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Collection « Les auteur(e)s classiques »
De l'homme. (1936) Présentation
Une édition électronique réalisée à partir du livre de Ralph Linton (1936), De l'homme. Paris : Éditions de Minuit, 1967, 535 pages. Collection : Le sens commun.
Présentation
La sociologie de la connaissance rappelle qu'il n'est pas d'uvre qui ne soit oeuvre de circonstance, non pour contester, comme on le croit souvent, la prétention de travaux nécessairement situés et datés à valoir pour tous les temps, mais pour inciter à une lecture à la fois compréhensive et vigilante. S'il est vrai que The Study of Man doit à son époque un certain nombre de ses options fondamentales - en particu-lier une représentation optimiste de l'ordre social - il reste que c'est surtout par sa for-me et par son destin ultérieur au sein de la communauté scientifique que cette uvre est justiciable de l'analyse sociologique.
Sans doute la position occupée par Linton dans le monde savant a-t-elle pu l'inci-ter à entreprendre une uvre de synthèse telle que The Study of Man : qui, sinon une célébrité universitaire - les deux termes ont leur importance - aurait explici-te-ment osé entreprendre de « résumer les résultats auxquels l'anthropologie est déjà parvenue et de poser les problèmes essentiels qu'elle n'a su encore résoudre » ? Conciliant deux ordres d'exigences, contradictoires sous certains rapports, celles qui s'imposent au conférencier s'adressant à des profanes et celles que s'impose le savant écrivant pour des pairs, l'ouvrage présente l'originalité d'allier à une rigueur toute scientifique un style totalement exempt de fausses virtuosités techniques qui, comme l'observe Kluckhohn, peut atteindre et retenir l'humaniste autant que le savant. Il fallait à Linton toute l'autorité que lui conféraient sa notoriété et son autorité scientifique pour pouvoir abdiquer aussi complètement les protections d'une scientificité ostentatoire et pour entreprendre de livrer un bilan des acquis, des problèmes et des difficultés de la science anthropologique aussi rigoureusement honnête et aussi complètement dépouillé d'artifices. Il convient pourtant de ne pas se laisser abuser par la facilité du style et la familiarité du ton qui semblent en appeler à l'opinion des lecteurs, même profanes ou novices, et s'offrir aux réinterprétations réductrices du sens commun : sous les apparences modestes d'une simple mise en ordre scolaire des connaissances établies, Linton~ propose en fait une reformulation originale et une réorganisation complète des problèmes et des concepts fondamentaux de l'anthropologie. S'il fait une part très faible au débat philosophique sur la spécificité des sciences humaines, c'est sans doute que ce problème, si important dans la tradition européenne, n'entre pas dans les préoccupations théoriques de l'anthropologie américaine et que Linton, archéologue de formation, entend constituer la science anthropologique en se référant directement aux sciences de la nature.
C'est aussi le style de l'homme qui donne à l'uvre sa facture particulière. Ainsi, si Linton écrivait comme on parle, il parlait, disent ceux qui l'ont entendu, comme on écrit : alors que ses livres ont l'apparente facilité du discours spontané et familier, son enseignement avait d'emblée, et en quelque sorte naturellement, la rigueur et la perfection du texte écrit. C'est encore cette alliance toute particulière de désinvolture apparente et de rigueur profonde qui caractérisait les rapports, empreints à la fois de bienveillance et de fermeté, que Linton entretenait avec ses élèves et ses disciples. S'il en est ainsi, c'est que, dans son activité pédagogique comme dans son uvre, cette sorte de familiarité accueillante dont Linton fait preuve repose toujours sur une grande autorité, elle-même fondée sur une immense culture : en témoignent, entre autres, l'abondance, la diversité et la précision des exemples qui illustrent The Study of Man. C'est la même assurance qu'atteste le dédain de Linton pour l'érudition ostentatoire. On a pu voir dans le respect littéral de l'autorité des maîtres du passé que trahit certaine accumulation des références bibliographiques et des citations, l'une des caractéristiques spécifiques de l'état préscientifique du savoir : accomplissant une uvre de science et prétendant conférer à ses théories une autorité rationnelle, Linton se refuse à les légitimer par un recours scolaire à la tradition scientifique. Ainsi, la rareté des références, l'imprécision et la pauvreté de la bibliographie accompagnant l'édition américaine de The Study of Man procèdent moins d'une intention de vulgarisation que d'un projet scientifique, au sens le plus ascétique du terme. Linton ne succombe pas plus au culte positiviste du petit fait vrai : c'est parce que, dans un domaine en apparence aussi positif que l'anthropologie physique, il se refuse à dissocier les faits des procédures théoriques dont ils sont les produits que, sous apparence de compiler les découvertes déjà faites, il peut émettre des hypothèses nouvelles - d'ailleurs vérifiées par la suite - en même temps qu'échapper aux conclusions précipitées que les savants de son temps tiraient de certaines découvertes récentes. De même, dans le domaine de l'anthropologie culturelle, loin de se borner à ordonner, par référence à la tradition théorique existante, les faits ethnologiques qu'il a pu recueillir sur le terrain au cours d'une expérience longue et multiforme d'ethnologue, il entreprend d'élaborer une construction théorique qui soit capable de synthétiser cet ensemble d'observations éparses, tout en s'appuyant sur les principes fondamentaux qui lui ont été révélés par sa pratique d'ethnologue : on peut supposer en effet que la nécessité de traiter la société comme système complexe de relations lui fut imposée et sans cesse rappelée par l'expérience de ces totalités concrètes que sont les petites sociétés closes et fortement intégrées, telles que les Tanala et les Comanches; et, de même, sa théorie des différences qui séparent les domaines de l'activité humaine selon leur degré d'institutionnalisation et, du même coup, d'uniformité et d'universalité doit sans doute quelque chose à la familiarité, née d'une longue fréquentation, qui peut seule, dans une société apparemment homogène, découvrir les singularités sous les régularités. Il n'est pas de meilleur indice de la valeur et de la réussite de sa tentative (à peu près unique et en tout cas exemplaire dans la tradition ethnologique) pour définir, à partir de connaissances empiriques, les problèmes et les concepts fondamentaux de toute théorie de la connaissance du social, que les innombrables emprunts, souvent inconscients ou inavoués, que lui ont faits et lui font encore ethnologues et sociologues. Linton tenait The Study of Man pour son uvre la plus importante et Clyde Kluckhohn, son biographe et disciple, observe en 1958 que « l'on peut encore tenir pour la meilleure introduction à l'anthropologie générale ce livre écrit de façon claire et intelligente, habilement composé, riche en idées nouvelles et en exemples judicieux. Tout en faisant la synthèse des différents domaines de l'anthropologie, l'auteur distingue parfaitement ce qui est propre à la sociologie, la biologie, la psychologie, la géographie, etc. Il présente simplement, mais avec précision, la nature de l'homme en tant qu'animal et sa place dans le monde naturel. Il lait preuve d'une extraordinaire aptitude à juger des données de façon pertinente et à les synthétiser avec fermeté et audace, mais sans leur faire subir de distorsion. Souvent pittoresques, sans être jamais exploités à la manière journalistique, les exemples concrets qu'il choisit touchent l'imagination du lecteur et indiquent les points théoriques les plus significatifs ». Si l'on ne peut nier l'influence qu'a pu exercer sur Linton la pensée de certains de ses professeurs - comme S. Trotter au collège de Swarthmore et F. Boas à l'université de Columbia , de certains de ses collègues à Madison, Kimball Young par exemple, et surtout de Radcliffe-Brown qui enseigna à l'université de Chicago en 1929 et dont la conception de l'anthropologie sociale comme science naturelle, dotée d'un corps de concepts théoriques comparables à celui des autres sciences, ne pouvait que combler les attentes de Linton - sa démarche n'en reste pas moins profondément originale et autonome. Il a voulu fournir à l'anthropologie de son temps, qui se développait par accumulation plutôt que de façon cumulative, le corps de concepts et de schèmes de pensée qui lui permettrait de se constituer comme une science unifiée en s'organisant autour d'un petit nombre de principes fondamentaux. Ce projet l'a conduit à élaborer une problématique nouvelle en faisant la synthèse de problématiques qui, avant lui, restaient attachées à des traditions séparées. C'est ainsi qu'il rajeunit en le reformulant l'ancien débat sur les rapports entre l'individu et la culture, dans lequel il importe certains des concepts essentiels de la psychologie sociale, mais réinterprétés selon la logique propre de l'ethnologie et réinsérés dans la théorie de la culture comme système; de même, il pose en des termes nouveaux la question de l'unité de l'anthropologie et de l'application des concepts et des méthodes de l'ethnologie aux sociétés modernes, ou encore, par exemple, celle de l'acculturation et du changement social. Analysant les processus de diffusion culturelle, Linton rompt avec le postulat commun aux diffusionnistes et aux évolutionnistes qui s'accordaient pour considérer le devenir de traits culturels isolés de leur contexte. Et tout se passe comme si, théoricien de l'emprunt culturel, il n'échappait pas, dans son effort de synthèse, à ces lois de la diffusion qu'il a lui-même énoncées et qui veulent que tout emprunt à un système culturel étranger, mais aussi au système conceptuel d'une autre science, se lasse au prix de réinterprétations créatrices et constitue en fin de compte une invention.
Ainsi, c'est parce qu'il ne se contente pas de transposer à l'ethnologie les conceptions fondamentales déjà préparées par The Study of Man et élaborées au cours de sa collaboration avec le psychanalyste Abram Kardiner, mais qu'il les intègre à l'intérieur d'une problématique proprement sociologique, que Linton peut échapper aux faux problèmes dans lesquels est très vite tombée la recherche des relations entre la culture et la personnalité et prendre ses distances à l'égard des utilisations naïves ou caricaturales de la notion de « personnalité de base ». Conscient de l'hétérogénéité des conditionnements, même dans des sociétés homogènes et a fortiori dans des sociétés stratifiées, estimant qu'il est « dangereux de supposer que l'un quelconque des facteurs agissant sur la personnalité exerce une influence dominante dans tous les cas », Linton restitue à une notion qui a connu tant d'utilisations métaphysiques ou mystiques sa véritable signification sociologique et il lui donne des dimensions nouvelles en la monnayant dans les deux concepts de « personnalité statutaire » et, plus tard, de « personnalité statutaire liée à la classe » (class-linked status personnality) qui prennent en compte les diversités de formation liées aux différentes classes sociales (cf. bibl. nº 73). Loin de se satisfaire d'une conception monolithique de la culture et de la représentation mécanique du rapport entre individu et société qu'enferme implicitement l'utilisation de termes comme ceux de « modelage » ou d' « intériorisation », Linton entreprend d'analyser les degrés d'universalité et d'institutionnalisation des modèles culturels et les différents niveaux de participation individuelle à la culture globale. C'est donc toujours avec la plus grande vigilance qu'il opère les transferts de schèmes de pensée ethnologiques aux sociétés stratifiées. Si le travail de réinterprétation qui accompagne ces transferts peut paraître parfois inachevé, c'est sans doute que l'expérience de Linton est avant tout ethnologique; c'est peut-être aussi que sa réflexion n'échappe pas totalement à la philosophie optimiste de l'ordre social dans laquelle baigne toute la pensée sociale américaine et en particulier la sociologie structuro-fonctionnaliste qui lui doit nombre de ses concepts fondamentaux. Ayant toujours étudié des sociétés traditionnelles, fortement intégrées, Linton garde la nostalgie des relations personnelles et enchantées qu'il a observées dans les sociétés primitives et c'est avec un certain mépris qu'il considère les clubs ou autres associations du même type dans lesquels il ne voit que des institutions destinées à compenser, fort mal d'ailleurs, l'affaiblissement de l'intégration sociale. Ainsi, sa théorie du consensus enferme implicitement une certaine philosophie réformiste de l'ordre social : les maux de la société industrielle sont les ratés d'un système que le réformateur doit admettre pour intervenir avec le moindre risque, en favorisant l'adaptation de l'individu à son univers, et au moindre coût, en respectant les valeurs ultimes de la société. Pour lui comme pour bon nombre de sociologues américains, l'un des buts de la sociologie est de saisir les principes de l'intégration de l'individu au groupe afin de contribuer à renforcer cette intégration. De cette vision conservatrice et optimiste d'une société créditée d'automatismes d'équilibration, de ce primat conféré à l'ordre social, découlent chez Linton tout un ensemble de postulats qui impliquent la même option. Il reste que, rompant avec les problématiques a la mode, soucieux de ne pas succomber à la tentation des systématisations séduisantes et unilatérales, Linton a indiqué les voies que la recherche anthropologique américaine a suivies et suit encore aujourd'hui, même si les problématiques que Linton avait unifiées tendent aujourd'hui à éclater en spécialités autonomes.
Linton est en définitive un auteur difficile en raison même du sentiment de facilité que son uvre procure; s'il arrive aujourd'hui que son influence soit quelquefois sous-estimée, c'est que ses contributions les plus personnelles sont passées dans le fonds commun. Il n'est pas inutile de savoir dans quel contexte et à propos de quels objets ont été constitués des concepts qui s'introduisent aujourd'hui, sans histoire, dans le discours sociologique. Il n'est pas de texte, en tout cas, qui dise mieux et avec moins d'emphase les conditions d'une sociologie scientifique.
Yvette DELSAUT.
Dernière mise à jour de cette page le Jeudi 27 mars 2003 08:58 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
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