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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Une édition électronique réalisée à partir du texte d'Ibn Khaldoun [Historien, philosophe, sociologue, juge, enseignant, poète, aussi bien qu’homme politique], Les prolégomènes. Troisième partie (1863). Traduits en Français et commentés par William MAC GUCKIN, Baron DE SLANE, membre de l’Institut. (1801-1878). Reproduction photomécanique de la troisième partie des tomes XIX, XX et XXI des Notices et Extraits des Manuscrits de la Bibliothèque Nationale publiés par l’Institut de France (1863). Paris. Librairie orientaliste Paul Geuthner, Paris, 1938, 574 pages. Une édition numérique réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris. Extraits
Les sciences intellectuelles, étant naturelles à l’homme en tant qu’il est un être doué de réflexion, n’appartiennent pas spécialement à une seule nation ; on voit que tous les peuples civilisés se sont adonnés à leur étude et ont connu, aussi bien les uns que les autres, quels en étaient les principes et quelles étaient les questions dont elles traitaient. Ces sciences ont existé pour l’espèce humaine depuis qu’il y a eu de la civilisation dans le monde. Elles s’appellent aussi sciences philosophiques et philosophie (hikma). Il y en a quatre : 1° la logique, science qui garantit l’esprit contre les faux jugements et enseigne comment on dégage l’inconnu que l’on cherche des principes que l’on possède et que l’on connaît. Son utilité consiste à faire distinguer le vrai du faux dans les questions qui se rattachent aux concepts et aux notions affirmées, tant essentielles qu’accidentelles, pour que l’investigateur parvienne à constater le vrai en toute chose par la puissance de sa faculté réflective [et sous la forme d’une affirmation ou d’une négation] ; 2° la science de l’investigation, qui, chez les philosophes, a pour objet, soit les choses sensibles, telles que les éléments et les corps qui en sont composés, savoir : les minéraux, les plantes, les animaux ; les corps célestes et (leurs) mouvements naturels, ou bien l’âme, d’où procèdent les mouvements, etc. cela s’appelle la science de la nature (la physique) ; 3° la science, qui sert pour l’examen des choses surnaturelles, telles que les êtres spirituels, et qui s’appelle la métaphysique (ilahiya) ; 4° la science qui examine les quantités. Celle‑ci se partage en quatre branches, qui forment les mathématiques (tealîm).
… Chacune de ces sciences se partage en plusieurs branches : de la physique dérive la médecine ; de l’arithmétique dérivent la science du calcul, celle du partage des successions et celle dont les hommes ont besoin dans leurs transactions commerciales ou autres ; l’astronomie comprend les tables, c’est‑à‑dire, des systèmes de nombres au moyen desquels on calcule les mouvements des astres, et qui fournissent des équations servant à faire reconnaître les positions des corps célestes, toutes les fois qu’on le désire. Une autre branche de l’astronomie, c’est l’astrologie judiciaire. Nous parlerons successivement de toutes ces sciences jusqu’à la dernière inclusivement. Il paraît, d’après nos renseignements, qu’avant l’établissement de l’islamisme, les peuples les plus dévoués à la culture de ces sciences furent ceux des deux puissants empires, celui de la Perse et celui de Roum (la Grèce). Chez ces peuples, m’a‑t‑on dit, les marchés de la science étaient bien achalandés, parce que la civilisation y avait fait de grands progrès et qu’antérieurement à la promulgation de l’islamisme ils exerçaient chacun une domination vaste et très étendue. Aussi ces sciences débordèrent-elles, comme des océans, sur leurs provinces et dans leurs grandes villes. Les Chaldéens, et les Assyriens (Seryaniyîn) avant eux, et les Coptes, leurs contemporains, s’appliquaient avec ardeur à cultiver la magie, l’astrologie et ce qui en dépend, savoir la science des influences (planétaires) et celle des talismans. Les Perses et les Grecs apprirent d’eux ces sciences, et les Coptes se distinguèrent particulièrement dans cette étude ; aussi (les sciences occultes) inondèrent‑elles, pour ainsi dire, leur pays. Cela s’accorde avec ce qui se lit (dans le Coran) au sujet de Harout et Marout et des magiciens (de Pharaon), et avec ce que les hommes savants (dans cette partie) racontent des berbi de la haute Égypte. Plus tard, chaque religion imita celle qui l’avait précédée en défendant l’étude de ces sciences, de sorte que celles-ci finirent par disparaître presque entièrement. Rien ne s’en est conservé, qu’elles soient vraies ou non ; Dieu le sait ! excepté quelques restes que les gens adonnés à cette étude se sont transmis les uns aux autres, bien que la loi en ait défendu la pratique et qu’elle tienne son glaive suspendu sur les têtes des contrevenants. Les sciences intellectuelles acquirent une grande importance chez les Perses, et leur culture y fut très répandue ; ce qui tenait à la grandeur de leur empire et à sa vaste étendue. On rapporte que les Grecs les apprirent des Perses à l’époque où Alexandre tua Darius et se rendit maître du royaume des Caïaniens. Alexandre s’empara alors de leurs livres et (s’appropria la connaissance) de leurs sciences. Nous savons cependant que les musulmans, lors de la conquête de la Perse, trouvèrent dans ce pays une quantité innombrable de livres et de recueils scientifiques, et que (leur général) Saad Ibn Abi Oueccas demanda par écrit au khalife Omar Ibn al‑Khattab s’il lui serait permis de les distribuer aux vrais croyants avec le reste du butin. Omar lui répondit en ces termes : « Jette‑les à l’eau ; s’ils renferment ce qui peut guider vers la vérité ; nous tenons de Dieu ce qui nous y guide encore mieux ; s’ils renferment des tromperies, nous en serons débarrassés, grâce à Dieu ! » En conséquence de cet ordre, on jeta les livres à l’eau ou dans le feu, et dès lors les sciences des Perses disparurent au point qu’il ne nous en est rien parvenu. Passons aux Roum (les Grecs et les Latins). Chez ces peuples l’empire appartint d’abord aux Grecs, race qui avait fait de grands progrès dans les sciences intellectuelles. Leurs hommes les plus célèbres, et surtout (ceux qu’on appelle) les piliers de la sagesse, soutenaient tout le poids de ces doctrines, et les péripatéticiens, gens du portique, s’y distinguaient par leur excellent système d’enseignement. On dit qu’ils donnaient des lectures sur ces sciences à l’abri d’un portique qui les garantissait contre le soleil et le froid. Ils prétendaient faire remonter leur doctrine à Locman le sage, qui l’aurait communiquée à ses disciples, qui l’auraient transmise à Socrate. Celui-ci l’enseigna à son disciple Platon, qui la transmit à Aristote, qui la passa à ses disciples Alexandre d’Aphrodisée, Themistius, et autres. Aristote fut le précepteur d’Alexandre, roi des Grecs, celui qui vainquit les Perses et leur enleva l’empire. De tous les philosophes, Aristote était le plus profond et le plus célèbre. On l’appelle le premier des instituteurs (el-moallem el-aouwel), et sa renommée s’est répandue dans l’univers. Après la ruine de la puissance des Grecs, l’autorité souveraine passa aux Césars, qui, ayant embrassé la religion chrétienne, défendirent l’étude de ces sciences, ainsi que cela se fait par les lois de tous les peuples. Dès lors, les sciences intellectuelles restèrent enfermées dans des livres et dans des recueils, comme pour demeurer éternellement dans les bibliothèques. Quand les musulmans s’emparèrent de la Syrie, on trouva que les livres de ces sciences y étaient encore restés. Dieu donna ensuite l’islamisme (au monde). Ceux qui professent cette religion obtinrent un triomphe sans égal et enlevèrent l’empire aux Roum (de la Syrie), comme ils le firent à bien d’autres peuples. Habitués à la simplicité (de la civilisation nomade), ils n’avaient jamais tourné leur attention vers les arts ; mais, lorsque leur domination se fut affermie ainsi, que leur empire, lorsque l’adoption de la vie sédentaire les eut conduits à un degré de civilisation que jamais aucun peuple n’avait atteint, lorsqu’ils se furent mis à cultiver les sciences et les arts dans toutes leurs ramifications, ils conçurent le désir d’étudier les sciences philosophiques, parce qu’ils en avaient entendu parler aux évêques et aux prêtres qui administraient les peuples tributaires, et parce que l’esprit de l’homme aspire naturellement à la connaissance de ces matières ; aussi (le khalife abbacide) Abou Djafer el-Mansour fit-il demander au roi des Grecs de lui envoyer les ouvrages qui traitaient des mathématiques, traduits (en arabe). Le roi lui expédia le livre d’Euclide et quelques ouvrages sur la physique. Quand les musulmans en eurent pris connaissance, ils souhaitèrent ardemment de posséder les autres écrits composés sur ces matières. El‑Mamoun arriva ensuite (au pouvoir). Ce prince, était grand amateur des sciences, parce qu’il les avait cultivées et, ressentant une vive passion pour les sciences (intellectuelles), il envoya des ambassadeurs aux rois des Grecs, afin de faire mettre en arabe les ouvrages scientifiques de ce peuple et de les introduire dans son pays. A cet effet, il fit partir (avec eux) plusieurs interprètes, et parvint ainsi à recueillir la totalité de ces traités. Dès lors les musulmans qui s’occupaient des connaissances spéculatives s’appliquèrent à étudier ces sciences dans toutes leurs branches et y devinrent très habiles. Ils portèrent leurs investigations si loin qu’ils se mirent en état de réfuter un grand nombre d’opinions émises par le premier instituteur (Aristote). Ce fut aux doctrines de celui-ci qu’ils s’attachèrent particulièrement, soit pour les réfuter, soit pour les soutenir, parce qu’il était le plus célèbre (d’entre les philosophes). Ils composèrent de nombreux traités sur ces sciences et (par leur grand savoir ils) surpassèrent tous leurs devanciers. Ceux d’entre les musulmans qui arrivèrent au premier rang dans ces études furent Abou Nasr el‑Farâbi et Ibn Sîna (Avicenne), tous les deux natifs de l’Orient, et le cadi Abou ’l‑Ouelîd Ibn Rochd (Averroès), et le vizir Abou Bekr Ibn es-Saïgh, natifs d’Espagne. Je ne parle pas des autres. Ces hommes montèrent au degré le plus élevé dans la connaissance des sciences intellectuelles et acquirent une grande réputation. Beaucoup de personnes se bornèrent aux mathématiques et aux sciences qui en dépendent, telles que l’astrologie, la magie et la confection des talismans. Parmi ceux qui se distinguèrent le plus dans cette partie furent [Djaber (Geber) Ibn Haïyan, natif de l’Orient], Maslema Ibn Ahmed el‑Madjrîti, natif d’Espagne, et les disciples de celui-ci. Les sciences dont nous parlons s’introduisirent, avec ceux qui les cultivaient, chez le peuple musulman et fascinèrent tellement les esprits que beaucoup de monde s’y laissa attirer et y ajouta foi. Ceux qui ont commis (ce péché) doivent subir les conséquences de leur faute, et, si Dieu l’avait voulu, ils ne l’auraient pas fait. (Coran, sour. VI, vers. 112.) Lorsque le vent de la civilisation eut cessé de souffler sur le Maghreb et l’Espagne, et que le dépérissement des connaissances scientifiques eut suivi celui de la civilisation, les sciences (occultes) disparurent de ces deux pays au point d’y laisser à peine une trace de leur existence. On, en trouve seulement quelques notions, chez de rares individus, qui doivent se dérober à la surveillance des docteurs orthodoxes. J’ai appris qu’une forte provision de ces connaissances s’est trouvée, de tous les temps, dans les pays de l’Orient et surtout dans l’Irac persan et la Transoxiane. On m’a dit qu’on y cultive avec un grand empressement les sciences intellectuelles et les sciences traditionnelles (religieuses). Cela provient du haut degré de civilisation auquel ces peuples sont parvenus et de leur longue habitude de la vie sédentaire. J’ai trouvé en Égypte plusieurs ouvrages sur les sciences intellectuelles composés par un personnage très connu sous les surnoms de Saad ed‑Dîn et‑Teftazani, et qui est natif de Herat, une des villes du Khoraçan. Ses traités sur la scolastique, sur les bases de la jurisprudence et sur la rhétorique, montrent qu’il possède des connaissances très profondes dans ces branches de science et indiquent, par plusieurs passages, qu’il est très versé dans les sciences philosophiques et intellectuelles. Et Dieu aide celui qu’il veut. (Coran, sour. III, vers. 11.) Je viens d’apprendre que, dans le pays des Francs, région composée du territoire de Rome et des contrées qui en dépendent, c’est-à‑dire celles qui forment le bord septentrional (de la Méditerranée), la culture des sciences philosophiques est très prospère. L’on me dit que les sciences y ont refleuri de nouveau, que les cours institués pour les enseigner sont très nombreux, que les recueils dont elles font le sujet sont très complets, qu’il y a beaucoup d’hommes les connaissant à fond, et beaucoup d’étudiants qui s’occupent à les apprendre. Mais Dieu sait ce qui se passe dans ces contrées.
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