(Extraits de Bibliographie des Œuvres de Nicolas Lossky, établie par B. et N. Lossky. Institut d’Études Slaves, Paris, 1978. Introduction par Serge LEVITZKY, 1956, et Résumé chronologique de la vie.)

[5]

Introduction

Contrairement à la plupart des philosophes russes que des considérations théologiques ou sociales faisaient s’écarter de la philosophie pure, Lossky, au même titre que Frank, est l’un des très rares penseurs russes à avoir créé un système philosophique à la fois cohérent dans son fond et homogène dans sa forme. Ce système est défini par lui comme « intuitiviste » du point de vue gnoséologique et comme « idéaliste-réaliste personnaliste » du point de vue ontologique.

Dans le domaine de la gnoséologie, le mérite durable de Lossky est d’avoir créé et démontré la théorie intuitiviste de la connaissance suivant laquelle l’objet entre dans le champ de la conscience, non pas comme un reflet, une copie, etc., mais dans sa forme originale, même lorsqu’il s’agit d’un objet matériel. [...] Lossky [...] a libéré la pensée philosophique de l’hypnose de la Critique de la raison pure de Kant qui avait, malgré elle, fait pencher, pendant plus d’un siècle, la pensée philosophique vers le subjectivisme. [...] Dans le domaine de la métaphysique, Lossky a fait œuvre créatrice en renouvelant et en transformant le concept leibnitzien de « monade » ou de « facteur substantiel », selon la terminologie de l’auteur. [...] Mais, alors que les monades de Leibnitz sont des créatures hermétiquement fermées, « sans portes ni fenêtres », les facteurs substantiels sont, dans la pensée de Lossky, organiquement liés et agissent réciproquement les uns sur les autres. [...] Lossky admet la réalité, tant dans les processus matériels que dans les processus psychiques, sans réduire l’esprit à une « fonction supérieure de la matière », ni la matière à une « forme inférieure de l’esprit ». Mais il affirme que l’être réel est fondé sur l’être idéal qui est extra-spatial et extra-temporel. [...] Très importante est également la distinction que Lossky fait entre un « être abstraitement idéal » comme les catégories fondamentales d’idées et un « être idéal concret » comme les facteurs les plus substantiels qui ne sont pas d’essence abstraite, mais des êtres concrets. [...] le système de Lossky trouve son accomplissement dans une conception religieuse du monde. Pour lui, Dieu et Royaume de Dieu sont la première des réalités, celle qui représente une entité organique parfaite, où tous les êtres sont unis par l’amour et qui se trouve à la base de toutes les valeurs positives. C’est pourquoi le système de Lossky satisfait à la fois les besoins d’un esprit philosophique et les aspirations de l’âme.

[6]

Sous l’influence de Vladimir Soloviev, l’idée d’Unité a ressuscité dans la philosophie russe (chez S. Frank, en particulier) ; d’où les théories sophiologiques des Pères S. Boulgakov et P. Florenski. Lossky, dans sa conception du monde organique, continue dans l’ensemble cette tradition féconde, tout en apportant un bon nombre de modifications substantielles. Dans le système de l’Unité, il n’y a pas de séparation nette entre Créateur et créature — le monde lui-même est considéré comme participant immédiatement à Dieu. Au contraire, Lossky part toujours du point de vue personnaliste, qui voit dans la personnalité une essence et une valeur fondamentales ; ce qui permet un mauvais usage de la liberté et explique l’égocentrisme quasi indéracinable qui s’attache à la personnalité et qui la pousse, en cas de tentation, sur le chemin du mal. [...]

—————

[9]

- 1870. (6 déc. anc. st.) Naissance à Kreslavka, dans le milieu de la petite noblesse campagnarde de souche polonaise.

- 1888. Séjours à Vienne et à Zürich. Inscription à l’université de Berne pour des cours de physique et de sciences naturelles. L’aide matérielle envoyée de Russie par la mère est insuffisante pour la vie en Suisse.

- 1889. Recherche chimérique d’une vie à meilleur marché dans une ville d’université coloniale : Alger, où il s’avère impossible de bénéficier de transferts d’argent depuis la Russie. Engagement pour cinq ans dans la Légion étrangère, avec l’espoir vain d’entrer dans une école militaire. Devant la perspective désespérante des années perdues pour les études, simulation d’un dérangement mental qui lui permet de se faire réformer par un cadre médical compréhensif. (automne.) Séjour à Berne et rentrée clandestine en Russie. (décembre.) Arrivée à St.-Pétersbourg.

[10]

1890. (janvier-mai.) Etudes et obtention d’un diplôme de comptabilité et de sciences commerciales à l’école privée de Ezerskij. (automne.) Admission, avec félicitations du jury, aux examens d’entrée de la 8ème classe du Lycée de l’Institut d’histoire et de philologie.

1895. Licence ès sciences ; diplôme de ler degré à la Faculté de physique et de mathématiques.

[11]

1898. Licence ès lettres ; diplôme de ler degré à la Faculté d’histoire et de philologie. Début de l’enseignement.

1900. Agrégation.

1902. Etudes à Leipzig, à l’Institut de psychologie du prof. W. Wundt, et à Genève, auprès du prof. Flournoi.

[12]

1905. (fin d’année.) Entrée au parti constitutionnel-démocrate dès sa formation.

[13]

1907. (avril.) Soutenance de la thèse de doctorat à l’Université de Moscou.

1908. Publications : Die Grundlegung des Intuitivismus.

1911. (avril.) Communication au 4^ème Congrès International de philosophie à Bologne : Die Erkenntnistheorie und das Problem des Erkenntnisursprung.

[14]

1916. (février.) Accession au professorat à la chaire de philosophie.

1917. (printemps.) Après la révolution de Février, activités intenses au sein du parti constitutionnel-démocrate.

[15]

1919. Publications : The intuitive Basis of Knowledge.

1922. Expulsion de groupe en tant qu’ « amis potentiels des ennemis éventuels du régime existant ». (15-16 novembre.) Embarquement et départ avec la famille pour Stettin et Berlin à bord du bateau allemand Preussen. (décembre.) Arrivée à Prague, où une pension a été accordée par le gouvernement tchécoslovaque, à Lossky et à Stoïounina.

[16]

1924. (printemps.) Communication au 5ème Congrès international de philosophie à Naples : L’intuitivisme et le réalisme contemporain.

[17]

1930. (fin d’été.) Communication au 7ème Congrès international de philosophie à Oxford : The chief characteristics of a system of logic based upon intuitivism in epistemology and ideal-realism in metaphysics.

1932. Publications : Freedom of Will.

1934. (fin d’été.) Communication au 7ème Congrès international de philosophie à Prague : Die christliche Weltauffassung als allseitige Synthese.

1935. Publications : Value and Existence. Intuitivism.

1936. (automne.) Chargé de cours à la chaire de culture russe créée à l’université de Brno (conférences et travaux pratiques).

[18]

1937. (fin d’été.) Présidence de section et communication au 9ème congrès international de philosophie à Paris : La raison formelle de l’univers. (automne.) Début de l’enseignement à l’Université Charles de Prague, à la chaire de culture russe, transférée de l’université de Brno (jusqu’en 1939). Publications : Creative activity, Evolution and Ideal Being.

1939. (novembre.) La partie tchèque de l’Université Charles fermée par les autorités d’occupation hitlériennes. Publications : An Epistemological Introduction into Logic.

1941. Election à l’unanimité au professorat à la faculté de philosophie de l’Université Jan Amos Komensky de Bratislava.

[19]

1945 (automne.) Séjour en France, auprès des familles des fils ainés.

1946. (avril.) Conférence à la Société française de philosophie sous la présidence de Jean Wahl : L’Intuitivisme. Départ pour les Etats-Unis, auprès du fils André, séjournant alors à New-Haven. Vie dans le milieu des professeurs russes de l’université de Yale.

1947. (automne.) Professorat à l’Académie théologique St. Vladimir, fondée à New York.

1948. Publications : Des conditions de la morale absolue.

1950. (automne.) Déménagement à Los Angeles, à la suite de l’élection du fils André au professorat à la California University.

[20]

1951. Publications : History of Russian Philosophy.

1952. Naturalisé citoyen des Etats-Unis.

1953. (automne.) Communication au 11ème congrès international de philosophie à Bruxelles : Space, Time and Einstein’s Theories. Publications : Analytic and Synthetic Propositions and Mathematical Logic.

1954. (de l’été à la fin d’hiver.) Séjour en France (Paris et Tours). Publications : Histoire de la philosophie russe.

1955. Eté en France.

1958. (février-septembre.) Séjour en France (Paris et Tours). (7 février.) Décès du fils Vladimir.

1961. (fin d’hiver.) Maladie. Opération. Aggravation de l’état de santé. (juin.) Départ pour la France. Séjour à Tours. (octobre.) Entrée dans le service hospitalier de la maison de repos russe de Ste Geneviève-des-Bois.

1965. (24 janvier.) Mort paisible à l’âge de 94 ans, à Ste Geneviève-des-Bois. (28 janvier.) Enterrement au cimetière de ce lieu.

[NdN : Des publications en nombre assez important n’ont pas été mentionnées, en russe.]