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Interventions critiques
en économie politique
No 1
TEXTE À L’APPUI
“LA MÉTHODE DE
L’ÉCONOMIE POLITIQUE”
Karl MARX
- Avec ce premier numéro sur l’économie politique, nous avons ainsi l’occasion de présenter un texte fondamental de K. Marx concernant la méthode de l’économie politique. Ce texte est doublement célèbre. C’est non seulement l’occasion pour Marx de préciser sa propre conception de la dialectique par rapport à celle d’Hegel mais aussi, de situer sa propre approche de l’économie politique par rapport à celle des classiques.
Quand nous considérons un pays donné au point de vue de l’économie politique, nous commençons par étudier sa population, la division de celle-ci en classes, sa répartition dans les villes, à la campagne, au bord de la mer, les différentes branches de production, l’exportation et l’importation, la production et la consommation annuelles, les prix des marchandises, etc.
Il semble que ce soit la bonne méthode de commencer par le réel et le concret, qui constituent la condition préalable effective, donc en économie politique, par exemple, la population qui est la base et le sujet de l’acte social de production tout entier. Cependant, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que c’est là une erreur. La population est une abstraction si l’on néglige par [114] exemple les classes dont elle se compose. Ces classes sont à leur tour un mot creux si l’on ignore les éléments sur lesquels elles reposent, par exemple le travail salarié, le capital etc. Ceux-ci supposent l’échange, la division du travail, le prix etc. Le capital, par exemple, n’est rien sans le travail salarié, sans la valeur, l’argent, le prix, etc. Si donc on commençait ainsi par la population, on aurait une représentation chaotique du tout, et, par une détermination plus précise, par l’analyse, on aboutirait à des concepts de plus en plus simples ; du concret figuré on passerait à des abstractions de plus en plus minces, jusqu’à ce que l’on soit arrivé aux déterminations les plus simples. Partant de là, il faudrait refaire le chemin à rebours jusqu’à ce qu’enfin on arrive de nouveau à la population, mais celle-ci ne serait pas, cette fois, la représentation chaotique d’un tout, mais une riche totalité de déterminations et de rapports nombreux. La première voie est celle qu’a prise très historiquement l’économie politique à sa naissance. Les économistes du XVIIe siècle, par exemple, commencent toujours par une totalité vivante : population, nation, État, plusieurs États ; mais ils finissent toujours par dégager par l’analyse quelques rapports généraux abstraits déterminants tels que la division du travail, l’argent, la valeur, etc. Dès que ces facteurs isolés ont été plus ou moins fixés et abstraits, les systèmes économiques ont commencé ; qui partent des notions simples telles que travail, division du travail, besoin, valeur d’échange, pour s’élever jusqu’à l’État, les échanges entre nations et le marché mondial. Cette dernière méthode est manifestement la méthode scientifique correcte. Le concret est concret parce qu’il est la synthèse de multiples déterminations, donc unité de la diversité. C’est pourquoi il apparaît dans la pensée comme procès de synthèse, comme résultat, non comme point de départ, bien qu’il soit le véritable point de départ et par la suite également le point de départ de la vue immédiate et de la représentation. La première démarche a réduit la plénitude de la représentation à une détermination abstraite ; avec la seconde, les déterminations abstraites conduisent à la reproduction du concret par la voie de la pensée. C’est pourquoi Hegel est tombé dans l’illusion de concevoir le réel comme le résultat de la pensée, qui se concentre en elle-même, s’approfondit en elle-même, se meut par elle-même, alors que la méthode qui consiste à s’élever de l’abstrait au concret n’est pour la pensée que la manière de s’approprier le concret, de le reproduire sous la forme d’un concret pensé. Mais ce n’est nullement là le procès de la genèse du concret lui-même. Par exemple, la catégorie économique la plus simple, mettons la valeur d’échange, suppose la population, une population produisant dans des conditions déterminées ; elle suppose aussi un certain genre de famille, ou de commune, ou d’État, etc. Elle ne peut jamais exister autrement que sous la forme de relation unilatérale et abstraite d’un tout concret, [115] vivant, déjà donné. Comme catégorie, par contre, la valeur d’échange mène une existence antédiluvienne. Pour la conscience et la conscience philosophique est ainsi faite que pour la pensée qui conçoit constitue l’homme réel et, par la suite, le monde n’apparaît comme réel qu’une fois conçu pour la conscience, donc, le mouvement des catégories apparaît comme l’acte de production réel qui reçoit une simple impulsion du dehors et on le regrette dont le résultat est le monde ; et ceci (mais c’est encore là une tautologie) est exact dans la mesure où la totalité concrète en tant que totalité pensée, en tant que représentation mentale du concret, est en fait un produit de la pensée, de la conception ; il n’est par contre nullement le produit du concept qui s’engendrerait lui-même, qui penserait en dehors et au-dessus de la vue immédiate et de la représentation, mais un produit de l’élaboration de concepts à partir de la vue immédiate et de la représentation. Le tout, tel qu’il apparaît dans l’esprit comme une totalité pensée, est un produit du cerveau pensant, qui s’approprie le monde de la seule façon qu’il lui soit possible, d’une façon qui diffère de l’appropriation de ce monde par l’art, la religion, l’esprit pratique. Après comme avant, le sujet réel subsiste dans son indépendance en dehors de l’esprit ; et cela aussi longtemps que l’esprit a une activité purement spéculative, purement théorique. Par conséquent, dans l’emploi de la méthode théorique aussi, il faut que le sujet, la société, reste constamment présent à l’esprit comme donnée première.
Mais ces catégories simples n’ont-elles pas aussi une existence indépendante, de caractère historique ou naturel, antérieure à celle des catégories plus concrètes ? Ca dépend. Hegel, par exemple, a raison de commencer la philosophie du droit par la possession, celle-ci constituant le rapport juridique le plus simple du sujet. Mais il n’existe pas de possession avant que n’existe la famille, ou les rapports entre maîtres et esclaves, qui sont des rapports beaucoup plus concrets. Par contre, il serait juste de dire qu’il existe des familles, des communautés de tribus, qui ne sont encore qu’au stade de la possession, et non à celui de la propriété. Par rapport à la propriété, la catégorie la plus simple apparaît donc comme le rapport de communautés simples de familles ou tribus. Dans la société parvenue à un stade supérieur, elle apparaît comme le rapport plus simple d’une organisation plus développée. Mais on présuppose toujours le substrat concret qui s’exprime par un rapport de possession. On peut se représenter un sauvage isolé qui possède. Mais la possession ne constitue pas alors un rapport juridique. Il n’est pas exact qu’historiquement la possession évolue jusqu’à la forme familiale. Elle suppose au contraire toujours l’existence de cette “catégorie juridique plus concrète”. Cependant il n’en demeurerait pas moins que les catégories simples sont l’expression de rapports dans lesquels le concret non [116] encore développé a pu s’être réalisé sans avoir encore posé la relation ou le rapport plus complexe qui trouve son expression mentale dans la catégorie plus concrète ; tandis que le concret plus développé laisse subsister cette même catégorie comme un rapport subordonné. L’argent peut exister et a existé historiquement avant que n’existât le capital, que n’existassent les banques, que n’existât le travail salarié, etc. À cet égard, on peut donc dire que la catégorie plus simple peut exprimer des rapports dominants d’un tout moins développé ou, au contraire, des rapports subordonnés d’un tout plus développé qui existaient déjà historiquement avant que le tout ne se développât dans le sens qui trouve son expression dans une catégorie plus concrète. Dans cette mesure, la marche de la pensée abstraite, qui s’élève du plus simple au plus complexe, correspondrait au processus historique réel.
D’autre part, on peut dire qu’il y a des formes de sociétés très développées, mais qui historiquement manquent assez de maturité, dans lesquelles on trouve les formes les plus élevées de l’économie, comme par exemple la coopération, une division du travail développée, etc., sans qu’il existe aucune sorte de monnaie, par exemple le Pérou. Chez les Slaves aussi, l’argent et l’échange qui le conditionne n’apparaissent pas ou peu à l’intérieur de chaque communauté, mais ils apparaissent à leurs frontières, dans leur trafic avec d’autres communautés. C’est d’ailleurs une erreur que de placer l’échange au centre des communautés, d’en faire l’élément qui les constitue à l’origine. Au début, il apparaît au contraire dans les relations des diverses communautés entre elles, bien plutôt que dans les relations des membres à l’intérieur d’une seule et même communauté. De plus, quoique l’argent apparaisse très tôt et joue un rôle multiple, il est dans l’antiquité, en tant qu’élément dominant, l’apanage de nations déterminées unilatéralement, de nations commerçantes. Et même dans l’antiquité la plus cultivée, chez les Grecs et les Romains, il n’atteint son complet développement, postulat de la société bourgeoise moderne, que dans la période de leur dissolution. Donc cette catégorie pourtant toute simple n’apparaît historiquement avec toute sa vigueur que dans les États les plus développés de la société. Elle ne se fraie nullement un chemin à travers tous les rapports économiques. Dans l’Empire romain, par exemple, à l’époque de son plus grand développement, l’impôt en nature et les prestations en nature demeurèrent le fondement. Le système monétaire à proprement parler n’y était complètement développé que dans l’armée. Il ne s’est jamais saisi non plus de la totalité du travail. Ainsi, bien qu’historiquement la catégorie la plus simple puisse avoir existé avant la plus concrète, elle peut appartenir dans son complet développement en compréhension et en extension précisément à une forme de société complexe, alors que la catégorie plus concrète se trouvait plus complètement développée dans une forme de société qui, elle, l’était moins.
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Le travail semble être une catégorie toute simple. L’idée du travail dans cette universalité comme travail en général est, elle aussi, des plus anciennes. Cependant, conçu du point de vue économique sous cette forme simple, le “travail” est une catégorie tout aussi moderne que les rapports qui engendrent cette abstraction simple. Le système monétaire, par exemple, place encore d’une façon tout à fait objective, comme une chose en dehors de soi, la richesse dans l’argent. Par rapport à ce point de vue, ce fut un grand progrès quand le système manufacturier ou commercial transposa la source de la richesse de l’objet à l’activité subjective le travail commercial et manufacturier , tout en ne concevant encore cette activité elle-même que sous la forme limitée de productrice d’argent. En face de ce système, le système des physiocrates pose une forme déterminée du travail l’agriculture comme la forme du travail créatrice de richesse et pose l’objet lui-même non plus sous la forme déguisée de l’argent, mais comme produit en tant que tel, comme résultat général du travail. Ce produit, en raison du caractère limité de l’activité, reste encore un produit déterminé par la nature produit de l’agriculture, produit de la terre par excellence.
Un énorme progrès fut fait par Ad. Smith quand il rejeta toute détermination particulière de l’activité créatrice de richesse pour ne considérer que le travail tout court, c’est-à-dire ni le travail manufacturier, ni le travail commercial, ni le travail agricole, mais toutes ces formes de travail dans leur caractère commun. Avec la généralité abstraite de l’activité créatrice de richesse apparaît alors également la généralité de l’objet dans la détermination de richesse, le produit considéré absolument, ou encore le travail en général, mais en tant que travail passé, objectivé dans un objet. L’exemple d’Ad. Smith, qui retombe lui-même de temps à autre dans le système des physiocrates, montre combien était difficile et important le passage à cette conception nouvelle. Il pourrait alors sembler que l’on eût par là simplement trouvé l’expression abstraite de la relation plus simple et la plus ancienne qui s’établit dans quelque forme de société que ce soit - entre les hommes considérés en tant que producteurs. C’est juste en un sens. Dans l’autre non. L’indifférence à l’égard d’un genre déterminé de travail présuppose l’existence d’une totalité très développée de genres de travaux réels dont aucun n’est absolument prédominant. Ainsi, les abstractions les plus générales ne prennent somme toute naissance qu’avec le développement concret le plus riche, où un caractère apparaît comme commun à beaucoup, commun à tous. On cesse alors de pouvoir le penser sous une forme particulière seulement. D’autre part, cette abstraction du travail en général n’est seulement le résultat dans la pensée d’une totalité concrète de travaux. L’indifférence à l’égard de tel travail [118] déterminé correspond à une forme de société dans laquelle les individus passent avec facilité d’un travail à l’autre et dans laquelle le genre précis de travail est pour eux fortuit, donc indifférent. Là le travail est devenu non seulement sur le plan des catégories, mais dans la réalité même, un moyen de créer la richesse en général et a cessé, en tant que détermination, de ne faire qu’un avec les individus, sous quelque aspect particulier. Cet état de chose a atteint son plus haut degré de développement dans la forme d’existence la plus moderne des sociétés bourgeoises, aux États-Unis. C’est donc là seulement que l’abstraction de la catégorie "travail", “travail en général”, travail “sans phrase", point de départ de l’économie moderne, devient une vérité pratique. Ainsi l’abstraction la plus simple, que l’économie politique moderne place au premier rang et qui exprime un rapport très ancien et valable pour toutes les formes de société, n’apparaît pourtant sous cette forme abstraite comme vérité pratique qu’en tant que catégorie de la société la plus moderne. On pourrait dire que cette indifférence à l’égard d’une forme déterminée de travail, qui se présente aux États-Unis comme produit historique, apparaît chez les Russes par exemple comme une disposition naturelle. Mais d’une part, quelle sacrée différence entre les barbares qui ont des dispositions naturelles à se laisser employer à tous les travaux et des civilisés qui s’y emploient eux-mêmes. Et, d’autre part, chez les Russes, à cette indifférence à l’égard d’un travail déterminé correspond dans la pratique leur assujettissement traditionnel à un travail bien déterminé, auquel ne peuvent les arracher des influences extérieures.
Cet exemple du travail montre d’une façon frappante que même les catégories les plus abstraites, bien que valables précisément à cause de leur nature abstraite pour toutes les époques, n’en sont pas moins sous la forme déterminée de cette abstraction même le produit de conditions historiques et ne restent pleinement valables pour ces conditions et dans le cadre de celle-ci.
La société est l’organisation historique de la production la plus développée et la plus variée qui soit. De ce fait, les catégories qui expriment les rapports de cette société et qui permettent d’en comprendre la structure permettent en même temps de se rendre compte de la structure et des rapports de production de toutes les formes de société disparues avec les débris et les éléments desquelles elle s’est édifiée, dont certains vestiges, partiellement non encore dépassés, continuent à subsister en elle, et dont certains simples signes, en se développant, ont pris toute leur signification, etc. L’anatomie de l’homme est la clef de l’anatomie du singe. Dans les espèces animales inférieures, on ne peut comprendre les signes annonciateurs d’une forme supérieure que lorsque la forme [119] supérieure est elle-même déjà connue. Ainsi l’économie bourgeoise nous donne la clef de l’économie antique, etc. Mais nullement à la manière des économistes qui effacent toutes les différences historiques et voient dans toutes les formes de société celles de la société bourgeoise. On peut comprendre le tribut, la dîme, etc., quand on connaît la rente foncière. Mais il ne faut pas les identifier. Comme, de plus, la société bourgeoise n’est elle-même qu’une forme antithétique du développement historique, il est des rapports appartenant à des formes de société antérieures que l’on pourra ne rencontrer en elle que tout à fait étiolés, ou même travestis. Par exemple, la propriété communale. Si donc il est vrai que les catégories de l’économie bourgeoise possèdent une certaine vérité valable pour toutes les autres formes de société, cela ne peut être admis que cum grano salis (avec un grain de sel). Elles peuvent recéler ces formes développées, étiolées caricaturées, etc., mais toujours avec une différence essentielle. Ce que l’on appelle développement historique repose somme toute sur le fait que la dernière forme considère les formes passées comme des é- tapes menant à son propre degré de développement, et, comme elle est rarement capable, et ceci seulement dans des conditions bien déterminées, de faire sa propre critique il n’est naturellement pas question ici des périodes historiques qui se considèrent elles-mêmes comme des époques de décadence elle les conçoit toujours sous un aspect unilatéral. La religion chrétienne n’a été capable d’aider à comprendre objectivement les mythologies antérieures qu’après avoir achevé jusqu’à un certain degré, pour ainsi dire (virtuellement), sa propre critique. De même l’économie politique bourgeoise ne parvint à comprendre les sociétés féodales, antiques, orientales que du jour où eut commencé l’autocritique de la société bourgeoise. Pour autant que l’économie politique bourgeoise, créant une nouvelle mythologie, ne s’est pas purement et simplement identifiée au passé, sa critique des sociétés antérieures, en particulier de la société féodale, contre laquelle elle avait à lutter directement, a ressemblé à la critique du paganisme par le christianisme, ou encore à celle du catholicisme par le protestantisme.
De même que dans toute science historique ou sociale en général, il ne faut jamais oublier, à propos de la marche des catégories économiques, que le sujet, ici la société bourgeoise moderne, est donné, aussi bien dans la réalité que dans le cerveau, que les catégories expriment donc des formes d’existence, des conditions d’existence déterminées, souvent de simples aspects particuliers de cette société déterminée, de ce sujet, et que par conséquent cette société ne commence nullement à exister, du point de vue scientifique aussi, à partir du moment seulement où il est question d’elles en tant que telle. C’est une règle à retenir, car elle [120] fournit des indications décisives pour le choix du plan à adopter. Rien ne semble plus naturel, par exemple, que de commencer par la rente foncière, par la propriété foncière, étant donné qu’elle est liée à la terre, source de toute production et de toute existence, et par elle à la première formé de production de toute société parvenue à une certaine stabilité à l’agriculture. Or rien ne serait plus erroné. Dans toutes les formes de société, c’est une production déterminée et les rapports engendrés par elle qui assignent à toutes les autres productions et aux rapports engendrés par celle-ci leur rang et leur importance. C’est comme un éclairage général où sont plongées toutes les couleurs et qui en modifie les tonalités particulières. C’est comme un éther particulier qui détermine le poids spécifique de toutes les formes d’existence qui y font saillie. Voici, par exemple, des peuples de bergers. (De simples peuples de chasseurs et de pêcheurs sont en deçà du point où commence le véritable développement.) Chez eux apparaît une certaine forme d’agriculture, une forme sporadique. C’est ce qui détermine chez eux la forme de la propriété foncière. C’est une propriété collective et elle conserve plus ou moins cette forme selon que ces peuples restent plus ou moins attachés à leur tradition : exemple, la propriété communale chez les Slaves. Chez les peuples à agriculture solidement implantée cette implantation constitue déjà une étape importante où prédomine cette forme de culture, comme dans les sociétés antiques et féodales, l’industrie elle-même, ainsi que son organisation et les formes de propriété qui lui correspondent, a plus ou moins le caractère de la propriété foncière. Ou bien l’industrie dépend complètement de l’agriculture, comme chez les anciens Romains, ou bien, comme au moyen-âge elle imite à la ville et dans ses rapports l’organisation rurale. Le capital lui-même au moyen-âge dans la mesure où il ne s’agit pas purement de capital monétaire a, sous la forme d’outillage de métier traditionnel, etc., ce caractère de propriété foncière. Dans la société bourgeoise, c’est l’inverse. L’agriculture devient de plus en plus une simple branche de l’industrie et elle est entièrement dominée par le capital. Il en est de même de la rente foncière. Dans toutes les formes de société où domine la propriété foncière, le rapport avec la nature reste prépondérant. Dans celles où domine le capital, c’est l’élément social créé au cours de l’histoire qui prévaut. On ne peut comprendre la rente foncière sans le capital. Mais on peut comprendre le capital sans la rente foncière. Le capital est la force économique de la société bourgeoise qui domine tout. Il constitue nécessairement le point de départ comme le point final et doit être expliqué avant la propriété foncière. Après les avoir étudiés chacun en particulier, il faut examiner leurs rapports réciproques.
Il serait impossible et erroné de ranger les catégories économiques dans l’ordre où elles ont été historiquement déterminantes. [121] Leur ordre est au contraire déterminé par les relations qui existent entre elles dans la société bourgeoise moderne et il est précisément à l’inverse de ce qui semble être leur ordre naturel ou correspondre à leur ordre de succession au cours de l’évolution historique. Il ne s’agit pas de la relation qui s’établit historiquement entre les rapports économiques dans la succession des différentes formes de société. Encore moins de leur ordre de succession “dans l’idée” (Proudhon) (conception nébuleuse du mouvement historique). Il s’agit de leur hiérarchie dans le cadre de la société bourgeoise moderne.
L’état de pureté (détermination abstraite) dans lequel apparurent dans le monde antique les peuples commerçants Phéniciens, Carthaginois est déterminé par la prédominance même des peuples agriculteurs. Le capital en tant que capital commercial ou capital monétaire apparaît précisément sous cette forme abstraite là où le capital n’est pas encore l’élément dominant des sociétés. Les Lombards, les Juifs occupent la même position à l’égard des sociétés du moyen-âge pratiquant l’agriculture.
Autre exemple de la place différente qu’occupent ces mêmes catégories à différents stades de la société : une des dernières formes de la société bourgeoise : les joint stock-compagnies (sociétés par actions). Mais elles apparaissent aussi à ses débuts dans les grandes compagnies de commerce privilégiées et jouissant d’un monopole.
Le concept de richesse nationale lui-même s’insinue chez les. économistes du XVIIe siècle l’idée subsiste encore en partie chez ceux du XVIIIe sous cette forme ; la richesse est créée pour l’État seulement, mais la puissance de celui-ci se mesure à cette richesse. C’était là la forme encore inconsciemment hypocrite qui annonce l’idée faisant de la richesse elle-même et de sa production le but final des États modernes, considérés alors uniquement comme moyens de produire la richesse.
Le plan à adopter doit manifestement être le suivant : l° les déterminations abstraites générales, convenant donc plus ou moins à toutes les formes de société, mais dans le sens exposé plus haut ; 2° les catégories constituant la structure interne de la société bourgeoise et sur lesquelles reposent les classes fondamentales. Capital, travail salarié, propriété foncière. Leurs rapports réciproques. Ville et campagne. Les trois grandes classes sociales, l’échange entre celles-ci. Circulation. Crédit (privé). 3° Concentration de la société bourgeoise sous la forme de l’État. Considéré dans sa relation avec lui-même. Les classes “improductives”. Impôts. Dette publique. Crédit public. La population. Les colonies. Emigration. 4° Rapports internationaux de production. Division internationale du travail. Echange international. Exportation et importation. Cours des changes. 5° Le marché mondial et les crises.
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