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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Les deux sources conscience et inconsciente de la vie morale (1943) Avant-propos
Une édition électronique réalisée à partir du livre du Dr. Charles Odier (1886-1954), Les deux sources consciente et inconsciente de la vie morale (1943). Boudry, Suisse: Les Éditions de la Baconnière, deuxième édition revue et corrigée, septembre 1946, 276 pages. Collection: Être et penser. Cahiers de philosophie, no 4-5. Réimpression, 1968. Une édition numérique réalisée par mon amie Gemma Paquet, bénévole, professeure à la retraite du Cégep de Chicoutimi.
Avant-propos
La vertu morale tenant de la Terre à cause du corps a besoin de passion, comme d'outils et de ministres pour agir et faire ses operations, n'estant pas corruption ou abolition de la partie irraisonnable de l'âme, ains plus-tost le reiglement et l'embellissement d'icelle et est bien extrémité quant à la qualité et à la perfection, mais non pas quant à la quantité selon laquelle elle est médiocrité, ostant d'un coté ce qui est excessif, et de l'austre ce qui est défectueux.
Plutarque.
Certains philosophes de s'émouvoir sans doute à la lecture du titre de ce volume. Plus qu'un démarquage de goût douteux, ils inclinent à voir en lui un manque de respect témoigné par un psychiatre à la mémoire vénérée d'un maître de la philosophie.
Aussi avons-nous longuement hésité dans notre choix. Mais, à la réflexion, il nous a paru excusable dans la mesure même où nous saurions l'excuser honorablement. Les raisons qui nous l'ont finalement dicté sont de deux ordres : les unes sont plus personnelles, les autres plus générales. Commençons par les premières.
Bien avant d'avoir lu et médité Les deux sources de la morale et de la religion, nous usions couramment auprès de nos patients de locutions similaires, et même de termes identiques à ceux dont Bergson devait user dans la suite. Nous maintenant bien entendu sur le terrain qui était le nôtre, nous nous efforcions de différencier deux ordres majeurs de phénomènes psychiques en recourant à des expressions ou images susceptibles d'en rendre les traits distinctifs plus frappants et leur opposition plus claire. Il s'agissait en effet d'opposer l'un à l'autre le système conscient et le système inconscient de l'esprit, car nous appliquions précisément la méthode d'exploration de ce dernier, imaginée par Freud. C'est ainsi que chaque jour nous qualifiions le premier de «déterminisme fermé», terme lancé par Freud lui-même, et le second de «motivation ouverte», cet adjectif signifiant à peu près: accessible aux influences directrices du moi ou correctrices de la conscience morale; en un mot, aux appels de la finalité liés eux-mêmes à la conscience de celle-ci, mais opposés aux exigences d'une causalité organo-psychique rigoureuse régnant en souveraine dans la sphère inconsciente. Parlant en revanche de cette dernière, nous disions aussi: système replié sur lui-même, fermé à la réalité extérieure, imperméable aux appels du « principe de réalité » ; ou encore causalité fermée, ou immuable, etc. Nous précisions, quand il s'agissait d'éthique, que la morale inconsciente elle aussi obéissait aux lois de cette causalité fonctionnelle close, alors que la morale consciente, Inversement, s'ouvrait au monde des valeurs ou tendait vers lui; qu'elle était ouverte ainsi à un progrès continu, à une évolution indéfinie à laquelle le psychologue comme tel ne saurait tracer de limites.
Or, cette façon toute spontanée de nous exprimer était satisfaisante. Elle répondait bien à la réalité des laits analysés. Elle mettait en lumière et en valeur - nos patients en étaient témoins - le double aspect de l'expérience morale humaine. Nos confrères d'ailleurs employaient un vocabulaire analogue; si bien qu'à l'époque de la parution des Deux sources maints d'entre eux s'écrièrent: «Voilà Bergson qui marche sur les brisées de Freud!»
Cependant cette exclamation hâtive et un peu partisane comportait une erreur. La lecture attentive de l'ouvrage magistral du philosophe ne tarda pas dans la suite à nous en faire revenir. L'évocation de ce souvenir nous amène au second ordre de nos raisons justificatives.
Heureusement le conflit fâcheux qui s'alluma il y a un demi-siècle environ entre une certaine philosophie spiritualiste ou religieuse traditionnelle et une certaine psychologie nouvelle d'allure psychiatrique s'est éteint aujourd'hui. Nous ne nous étendrons pas ici sur ce tumulte historique, dont l'argument paraît avec le recul un peu défraîchi, et dans lequel la voix si pleine d'autorité et de sagesse du professeur Flournoy, éminent psychologue et philosophe distingué à la lois, retentit à notre grande joie, un peu à la manière de la sonnerie militaire ait point culminant des manuvres: «Cessez le combat!» Nous dirons quelques mots de cette aventure au cours de ces pages. Il serait donc, de la part d'un médecin, bien maladroit de les inaugurer par un titre où l'on flairerait l'intention suspecte d'opposer l'un à l'autre deux grands morts qui, de leur vivant, à ma connaissance, n'eurent jamais de querelles. Et cela d'autant plus que ce livre ne vise qu'à apporter sa modeste contribution à l'uvre de collaboration entreprise désormais par les philosophes et les psychologues, en matière de morale notamment. C'est là une très belle uvre dont les fruits sont déjà nombreux, et dont les plus éminents artisans se recrutent, il convient de le souligner, en notre Suisse romande. Nous comptons consacrer quelques pages à l'essor réjouissant de ce que nous serions tenté d'appeler «l'école suisse de psychologie morale». Ne travaille-t-elle pas à asseoir la morale philosophique sur des bases plus consistantes ?
Mats revenons à notre titre. Il serait vain, à son propos, de se livrer à un petit jeu de correspondance, de chercher à établir une liaison étroite entre les deux sources révélées par Bergson et les deux sources découvertes par Freud. Car il n'y a pas de commune mesure entre ces deux ordres de notions. Les deux points de vue adoptés diffèrent trop l'un de l'autre pour que les deux aspects envisagés du problème moral puissent être confondus. Aussi qu'on se garde d'assimiler hâtivement la morale inconsciente à la première source et la morale consciente à la seconde. Si toutefois certains éléments, comme nous le verrons, sont communs au système inconscient freudien et à la première source bergsonienne, il n'en reste pas moins que celui-là ne coïncide nullement avec celle-ci, ni par son origine, ni par sa nature. Ces deux notions sont pour ainsi dire incommensurables l'une à l'autre. Quant au système conscient et à la seconde source, Bergson place celle-ci presque d'emblée sur un plan si élevé de pure spiritualité, religieux et mystique, que le problème de leur relation ne se pose plus. Il ne s'agit donc pas, dans notre confrontation, d'une sorte de superfétation psychologique, commise au nom des notions freudiennes, de la métaphysique bergsonienne.
Or dès l'instant où, face à un problème complexe et hétérogène, divers points de vue sont requis et donc admissibles, il va de soi que toute discipline d'étude a le droit de soutenir le sien après l'avoir adopté, à la condition qu'elle n'en revendique pas la suffisance. Ce livre n'a d'autre but que d'exposer le point de vue freudien demeuré mal compris du public; en quoi il croit donner satisfaction à une juste revendication de la psychologie analytique. La méta-physique ne saurait plus aujourd'hui en prendre ombrage, s'il est vrai qu'elle reconnaisse désormais les droits légitimes, issus de sa méthode propre, de la psychanalyse.
En conclusion, les deux points de vue en question, loin de s'opposer, se complètent. Ne voyons pas une vaine rivalité d'école là où s'affirme un concours heureux de notions de natures différentes. Ce serait notre succès, inespéré à vrai dire, de voir à l'avenir les auteurs d'écrits sur les fondements et les fins de la morale spécifier avec exactitude la source à laquelle ils se réfèrent, d'autant plus que désormais il y en aura quatre et non plus deux seulement et annoncer s'ils se réclament de Freud ou de Bergson, ou d'un autre philosophe encore.
Si enfin la psychologie scientifique et la métaphysique en reviennent parfois à leurs vieilles disputes, c'est en raison même et non en dépit de leur parenté. Psychologue et philosophe finissent régulièrement dans leurs travaux, pour peu qu'ils les poussent assez loin, par empiéter chacun sur le domaine de l'autre dans la mesure même où ni l'un ni l'autre ne consent à laisser son uvre inachevée. Toute scientifique ou expérimentale qu'elle est, la psychologie ne peut systématiquement éluder le problème des rapports du sujet à l'objet que pose chaque état de conscience. La psychanalyse elle-même, si objective qu'elle se prétende, ne peut les passer sous un silence méthodique. Or, dans le domaine moral comme dans les autres, les états de conscience et leur objet décrits par Freud, de caractère naturel et génétique, ne sauraient être rattachés aux états de conscience ni à leur objet, de caractère surnaturel et évolutif, dégagés par Bergson. En ce qui concerne les premiers, de nouveaux problèmes se posent qui appellent, semble-t-il, de nouvelles études philosophiques. Tenteront-ils quelque jeune philosophe suisse? Le premier essai réalisé dans ce sens est dû à M. Dalbiez. Les milieux français autorisés considèrent ce coup d'essai comme un coup de maître. Ajoutons que le professeur de Nantes, bien que ses conceptions s'inspirent du thomisme, n'a pas craint de se faire analyser lui-même avant d'aborder son sujet, afin de le dominer mieux.
Résumons notre impression. Bergson ouvrant ainsi la porte de sa cellule à la morale close, semble l'engager dès sa libération dans les «voies du ciel». La morale ouverte s'élancerait d'un rapide coup d'aile sur le plan de la religion dynamique, celle-ci tendant à son tour vers la spiritualité pure et le mysticisme intégral. Mais à notre sens la réussite d'un bond si prodigieux, le maintien de son élan, sont réservés à une infime minorité d'êtres exceptionnels. Son danger serait de faire brûler des étapes décisives - et les sauf-conduits sont rares dans ce domaine! Nous songeons ici aux étapes prévues et ordonnées par l'évolution morale régulière; celles de la morale consciente notamment, et que le commun des mortels a tout intérêt à ne pas brûler précisément, sous peine d'échec, de névrose religieuse ou de mysticisme morbide. On voit ainsi comment les sources de Freud formeront le complément psychologique des sources de Bergson, à la condition qu'on distingue clairement leurs natures propres et leurs domaines respectifs.
Dernière mise à jour de cette page le Samedi 16 octobre 2004 13:00 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
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