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Léon GÉRIN
sociologue et économiste canadien-français, 1863-1951
La Sociologie :
le mot et la chose.
Mémoire de la Société Royale du Canada, Section I, Série III, mars 1915, vol. VIII, pp. 321-356. Texte lu le 28 mai 1913.
- Introduction [321]
- I. Les origines positivistes. [322]
- II. L'expansion du positivisme. [326]
- III. La faillite du positivisme. [331]
- IV. Les aventures de la sociologie (le mot). [338]
- V. Les aventures de la sociologie (la chose). [345]
- VI. L'emploi abusif et l'emploi légitime de "sociologie". [350]
Introduction
Depuis 1912, la sociologie, comme aussi l'économie politique, figure parmi les sujets officiellement assignés aux deux sections de lettres, l'une française, l'autre anglaise, composant, avec deux sections, de sciences, la Société Royale du Canada. Cette innovation s'inspirait d'un excellent esprit. À la réunion de mai de cette année-là, grâce surtout à l'initiative de mon regretté ami Errol Bouchette, nous avions été appelés à nous prononcer sur l'opportunité d'élargir les cadres de notre société par l'établissement d'une nouvelle section vouée spécialement aux études économiques et sociales. La majorité de nos membres jugea le projet prématuré, et il fut décidé que nous nous en tiendrions à la constitution première de la Société : deux sections de lettres et deux sections de sciences.
Cependant, afin de faire bien comprendre qu'à la Société Royale on se rend parfaitement compte de l'importance grandissante acquise aux questions et aux recherches sociales, on résolut d'en inscrire formellement la mention dans la rubrique de chacune des deux sections de lettres. Et à la dernière heure on fit choix dans ce but du terme " sociologie", auquel on adjoignit plus tard celui d'" économie politique ".
Heureux de ce que les études sociales obtenaient enfin droit de cité chez nous, je n'étais pourtant pas épris (et je m'en exprimai sur-le-champ) de ce terme de "sociologie", emprunté au vocabulaire positiviste, et qui, à cause de ses origines mêmes, me semblait devoir désigner une certaine philosophie sociale, plutôt que l'observation méthodique des faits sociaux. J'y aurais beaucoup préféré le terme plus ancien et facilement compris de "science sociale", que mes maîtres de l'école de F. Le Play et H. de Tourville ont mis tellement en honneur. Dans les pages qui suivent, j'examine sans parti pris jusqu'à quel point j'avais raison, et je cherche à dégager l'enseignement qui découle des faits, en vue de l'avancement ultérieur des études sociales.
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I. Les origines positivistes.
Le mot "sociologie" date de 1838. C'est Auguste Comte qui l'a confectionné pendant la préparation de son principal ouvrage, le Cours de philosophie positive, et nous allons voir en quels termes il s'en explique, il s'en excuse même, à la page 252 du t. IV (en note) :
"Je crois devoir hasarder dès à présent ce terme nouveau, exactement équivalent à mon expression déjà introduite (dix-sept ans auparavant) de "physique sociale", afin de pouvoir désigner par un nom unique cette partie complémentaire de la philosophie naturelle qui se rapporte à l'étude positive de l'ensemble des lois fondamentales propres aux phénomènes sociaux. La nécessité d'une telle dénomination pour correspondre à la destination spéciale de ce volume, fera, j'espère, excuser ici ce dernier exercice d'un droit légitime dont je crois avoir usé avec toute la circonspection convenable et sans cesser d'éprouver une profonde répugnance pour toute habitude de néologisme systématique."
En somme, au témoignage même de Comte, et comme on peut s'en assurer en compulsant ses ouvrages, c'est le terme de "science sociale" qui lui servait au début à désigner l'objet de ses études. Vers 1821, il y a substitué celui de "physique sociale", dont son contemporain le mathématicien Quételet se sert également, et, en 1838, il hasarde le terme nouveau de "sociologie", qui présente cet avantage d'exprimer en un seul mot exactement ce que "physique sociale" exprimait en deux. Il n'en continuera pas moins de faire un fréquent usage de "physique sociale", comme aussi de "science sociale". Mais, "sociologie" sera désormais l'expression favorite, la désignation officielle en quelque sorte de la doctrine positiviste en matière sociale ; et la sociologie, il faut bien se pénétrer de cette idée, est la maîtresse pièce de tout le système comtiste.
Or, ce qui caractérise essentiellement le système comtiste et l'école positiviste, c'est, dans l'ordre théorique, le rejet préalable de toute idée théologique, de toute croyance au surnaturel, et même de toute notion métaphysique ou à priori, et c'est, dans l'ordre pratique, la prétention d'instituer un nouveau pouvoir spirituel, un collège de philosophes positivistes, qui doit être substitué aux institutions traditionnelles dans la direction de toute la vie individuelle et sociale. Le positiviste commence par faire table rase de tout l'acquis intellectuel et pratique de l'humanité, qu'il se fait fort de remplacer utilement par ses propres conceptions, fondées, à ce qu'il prétend, sur l'observation et la coordination méthodique des faits. Voyons un peu ce qui en est.
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L'opposition irréductible entre l'état positif de l'esprit et toute conception théologique, voire même toute notion métaphysique, est un principe inséparable de la philosophie de Comte. Elle est à la base de sa fameuse théorie ou loi des trois états successifs de l'intelligence humaine : d'abord théologique, puis métaphysique, et enfin positif, ou scientifique. Et comme pour mieux faire sentir la portée de cette gradation suggestive, Comte a fini par ajouter ce corollaire à sa loi que, des divers âges de la période théocratique, c'est le plus ancien, l'âge du fétichisme qui est, en somme, le plus rapproché de la perfection de l'âge positiviste.
Comte qui juge l'état d'esprit du fétichiste supérieur à celui du polythéiste et du monothéiste, manifeste en maint endroit de ses écrits, et notamment de sa correspondance avec son ami John Stuart Mill, son hostilité envers le catholicisme. La philosophie positive, écrit-il, "arrêtera le développement de l'école catholique, en posant, dans l'ordre des idées sociales, en présence de l'esprit religieux, l'esprit scientifique, son éternel antagoniste, qui l'a déjà annulé, dans toutes les autres catégories intellectuelles". [1]
Le 20 novembre, 1841, Comte écrit à Mill : "j'ai toujours désiré qu'une lutte directe pût enfin s'engager entre l'école franchement rétrograde, représentée par le pur catholicisme, et notre naissante école positive." Plus tard, Comte se plaint de ce que "la canaille théologique a hautement demandé au gouvernement sa démission pour avoir (dans son cours public) proclamé la nécessité de dégager aujourd'hui la morale de toute intervention religieuse." Un peu plus tard, Comte se vante d'avoir "directement proclamé pendant trois heures consécutives, devant quatre cents personnes, la supériorité morale du positivisme sur le théologisme." Ailleurs il se plaint de ce que la religion "depuis quelques siècles, discrédite réellement tout ce qui reste exclusivement placé sous sa funeste protection." Cependant, Comte ne souffre pas qu'on le confonde avec la tourbe des athées vulgaires métaphysiciens. Aussi écrit-il "Nous n'avons vraiment de commun avec ceux qu'on appelle ainsi que de ne pas croire en Dieu." Mais il serait oiseux de multiplier davantage les citations, et je me bornerai à renvoyer au texte même de la correspondance et de la préface de M. Lévy-Bruhl. [2]
Mais ce n'est pas seulement toute théologie que le fondateur du positivisme veut bannir ; il manifeste une hostilité aussi prononcée, même plus prononcée parfois, contre toute conception métaphysique, contre toute généralisation qui est autre chose que l'expression rigoureusement [324] étroite du fait sensible. S'il rejette le mot "Providence" pour désigner la force qui mène le monde, il ne veut pas davantage du mot "Nature", cher aux philosophes du dix-huitième siècle. Il a une égale aversion pour l'emploi du mot "cause", et demande qu'on se borne à indiquer les conditions dans lesquelles se produit le phénomène. C'est ainsi encore qu'il ne reconnaît guère d'utilité à l'étude de la logique en elle-même, et n'admet la psychologie que sous la dépendance de la biologie, d'une part, de la sociologie de l'autre. [3]
- "L'esprit théologique, écrit-il à Mill, le 23 mars 1843, est trop déchu ou trop neutralisé pour être encore vraiment dangereux dans aucune partie de notre Occident européen. C'est partout l'esprit métaphysique qui constitue désormais le seul antagoniste que le positivisme doit avoir sérieusement en vue." [4] Au reste, il comprend sous la désignation de métaphysiciens, non seulement les tenants des anciennes philosophies spiritualiste ou matérialiste, mais aussi les spécialistes scientifiques (et ils sont nombreux) qui n'acceptent pas la direction du positivisme et de son fondateur. "Quant à nos géomètres, Comte écrit-il encore à Mill le 30 décembre 1842, je voudrais presque qu'ils fussent déjà ligués avec les dévots catholiques, protestants et déistes, pour en finir plus tôt d'eux tous ensemble." [5]
Effectivement, Auguste Comte, tout en proclamant haute ment la nécessité d'appliquer à la recherche de la vérité les procédés de l'investigation scientifique, ne fit jamais lui-même qu'un usage restreint du plus fondamental de ces procédés, l'observation mono graphique directe. Il se borna à mettre en œuvre les résultats des recherches des divers spécialistes. En sociologie notamment, il se contenta d'observations très générales et de seconde main. Et vers la fin de sa vie, déjà dans sa Politique positive, et encore plus dans sa Synthèse subjective, il renonça de plus en plus à l'observation et à l'induction. Cette insuffisance méthodologique s'aggrave du fait de l'isolement de sa propre vie et de la pratique de cette "hygiène cérébrale", qui lui interdit, avant même l'âge mûr, toute lecture de journaux ou de revues, comme susceptible de troubler le cours de ses méditations philosophiques.
Aussi fut-il toute sa vie moins un savant qu'un philosophe, et un philosophe très abstrait. Sa préoccupation constante était de tout ramener à l'unité, de tout systématiser. "Vous me faites peur, lui écrit un jour Stuart Mill, par l'unité et le complet de vos [325] convictions, qui semblent par là ne pouvoir jamais avoir besoin de confirmation de la part d'aucune autre intelligence." [6]
Bref, l'homme de science use largement de l'observation, ne généralise qu'avec prudence et s'applique en toute recherche à conserver son entière liberté d'esprit. Au contraire, le fondateur du positivisme observe peu, généralise beaucoup, et prématurément se renferme, et veut renfermer ses disciples, dans le cercle étroit de ses conclusions.
En effet, ces conclusions tirées plus ou moins arbitrairement d'observations parfois sommaires, Auguste Comte exige que ses disciples les acceptent intégralement et sans réserve. L'autoritarisme est un dernier trait de l'école positiviste qu'il ne faut pas perdre de vue. "Il n'y a pas, écrit-il, de liberté de conscience en astronomie, en physique, en chimie, en physiologie même, en ce sens que chacun trouverait absurde de ne pas croire de confiance aux principes établis dans ces sciences par les hommes compétents. S'il en est autrement en politique, c'est uniquement parce que les anciens principes étant tombés, et les nouveaux n'étant pas encore formés, il n'y a pas à proprement parler dans cet intervalle de principes établis." [7]
C'est l'étrange alliance de cet absolutisme du doctrinaire avec la curiosité et la ferveur du chercheur scientifique qui rend parfois déconcertante la lecture du Cours de philosophie positive, à cause des incohérences qui s'y étalent. Ce protagoniste de la "raison émancipée" ne veut pas du libre examen comme principe organique. Contempteur du catholicisme, il s'élève pourtant contre le protestantisme, qui s'est fait le propagateur de cette erreur ainsi que du "préjugé qui rejette tout pouvoir spirituel distinct et indépendant du pouvoir temporel." Enfin il se fait l'apologiste du moyen âge, le défenseur de la doctrine de l'infaillibilité pontificale, de celle du pouvoir papal, et de la pratique de la confession. Ce qui devait périr dans le catholicisme, c'est la doctrine, son organisation doit être conservée. [8]
Mill se plaint amèrement de ce que Comte ne veut pas tolérer de questions ouvertes, ne laisse aucune latitude d'opinion, et a la manie, non seulement de tout systématiser, mais encore de tout réglementer. On sait que le fondateur du positivisme a fini par transformer sa philosophie en religion, la religion de l'humanité (le Grand Être), avec adjonction de la terre (Grand Fétiche), et [326] de l'espace (Grand Milieu). Les incongruités et les absurdités y sont en tel nombre que les disciples et les admirateurs les plus sincères du philosophe se sont demandé s'il ne souffrait pas alors d'une recrudescence de cette affection mentale qui déjà, en 1826, avait mis sa vie en danger. [9]
En somme, exclusion de toute théologie, de tout surnaturel, exclusion de toute métaphysique, recours exclusif aux procédés rigoureux des sciences physiques et naturelles, tels sont, théoriquement du moins, les principes fondamentaux du positivisme. Mais il faut ajouter que, dans la pratique, le fondateur du positivisme, s'il est à la rigueur resté fidèle au premier de ces principes (car sa religion de l'humanité était une religion sans Dieu), abusa singulièrement de l'abstraction métaphysique, et appliqua d'une manière fort insuffisante, arbitraire, les procédés des sciences d'observation. Tel fut Auguste Comte, tel fut son système.
II. L'expansion du positivisme.
Entre les circonstances qui aident à comprendre l'œuvre de Comte, et qui ont favorisé la diffusion de sa doctrine philosophique et sociale, il y a lieu de noter tout d'abord ses relations de jeunesse avec la secte saint-simonienne. Au sortir de l'École polytechnique, Comte s'était attaché à Henri de Saint-Simon, ce "réformateur abondant et tumultueux", comme le désigne M. Faguet, "qui avait chaque matin un projet de reconstitution du monde entier sur de nouvelles bases." [10]
L'idée fixe de Saint-Simon, à travers bien des incohérences, fut toujours d'établir un nouveau pouvoir spirituel ; en d'autres termes, de faire table rase des croyances et institutions anciennes de l'humanité au profit de ses propres conceptions. Dès 1803, dans les Lettres d'un habitant de Genève à ses contemporains, il propose de créer "un grand conseil de l'intelligence, composé de douze savants et de neuf artistes, pour gouverner les âmes d'Occident." En 1825, peu de temps avant sa mort, il aspire à instituer la religion de l'avenir, un "Nouveau Christianisme." [11]
En 1817, l'année même où Augustin Thierry, le futur historien, se séparait de Saint-Simon, Auguste Comte s'attachait au précurseur du mouvement socialiste français, devenait son secrétaire, "son dictionnaire [327] intelligent, toujours ouvert aux recherches et sachant les éclairer." [12] Comte est bientôt chargé de formuler la doctrine pro fessée par l'école saint-simonienne ; et il le fait dans une œuvre que Saint-Simon déclare ne pouvoir approuver entièrement, la part faite au sentiment religieux n'y étant pas à son gré assez grande.
Après la mort de Saint-Simon (1825), ses disciples restèrent groupés quelques temps et fondèrent le journal le Producteur. Puis une scission se produisit ; le plus grand nombre des sectateurs forma une sorte d'association religieuse sous la direction de deux chefs spirituels ou Pères : Bazard, Enfantin (1829) ; d'autres, parmi lesquels Auguste Comte et Philippe Buchez, ne voulurent pas reconnaître l'autorité des nouveaux grands prêtres. Mais, tandis que Buchez [13] se sépara de Saint-Simon pour redevenir catholique, Auguste Comte n'en retint que l'idée qu'il tenta de réaliser vers la fin de sa vie, d'une religion entièrement fondée sur la science. [14]
La renommée tapageuse de la secte saint-simonienne aida, sans doute, à faire connaître l'œuvre d'Auguste Comte. Notamment, c'est par l'intermédiaire du saint-simonisme et d'un de ses fervents, Gustave d'Eichthal, que Stuart Mill fut, dès 1828, mis au courant des travaux de Comte. La révolution de 1830 venait à peine d'éclater que Stuart Mill accourut à Paris et se fit présenter aux chefs de l'école saint-simonienne. En 1837, il se procure les deux premiers volumes du Cours de philosophie positive, et s'assimile avidement le contenu des suivants au fur et à mesure de leur publication. En 1841, il engage avec Comte une correspondance qui s'est poursuivie activement pendant plusieurs années, et il se fait en toute circonstance, et surtout dans son grand ouvrage sur la Logique, paru en 1843, et devenu rapidement célèbre, l'ardent protagoniste de la philosophie positive. [15]
C'est surtout par l'intermédiaire de Stuart Mill que le public anglais a été initié à la philosophie positive ; et Comte a eu un cercle de lecteurs et d'admirateurs en Angleterre avant même d'en avoir en France. Directement ou indirectement, c'est grâce à Stuart Mill que Grote, Molesworth, Lewes, Bain, Miss Martineau, Spencer même, se sont intéressés aux travaux du philosophe français ; et ce sont les subventions de deux ou trois amis de Mill qui ont permis à [328] Comte de tenir tête pendant un an ou deux aux menées d'Arago et de son groupe de l'École polytechnique. [16]
Au fond, Stuart Mill n'est pas mieux disposé que ne l'est Auguste Comte envers la foi religieuse ; il n'est pas plus respectueux que lui des traditions sociales. À certains égards même, il l'est moins, car il est partisan du divorce qu'Auguste Comte condamne inexorable ment. Soumis dès son jeune âge à un entraînement très spécial par son père le philosophe James Mill [17], formé à l'école de Hobbes, de Locke, de Hartley, de Hume, de Bentham et de son propre père, Stuart Mill était certes un esprit émancipé. Le 15 décembre 1842, il écrivait à Comte qu'il n'avait jamais cru en Dieu, même dans son jeune âge. Le mois suivant, il lui signale "l'idée profondément irrationnelle d'une Providence agissant par des lois générales, et il ajoute : "Un des fondements principaux de cette philosophie (positive) est la loi naturelle du décroissement spontané de l'esprit religieux." Le 13 mars 1843, Mill exprime l'espoir que son livre, récemment paru, "pourra devenir un vrai point de ralliement philosophique pour cette partie de la jeunesse scientifique anglaise qui ne tient pas beaucoup aux idées religieuses." Le 20 août de cette même année, il écrit à Comte que le jeune Bain, qui vient de consacrer avec lui trois mois à l'étude du Cours de philosophie positive, "avait reçu de son éducation écossaise de fortes impressions religieuses qui, bien que déjà un peu affaiblies, n'ont réellement cédé qu'à l'influence directe de vos spéculations." Le 3 avril 1844, Mill affirme de nouveau que "l'attribut caractéristique de la nouvelle philosophie, c'est son incompatibilité radicale avec toute théologie quelconque." [18]
Seulement, le milieu anglais dans lequel opère Stuart Mill lui impose certains ménagements. "Vous n'ignorez pas, sans doute, écrit-il à Comte, le 18 décembre 1841, que chez nous l'écrivain qui avouerait hautement ses opinions anti-religieuses ou même anti-chrétiennes, compromettrait non seulement sa position sociale, que je me crois capable de sacrifier à un but suffisamment élevé, mais aussi, ce qui serait plus grave, ses chances d'être lu.""Le temps n'est pas venu, lui écrit-il le 3 avril 1844, où, sans compromettre notre cause, nous pourrons en Angleterre diriger des attaques ouvertes contre la théologie même chrétienne." Le 27 janvier 1845, il revient sur le sujet. L'action de la philosophie positive sur les penseurs isolés "serait plus gênée que hâtée, dit-il, par une tentative quelconque de constituer publiquement une école anti-religieuse ... et [329] donnerait probablement une nouvelle force à la réaction religieuse." Et le 8 juillet de la même année : "Aujourd'hui je pense qu'il faudrait en écrivant pour l'Angleterre se taire absolument sur la question religieuse, sauf à porter aux croyances religieuses tel coup qu'on voudra." [19]
L'habitude de la réserve imposée à Mill par son milieu social, et sans doute aussi l'expérience de la vie, dont il écouta toujours les leçons avec respect, modifièrent à la longue sa mentalité et lui inculquèrent une certaine considération, des égards plus sincères pour les croyances religieuses. Il n'en fut pas moins dans toute son œuvre un radical, le porte-parole de l'opinion sociale, de la pensée philosophique la plus avancée dans son pays.
Après Stuart Mill, celui qui contribua le plus à faire connaître en Angleterre le positivisme à ses débuts, fut sans contredit H. G. Lewes, qui, dès 1845, publiait sa première œuvre importante sous ce titre significatif : Biographical history of philosophy from Thalès to Comte. Écrivain brillant, remarquable par l'envergure de son esprit et la variété de ses talents, Lewes se signala particulièrement par l'audace avec laquelle il brava l'opinion dans ses écrits, aussi bien que dans sa conduite. On connaît l'histoire de ses relations avec Mary Ann Evans, autre adepte de la philosophie de Comte, mieux connue dans la littérature anglaise sous son pseudonyme de George Eliot. Comte ne paraît pas avoir attaché une grande importance à l'adhésion de Lewes, encore jeune homme lorsqu'il fit sa connaissance, en 1842, et qu'il considérait plutôt comme simple littérateur, ou psychologue. [20] Il conçut de plus grandes espérances lorsque Mill lui apprit l'année suivante la conquête qu'il pensait avoir faite d'Alexander Bain, jeune professeur de l'université d'Aberdeen [21], et surtout lorsque Littré, à l'occasion d'une série d'articles qu'il publiait dans le National en 1844, annonça son adhésion à la nouvelle doctrine philosophique. [22]
Littré, né en 1801, n'avait que trois ans de moins que Comte et, lorsqu'il donna son adhésion au positivisme, jouissait déjà d'une grande réputation dans le monde scientifique. Même en 1839, avait commencé à paraître sa traduction des Oeuvres d'Hippocrate, en dix volumes, dont le dernier devait paraître en 1861. Il allait bientôt donner la traduction du Manuel de physiologie de Muller et de l’Histoire naturelle de Pline, et, en collaboration avec le Dr. Ch. Robin, une refonte du Dictionnaire de médecine de Nysten, en attendant qu'il publiât son Histoire de la langue française (1862) et son grand Dictionnaire de la langue française (1873).
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Mais Émile Littré, chercheur infatigable, doué d'une puissance de travail extraordinaire, était d'un radicalisme scientifique des plus prononcés, ennemi juré de tout clergé et de toute croyance religieuse. Une de ses premières œuvres avait été la traduction de la Vie de Jésus par Strauss (1839-1840), œuvre où le Christ est considéré comme un mythe. Dans son dictionnaire de médecine, il avait inscrit cette définition de l'homme : "Animal mammifère, de l'ordre des primates, famille des bimanes, etc." Encore en 1870, il se fit beaucoup de bruit à l'occasion d'un article qu'il publia sur Les origines organiques de la morale. Les phénomènes moraux, suivant Littré, ont une double source : l'instinct de la nutrition, qui est le principe de l'égoïsme, et l'instinct sexuel, qui est la source de tout altruisme. [23] L'Académie française, qui, en 1863, avait écarté sa candidature, à la suite de la dénonciation violente de Mgr Dupanloup, l'élisait en 1871, en dépit des protestations de ce dernier, qui refusa de siéger en sa compagnie. En 1875, suivant M. H. Marion, auteur de la notice dans la Grande encyclopédie, "son horreur de la réaction cléricale l'avait décidé à se faire recevoir franc-maçon." Gambetta et Paul Bert se proclamaient ses disciples, et c'est surtout par leur entremise que s'exerça l'influence de Littré sur la politique.
L'adhésion de Littré se produisit à un moment critique dans la carrière de Comte, comme s'engageait entre celui-ci et les représentants de la science officielle en France une lutte impitoyable ; et si le positivisme a pu traverser cette crise, et même étendre le cercle de son action, c'est surtout à Mill et à Littré qu'il le doit.
Autour d'Auguste Comte il s'était formé graduellement un groupe de disciples et de fervents de composition très variée ; des médecins (sans parler de Littré et de son collaborateur Charles Robin) comme les docteurs Robinet, Audiffrent, Sémérie, Dubuisson, L. A. Segond, etc ; des ouvriers, comme le menuisier Magnin ; des prolétaires même, comme Finance et Keyfer ; des aristocrates, comme le comte de Limbourg-Stirum et le baron de Constant-Rebecque ; des avocats ou littérateurs, comme les Foucart, Émile Antoine, Camille Monier, Poëy, etc ; l'agronome Hadéry, l'agent de change Lonchampt, et enfin Pierre Lafritte, qui devait succéder à Comte comme chef du positivisme orthodoxe. [24]
Mais, c'est surtout à l'influence de Littré que le positivisme est redevable de sa diffusion sur tous les points du globe. Le R. P. Gruber, jésuite allemand, auteur de deux volumes très documentés sur Comte et son école, constate que le positivisme de Littré "a eu [331] un succès éclatant... Pendant longtemps Littré a joui en France de la plus grande célébrité : la presse littéraire et scientifique lui a donné une importance vraiment gigantesque. La revue la Philosophie positive prouve que le positivisme de Littré a, non seulement trouvé crédit auprès des libres-penseurs de France, mais qu'il a pénétré, qu'il a parfois trouvé un grand retentissement, en Espagne, en Portugal, en Angleterre, en Allemagne, en Autriche et en Italie, en Hollande et en Belgique, en Russie et en Turquie, en Suède et en Norvège, dans l'Amérique du nord, dans l'Amérique centrale, dans l'Amérique du sud, et jusqu'en Syrie, en Arménie et au Japon". [25]
Il fut un moment où les positivistes purent se donner l'illusion d'avoir implanté leur doctrine dans à peu près tous les centres de la civilisation. [26]
III. La faillite du positivisme.
Mais ce n'était qu'une illusion. De fait, cette rapide expansion du positivisme eut l'effet de précipiter sa ruine et de la rendre plus complète. L'insuccès fut éclatant à tous égards. En premier lieu, Comte et ses disciples ne réussirent nullement à constituer ce pouvoir spirituel que la philosophie positive avait pour première et principale mission d'instituer. Comme discipline intellectuelle ou morale, les docteurs positivistes n'exercèrent jamais sur un groupe quelconque qu'une autorité fort restreinte et éphémère. Même, en aucun temps ils ne surent maintenir dans leur propre cénacle l'union et l'harmonie. L'histoire du positivisme est faite en grande partie du récit de ses dissensions intestines.
À peine l'alliance entre Comte et Mill s'est-elle fondée sur les protestations d'amitié les plus vives, que de profondes divergences éclatent. Mill juge Comte trop entier et autoritaire ; Comte juge Mill trop libertaire et trop imbu de l'ancien esprit métaphysique. Tout rapport cesse entre eux dès 1847, par suite, nous dit Stuart Mill, [332] de dissentiments profonds portant sur les tendances, et non pas seulement sur les doctrines. [27]
L'accord entre Comte et Littré ne fut pas plus durable. Celui-ci voulait orienter le positivisme dans le sens exclusivement scientifique, au moment où Comte aurait voulu le frotter de mysticisme. À la suite de tiraillements assez pénibles, la rupture devint définitive en 1852.
Le fondateur du positivisme n'eut pas de rapports plus cordiaux avec ses autres collaborateurs principaux. Il fait allusion à de Blignières en termes peu flatteurs, et qualifie ironiquement de "disciples intellectuels" Lewes et ses autres adhérents anglais de la première heure. Comte mort (1857), Pierre Laffitte, naguère disciple favori du maître, mais dont celui-ci ne voulait plus comme successeur, fut élu pour le remplacer. Aussitôt le nouveau grand prêtre se trouve en lutte, d'une part, avec Littré, qui ne veut conserver du positivisme que son esprit pseudo-scientifique, et, d'autre part, avec Audiffrent, Lagarrigue, Lemos, qui abondent dans le sens du mysticisme. Même Littré et Mill sont loin de s'entendre et engagent des polémiques. Entre temps, il se forme en Angleterre un nouveau groupe d'adhérents de Comte, grâce surtout à l'initiative de Richard Congreve, ancien ministre anglican et professeur d'Oxford. Ici encore le pouvoir spirituel fait long feu, et Congreve, après s'être séparé avec éclat de Laffitte, se voit abandonné par nombre de ses collègues les plus importants : Bridges, Harrison, Beesly, etc. [28]
Dans la pensée de Comte, l'établissement de ce nouveau pou voir spirituel était lié à la destruction de l'esprit théologique et de l'esprit métaphysique, comme aussi à l'élaboration et à la diffusion d'une philosophie positive embrassant et résumant tout le savoir humain. Inutile de dire qu'aucun de ces projets n'eut sa réalisation.
La croyance au surnaturel, le prestige des religions anciennes, l'autorité même du clergé catholique ne furent que bien faiblement entamés par la croisade positiviste. Aussi bien, les deux chefs du positivisme en France en ont fait en quelque sorte l'aveu, chacun à sa manière. L'année même de sa mort (1857), Comte, peu satisfait, sans doute, des progrès accomplis jusque là par sa grotesque religion de l'humanité, conçut le projet étonnant de conclure une alliance avec la Compagnie de Jésus. Par l'entremise de son disciple Sabatier, qui vivait alors exilé en Italie, il entama des négociations [333] auprès du général des Jésuites à Rome. "À l'avenir, écrit le R. P. Gruber, les Jésuites s'appelleraient Ignatiens, leur général se pro clamerait chef de l'Église catholique, il ferait du pape le prince-évêque de Rome, et fixerait se résidence à Paris, nouvelle métropole spirituelle .... Comte et le Général Beckx travailleraient en commun à éliminer le protestantisme, le déisme et le scepticisme.... Ensemble ils établiraient le pouvoir spirituel." [29]
Les Jésuites, dont Auguste Comte avait naguère stigmatisé la "politique absolument hypocrite et machiavélique", ne se hâtèrent pas trop de répondre à la lettre de Sabatier, et lorsque celui-ci se présenta à la demeure du Général, il fut reçu par le P. Rubillon, assistant des provinces de France, qui commença par lui expliquer qu'il "ne soupçonnait même point l'existence du célèbre philosophe". "À toutes les propositions (dit Sabatier) il fut répondu poliment, mais invariablement : les Jésuites ne sont que de pauvres religieux qui ne s'occupent nullement de politique. Entre les membres d'un ordre qui a Jésus-Christ pour centre de son existence et ceux qui nient la divinité de Jésus-Christ, aucune alliance religieuse n'est possible." [30] Comte et ses amis durent s'apercevoir que, si les Jésuites ne se mêlent pas de politique, du moins ils ne sont pas dépourvus de sens pratique.
Dix-huit ans plus tard, Littré confessait à son tour, d'autre manière, l'échec subi par le positivisme dans sa lutte contre le "théologisme" : en 1875, déjà très âgé, et mû, nous dit son biographe M. Marion, par "son horreur de la réaction cléricale, il se faisait recevoir franc-maçon". Et c'est le F. Jules Ferry qui se chargea, lors de l'anniversaire de l'initiation du F. Littré, de rappeler "ce grand fait maçonnique... l'entrée officielle du positivisme, par un de ses représentants les plus illustres, dans le sein de la maçonnerie", et qui signala "l'affinité intime, secrète, entre la maçonnerie et le positivisme". [31]
Mais si Émile Littré, après trente-cinq ans d'active propagande positiviste, crut devoir consommer une alliance entre le pouvoir spirituel de sa secte et la maçonnerie, agent subreptice et effectif de la faction politique dominante, et cela en dépit de la règle inviolable posée par Comte quant à la séparation des deux pouvoirs, n'était-ce pas reconnaître l'insuccès des efforts dirigés jusque là par le positivisme contre les religions établies ? Quand on est fort et qu'on a conscience de sa force, on ne se ligue pas pour combattre un groupe ou une institution, à moins que ce groupe ne soit formidable, ou cette institution florissante encore.
[334]
La guerre faite par le positivisme à la métaphysique n'eut pas un meilleur succès. Comte pensait pouvoir se passer de toute métaphysique, mais, par une contradiction qui s'observe assez fréquemment chez ces esprits entiers, il s'empressa d'en fabriquer une à son usage. Elle s'étale dans toutes ses œuvres. Et cette prétention, comme cette métaphysique, de Comte n'a pas été l'objet d'un accueil très favorable, même de la part d'esprits par ailleurs très sympathiques : déterministes, psychologues, rationalistes-objectivistes. [32]
Le résultat le plus tangible de la campagne menée contre le théologisme, ainsi que de l'établissement du culte de l'humanité, avait été d'exposer au ridicule Comte et sa philosophie ; son parti pris d'exclure toute métaphysique, et notamment la notion de cause, eut l'effet de le déprécier dans l'estime des savants. Et son système de philosophie positive, qu'il rêvait d'établir sur les ruines de toute théologie et de toute métaphysique, il ne sut pas lui donner une base assez large et assez ferme pour le rendre acceptable aux savants.
Le dernier volume du Cours de philosophie positive n'avait pas encore vu le jour que déjà son auteur se trouvait en butte aux attaques de la science officielle, ainsi que de spécialistes éminents à la fois en France et en Angleterre. On sait quelle guerre cruelle lui firent Arago et ses amis, à l'Académie des sciences et à l'École polytechnique. Or, il ne faudrait pas croire que l'opposition faite à Comte eût sa source principale dans des animosités personnelles, ou des rivalités entre factions. Comte se plaint à Mill le 4 mars 1842, de ce que "les savants français enrégimentés lui sont à quelques exceptions près essentiellement hostiles". Mais il y a lieu de noter qu'en Angleterre Herschell, fils de l'astronome et grand astronome lui-même, Sedgwick et Whewell, professeurs à Cambridge, ce dernier, auteur de l’Histoire des sciences inductives, œuvre très estimée, ne lui sont pas plus favorables. [33] Et un savant très consciencieux de la génération suivante, et qui n'a été nullement mêlé aux querelles des contemporains de Comte, Stanley Jevons, a de graves réserves à faire sur l'attitude scientifique de Comte. Il lui reproche ainsi qu'à Mill de toujours écrire comme si notre connaissance du monde en épuisait presque le contenu, au lieu de ne représenter qu'une infime proportion de la réalité. [34]
L'opposition faite à Comte et à son système ne saurait davantage se ramener à une querelle entre classes de spécialistes scientifiques. [335] Il est vrai que le fondateur du positivisme a eu pour adversaires, au début, surtout des mathématiciens. Comte, pourtant mathématicien lui-même par profession et par vocation, pose parfois en champion des biologistes contre les "géomètres" [35]. Mais encore ici il ne faut pas perdre de vue que les biologistes eux-mêmes, sur tout ceux de la nouvelle génération, ne voulurent pas reconnaître Comte comme leur champion, et cela pour la meilleure des raisons son insuffisante maîtrise de la biologie et des principes généraux de la science. Entre tous, Huxley, le fougueux paladin de l'évolutionnisme, dès 1854, et de nouveau en 1868 et 1869, relevait avec sa verdeur ordinaire, les insuffisances du fondateur du positivisme au point de vue scientifique. "Depuis seize ans, écrit-il en 1869, j'ai eu le déplaisir à mainte reprise de voir mettre M. Comte de l'avant comme interprète de la pensée scientifique." De l'avis de Huxley, c'est l'esprit scientifique même qui fait défaut à Comte. [36]
L'attitude de Bain est aussi très suggestive. Il s'était initié à la philosophie positive sous la direction de Stuart Mill, et Comte, aussi bien que Mill, fondait sur lui les plus grandes espérances. Mais une fois que MiJl eut rompu ses relations avec Comte, Bain absorbé désormais par ses recherches de psychologie objective, ne s'est plus occupé de Comte. Dans l'ouvrage important que Bain publia à Londres dès 1855, The Senses and the Intellect, le nom de Comte n'apparaît pas, non plus, du reste que dans ses livres subséquents : The Emotions and the Will (1859), et On the study of character (1861). Dans ce dernier ouvrage, notamment, Bain discute les vues de Gall, de Stuart Mill, de La Bruère, et même de cet excentrique de Ch. Fourier, mais de Comte, pas un mot. C'est que, sur tout depuis la publication de sa Politique positive (1851-1854), la réputation de Comte était décidément à la baisse dans les milieux scientifiques, et un jeune auteur aurait pu compromettre le succès de son œuvre en se réclamant de lui, ou même en laissant croire qu'il avait un jour subi l'influence d'un tel maître.
En effet, aux yeux des hommes de science comme aussi des philosophes de la nouvelle génération, la faute impardonnable de Comte était d'avoir voulu leur imposer le joug d'un système rigide, définitif, de connaissances, fondé sur l'état des études vers 1830, sans tenir compte de la possibilité de découvertes futures. Non seulement le fondateur du positivisme jugeait-il intangible son exposé de la science actuelle, mais il prenait sur lui de réglementer la marche ultérieure de l'investigation scientifique, et d'avance déclarait oiseuses toutes recherches relatives à certains sujets. Malheureusement pour lui, [336] la fausseté de ses prévisions fut en plus d'une circonstance promptement et irréfutablement établie du fait de découvertes inespérées. En 1835, il refusait tout caractère de certitude scientifique aux recherches d'astronomie sidérale. [37] Il les condamnait comme dépourvues de tout intérêt pratique.
Or, en 1839, Bessel lui infligeait un cruel démenti en mesurant la parallaxe de l'étoile 61 de la constellation du Cygne. Désormais, on était à même de calculer avec exactitude la distance de la terre aux étoiles. Et grâce aux progrès, aux nouvelles applications de l'analyse spectrale, on put avant bien longtemps se rendre compte de la présence ou de l'absence de certains éléments chimiques dans ces astres éloignés. Trois ans à peine après que le fondateur du positivisme eut condamné la théorie de la composition cellulaire des corps organisés, Schwann et Schleiden faisaient la constatation directe de son exactitude à l'aide du microscope. [38] Comte ne sut pas davantage apprécier à leur juste valeur les recherches et les découvertes relatives au développement et à l'évolution des organismes vivants. Enfin, comme je l'indiquerai plus particulièrement un peu plus loin, on ne saurait prétendre que le fondateur du positivisme, ou aucun de ses continuateurs ait réellement constitué la science sociale.
Comte n'a été l'homme d'aucune science ; il n'a voulu être que le philosophe des sciences ; il n'a pas été autre chose ; et encore sa philosophie des sciences n'a-t-elle exercé sur les esprits qu'une action assez restreinte et passagère. En vain Littré a-t-il dépouillé le positivisme de l'appareil mystique dont Auguste Comte l'avait affublé vers la fin de sa vie ; en vain a-t-il consommé son alliance avec la franc-maçonnerie politique ; en vain Laffitte, successeur de Comte en France, et Harrison, son continuateur en Angleterre, se sont-ils efforcés de rendre le positivisme moins rébarbatif au sens commun, plus acceptable aux gens du monde ; la génération nouvelle se détourne de plus en plus de lui, et l'inauguration officielle d'une statue de Comte à Paris en 1902, ne saurait compenser le délaissement de sa doctrine dans le monde de la pensée. [39]
Deux ans à peine après la mort de Littré, la revue la Philosophie positive cesse de paraître (1883), et ses directeurs Wyrouboff et Ch. Robin, dans leurs adieux aux lecteurs, s'expriment en ces termes : "Nous disparaissons devant l'indifférence générale pour les questions philosophiques." Même cet aveu n'est pas complet, s'il faut en croire la Revue philosophique, laquelle affirme à ce propos que la revue la [337] Philosophie positive, trop strictement attachée à la doctrine de Comte, a disparu, non devant l'indifférence, comme elle le dit, mais parce qu'elle a été débordée par un mouvement philosophique beaucoup plus large." [40]
"La doctrine comtienne, écrit M. Émile Picard, la doctrine comtienne, qui ne s'embarrasse d'aucune analyse délicate, paraît assuré ment simple, mais est singulièrement superficielle... Sa vision statique d'une science qu'il souhaite voir promptement définitive est pour nous inadmissible ... Le positivisme trop simpliste de Comte a besoin d'être élargi par une analyse plus complète." [41] Le positivisme de Comte et de Littré a été submergé par la marée montante de l'évolutionnisme de Spencer, sorte de positivisme agrandi, embrassant le cosmos (tandis que l'autre ne s'inquiétait guère que de notre terre et de l'humanité), positivisme moins entier, moins immobile aussi, faisant la part de l'Inconnaissable, c'est-à-dire de ses propres limitations. [42]
Et ce positivisme plus large, mieux renseigné, moins tyrannique, n'a pas envahi seulement le monde anglo-saxon, il a remporté ses succès les plus éclatants et les plus durables dans la patrie même du prédécesseur que, sans façon, il met au rancart. "C'est de l'Amérique, de l'Inde, du Japon que la réputation est venue d'abord à Herbert Spencer," écrit M. Gaston Rageot ; "c'est en France, surtout, qu'il s'est maintenu et accrédité." [43]
Bientôt à son tour l'évolutionnisme de Spencer se verra supplanté par un jeune et formidable adversaire, le pragmatisme de James et de Bergson. C'est James qui fait de Spencer cette appréciation : "Chez Spencer apparaît un nombre effrayant de lacunes. On connaît son tempérament de maître d'école, sa sécheresse ; on connaît sa monotonie, rappelant celle d'une vielle ; on connaît sa prédilection pour les expédients qui ne coûtent pas cher en matière d'argumentation ; on connaît son manque de culture jusque sur les principes de la mécanique, et le vague de ses idées fondamentales ; on sait enfin tout ce qu'il y a de raide et de gauche, en même temps que de fragile, dans son système, construit, semblerait-il, avec des planches de sapin toutes fendues qu'on aurait assemblées à grands coups de marteau." [44]
Et le pragmatisme a de la vogue .... en attendant que cette philosophie nouvelle se soit discréditée à son tour par l'exagération de son principe fondamental. L'empirisme radical et l'anti-intellectualisme [338] peuvent bien être les signes prémonitoires d'une imminente sénilité. [45]
IV. Les aventures de la sociologie (le mot).
La sociologie, discipline dernière et suprême du positivisme de Comte, a une histoire à elle, assez différente de celle de l'ensemble du système. Au début, la vulgarisation de la sociologie paraît être en retard sur celle de la philosophie positive dans ses grandes lignes ; puis, c'est la sociologie qui gagne rapidement du terrain, tandis que le positivisme passe à l'arrière-plan. Aujourd'hui, comme secte et comme école, le positivisme est visiblement à son déclin, tandis que la sociologie brille encore d'un vif éclat. Afin de nous rendre compte de ce qu'il y a de réel et de ce qu'il y a de faux dans cet éclat, nous ferons bien de distinguer dans la sociologie le mot de la chose. Et d'abord le mot.
Le dernier volume du Cours de philosophie positive de Comte, parut en 1842. Dans son traité de Logique, dont la première édition est de 1843, Stuart Mill, alors admirateur enthousiaste du philosophe français, fait un assez bon accueil au terme nouveau. Le néologisme "sociologie", dont on se sert pour désigner la science sociale, écrit-il, est un barbarisme, mais un barbarisme d'un usage commode. [46] La propagande assez active en faveur de la philosophie nouvelle, menée de front, en France par Comte et Littré, en Angleterre par Mill, Lewes, Miss Martineau, aida accessoirement à vulgariser "sociologie".
Cependant, le terme nouveau ne s'est, semble-t-il, acclimaté en France qu'assez tardivement. J'ai sous les yeux le catalogue de la section de sociologie de la bibliothèque du parlement fédéral à Ottawa, préparé à l'origine par Errol Bouchette, et tenu à jour par son digne successeur, M. Oswald Soulières. Dans la partie de ce catalogue où les ouvrages sont inscrits suivant l'ordre chronologique de leur première publication, on constate que jusqu'en 1889, aucun titre d'ouvrage ne porte la mention de "sociologie", tandis que plusieurs reproduisent le terme ancien de "science sociale". Le grand dictionnaire de Littré, paru en 1873, donne la définition suivante du mot "sociologie" : "Terme didactique, science du développement et de la constitution des sociétés humaines . . . Mot hybride, dû à Auguste Comte dans son système de philosophie positive. Il est pleinement entré dans l'usage." À ce dernier égard, il semblerait que Littré se fît un [339] peu illusion, car cette année même, il paraissait à Paris une traduction française de l'ouvrage de Spencer "The study of sociology", et l'auteur de cette traduction française était loin de se douter apparemment que "sociologie", fût d'origine comtienne et française. Il donne pour titre à la version française : Introduction à la science sociale", et il ajoute en note : "Cet ouvrage était intitulé dans l'édition anglaise "Study of Sociology ", littéralement l’étude de la science sociale." [47]
Spencer et son école ont probablement plus que tous autres contribué à généraliser l'emploi du mot "sociologie", et cela, non seulement chez les peuples de langue anglaise, mais même en France, comme semble bien l'indiquer le petit fait relaté ci-dessus. De bonne heure, Spencer fut initié au système de Comte, sinon directement par la lecture des livres de ce dernier, du moins en conversation avec deux de ses propres amis, disciples de Comte, Mary-Ann Evans (George Eliot) et G. H. Lewes, comme aussi par la lecture des écrits de ce dernier et de ceux de Miss Martineau, auteur d'une traduction an glaise libre ou résumée du Cours de philosophie positive. Le mot "sociologie" figure dans ses premiers écrits, et notamment dans le prospectus de sa grande œuvre de Philosophie synthétique (1860), et "sociologie" a bénéficié de toute la vogue dont la philosophie de Spencer a joui pendant de longues années.
Il est assez curieux de voir Spencer dans ce rôle de principal propagateur du mot "sociologie", qu'il reconnaît avoir été inventé par Comte, lorsqu'on se rappelle qu'il s'est toujours énergiquement défendu d'être son disciple, ou même de lui être redevable d'un seul principe organique de sa philosophie. Il n'a jamais lu dans le texte, nous assure-t-il dans son Autobiographie, un seul des ouvrages de Comte. Il n'a connu que le résumé publié par Miss Martineau à l'usage du public anglais. Encore, de ce résumé, n'a-t-il pris connaissance que des premiers livres. Il n'a pas lu les parties traitant de la biologie et de la sociologie. En somme, si Comte lui a été de quelque utilité, c'est uniquement comme tête de turc : il n'a guère trouvé chez lui que des idées à réfuter. [48]
Pour ce qui est particulièrement de son adoption du mot "sociologie," Spencer s'en explique dans la préface de son volumineux traité (1876). Il a trouvé, écrit-il, ce vocable déjà en usage, et il l'a adopté, faute d'un autre terme suffisamment compréhensif. En effet, il juge trop étroit et imprécis le mot anglais "politics", mais ne dit rien du terme de "science sociale", qu'il n'est pourtant pas sans connaître. (Il est probable, du reste, qu'il aurait jugé la désignation choquante dans un exposé de philosophie synthétique.). On lui a [340] reproché à mainte reprise d'avoir adopté ce terme de "sociologie", de composition bâtarde et vicieuse. Mais il n'attache guère d'importance à ce reproche. À son avis, la commodité du terme et sa parfaite propriété doivent l'emporter sur toute autre considération. [49] Encore en 1889, un écrivain de marque en France, Fustel de Coulanges, dans la préface de son livre l’Alleu et le domaine rural (p. IV), parle avec humeur et une sorte de mépris de ce qui est toujours apparemment pour lui un néologisme : "On a inventé depuis quelques années, le mot "sociologie". Le mot "histoire" avait le même sens et disait la même chose, du moins pour ceux qui l'entendent bien. L'histoire est la science des faits sociaux, c'est-à-dire la sociologie même." N'est-ce pas l'invariable prétention du spécialiste, historien ou autre, de noyer la science sociale dans ce qui fait l'objet de ses études de prédilection ?
Mais déjà, pour la sociologie commence une ère nouvelle. Sa vulgarisation va s'effectuer désormais beaucoup plus rapidement. La fondation de l'Institut international de sociologie, à Paris, date de 1893 ; elle est suivie de l'établissement de nombreuses sociétés de sociologie en Europe et en Amérique. La France (Paris 1895), la Belgique (1899), la Hongrie (Budapest 1900, Nagyvarad et Gyôr 1908), l'Italie (Palerme 1900, Catane 1908), l'Espagne (Madrid 1901), l'Angleterre (Londres 1903, Birmingham 1909), les États-Unis (1905), l'Autriche (Vienne 1907, Gratz 1908) l'Allemagne (Berlin 1909), s'adjoignent au mouvement. Le nombre des ouvrages en librairie qui portent en titre ou en sous-titre "sociologie" ou "sociologique" se multiplie singulièrement à partir de 1893. Bientôt on voit la sociologie figurer au programme de grands établissements d'enseignement public. Aux États-Unis, il existe déjà, en 1909, près de quatre cents de ces institutions où la sociologie est enseignée. Comme le déclare M. Durkheim, le mot "a aujourd'hui conquis droit de cité dans toutes les langues européennes". [50]
Même le lourd "Gesellschaft wissenchaft" des Allemands paraît devoir céder le pas devant le terme plus léger de "Soziologie" ou "sociologie."
Au point de vue religieux, comme au point de vue ethnique et national, le domaine de la sociologie s'est remarquablement agrandi. Du vivant de Comte, et même longtemps après, "sociologie" était en quelque sorte le mot de passe de tous ceux qui, au nom d'une philosophie quelconque, rejetaient toute tradition religieuse. La sociologie était la science sociale des "scientistes", par opposition à celle [341] des théologiens. Mais depuis, ces étroites limites ont été renversées. Aujourd'hui, "sociologie" revient à tout instant sous la plume d'écrivains philosophes ou spécialistes scientifiques qui ne sont nullement hostiles, qui sont même franchement favorables aux idées chrétiennes et catholiques. Je signalerai particulièrement plusieurs auteurs dans la collection Science et Religion, comme l'abbé Naudet. M. Méline, etc., et certains collaborateurs de la Science sociale, comme M. Philippe Champault et M. Jean Périer, qui ont fait un fréquent usage, ces années dernières, du substantif "sociologie" et de son adjectif "sociologique".
Bien plus, toute une école de publicistes et de professeurs qui ne reconnaît la science sociale qu'à titre de déduction, ou de commentaire, de la morale de l'Évangile, des principes de la théologie catholique et des enseignements de l'Église, est devenue un des plus actifs agents de propagande du terme "sociologie". Des prêtres instruits' des théologiens de grande réputation, spécialement consultés à ce sujet, me répondent qu'ils n'ont vu dans les encycliques ni "sociologie" ni "sociologique", mais que ces mots sont monnaie courante pour tous religieux et écrivains catholiques adonnés aux études sociales. Il existe une "sociologie catholique" ; elle s'enseigne spécialement à l'usage des fidèles comme aussi du clergé.
Au pied levé, lorsqu'on se rappelle les origines du mot, un tel fait est de nature à surprendre. "Dog should not bite dog", écrit finement M. Harrison, pour expliquer la modération de ses réponses aux attaques de Stephen ou de Huxley. [51] Que les sociologues proprement dits soient profondément divisés d'opinion et se chamaillent entre eux, il leur reste toujours un terrain de commune entente : sauf de rares exceptions, ils sont d'accord qu'il y a lieu de faire table rase de tout le savoir humain et de toutes les traditions sociales au profit de leurs principes philosophiques, ou de leurs lois scientifiques, de découverte ou de résurrection récente. Au contraire, les néo-sociologues catholiques, par définition, tiennent résolument au primat de l'autorité et de l'enseignement de l'Église, même en matière scientifique. Qu'ils se soient à la onzième heure ralliés au cortège triomphal de la sociologie, voilà qui semble presque inexplicable.
Voyons pourtant s'il ne se trouve pas des faits propres à nous éclairer. À la lecture des lettres échangées entre Mill et Comte, on voit que les premiers positivistes furent, dès le début, l'objet d'un traitement plus généreux et sympathique de la part des catholiques et des conservateurs en général que de la part de l'élément libre-penseur, révolutionnaire ou libéral. [52] Notamment le 26 avril 1845, [342] Mill écrit à Comte : "Nous avons obtenu vous et moi les honneurs d'une publicité assez éclatante par l'intermédiaire d'un des chefs de l'école anglo-catholique M. Ward, qui fît paraître, il y a une année ou davantage, un assez gros volume dans lequel il peignait en très noires couleurs l'état actuel de l'église anglicane et de la société anglaise, se déclarait nettement contre la réformation de Luther, et appelait l'église anglicane à rentrer dans le giron du catholicisme romain. Cet ouvrage fit grand scandale ici, et l'université d'Oxford vient de priver l'auteur de ses grades universitaires, comme ne faisant plus partie en droit de l'église anglicane." [53] Ward tance Auguste Comte encore plus vertement que Mill à cause de son irréligion, mais cite plusieurs passages de son livre, et fait l'éloge de ses capacités, et même de ses intentions. "Il dit, ajoute Mill, que vous reconnaissez avoir pris bien des choses dans de Maistre, mais qu'il vous trouve bien supérieur à ce penseur." La Quarterly Review reprochait à Ward d'avoir tiré plus d'enseignements de l'école Mill et de Comte que des théologiens anglicans.
Dans cette sympathie et ces égards témoignés pour l'école positiviste à ses débuts par un des chefs du mouvement d'Oxford et des néo-catholiques anglais, il ne faudrait pas voir un simple fait individuel, accidentel. M. Frédéric Harrison, un des plus illustres champions du positivisme en Angleterre, et probablement le dernier, rappelle dans ses mémoires qu'il fut de longues années, ainsi que d'autres de son école, reçu dans l'intimité, et invité à la table du cardinal Manning. L'archevêque de Westminster lut avec intérêt l'introduction faite par Harrison au deuxième volume de la Politique positive de Comte, et il aimait à signaler les analogies profondes entre le catholicisme et le positivisme. M. Harrison déclare le rapproche ment juste et conforme au jugement de Comte, si l'on s'en tient au moyen âge et à l'aspect moral plutôt qu'intellectuel de l'institution catholique. [54]
De même en France, plus d'un écrivain catholique montre un certain penchant pour le positivisme. Qu'on lise à ce sujet la préface intéressante, mais pleine de ménagements dont Léon Ollé-Laprune fait précéder le livre du P. Gruber sur Auguste Comte ; aussi quelques pages de Brunetière au commencement de son livre Les chemins de la croyance. D'autre part, je relève dans la collection Science et Religion un petit ouvrage de M. Victor de Clercq, avocat à la cour d'Appel de Paris, lequel, après avoir brûlé son grain d'encens sur l'autel [343] d'Auguste Comte, se mêle, de sa propre autorité, d'excommunier les principaux collaborateurs de la Science sociale. "On a dit beaucoup de mal du positivisme, écrit-il, et assurément il est facile de montrer les contradictions intrinsèquement contenues dans la théorie philosophique de Comte. Toutefois, beaucoup ne l'ont jugée si sévèrement que pour l'avoir entrevue à travers les déformations que lui firent subir Littré et d'autres disciples infidèles, qui du système ne retinrent qu'une partie, et peut-être la plus choquante. Médiocre philosophe, Comte reste un éminent sociologue... Il eut surtout le grand mérite de vulgariser les idées de réorganisation sociale déjà exprimées par Saint-Simon... [55]
Quant aux directeurs et collaborateurs de la Science sociale, au jugement de M. de Clercq, "ils professent avant tout le culte du "moi" et de la force ; leurs conceptions sociales ne sont plus chrétiennes". [56] Or, apparemment, cette belle indignation, ces téméraires jugements sont provoqués uniquement par l'attitude irréprochable des collaborateurs de la Science sociale qui, se fondant sur l'observation de faits anciens et nouveaux, prônent l'initiative privée et locale de préférence à l'intervention de l'État en matière économique et sociale, et se montrent mal disposés à seconder les efforts de certains catholiques dont le rêve est de rétablir les corporations ouvrières et autres institutions du moyen âge.
On s'expliquera assez bien cette conduite, tant des catholiques anglais que des catholiques français, à l'égard du positivisme, si l'on se rend bien compte du double aspect que présente ce système philosophique, lequel, tout en rejetant la doctrine catholique, professe une grande admiration pour son organisation administrative, qu'Auguste Comte aurait seulement voulu plus rigide et autoritaire. Ce dernier aspect a séduit un certain nombre de catholiques et leur a fait négliger, oublier le reste.
En effet, c'est avant tout une question de hiérarchie et d'organisation, beaucoup plus qu'une question de dogme, qui, vers 1830, préoccupait les meilleurs esprits d'Oxford, comme Hurrell Froude, J. H. Newman, Ward, Manning, etc. C'est le souci d'émanciper l'église anglicane de la sujétion de l'État et de l'investir de l'autorité et du prestige d'une église d'institution divine qui suscita la publication des "tracts", et détermina ultérieurement la conversion au catholicisme de nombre des promoteurs de ce mouvement. [57] Ces [344] hommes qui avaient résolu de revendiquer l'autorité de leur parole et le caractère sacré de leur mission contre les assauts des libéraux et des évangélistes, d'une part, et contre ceux des philosophes allemands de l'autre, ne pouvaient se défendre d'une certaine sympathie pour le fondateur du positivisme, qui à travers bien des divagations, conspuait la métaphysique d'Outre-Rhin, se faisait l'apologiste de l'Église au moyen âge, et préconisait la séparation des deux pouvoirs, temporel et spirituel, en vue de mieux assurer l'indépendance de celui-ci.
On conçoit aussi qu'après avoir traversé pareille crise, ces anglicans passés au catholicisme fussent les tenants indéfectibles de l'autorité ecclésiastique. "Comment se fait-il, demande Harrison au cardinal Manning, que vous n'encouragiez pas le mouvement pour le "désétablissement" (la séparation) de l'église anglicane ? L'effet de cette séparation ne serait-il pas de vous attirer de nombreuses conversions ?" "Je le sais bien, répondit le prélat, mais la libre-pensée, l'agnosticisme, le positivisme en profiteraient encore plus que nous. Le principe de l'union de l'Église et de l'État est trop sacré pour que nous nous y attaquions". [58]
Puis, nous l'avons vu, ce qui établit un lien entre le fondateur du positivisme et beaucoup des catholiques français, ce n'est pas une communauté de croyances, c'est uniquement une similitude de tendances en matière d'organisation. Que ce soit l'effet des circonstances particulières où ils se trouvent, ou celui de leur formation sociale traditionnelle, catholiques anglais et catholiques français affectionnent les solutions communautaires et autoritaires, et dès lors, ils trouvent dans les écrits de Comte beaucoup de principes à leur convenance.
Ainsi favorablement disposés envers Comte, les catholiques furent bientôt amenés, on le conçoit, à s'initier à sa sociologie. Ce n'est pas tout ; pendant longtemps, de l'avis de beaucoup de catholiques, les questions sociales se confondaient absolument, ou à peu près, avec les questions de morale religieuse. Dès lors elles étaient tranchées d'autorité et il n'y avait pas lieu d'en faire l'objet d'une science distincte. Plus tard, lorsqu'ils sentirent davantage la nécessité de s'appliquer à l'étude particulière de ces questions, que d'autres creusaient avec zèle, c'est à titre de critiques qu'ils s'y adonnèrent, et de critiques, naturellement, de ceux qui leur paraissaient le plus osés dans leurs affirmations : les sociologues à la manière de Comte et de Spencer.
À lire et à réfuter les œuvres des sociologues, les polémistes catholiques en vinrent à adopter insensiblement la terminologie [345] de l'école. Toutefois, pour avoir fait la chasse aux erreurs, et un peu aux idées, dans les écrits des sociologues comtistes et autres, pour leur avoir même emprunté certaines de leurs expressions, ces écrivains catholiques n'en ont pas pour cela adhéré aux théories ou aux méthodes de ces sociologues. Loin de là.
V. Les aventures de la sociologie (la chose).
En effet, si la sociologie a envahi le inonde, c'est le mot beau coup plus que la chose qui a remporté ce succès. En ce qui regarde la doctrine, et même abstraction faite du groupe catholique, dont le ralliement est hors de question, on ne saurait se figurer un conflit plus général et irréductible d'opinions et de systèmes que celui présenté par un congrès de sociologues authentiques, ou la série des intéressantes revues et analyses contenues dans la collection de l’Année sociologique, publiée sous la direction de M. Durkheim. Les spécialistes des diverses sciences auxiliaires (anthropo-géographie, anthropologie, ethnologie, démographie, économie politique, histoire des civilisations, histoire des religions, science juridique, etc.), luttent tous ardemment pour faire prévaloir leur discipline particulière. Ils sont encadrés, et plus ou moins dominés, par un état-major de fervents de la sociologie générale, simples philosophes, et extrêmement divisés entre eux : comtistes, matérialistes, biologistes, évolutionnistes, psychologues, rationalistes-naturistes, ou mécanistes, etc.
Entre sociologues contemporains il se manifeste des dissentiments profonds, persistants, il s'engage de vives polémiques sur des questions fondamentales. Au sujet, par exemple, du matérialisme historique de Marx et d'Engels (plus exactement, l'interprétation économique de l'histoire, ou simplement le déterminisme économique), on trouve rangés d'un côté l'Allemand Cunow, quatre sociologues italiens, Labriola, Groppali, Loria, Asturaro, et un sociologue américain, Patten, et de l'autre, l'Allemand Barth, tenant de la philosophie de l'histoire, ainsi que plusieurs rédacteurs de l’Année sociologique, Bougie, Lapie, Durkheim et Parodi. [59] Le matérialisme proprement dit, cosmologique, moniste et mécaniste, y a pour interprètes Létourneau, De Greef, de Marinis, etc., et pour critiques Fauconnet, etc. [60]
[346]
Le fameux procédé de l'analogie biologique, de l'organicisme, qui, s'inspirant de Comte et de Spencer, assimile la société à un être ou à un organisme vivant, est défendu par Novicow, Lilienfeld, Espinas, Worms, etc., battu en brèche par Létourneau, De Greef, Tarde, Seignobos, Bougie, Durkheim. Létourneau, par exemple, qui, en matérialiste déterminé, trouve le fondement des "formes juridiques dans l'irritabilité de la cellule nerveuse", qualifie de "si peu soutenable" la comparaison "entre les organismes sociaux et les organismes biologiques". [61]
L'évolutionnisme de Spencer, qui trouve de nombreux adeptes dans le monde scientiste, s'étale, frotté de matérialisme, de mécanisme et d’"un positivisme un peu étroit et dogmatique" dans les ouvrages de Lester Ward, doyen des sociologues américains, qui, de ce fait, est raillé par un des principaux collaborateurs de l’Année sociologique, M. Parodi. [62]
La fameuse loi du passage progressif de l'homogène à l'hétéro gène, que Spencer a empruntée au biologiste allemand Von Baër, et dont il a fait le fondement de toute sa philosophie synthétique (sociale et autre), est carrément rejetée par le plus répandu des psychosociologues français, Gabriel Tarde, qui soutient, au contraire, que la marche de l'humanité, de la société, va de l'hétérogène, état primitif, vers l'homogène, par le procédé de l'imitation. Et M. Worms, qui, en sa qualité de secrétaire de la société, se croit tenu de rétablir l'accord entre tant de doctrines contradictoires, fait de son mieux pour démontrer que cette opposition entre Spencer et Tarde n'est qu'apparente ! Celui-ci, dans son livre Les transformations du pouvoir, n'en prétend pas moins que les seules lois que le sociologie puisse découvrir ce ne sont pas des lois d'évolution, mais des lois de "causation." [63]
Au reste, Tarde comme Spencer lui-même est rangé parmi les adeptes du "psychologisme" ; et ils sont en nombre parmi les sociologues les plus en vue et les rédacteurs mêmes de l’Année sociologique. Cependant, ils ont trouvé à qui parler. Notamment, M. Émile Durkheim, directeur de l’Année sociologique et professeur en Sorbonne, leur a fait une lutte très vive. À la loi de l'imitation universelle et spontanée que Tarde opposait à Spencer, M. Durkheim oppose, [347] mais sans pour cela se rallier à Spencer, "la contrainte", qui serait, suivant lui, le caractère distinctif du fait social. [64]
À la vérité, c'est en suivant la trace de M. Durkheim, ne serait-ce que durant une période relativement courte de sa carrière intellectuelle, que l'on a l'impression la plus vive de l'état de division et d'anarchie de la sociologie contemporaine. Ils sont nombreux et se recrutent dans tous les camps, les sociologues avec qui il a dû croiser le fer, soit à l'attaque, soit pour se défendre. Avec sa théorie juridico-sociale des groupements humains, même élémentaires comme la famille, il s'est trouvé de bonne heure aux prises à propos du totémisme, par exemple, avec les anthropologistes, ethnologues, folkloristes Morgan, Tylor, Kohler, Frazer, Starcke, Westermarck, Spencer et Gillen. [65]
Puis M. Durkheim ayant ainsi, au nom de la raison, revendiqué (et parfois victorieusement) les droits de la sociologie spécifique, contre les prétentions outrées des adeptes des sciences de la nature, se retourne et, toujours au nom de la raison, revendique les droits de la sociologie contre les tenants des sciences de l'esprit ; il devient naturiste et objectiviste contre l'armée des psychologues. Or, dans cette attitude, il se montre tellement extrême qu'il se trouve en conflit avec celui qui est à ses yeux "le maître par excellence", avec Comte, comme aussi avec Mill et avec Spencer. Non seulement a-t-il maille à partir avec les psychologues outranciers comme Tarde et Seignobos, mais aussi avec la plupart des psychosociologues américains, pour tant beaucoup plus objectivistes, et aussi avec plusieurs de ses propres collaborateurs à la direction de l’Année sociologique. Même le sociologue allemand Simmel, qui dans la Revue de M. Durkheim se trouve classé, avec lui et quelques autres, parmi les protagonistes de la sociologie objective et spécifique, ne trouve pas grâce auprès de lui. [66]
Évidemment, les sociologues des deux mondes sont encore loin de réaliser cet accord indispensable à l'établissement du pouvoir spirituel rêvé par Auguste Comte. C'est que, en effet, leur sociologie [348] n'est pas constituée sur le modèle d'une science d'observation, et consiste plutôt dans une élaboration de principes philosophiques. Dès lors, elle est féconde en problèmes insolubles, et ses disputes, comme celle de la philosophie, sont éternelles.
Aucun des instaurateurs de la sociologie n'a réussi à la constituer scientifiquement, à en faire effectivement "la science sociale". Auguste Comte, de l'avis même de Stuart Mill, alors son plus fervent admirateur, ne saurait être considéré comme le créateur de la sociologie. C'est la dynamique sociale seulement qu'il aurait mise sur pied par la découverte et la mise en œuvre de sa fameuse loi des trois états. Tel est son principal titre de gloire. [67] Or l'inanité de cette loi fondamentale a été catégoriquement établie par Spencer au point de vue philosophique, et par M. Durkheim lui-même, au point de vue sociologique et historique. [68] Le philosophe américain Fiske qui un moment a été comtiste, avant de se rattacher à l'école de Spencer, et qui a toujours conservé un sentiment admiratif pour Comte, qui l'a défendu à l'occasion contre Spencer même, n'en est pas moins amené à reconnaître que le fondateur du positivisme n'a pas créé une science de la sociologie. [69]
Frédéric Harrison qui, lui, est resté fidèle à Comte jusqu'à la fin, et défend les idées de son maître vénéré toutes les fois qu'il reste un semblant de raison à invoquer, reconnaît que Comte n'a pas "constitué" la science de la société, il l'aurait simplement "institué". Son ambition, nous assure M. Harrison, n'allait pas plus loin, et il se console presque de cette lacune dans l'œuvre de Comte en constatant que ses continuateurs n'ont pas depuis grossi notablement le bagage de la sociologie. [70]
Enfin, M. Lévy-Bruhl, qui passe pour être avec M. Durkheim "le continuateur direct et le rénovateur du positivisme" [71] constate que "la sociologie de Comte reste avant tout une philosophie de l'histoire". [72]
Mill, tout enthousiaste qu'il était de la dynamique sociale et de la loi des trois états inventées par Comte, jugeait qu'il y avait lieu d'y adjoindre une discipline complémentaire : l'éthologie, sorte de psychologie sociale. Il aurait voulu être lui-même l'instaurateur de cette nouvelle science ; mais sa tentative ne put jamais aboutir, [349] et c'est de désespoir et comme pis-aller qu'il rédigea son traité d'économie politique. [73]
Quant à Littré, du traité de sociologie qu'il présenta à la Société sociologique solennellement inaugurée par lui en 1872, le P. Gruber dit que "ce n'est qu'une insipide nomenclature de termes barbares dérivés fort arbitrairement du grec et du latin." En voici des exemples : Sociodynamie (dynamique sociale) ; sociomérie (statique sociale) ; sociergie (conservation de la société) ; sociauxie (accroissement de la société) ; socioporie (économie nationale) ; sociagathie (morale) ; sociocalie (lettres et arts) ; socialéthie (sciences) ; sociarchie (législation, droit). [74] Mais aucun de ces mots n'a eu un succès comparable à celui de "sociologie". Sans doute, il serait injuste de voir dans cette contribution linguistique du grand lexicographe la mesure de son mérite en tant que sociologue. Mais il ne paraît pas en tout cas avoir fourni à la science nouvelle de principe véritablement organique, et même son nom ne revient que très rarement dans les écrits ou les discussions des sociologues modernes.
L'œuvre sociologique de Spencer est assurément imposante par la masse et l'ordonnance. Mais si l'on fait exception de la partie purement ethnologique de ses travaux, que reste-t-il de lui de fonda mental ? Son procédé de l'analogie biologique a, de l'aveu de tous sociologues sérieux, fait son temps ; et sa prétendue loi du passage de l'homogène à l'hétérogène, aussi très contestée, est en tout cas trop générale pour être réellement utile.
Et que dirons-nous de l'œuvre des sociologues contemporains ? Somme toute, elle n'est pas jusqu'ici très hautement appréciée dans le monde savant, et le peu de cas qu'on en fait se manifeste parfois au moment où on s'y attend le moins. Par exemple, M. Abel Rey, aux yeux de qui Durkheim est le sociologue sans pareil, a cependant une opinion assez peu flatteuse des productions de la sociologie courante. "La sociologie, écrit-il, vers la fin de son livre sur la philosophie moderne, la sociologie, grâce aux travaux de Durkheim et de son école, a travaillé et fait." Voilà qui va bien. Mais pourquoi ajoute-t-il un peu plus loin parlant des "premières réalisations" de la sociologie, qu'il ne faut pas "exagérer leur importance. C'est très peu de chose" ? [75]
Montrons-nous plus généreux que M. Rey : Dans les écrits des sociologues modernes les plus en vue, il se trouve beaucoup de choses bien comprises et bien dites, des dissertations et des critiques d'un intérêt très réel, un foisonnement d'aperçus ingénieux, même des [350] investigations bien conduites et poussées à fond. Mais trop souvent cela est vicié par l'insuffisance d'une méthode qui est philosophique, au lieu d'être scientifique. Le mot, intentionnel ou non, de M. Picard, au sujet d'Auguste Comte, "qui se préoccupait surtout de sociologie" et (sans transition) "n'était pas un savant", pourrait s'appliquer sans injustice à beaucoup de ces éminents sociologues qui ne veulent pas de "science sociale", mais simplement une "sociologie" abstraite, superposée à des sciences sociales, c'est-à-dire un ensemble de spécialités scientifiques subordonnées ou accolées à une simple discipline philosophique.
Dans ces conditions, les sociologues, tout en prétendant fonder leurs conclusions sur l'observation des faits, doivent se contenter de renseignements de seconde main, recueillis au petit bonheur, par des spécialistes plus ou moins compétents en matière sociologique. Ils oublient, ou négligent, lorsqu'ils ne méprisent pas de parti pris, les deux procédés inséparables de toute science sérieuse : l'observation monographique de l'objet essentiel de la science et la nomenclature des faits ou concepts propres à cette science. Dans tous les trésors de la sociologie proprement dite, il ne se trouve rien de comparable à cette double découverte due aux deux instaurateurs de la Science sociale : la monographie de groupement, inaugurée par Frédéric LePlay, et la nomenclature des faits sociaux due à Henri de Tourville. Tous le reconnaîtront un jour.
VI. L'emploi abusif
et l'emploi légitime de "sociologie".
Nous sommes maintenant en mesure de tirer certaines conclusions utiles de cet historique de la sociologie. Tout d'abord, il ne saurait être question d'éliminer le vocable même. Le fait accompli s'impose. Le mot est entré dans la langue de la classe instruite en tous pays civilisés. Même s'il était possible d'enrayer une pratique aussi générale dans toutes les langues savantes, il serait assurément inopportun de tenter l'entreprise.
Le mot mérite de vivre, ne serait-ce qu'à raison de la commodité de son emploi. C'est l'argument principal avancé par Comte, par Mill, par Spencer ; et en ces matières, les considérations d'ordre pratique ont le pas sur celles d'ordre théorique. "Sociologie" a sur "science sociale" l'avantage de la brièveté ; un seul mot fait l'office de deux. "Sociologie" donne l'adjectif "sociologique", qui n'a pas les mêmes emplois que "social" et en est l'indispensable complément. Dans l'usage courant, déjà "sociologie" donne l'impression d'un [351] champ d'étude un peu plus circonscrit que "science sociale", et indique dès lors l'état d'une science mieux définie, plus précise et méthodique.
La futilité de certaines objections faites à l'emploi de "sociologie" ou de "sociologique" saute aux yeux. Les puristes ont souvent signalé la composition mixte, bâtarde, de ce terme, emprunté pour partie au latin et pour partie au grec. Mais cette objection des puristes n'est guère prise au sérieux ; Spencer, entre autres, s'en moque, et avec raison. Même, là où les puristes voient une tare, d'autres voient une supériorité. C'est ainsi que M. Frank Granger, professeur à University collège, Nottingham (Angleterre), se fondant sur l'autorité de Comte même, déclare admirable la structure de ce terme à la confection duquel a contribué la langue de chacun des deux grands peuples éducateurs de l'antiquité. [76]
Plus sérieuse, l'objection fondée sur les origines et les attaches positivistes du mot, ne saurait cependant nous retenir bien longtemps. Par suite de son extraordinaire diffusion, de son emploi constant par des penseurs et spécialistes, même, se rattachant à des écoles diamétralement opposées d'esprit et de tendances, le terme paraît avoir perdu toute trace d'hérédité positiviste, quoique les adeptes ou fidèles du maître ne laissent guère passer une occasion de rappeler les titres de Comte à sa paternité. Il suffira que ceux dont l'admiration est moins entière restent en méfiance de l'esprit sectaire de quelques-uns de ses continuateurs, comme aussi des procédés méthodologiques de la plupart des sociologues Comtistes, évolutionnistes, psychologues, etc.
Mais, s'il n'est ni possible ni opportun d'ostraciser le terme "sociologie", il est possible, et plus que jamais nécessaire d'en régulariser l'emploi, du moins en ce qui regarde les fervents de la science. Puisqu'il nous faut compter désormais avec le mot "sociologie", et puisque, d'un autre côté, l'ancien vocable de "science sociale" n'est pas près de tomber en désuétude, il importe de bien définir les limites de l'emploi propre de chacun de ces termes. Précisément, dans un ouvrage récent dû à la plume d'un sociologue distingué des États-Unis, je trouve les matériaux d'une discussion et d'une solution pratique de cette difficulté. [77]
M. Ellwood passe en revue un grand nombre de définitions ayant cours en divers milieux. Il les répartit en six catégories. Mais elles donnent une vue plus simple et claire de la question, une [352] fois ramenées à trois. La première division comprend les définitions d'ordre populaire ou pratique, qui, confondant la science et l'art, voient dans la sociologie l'investigation méthodique des moyens, l'adoption des mesures à prendre en vue de réformer la société, de corriger les abus, de réprimer le vice, etc. Il est curieux de constater que le terme de "science sociale" avait déjà subi une déformation correspondante, surtout dans les pays de langue anglaise, et qu'en Angleterre, comme aux États-Unis, les "Social science associations", dont la première remonte à 1857 avec lord Brougham comme président à Londres, s'occupaient uniquement, à l'instar des Sociétés de bienfaisance établies en France au dix-huitième siècle, de questions et de mesures d'hygiène publique, d'éducation, de jurisprudence, d'économie sociale, et autres de même nature. C'est une bonne illustration de ce trait de formation sociale signalé par Comte dans une de ses lettres à Mill, où il lui parle de "l'exorbitante prépondérance des sentiments pratiques dans le milieu anglais". [78]
En second lieu, nous avons une classe de définitions émanant d'hommes de science, adeptes parfois de ce qu'on appelle sciences sociales particulières, mais qui ne sont pas à proprement parler des sociologues. Pour eux, la sociologie est simplement "la science des phénomènes sociaux". Cette définition n'est guère acceptable, comme le remarque fort bien M. Ellwood, n'étant ni assez précis ni assez spécifique. Si la sociologie est la "science des phénomènes sociaux", alors il n'y a plus d'emploi pour l'ethnologie, pour l'économie politique et nombre d'autres sciences qui traitent d'une classe particulière de phénomènes sociaux, sans cependant se confondre avec la sociologie. Plutôt que d'abdiquer leur droit à l'existence, les fervents de chacune de ces sciences sociales particulières, chercheraient sans doute, à s'accaparer tout le domaine de la sociologie.
D'autre part, si les auteurs de cette définition entendent par là faire de "sociologie" le terme général embrassant toutes les disciplines sociales, ils oublient qu'il existe déjà un vocable très usité et qui est le seul propre dans l'espèce : celui même de "science sociale." Et ici, qu'on me permette de citer le propre texte de M. Ellwood, que je ne connaissais nullement, et dont le livre n'était pas même sorti des presses, lors de notre discussion à la Société Royale ; on se rendra compte à quel point ce texte corrobore l'opinion que j'exprimai dans cette circonstance :
Social science is preferable to "Sociology" as an encyclopédic term for all the social disciplines, and is now so used by the best authorities. [79]
[353]
Je n'avais donc pas tout à fait tort de m'opposer au choix de "Sociologie" comme substitut de "science sociale" dans la rubrique descriptive de notre section. Le mot de "science sociale" doit être retenu pour désigner l'ensemble des études relatives à la société, et le mot "sociologie", réservé pour cette partie de la science sociale qui a trait à l'investigation méthodique des conditions et lois d'existence des groupements humains. Si j'en juge par ce qui se passe dans notre propre École de la science sociale, c'est sur cette base que se fera la délimitation du domaine linguistique de chacun de ces vocables. Et, dès lors, pourquoi, entre les diverses sciences sociales particulières, inscririons-nous la sociologie à l'exclusion de presque toutes les autres ?
Les autres définitions examinées par M. Ellwood, et qu'il considère en quatre paragraphes, peuvent toutes se ranger sous cette rubrique : la sociologie, science des groupements humains. Approximation suffisante, pourvu qu'on entende bien ces termes. Aussi bien, il s'en trouve parmi ces dernières définitions qui sont vagues, imprécises. Telles sont les deux définitions de M. Giddings : "La sociologie, étude scientifique d'un groupe ou nombre quelconque de per sonnes en relations les unes avec les autres et tendant vers une certaine conformité de vues". [80] Ou encore, cette autre : "La sociologie, essai d'explication de l'origine, de la structure et de l'activité des sociétés par le jeu d'agents physiques, biologiques et psychiques, en état de combinaison et d'évolution". [81] Telle est encore cette définition de M. Small : "La sociologie, science du processus social". [82]
Puis, nous avons la définition trop concrète attribuée à Ward, à Powell, à Spencer même, laquelle fait de la sociologie la "science des institutions", terme dont la signification ordinaire est trop étroite pour embrasser toutes les sortes de groupements, et qui, dans le sens étendu où certains auteurs le prennent, de toute pratique ou coutume sanctionnée par la loi ou par la tradition, cesse d'être spécifique. [83]
D'autre part, la définition du sociologue allemand Simmel est trop abstraite, puisqu'elle réduit la sociologie à l'étude des formes ou modalités des groupements, de telle sorte que ce ne serait plus qu'une géométrie sociale. [84]
Il reste deux définitions de la sociologie, l'une de M. Ellwood même, pour qui la sociologie est "la science de l'organisation et de l'évolution de la société", formule, comme il le constate, qui reproduit à [354] peu près l'idée que s'en faisait Auguste Comte ; et celle du biologiste écossais M. J. Arthur Thompson, que M. Ellwood paraît préférer même à la sienne : "La sociologie, science de l'origine, du développement, de la structure et des fonctions des formes de l'association". [85]
Certes, ces dernières définitions, surtout si on les entend bien, sont très acceptables. Mais aucune ne me paraît, pour la rigueur et la clarté, valoir celle qu'Henri de Tourville donnait de la science sociale, dès 1886 : "La science sociale a pour objet les conditions ou les lois qu'exigent entre les hommes la plupart des manifestations de leur activité". [86] Et l'on pourrait prendre pour formule abrégée : la sociologie, science des groupements humains. Car il va de soi pour tout spécialiste tant soit peu logicien qu'on ne saurait se dis penser d'analyser ce qui fait l'objet propre de sa science, d'en étudier la composition, le fonctionnement, les moyens, le mode et les phases d'existence.
Il est un point sur lequel M. Ellwood ne paraît pas s'être exprimé avec suffisamment de netteté. En plus d'un endroit, il parle bien comme si la sociologie était à son gré une science sociale particulière (notamment aux pages 3 et 4) ; et il se montre soucieux de lui conserver son autonomie tout autant que de respecter celle des autres sciences. Cependant, d'autres passages sont moins fermes d'allure, et vers la fin de sa dissertation, il accepte presque au même titre que ses définitions préférées celle de Schaëffle, pour qui (et il n'est pas le seul) la sociologie est "une philosophie des sciences sociales." [87] Or, il faut choisir entre les deux. Il serait exorbitant que la sociologie fût à la fois science sociale particulière et philosophie de l'ensemble des sciences sociales. Et il n'est pas du tout indifférent qu'elle soit l'une ou l'autre. Si l'on adopte cette dernière solution, si on en fait simplement une philosophie, elle restera en proie à la dialectique, un champ d'interminables discussions, intéressantes, amusantes peut-être, mais plus ou moins oiseuses. Si, au contraire, on en fait une science d'observation monographique et (autant que possible) directe, confinée dans le domaine du vérifiable, sans mépriser, sans exclure pour cela de la pensée et de la vie la métaphysique, qui n'est pas vérifiable par les procédés ordinaires de la science, sans non plus négliger de tenir compte des découvertes, des constatations vérifiées des autres sciences, la sociologie, devenue la science sociale (seulement, avec un sens un peu plus circonscrit) trouvera des solutions qui s'imposent, elle rendra des services, elle sera respectée.
[355]
On me permettra peut-être de signaler en terminant l'avance sérieuse réalisée à cet égard par l'École de la science sociale fondée par LePlay, de Tourville et Demolins, et aujourd'hui placée sous la géniale direction de M. Paul de Rousiers. Depuis trente ans, cette école met en œuvre, avec un remarquable succès, le procédé de l'observation monographique, à la lumière de cette admirable nomenclature sociale d'Henri de Tourville. Et depuis près de trente ans, sauf les intermittences imposées par les nécessités du "struggle for life", il m'a été donné d'utiliser à la fois ce procédé de la monographie sociale et cet instrument de précision qu'est la nomenclature d'Henri de Tourville : j'ai pu à loisir me rendre compte des inestimables avantages assurés par l'emploi de l'un et de l'autre. C'est même le vif sentiment de l'utilité et de l'excellence de cette nomenclature, des services qu'elle a déjà rendus et de ceux encore plus grands qu'elle est appelée à rendre à l'avenir, qui m'a engagé, il y a deux ou trois ans, à soumettre aux chefs de l'École à Paris l'idée de certaines modifications à y faire, de manière à la rendre plus maniable et à la mettre tout à fait au courant de l'état actuel de la science.
Ces modifications consisteraient, en premier lieu, à hiérarchiser en quelque sorte les concepts ou faits inscrits dans la nomenclature d'H. de Tourville, de manière à mettre pleinement en évidence le phénomène social central, qui est le groupement humain. Puis, on dédoublerait toute cette nomenclature, pour en tirer, en même temps qu'un recueil des faits ou concepts organiques de la science sociale, une classification, au moins préliminaire, des groupements.
Cette proposition, même sous la forme très imparfaite où elle leur avait été soumise, fut l'objet d'un accueil sympathique de la part de plusieurs de mes collègues les plus expérimentés. Même quelques-uns, dont l'autorité en ces matières est beaucoup plus grande que la mienne, et entre tous, un de nos Anciens les plus respectés et les plus écoutés, M. Philippe Champault, ont bien voulu m'assurer de leur cordial appui, en vue de la bonne exécution d'un tel projet. [88]
[356]
Sans doute, il y faudra l'effort collectif des adeptes les plus compétents d'ici quelques années ; mais, une fois ce progrès accompli, l'École de la science sociale se trouvera singulièrement bien outillée en vue de l'exploitation de son domaine scientifique, et c'est plus que jamais sur son modèle que devra se constituer la sociologie de toute origine et de toute venue, si elle veut vivre et progresser, si elle veut être plus qu'un mot, plus qu'une théorie, si elle veut figurer dignement parmi les sciences, non pas positivistes, mais positives ou tendant à le devenir.
[1] La philosophie positive (résumé d'Émile Rigolage), t. III, p. 61.
[2] Lettres inédites de John Stuart Mill à Auguste Comte, avec les réponses de Comte. Paris, Alcan, 1899 ; p. XX, XXII, 10, 146, 148, 160, 362, 363, 375, 403, 452, 453, 500.
[3] Lettres Mill-Comte, p. 6 ; Mill, Auguste Comte and Positivism, p. 56, 57, 63, 178.
[6] Lettres, p. 5, 137 ; aussi p. XIII, XIV, XVII et XXII de la préface de M. Lévy-Bruhl ; Mill, Comte and Posit., p. 108, 140, 141 ; Fiske, Outlines of cosmic philosophy, Boston, 1874, t. I, p. VIII, IX, 131 et suiv.
[7] Philosophie positive, t. IV, p. 50 (note).
[8] Phil. posit., résumé Rigolage, t. II, p. 25, 43, 268, 270, 273, 303 ; t. IV, p. 11, 39, 180.
[9] Mill, Comte and Positivisn., p. 15, 123, 153, 171, 178-179, 193, 194.
[10] Politiques et moralistes, t. II, p. 282.
[13] Fondateur de l’Européen, auteur de divers travaux historiques, entre autres d'une volumineuse Histoire parlementaire de la Révolution, écrite en collaboration avec Roux-Lavergne, et propagateur d'une nouvelle théorie providentielle de l'histoire.
[14] V. de Clercq ; Les doctrines sociales en France depuis la Révolution, t. I., p. 44, 45.
[15] Mill, Autobiography, p. 166 ; Thouverez, Stuart Mill, p. 12, 14, 15.
[16] Lettres, p. 6, 36 ; Autobiography, p. 277-278.
[17] Naguère pasteur presbytérien en Écosse et qui par la suite, ayant renoncé à toute croyance religieuse ou spiritualiste, devint l'instaurateur en psychologie de la théorie moniste de l'associationisme.
[18] Lettres, p. 135, 153, 166-167, 241, 307, 346.
[19] Lettres, p. 13, 307, 403-404, 447, 448.
[20] Lettres, p. 63-64, 69, 224-225, 230.
[22] Ibid., p. 367, 371, 374, 375, 383.
[23] R. P. Gruber, S. J. ; Le positivisme depuis Comte jusqu'à nos jours, Paris, Lethielleux, 1893, p. 38-39.
[24] Dr. Robinet, Philosophie positive, Paris, Alcan, p. 98, 99 (note) ; Gruber, ouvr. cit. p. 93 et suivantes.
[25] Gruber, Le positivisme, p. 53.
[26] De nombreux écrivains, recrutés en maint pays d'Europe et d'Amérique, et dans tous les camps de l'opinion, ont contribué leur quote-part à la publicité du positivisme. Une liste d'ouvrages relatifs au positivisme, parus surtout en France et en Angleterre de 1842 à 1882, liste que je me suis dressée au courant de mes lectures et sans faire de recherches spéciales, et dès lors nécessairement fort incomplète contient au-delà de soixante-dix titres. En d'autres termes, durant cette période, il ne s'est guère passé d'année sans qu'il parût au moins un ouvrage important, et quelquefois deux ou trois, approuvant ou critiquant les doctrines de Comte ou de son école.
[27] Mill, Autobiography, Londres, 1873, p. 211 ; Lettres Mill-Comte, préface, p. I et II.
[28] Mill, Comte and Positivism, p. 127 ; Caro, Le matérialisme et la science, p. 21, 59, 79, 88, 95 (note), 169 et suiv., 200 et suiv. ; Gruber, Le positivisme, p. 86, 201 ; Frédéric Harrison, Autobiographic Memoirs, Londres, Macmillan, 1911, t. II, p. 258-259.
[29] Gruber, Aug. Comte, sa vie et sa doctrine, Paris, 1892, p. 288-290.
[30] Id., ibid., p. 290-291.
[31] Grande encyclopédie, verbo Littré ; Gruber, Le positivisme p. 64, 65.
[33] Lettres Mill-Comte, p. 36, 366, 466, 469, 471, 473, 479, 527 ; Huxley, Scientific aspects of positivism, dans Lay sermons, Macmilan, 1870, p. 171, note ; Bain ; Stuart Mill, A criticism, p. 81.
[34] W. S. Jevons, Principles of Science, p. 752, 768.
[35] Lettres, p. 148, 151.
[36] Lay sermons, p. 88-89, 153-154, 162 et suivantes.
[37] Cours de philos., posit., t. II, p. 363-366.
[38] Fiske, Cosmic philosophy, t. I, p. 247, 248, 249, 251.
[39] Sur Laffitte, consulter Gruber, Le positivisme, p. 86, 87, 89-93, 202 ; sur Harrison, consulter ses propres ouvrages, entre autres The creed of a layman et The philosophy of Common sense, Londres, Macmillan.
[40] Gruber, Ouvr. cit. p. 78-79.
[41] De la méthode, p. 12.
[42] Fiske, op. cit., t. I, p. VIII, IX, 132 et suiv., 136, 138, 175, 261-262 ; t. II, p. 74-75, 81, 487, 488.
[43] Gaston Rageot, Les savants et la philosophie, Paris, Alcan. 1908 p. 13.
[46] Logic, p. 619 de la 8e édition.
[48] Autobiography, Londres 1904, t. I, p. 292 note, 515, 517, 518, 577-578.
[49] Principles of Sociology, Londres, Williams & Norgate, t. L, p. IX.
[50] L. F. Ward, Proceedings of the American Sociological Society, t. IV., p. 193 ; Durkheim, De la méthode dans les sciences, p. 307.
[51] Philosophy of common sense, p. 276.
[52] P. 415, 423-424, 435.
[53] Wm. George Ward n'était pas encore définitivement passé au catholicisme. Son adhésion formelle eut lieu en septembre suivant, un mois avant celle de Newman Voir la Catholic Encyclopedia.
[54] Harrison, Autobiographie Memoirs, t. II, p. 88-89.
[55] Les doctrines sociales catholiques en France, t. I, p. 44-45.
[56] Id., ibid.} t. II, p. 39-41.
[57] Newman, Apologia pro vitâ sua, Londres, Routledge. p. 27. 28, 34, 35, 44, 46, 65, 115, 119, 164, 220 ; Introduction de W. Llewelyn Williams à l’Histoire du règne de Henri VIII par J. A. Froude, Londres, Dent, t. I, p. VIII ; Justin McCarthy, History of our own times, New-York, Crowell, t. I, p. 159-167.
[59] L'Année sociologique, t. I, p. 118 et suiv. 156-159 ; t. II, p. 315-318 ; t. III, p. 157-158, 189-190 ; t. IV, p. 110-112 ; t. V., p. 129-132.
[60] Année soc, t. I, p. 278 ; t. V, p. 145-149 ; De Greef, Précis de sociologie, p. 11 et 64.
[61] Létourneau ; La sociologie, p. VIII ; De Greef ; op. cit., p. 51 ; Seignobos : La méthode historique appliquée aux sciences sociales, p. 220 et suiv. ; Année soc. t. I, p. 126 et suiv., 135 et suiv., 278 ; t. II, p. 181 ; t. III, p. 159. 188 ; t. V., p. 128.
[62] Année soc, t. II, p. 167 et suiv.
[63] Worms, Philosophie des sciences sociales, t. III, p. 289-292 ; Année soc, t. III, p. 357.
[65] Année soc., t. I, p. 306-318, t. V., p. 82-121. Voir aussi un article de M. Marcel Mauss, sur certains travaux de Tylor et Fraser, Année soc, p. 217-220 ; et une critique de M. H. Hubert, des vues de M. V. de Lapouge relatives à l'indice céphalique, t. IV. p. 143-145 et 146 ; enfin, une notice sur un livre de l'anthropologiste Paul Topinard, même volume de l’Année soc, p. 122.124.
[66] Année soc. t. I, p. 123 ; t. II, p. 146, 167-168, 171-174 où Ward et Vincent sont critiqués par M. Parodi ; t. III, p. 152, 183-184, où Ellwood est jugé un peu sévèrement par M. Durkheim ; t. IV, p. 113, 154 ; t. V, p. 124-127, 134 où Small tombe à son tour sous la férule du même M. Durkheim, et p. 145 ; aussi, Durkheim, Règles de la méthode sociologique, p. 25, 26, 111, 134. 145 ; Bougie, Les sciences sociales en Allemagne, p. 150 et suiv.
[67] Mill, Comte and Positivism, p. 119-121, 124, aussi son Autobiography, p. 212.
[68] Fiske, Cosmic Philosophy, p. 173-174 ; Durkheim, Règles de la méthode sociologique, p. 25-26, 96.
[69] Op. cit., t. II, p. 233.
[70] Harrison, The philosophy of common sense p. 342-343.
[71] Abel Rey, La philosophie moderne, p. 30.
[72] Année soc, t. IV., p. 151.
[73] Mill, Logic, p. 626 ; Bain : John Stuart Mill, A criticism etc., p. 79.
[74] Gruber, Le positivisme, p. 27-28.
[75] La philosophie moderne, Paris, Alcan 1908, p. 314-315.
[76] Durkheim, De la méthode, p. 307, note ; F. Granger, Historical Sociology, Methuen, 1911, p. 1.
[77] Sociology in its psychological aspects, by Charles A. Ellwood, professor of sociology in the University of Missouri, New-York, Appleton, 1912, p. 2-8.
[79] Op. cit., p. 4, (note).
[80] Id., ibid., p. 4 (note).
[81] Id., ibid., p. 8 (note).
[82] Id., ibid., p. 8 (note).
[85] Id., Ibid., p. 7 et 8.
[86] La revue la Science sociale, t. I, p. 30.
[87] Id., ibid., p. 8 (note).
[88] Au moment où l'imprimeur me réclame mon manuscrit (21 janvier 1915), une lettre de France m'annonce la mort de M. Champault, survenue il y a exacte ment un mois. C'est une perte douloureuse pour sa famille distinguée, pour Châtillon-sur-Loire, dont il fut de longues années le premier magistrat, comme aussi pour les études, surtout pour notre École de la science sociale, dont il fut un des membres les plus industrieux et les plus utiles. J'y suis tout particulièrement sensible, à raison de l'amitié très vive qu'il me témoigna ces années dernières et de sa collaboration effective dont j'ai eu le bénéfice. Déjà avantageusement connu par des recherches sur l'antiquité grecque et d'autres nombreuses études sociologiques, M. Champault, il y a deux ans, communiquait à la Société Royale des documents inédits et d'un haut intérêt sur des membres de sa famille, et entre autres François Gendron, chirurgien attaché à la compagnie de Jésus aux débuts de la colonisation de la Nouvelle-France. Ce sera, disait-il, un nouveau lien entre le Canada et son ancienne mère patrie.
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