l’homme, sont démontrées
. (1647
Le Libraire au lecteur


Une édition numérique réalisée à partir du livre de René Descartes, Les méditations métaphysiques de René Descartes touchant la première philosophie, dans lesquelles l’existence de Dieu, et la distinction réelle entre l’âme et le corps de l’homme, sont démontrées. Paris : La Veuve Jean Camusat et Pierre Le Petit, 1647, 114 pp. Avec privilège du Roi. Une édition numérique réalisée par Daniel Boulagnon, bénévole, professeur de philosophie au lycée Alfred Kastler de Denain (France).

[xi]



LE LIBRAIRE AU LECTEUR


À satisfaction que je puis promettre à toutes les personnes d’esprit dans la lecture de ce livre, pour ce qui regarde l’auteur et les traducteurs, m’oblige à prendre garde plus soigneusement » à contenter aussi le lecteur de ma part, de peur que toute sa disgrâce ne tombe sur moi seul. Je tâche donc à le satisfaire, et par mon soin dans toute cette impression, et par ce petit éclaircissement, dans lequel je le dois ici avertir de trois choses, qui sont de ma connaissance particulière, et qui serviront à la leur. La première est, quel a elle le dessein de l’auteur, lors qu’il a publié cet ouvrage en latin. La seconde, comment et pourquoi il paraît aujourd’hui traduit en français. Et la troisième, quelle est la qualité de cette version.

I. Lorsque l’auteur, après avoir conçu ces Méditations dans son esprit, résolut d’en faire part au public, ce fut autant par la crainte d’étouffer la voix de la vérité, qu’à dessein de la soumettre à l’épreuve de tous les doctes. À cet effet il leur voulut parler en leur langue, et à leur mode, et renferma toutes ses pensées dans le latin & les termes de l’École. Son intention n’a point été frustrée, et son livre a été mis à la question dans tous les Tribunaux de la philosophie. Les Objections jointes à ces Méditations le témoignent assez, et montrent bien que les savants du siècle se [xii] sont donné la peine d’examiner ses propositions avec rigueur. Ce n’est pas à moi de juger avec quel succès, puisque c’est moi qui les présente aux autres pour les en faire juges. Il me suffit de croire pour moi, et d’assurer les autres, que tant de grands hommes n’ont pu se choquer sans produire beaucoup de lumière.

II. Cependant ce livre passe des universités dans les palais des grands, et tombe entre les mains, d’une personne d’une condition très éminente. Après en avoir lu les Méditations, et les avoir jugées dignes de sa mémoire, il prit la peine de les traduire en français : soit que par ce moyen il se voulut rendre plus propres et plus familières ces notions assez nouvelles, soit qu’il n’eût autre dessein que d’honorer l’auteur par une si bonne marque de son estime. Depuis une autre personne aussi de mérite n’a pas voulu laisser imparfait cet ouvrage si parfait, et marchant sur les traces de ce Seigneur, a mis en notre langue les Objections qui suivent les Méditations, avec les Réponses qui les accompagnent ; jugeant bien que, pour plusieurs personnes, le français ne rendrait pas ces Méditations plus intelligibles que le latin, si elles n’étaient accompagnées des Objections et de leur Réponses, qui en font comme les Commentaires. L’Auteur ayant été averti de la bonne fortune des unes et des autres, a non feulement consenti, mais aussi désiré, et prié ces Messieurs de trouver bon que leurs versions fussent imprimées ; parce qu’il avait remarqué que ses Médit. avaient été accueillies et reçues avec quelque satisfaction [xiii] par un plus grand nombre de ceux qui ne s’appliquent point à la philosophie de l’École, que de ceux qui s’y appliquent. Ainsi, comme il avait donné sa première impression latine au désir de trouver des contredisants, il a cru devoir cette seconde française au favorable accueil de tant de personnes qui, goûtant déjà ses nouvelles pensées, semblaient désirer qu’on leur ôta la langue et le goût de l’École, pour les accommoder au leur.

III. On trouvera partout cette version assez juste, et si religieuse, que jamais elle ne s’est écartée du sens de l’Auteur. Je le pourrais assurer sur la seule connaissance que j’ai de la lumière de l’esprit des traducteurs, qui facilement n’auront pas pris le change. Mais j’en ai encore une autre certitude plus authentique, qui est qu’ils ont (comme il était juste) réservé à l’Auteur le droit de revue et de correction. Il en a usé, mais pour se corriger plutôt qu’eux, et pour éclaircir seulement ses propres pensées. Je veux dire que, trouvant quelques endroits où il lui a semblé qu’il ne les avait pas rendues assez claires dans le latin pour toutes sortes de personnes, il les a voulu ici éclaircir par quelque petit changement, que l’on reconnaîtra bientôt en conférant le français avec le latin. Ce qui a donné le plus de peine aux traducteurs dans tout cet ouvrage, a été la rencontre de quantité de mots de l’art, qui, étant rudes et barbares dans » le Latin même, le sont beaucoup plus dans le français, qui est moins libre, moins hardi, et moins accoutumé à ces termes de [xiv] l’École. Ils n’ont osé pourtant les omettre, parce qu’il eût fallu changer le sens, ce que leur défendait la qualité d’interprètes qu’ils avaient prise. D’autre part, lorsque cette version a passé sous les yeux de l’auteur, il l’a trouvée si bonne, qu’il n’en a jamais voulu changer le style, et s’en est toujours défendu par sa modestie, et l’estime qu’il fait de ses traducteurs ; de sorte que, par une déférence réciproque, personne ne les ayant ôtés, ils font demeurés dans cet ouvrage.

J’ajouterais maintenant, s’il m’était permis, que ce livre contenant des Méditations fort libres, et qui peuvent même sembler extravagantes à ceux qui ne font pas accoutumés aux spéculations de la métaphysique, il ne sera ni utile, ni agréable aux lecteurs qui ne pourront appliquer leur esprit avec beaucoup d’attention à ce qu’ils, lisent, ni s’abstenir d’en juger avant que de l’avoir assez examiné. Mais j’ai peur qu’on ne me reproche que je passe les bornes de mon métier, ou plutôt que je ne le sais guère, de mettre un si grand obstacle au débit de mon livre, par cette large exception de tant de personnes à qui je ne l’estime pas propre. Je me tais donc, et n’effarouche plus le monde. Mais auparavant, je me sens encore obligé d’avertir les lecteurs d’apporter beaucoup d’équité et de docilité à la lecture de ce livre  ; car s’ils y viennent avec cette mauvaise humeur et cet esprit contrariant de quantité de personnes qui ne lisent que pour disputer, et qui, faisant profession de chercher la vérité, semblent avoir peur de la trouver, puisqu’au même [xv] moment qu’il leur en paraît quelque ombre, ils tâchent de la combattre et de la détruire, ils n’en feront jamais ni profit, ni jugement raisonnable. Il le faut lire fans prévention, sans précipitation, et à dessein de s’instruire ; donnant d’abord à son auteur l’esprit d’écolier, pour prendre par après celui de censeur. Cette méthode est si nécessaire pour cette lecture, que je la puis nommer la clef du livre, sans laquelle personne ne le saurait bien entendre.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 30 septembre 2016 12:29
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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