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L’IVRESSE DE PUISSANCE.
Treize ans de national-socialisme
Introduction
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La Wehrmacht
et le Parti
Militarisme ou défense nationale ?
Il ne saurait être question d’exposer en un seul chapitre les rapports subtils et complexes qui lient la Wehrmacht au parti national-socialiste ; leur action conjuguée a forgé la véritable puissance du IIIe Reich.
La Wehrmacht, le corps des officiers, « porteurs des vertus de la vieille Prusse », feront l’objet de remarques, de distinctions et de définitions qui ne tendent nullement à une justification. Mais il faut auparavant dire quelques mots du parti et de son idéologie.
Car le national-socialisme sera présenté comme la plus dangereuse et, espérons-le, la dernière expression du militarisme allemand, mais aussi comme le « bâtard » de ce même militarisme. Les deux définitions se justifient, même si la seconde doit apparaître en plus vive lumière.
Les théories et le programme du national-socialisme ont inspiré de nombreux ouvrages : nous renoncerons à cette abondante documentation pour laisser parler les faits.
Quelle est l’essence du national-socialisme ? Quelles sont ses bases spirituelles ? Les causes de sa force et de sa faiblesse ? Comment expliquer son évolution victorieuse, puis sa décadence ?
Le national-socialisme est une pseudo-religion. La vraie religion se fonde sur une croyance à l’absolu, tel l’éternel commandement de justice et d’amour.
Pour le national-socialisme les chefs incarnent la conscience de [22] la race. La Race domine l’individu, elle est un sur-moi. Tout dérive de cette vérité fondamentale. L’intérêt de la race détermine le juste et l’injuste, le bien et le mal. Le Droit même se réduit à l’Utile.
Ceux qui l’ont réalisé tardivement pour la plupart d’entre-nous ont vu sur quelle mauvaise voie ils s’engageaient. Ils ont compris que pour un national-socialiste tout geste de patience n’était que temporisation, que tout contrat serait brisé et que le partenaire serait dupé. Au nom de la race, il est légitime d’abuser et de paralyser les hommes de bonne volonté. Mais ceux qui dénoncèrent cet esprit du mal ne rencontrèrent aucune créance.
Le national-socialisme, pseudo-religion, lève le poing à la face de Dieu. Et quand Hitler exalte la Providence, et se dit consacré par elle, Führer ou guide de tous les Allemands, il parle simplement au nom de la race aryenne, race divine appelée à dominer peuples et pays. Le national-socialisme invente l’homme-seigneur et par comparaison l’humanité inférieure, qui comprend les communistes, les juifs, les slaves, les nègres et d’une manière générale tous ceux qui n’adhèrent pas spontanément à la doctrine et à la domination des « Hommes-Seigneurs ». Le national-socialisme est l’expression la plus redoutable de la mégalomanie humaine. Les « Hommes-Seigneurs » veulent asservir à leur folie les races, les peuples étrangers et, par la contrainte ou la terreur, tous ceux de leurs compatriotes qui ne partagent pas leur délire.
Même les « porteurs des vertus anciennes », les officiers prussiens, les membres de la nouvelle Wehrmacht deviennent à leur tour des Hommes-Seigneurs. Ils n’épousent pas sans réserve les théories extrêmes du national-socialisme : malgré le zèle et l’honneur qu’ils apportent à le servir, ils n’ont pas complètement renié Dieu.
Tragédie et déchirements des officiers qui représentent les vertus de la vieille Prusse ! Tragédie et contrastes de l’âme allemande qui oppose au devoir guerrier et au « drill » poussé à ses limites dernières, les heures d’intimité et de dévotion.
Dans le national-socialisme, les cérémonies raciales remplacent la prière et le culte chrétien.
Il est intéressant de noter que le créateur de la noblesse militaire et du premier corps d’officiers allemands, le roi de Prusse Frédéric II, [23] fut aussi le fondateur et le premier grand maître de la loge maçonnique « Aux trois mappemondes ». Les loges « vieilles-prussiennes » ne doivent en aucun cas être confondues avec les loges internationales qui acceptent des juifs dans leur sein. Les « frères » étaient recrutés parmi les officiers prussiens ou parmi les fonctionnaires qui avaient servi comme officiers. Les plus éminents représentants des vertus « vieilles-prussiennes ». Scharnhorst, Blucher, Gneisenau, Moltke, Schliefîen furent affiliés aux loges « vieille-Prusse ». Le père du maréchal Hindenburg y exerça des fonctions importantes. C’est pourquoi Hitler, lorsqu’il parvint au pouvoir, dut promettre au Président de ne pas chercher à dissoudre les loges « vieilles-prussiennes ». Les membres de ces loges n’étaient nullement des athées.
Notre dessein n’est pas d’expliquer comment l’Allemagne a pu devenir nationale-socialiste, ni pourquoi les efforts tentés à Weimar pour faire de l’Allemagne une démocratie, ont échoué. L’Allemagne, et avec elle l’Europe, ne peut être sauvée que si l’on réussit à faire des Allemands de bons chrétiens. Et l’esprit chrétien ne se développera que dans la mesure où les vainqueurs en témoigneront. Foin des pessimistes et des tièdes. Une reconstruction difficile ne saurait être menée à bien sans l’aveu préalable des fautes commises, sans la connaissance exacte des faits. Ces faits, sans ménagements d’aucune sorte, seront rapportés dans leur détail, et la mentalité dénoncée, qui permit les fautes et les crimes.
Comme dit F.-W. Forster :
- « … Indubitablement, la philosophie allemande du XIXe siècle porte l’inéluctable responsabilité de la défaillance allemande. Elle a voulu dépasser le christianisme ; elle règne parmi les abstractions stériles ; elle offre à la jeunesse allemande des pierres en lieu et place de pain. Tout le XIXe siècle est dominé par cette tendance à renier Dieu et le Christ pour chercher dans des expédients matérialistes une compensation à la perte du plus grand bien. »
Militarisme ou défense nationale ? Il s’agit de deux choses différentes.
Celle-ci se propose de sauvegarder la liberté et l’indépendance du pays ; celui-là incarne un esprit d’agression militaire ou politique. Une démocratie digne de ce nom ne connaît pas le militarisme, ni [24] l’agitation créée par le corps des officiers. La République de Weimar a échoué dans son effort pour n’avoir réussi à liquider le militarisme, ni à briser chez les officiers l’esprit d’agression doublé d’un esprit de revanche. L’humiliant traité de Versailles, les déceptions nées de la paix, l’incompréhension des puissances étrangères, enfin le national-socialisme ont suscité une opposition puissante au gouvernement de Weimar.
Mais cette opposition nationale qui prétend parler au nom de la défaite, n’est que l’interprète du militarisme ; l’esprit de revendication (on ne prétend qu’à recouvrer les territoires perdus : Danzig, le corridor polonais) est très exactement un esprit d’agression. Ce militarisme est représenté par la clique des officiers, artisans et instruments de guerre. Le militarisme n’est plus un moyen mis au service du pays, une fin en soi. Il incarne l’héroïsme. Il fournit à l’État ses modèles et ses paladins ; et l’État glorifie les guerriers comme les porteurs de toutes les vertus.
Mais au moindre signe de relâche dans l’admiration, la clique des officiers se révolte et marquera son opposition au tout-puissant IIIe Reich. Ce n’est pas un hasard si Bouhler, collaborateur intime d’Hitler et un des représentants caractéristiques du parti écrit, sur l’ordre du Führer, un livre où Napoléon est comparé à Hitler.
Et inversement, le pamphlet publié en 1813 contre Napoléon par Benjamin Constant (De l’Esprit de conquête et de l’Usurpation) s’applique mot pour mot à Hitler.
Veut-on guérir le peuple allemand et la santé de l’Europe dépend de cette guérison il faut détruire jusqu’à la racine le militarisme allemand.
La guerre et la misère des peuples demeureront menaçantes aussi longtemps qu’on pourra exalter le guerrier comme un modèle héroïque, le métier guerrier comme un climat exaltant, la guerre comme la noblesse d’un peuple.
La défense nationale demeure, dans le monde imparfait d’aujourd’hui, une nécessité amère et chargée de tristesse.
On ne devrait recourir aux armes qu’avec douleur, ne point chercher dans la guerre un art ou l’exaltation de son propre orgueil. Le militarisme, tel que nous avons appris à le connaître en Allemagne, voit [25] dans le métier des armes le premier métier de l’État. Une telle idolâtrie de la part d’un peuple conduit fatalement ce peuple à une agression sans fin, à une guerre lourde de toutes les expériences désespérées.
Deux tournants
Deux dates illustrent tragiquement l’histoire récente de la Reichswehr, puis de la Wehrmacht : le 30 juin 1934 et le 8 août 1944 (c’est à cette date, en effet, qu’eut lieu l’exécution des officiers compromis dans l’attentat contre Hitler, annoncé officiellement le 20 juillet).
Le public l’ignore en général : le 30 juin 1934 marque une victoire de l’armée sur le parti. Le généralissime von Fritsch et le chancelier Hitler s’étaient convenus d’unir leurs efforts pour forger la plus parfaite et la plus puissante machine de guerre que le monde ait connue. Tandis que von Fritsch faisait confiance à Hitler, le chancelier tentait de gagner l’armée à la politique et de saper le pouvoir de l’état-major.
Dès avant le 30 juin 1934, quelques faits mettent en lumière cette évolution.
Röhm, chef d’état-major des Sa, met au point et présente à Hitler en mars 1934 un plan selon lequel la Reichswehr devait faire place à une « armée du peuple ».
Hitler tergiversa, jusqu’au jour où tous les détails du plan furent communiqués au généralissime. Von Fritsch fit appeler le 29 juin 1934 Hermann Goering, alors premier ministre, et exigea que Röhm et ses partisans fussent jugés immédiatement par un tribunal extraordinaire. Faute de quoi, le 1er juillet, la garnison de Berlin entrerait en action. Goering alerte Goebbels et tous deux discutent âprement avec Hess, qui remplace le Führer à la tête du parti. Le chef des SS, Himmler, le major Buch, juge suprême du parti, assistent à l’entretien. Goebbels et Buch gagnent ensuite en avion Godesberg où Hitler s’est réfugié pour échapper aux pressions de son ami Röhm. Sous leur influence, le Führer se décide à sacrifier Röhm qui, en fait, n’avait [26] entrepris de lutter contre la Reichswehr qu’en faveur de son chef et de son parti. Pour donner satisfaction à von Fritsch, un tribunal révolutionnaire est hâtivement constitué : les généraux von Rundstedt et von Witzleben y représentent l’armée, Sepp Dietrich dirige les exécutions.
La fureur des hommes des Ss et surtout du Sd dura des semaines et des mois. Des vengeances personnelles se poursuivirent, de nombreux différends furent réglés à coups de revolver. Cependant, le 13 juillet 1934, Hitler déclarait au Reichstag : « La Wehrmacht est seule à porter les armes ; le parti seul à porter la responsabilité politique. Selon ma promesse donnée au Président du Reich, et aussi selon ma conviction la plus intime, l’armée doit rester un instrument « apolitique ». En mars 1935, Hitler doit promulguer une loi aux termes de laquelle « aucun soldat, durant son temps de service, ne peut appartenir à une organisation politique ». Telle est encore l’autorité de la Wehrmacht.
Cependant, en mars 1938, le général von Fritsch, suivi de chefs militaires éminents, se retire ; la retraite du général von Blomberg est annoncée peu après. Comme ces démissions survinrent à la veille de l’occupation de l’Autriche, on a voulu y voir une protestation contre l’Anschluss. Elles n’étaient dues en réalité qu’à la mauvaise foi d’Hitler. La politique gagnait l’armée et l’honneur d’un officier allemand repousse toute compromission politique. Quant au général von Blomberg, il avait contrevenu au code de l’honneur en épousant sa secrétaire et Hitler dut renoncer à ses services. Tous ces généraux étaient des spécialistes d’état-major hors de pair, mais d’esprit intransigeant et borné.
Tout autre était le général von Beck, qui n’hésita pas une seconde à succéder à von Rundstedt lorsque celui-ci démissionna à son tour. Von Beck réussit ce tour de force d’interdire formellement l’accès des casernes à tous les fonctionnaires du parti et d’entretenir en même temps d’excellents rapports avec Hitler. À toutes les réclamations il opposait la même réponse, demeurée célèbre : « Mon Führer ne le désire pas. »
En même temps que von Rundstedt, le chef d’état-major, le général Beck, démissionna. Il est absurde de prétendre comme on [27] l’a fait que Beck aurait pris sa retraite parce qu’il avait été tenu dans l’ignorance des plans élaborés contre l’Autriche et la Tchécoslovaquie. Von Reichenau avait établi ces plans en collaboration avec Beck lui-même. Quiconque d’ailleurs connaît tant soit peu le travail d’un état-major jugera puéril le soupçon qu’un chef puisse ignorer un travail poursuivi pendant des semaines et des mois. Beck n’obéit pas davantage à des motifs politiques. Il n’était pas opposé au régime. Sa démission était fondée sur de tout autres raisons. Beck demeurait un artilleur et un spécialiste des fortifications. Partisan des armes nouvelles et de la motorisation, il n’admettait pas que l’artillerie lourde fût négligée ; il s’élevait contre un réarmement trop hâtif, contre une entrée en guerre prématurée. Selon lui, la nouvelle Wehrmacht ne serait prête à l’action qu’à la fin de 1945.
Von Beck réclamait donc la construction d’une gigantesque ceinture fortifiée autour du Reich et le développement de l’artillerie dont une guerre-éclair fût-elle couronnée d’un succès complet ne saurait diminuer l’importance. Et il prévoyait la défaite de cette Wehrmacht dont il était pourtant l’un des créateurs, et qui n’était point formée au combat défensif, mais apte seulement à mener cette guerre-éclair où d’ailleurs elle s’était lancée prématurément.
La Wehrmacht subit une perte plus lourde encore, le 30 avril 1939, en la personne du directeur de l’Académie de guerre, le général Liebmann. Comme Beck, dont il avait d’ailleurs été le maître, le général Liebmann insistait sur l’importance de la défensive, signalait les dangers d’une action prématurée et d’une guerre menée sur plusieurs fronts. À bon droit, ces généraux peuvent prétendre qu’ils n’ont jamais été des partisans. Il en va de même de von Reichenau, abondamment diffamé et dont nous reparlerons. Ainsi, tels officiers supérieurs feront valoir leurs mises en garde, leurs protestations et enfin leur démission, pour prouver qu’ils se sont opposés au national-socialisme.
Dès à présent, il importe de relever que tous ces généraux, de par leurs traditions, leur éducation, leur esprit de corps, n’ont jamais cessé d’être les adorateurs sans scrupules de l’État ; ils ont servi toute autorité qui imposait au peuple le sceau de l’esprit prussien et valait à leur caste une obéissance aveugle.
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L’homme qui fournissait à ces artisans de la guerre la meilleure machine de guerre était « leur » homme. Tel fut à leurs yeux le rôle d’Hitler, mettant sur pied une formidable armée. Seules ses méthodes de dictature et de terreur ont pu imposer un programme que ni le peuple ni le Parlement n’eussent approuvé.
Le socialisme hitlérien entreprenait de niveler la caste des officiers comme il avait nivelé le peuple. Mais une nouvelle noblesse naissait, au sein du parti, celle des Gauleiter, des Reichsleiter, des chefs de tous grades. Chargée de la surveillance du parti, cette noblesse s’opposait aux privilèges des officiers auxquels elle ne pardonna jamais la « liquidation » du 30 juin 1934. Les nécessités de l’heure réconcilièrent pour un temps ces frères rivaux. Il s’agissait de reconstituer la Wehrmacht, de réarmer en un temps record. La guerre vint, les premières victoires firent oublier les querelles et les inégalités. Mais lorsque les défaites succédèrent aux victoires, lorsque la guerre tourna à la catastrophe, les deux noblesses reprirent leur lutte. Le parti se devait de ruiner le corps des officiers et de reprendre à son compte l’esprit de caste et l’intolérance de la généralité prussienne. Ce fut le drame du 8 août 1944.
Le désastre proche exaspéra cette volonté de refaire de la Wehrmacht, selon le plan de Röhm, une « armée du peuple ». Le 8 août 1944 marque cette riposte terrible du parti contre la Wehrmacht.
Pour sauver leur tête, les von Rundstedt, les Guderian, les Schroth furent à leur tour contraints de constituer une cour d’honneur et de condamner leurs propres camarades, leurs amis et leurs pairs : les Witzleben et tant d’autres. Cette tragédie prend tout son accent si l’on songe à l’esprit de caste, au code d’honneur des officiers prussiens. La condamnation à la pendaison n’a pas seulement déshonoré les condamnés, mais aussi les juges et avec eux tous les officiers allemands. Le 30 juin 1934 avait marqué une victoire de l’armée sur le parti ; le 8 août 1944 vit la sanglante revanche du parti.
Et même si la Wehrmacht avait pu se relever de ce coup terrible, un autre coup, mortel cette fois, lui aurait été porté par les armées alliées. Et de ce coup elle ne se relèvera vraisemblablement pas.
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Vertus de la vieille Prusse
Nous avons dit déjà que le nazisme représente la manifestation la plus dangereuse et la dernière du militarisme allemand ; il porte en lui les germes d’une irrémédiable dégénérescence.
Ce serait un crime contre le peuple allemand, mais aussi contre l’Europe et la civilisation, d’abattre le seul nazisme et de laisser au militarisme allemand une chance de survivre ou de renaître.
Le militarisme est depuis des siècles le mal héréditaire du peuple allemand.
En extirpant le militarisme, on détruira du même coup l’esprit prussien, devenu l’esprit nazi, et imposé à toutes les classes comme à toutes les régions du Reich. La jeunesse en a été particulièrement imprégnée : elle a fait de l’esprit prussien, aux vertus mal comprises, une véritable idole ; elle n’a eu aucun point de comparaison, aucun moyen de réagir.
Cette libération du peuple allemand pose un problème d’éducation et elle ne peut être accomplie que dans un esprit chrétien. Elle exige, pour réussir, une connaissance exacte de ces vertus « vieilles-prussiennes » qu’incarnent les officiers.
Von Bock, von Witzleben, von Rundstedt, Halder, Brauchitsch, Guderian, Liebmann, Manstein, Model, tant d’autres, représentent ces vertus traditionnelles ; et avant eux Hindenburg, Blucher, Gneisenau, Clausewitz. Les maréchaux du « vieux Fritz », les chefs militaires aux ordres de Bismarck, comme ceux qui conduisirent les guerres de 1914 et de 1939 participent de la même mentalité. Ces officiers témoignent de qualités hautement honorables: l’incorruptibilité, la simplicité, la fidélité au devoir. Mais cette vertu prussienne diffère de la vraie vertu par sa passivité. Elle implique une obéissance aveugle, Kadavergehorsam ! elle accepte tout ordre et tout but. Poser une question, c’est déjà manquer à la discipline et à l’honneur. Seuls comptent le culte et la grandeur de l’État, puissance dont l’armée est le noyau et garantit l’expansion et la domination.
Cette fin étant donnée, tout moyen est bon, tout ordre venu d’en haut est exécuté automatiquement. Cette discipline commence [30] avec les chevaliers de l’Ordre teutonique qui trop tôt oublièrent l’œuvre de Dieu au profit de l’œuvre de guerre. Elle inspire leurs descendants, les grenadiers prussiens et les patriotes de 1813 ; puis les soldats soumis au « drill » ; enfin les révolutionnaires de 1918-1919 devenus des miliciens nazis.
L’esprit prussien a connu en Allemagne, mais aussi hors d’Allemagne, une faveur dangereuse. « Commander par ordre » : telle est la félicité suprême du soldat allemand.
Lorsque le national-socialisme imposa son régime, la majorité des officiers porteurs des vertus vieilles-prussiennes ne vit dans les nazis que des bandits insolents. Les nouveaux venus portaient une main sacrilège sur les biens culturels, légués par les ancêtres. Mais les vertueux officiers se réconcilièrent avec les « méchants nazis », dès que ceux-ci s’engagèrent sur la voie triomphale d’un nouveau pangermanisme, dont les ambitions dépassaient les rêves les plus grandioses de la clique militariste.
Lorsque Adolphe Hitler, devenu chef du gouvernement, entreprit de construire une machine de guerre, de dimensions jusqu’à ce jour inconnues, il fut aussitôt reconnu comme le seigneur et le maître. Malgré le grotesque de la situation, les grands chefs acceptèrent que le caporal [1] Hitler prît le commandement de la nouvelle Wehrmacht. Von Fritsch, Beck, von Bock, von Rundstedt, von Witzleben ne démissionnèrent pas pour autant. Ils exigèrent seulement que fussent respectés leurs privilèges et leur indépendance vis-à-vis du parti et la fourniture d’un matériel toujours plus perfectionné.
Au début de la guerre, Hitler n’est pas seulement le maître suprême des généraux, mais le Führer du peuple, l’élu de la Providence. Mieux encore : il incarne la volonté de victoire.
Si tout Allemand qui se respecte a le devoir de vaincre, à plus forte raison les officiers aux vertus traditionnelles considèrent ce devoir comme une chose qui va absolument de soi.
Par la grâce d’Hitler, les généraux devinrent colonels-généraux, feldmaréchaux. Sous la bannière nazie, ils volèrent de victoire en victoire. Ils en vinrent à croire à « l’intuition géniale » du Führer et [31] à louer très haut ses qualités de stratège. Cette marche triomphale à travers des pays pacifiques eut pour effet d’endormir les consciences ; la vieille vertu prussienne ne condamna ni les violences, ni les déportations, ni l’extermination des juifs. L’heure sonna de la retraite, du retour au pays allemand à son tour bombardé et détruit.
Alors, la stratégie du Führer-caporal fut désavouée, alors l’esprit de caste reprit la lutte contre l’esprit de parti. Les officiers s’aperçurent qu’ils ne pouvaient collaborer avec la « plèbe ». (Ils nomment « plèbe » le national-socialisme, comme ils ont nommé plèbe au temps de Bismarck, de Guillaume II et de Weimar, les partis démocratiques, les syndicats, les marxistes.)
Ainsi le militarisme accouche d’un bâtard qui devient son plus dangereux adversaire ; « l’esprit nazi » naît de l’esprit prussien pour le dominer. Il unifie, au nom du militarisme, des millions d’êtres, et enlève ensuite leur pouvoir aux chefs de ce même militarisme.
Le national-socialisme s’en prend aux officiers conservateurs, aux créateurs et aux gardiens des traditions militaires : il les accuse, les pend, les déshonore.
À ces porteurs de l’ancienne vertu prussienne, un seul moyen s’offrait de venger leur honneur : se ruer, l’arme à la main, contre les chefs de ce national-socialisme qui formaient l’épine dorsale du militarisme. C’eût été le thème d’un drame shakespearien.
Après la guerre précédente et la défaite, les militaristes inventèrent la légende du « coup de poignard dans le dos ». Les nationaux-socialistes durent à cette légende d’arriver au pouvoir et de créer un nouveau militarisme.
Les Alliés ont craint fort légitimement de voir renaître cette légende et ils ont exigé la capitulation sans conditions.
Le militarisme a été doublement anéanti : sur le front intérieur par les attaques furieuses des nazis contre les officiers ; sur le front extérieur par les coups des armées alliées. La légende du « coup de poignard » ne renaîtra pas plus que le national-socialisme lui-même.
Sans nul doute, après cette guerre, le militarisme et le nazisme devenus frères ennemis s’accuseront réciproquement de trahison ; devant le peuple, ils rejetteront l’un sur l’autre la responsabilité de l’écroulement.
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Obéissant à leur propre dynamisme, ils ne cesseront de se combattre, aucun ne voulant succomber. De leurs accusations multiples et réciproques, de leur antagonisme périra la légende du « coup de poignard dans le dos ». Elle n’est plus dangereuse désormais.
Le prestige des officiers allemands et des vertus traditionnelles n’aura pas survécu à cette guerre. Mais leur esprit prussien, devenu l’esprit nazi, reste vivace dans les cœurs allemands et quand le parti national-socialiste aura disparu, il s’affirmera encore.
Avant de présenter les champions de cet esprit nazi, rappelons l’activité passée des officiers, porteurs des vieilles vertus prussiennes.
Les « fondés de pouvoir » de la guerre :
État-Major général et Écoles de guerre
Frédéric II est le premier général qui créa et entretint un état-major, au sens moderne de ce mot. Retranché comme derrière un mur, l’esprit d’agression spécifiquement prussien se développa jusqu’à dominer tout le royaume de Prusse.
Frédéric, dit le Grand, a posé les bases d’un code militaire de l’honneur. Il fut le premier à utiliser pour la guerre les découvertes scientifiques et industrielles. L’État-Major forme une nouvelle aristocratie, rompue à tous les secrets d’une tactique militaire scientifique. Frédéric II impose en outre à ses officiers un inflexible esprit de caste, indifférent à la plupart des jouissances matérielles. Une certaine indigence intellectuelle et un manque de besoins matériels épargne d’ailleurs à ces hommes les fortes tentations.
Une sélection rigoureuse s’opère : la fidélité au devoir, l’excellence dans le maniement des armes devient pour les officiers d’état-major une discipline aussi naturelle que l’obéissance « de cadavre » exigée d’eux tous.
Dans les années qui précédèrent les guerres napoléoniennes, Frédéric II fixa à son État-major une première tâche importante. Scharnhorst reçut mission de créer un corps d’officiers triés sur le volet. Ils devaient mener une vie particulière, fonctionner comme les cerveaux d’une armée fictive, absolument séparée du peuple.
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Plus tard, lorsqu’en 1812 les nécessités politiques imposèrent un accord avec Napoléon, les chefs de l’état-major emboîtèrent le pas au baron von Stein. Ils prirent le chemin de la Russie où ils préparèrent contre l’Usurpateur la guerre de revanche. Quand l’armée française battit en retraite à travers l’Allemagne, von Stein et les officiers du nouvel état-major suivirent le mouvement.
Quand bien même le roi de Prusse était encore lié par un traité formel à Napoléon, le général York von Wartenburg signa la convention du Tauroggen sur les conseils d’un jeune officier d’état-major, qui n’était autre que Clausewitz, l’élève favori de Scharnhorst.
La guerre de 1814-1815 fut conduite par Blücher et Gneisenau soutenus par l’enthousiasme populaire. De 1815 à 1848, l’État témoigna d’un faible intérêt pour les institutions militaires. Cependant, sous la direction de Clausewitz, nouveau chef de l’état-major général, un petit groupe d’officiers de carrière maintint la tradition de la noblesse militaire. Clausewitz fonda une admirable science militaire. Il ne s’occupa pas seulement de l’instruction du soldat, mais il posa les bases d’une nouvelle morale militaire exigeant le don total jusqu’au sacrifice dans l’honneur. La « volonté inflexible de détruire l’adversaire à tout prix » est le fondement de la guerre totale.
Dans son livre De la guerre (livre I, chap. I), Clausewitz écrit : « La guerre n’est pas un acte isolé ; la guerre ne naît pas soudainement, son développement n’est pas l’œuvre d’un instant. »
Grâce à Scharnhorst, à Gneisenau, à Clausewitz, « mainteneurs » ou gardiens de la vieille vertu prussienne et guerrière, Moltke put, l’heure venue, mettre aux ordres de Bismarck, l’armée de la Grande Allemagne, qui devait garantir à la fois la victoire sur Napoléon III et l’unification du nouveau Reich. Et sans Moltke, Bismarck n’eût pas accompli son œuvre. De 1891 à 1905, le comte de Schlieffen dirige l’état-major. Il crée le grand état-major général et groupe autour de lui cent soixante officiers d’élite. Schlieffen excelle dans l’art de manœuvrer avec des millions de soldats. Il demeure le maître-théoricien de la guerre mondiale qu’il ne put conduire. Selon lui, les batailles d’anéantissement devaient amener à la capitulation des armées entières. Ses successeurs, Hindenburg et Ludendorff s’attachèrent en vain a réaliser les théories de Schlieffen. Lorsqu’ils échouèrent, [34] les militaristes cherchèrent, comme en 1812, à réveiller dans l’État-major le vieil esprit d’agression, l’esprit de Frédéric II, à conserver intact, selon la tradition, un corps d’officiers capable, malgré la défaite, de maintenir, de restaurer l’armée, instrument de guerre, en utilisant les dernières découvertes de la science.
Aux yeux des officiers, la République de Weimar représente une simple étape. Ils ne la reconnurent jamais, car elle condamnait tout esprit de revanche, à plus forte raison d’agression. Les républicains de Weimar s’appliquèrent à respecter le traité de Versailles : ils attendaient des officiers qu’ils organisent l’armée sur la base prévue de 100 000 hommes.
Mais cette mission fut confiée à l’inquiétant général von Seeckt. Les troupes en service formèrent le noyau de futures, d’immenses armées.
En même temps une sélection extrêmement sévère permit de former un corps d’officiers, dont chaque membre était un maître dans l’art de la guerre. Von Seeckt a été très justement comparé à Clausewitz et enterré à ses côtés au cimetière des Invalides de Berlin.
Bientôt, par l’action d’Hitler, des millions d’hommes encadrèrent les cent mille hommes de Weimar et l’État-major put envisager de passer à l’application des quatre principes de von Seeckt :
- 1. La surprise est en elle-même une force morale. (Clausewitz.)
- 2. Les efforts doivent être proportionnés à la force de résistance de l’ennemi. En d’autres termes, la puissance matérielle est inséparable de la volonté combattante. (Clausewitz.)
- 3. À la guerre, l’attaque porte à la fois sur la matière et sur la force morale qui anime cette matière. (Clausewitz.)
- 4. Si la guerre doit être menée sur plusieurs fronts, on s’efforcera de battre un adversaire après l’autre. (Schlieffen.)
En 1938, Hitler reprit simplement ces directives au compte du parti. Fidèle à ces principes, la stratégie allemande mena la Wehrmacht de Varsovie à Paris et à Athènes. En Russie, les règles se révélèrent sans valeur ; en réalité, elles avaient perdu leur efficacité face aux côtes de Douvres déjà.
Il faut savoir que le général von Seeckt entretint des relations amicales avec les états-majors étrangers, en premier lieu avec l’armée rouge.
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Bien avant les Japonais, les bolchevistes s’étaient assurés, pour les écoles militaires de Moscou, de Petrograd, d’Ukraine et de Sibérie le concours de généraux allemands. Ils avaient fait venir de Berlin un officier d’état-major pour collaborer à la traduction en langue russe de l’œuvre de Clausewitz. Lorsqu’à l’amitié succéda la guerre, les dociles officiers soviétiques battirent leurs maîtres de la veille.
Quoi qu’il en soit, les Russes et les Japonais furent seuls à reconnaître l’importance des écoles militaires allemandes, leur profonde signification, et ils mirent un grand zèle à les imiter.
Quant aux politiciens allemands et étrangers, quant aux états-majors anglais, français ou américains, ils méconnurent toujours la valeur exceptionnelle des écoles militaires et de leur programme. Et pourtant ces écoles étaient sans rivales au monde. Elles débordaient le cadre d’instituts purement techniques. Longtemps, elles furent présentées comme des écoles de sport. Lorsqu’on renonça au camouflage, elles furent considérées comme des écoles supérieures de « cadets ».
On reprochera avec raison aux hommes politiques de Weimar de n’avoir pas connu, ni surtout contrôlé l’action des officiers, justifiable pourtant de l’opinion publique.
Un ministre de la guerre n’accédait à son poste qu’avec l’agrément des officiers. Il devait assurer l’homogénéité de la caste, refuser au profane l’entrée d’une institution militaire ou la communication d’un dossier. Il était le gardien des secrets militaires. Et tel demeurait le respect dont on entourait la clique des guerriers que personne, même parmi les chefs politiques, n’osait exercer le moindre contrôle. Toute enquête éventuelle était confiée à un bureau spécial ou au tribunal d’Empire que les généraux manœuvraient à leur guise.
Pour un député, les archives de la Reichswehr étaient scellées de sept cachets. Leur rupture eût constitué une « trahison de secrets militaires ». Et à Leipzig, la Cour de justice s’empressait de condamner les coupables à la réclusion. Pareille condamnation signifiait la fin d’une carrière politique.
On n’imagine pas contradiction plus criante : d’une part, la République de Weimar s’était engagée à interdire tout réarmement, tout préparatif de revanche ; d’autre part, et dans le même temps, la Cour [36] de justice instruisait d’importants procès pour « trahison de secrets militaires ». Et ces secrets concernaient précisément les efforts de réarmement et les projets d’agression. La démocratie était bernée et des irresponsables ouvraient la voie à une guerre de revanche.
Bien mieux, la justice du Reich citait et condamnait pour trahison, outre des officiers allemands, des étrangers comme le capitaine français Morand.
Quelle était en réalité l’organisation des écoles militaires? On n’y recevait que des officiers d’un mérite exceptionnel. Mais une fois admis, l’élève devenait le collaborateur intime de ses chefs. On le chargeait de travaux de séminaire qui s’étendaient souvent sur un semestre et qui faisaient l’objet d’un examen sévère avant d’être admis ou rejetés. Les projets approuvés étaient transmis au ministère de la guerre. Des mois, des années furent consacrés à mettre sur pied des plans, embrassant les plus infimes détails, embrassant l’ensemble de la guerre-éclair. Maintes fois remis sur le métier, les meilleurs d’entre ces plans étaient déposés aux archives secrètes de la Bendlerstrasse.
Les travaux de l’école de guerre permettaient à un généralissime d’entreprendre en tout temps la conquête d’un pays quelconque. Les plans étaient prêts, en temps de paix déjà, pour l’invasion de tous les pays voisins du Reich. Mais d’autres plans, non moins détaillés, existaient qui prévoyaient d’attaquer l’Asie à travers la Russie ou d’atteindre les Indes par le Proche-Orient ou l’Afrique du Nord. On se tromperait en croyant que ces plans furent élaborés après l’avènement d’Hitler. Ils datent de la République de Weimar. Ils furent tenus à jour, révisés sans cesse au gré des dernières découvertes scientifiques et compte tenu du potentiel de guerre disponible. L’homme le plus important, l’inspirateur de tous les états-majors était le chef de la Division des opérations. Bien entendu, aucun poste de ce genre n’était prévu officiellement dans la première Reichswehr. Le chef d’armes se vit attribuer ce rôle.
Lorsque Hitler laissa tomber le masque et substitua la Wehrmacht à la Reichswehr, le général von Wietersheim prit la direction de la Division des opérations. Il donna à Hitler les premières leçons de stratégie et de tactique.
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Lorsque von Blomberg fut nommé ministre de la Reichswehr, il amena avec lui son chef d’état-major, von Reichenau.
La nouvelle Wehrmacht eut en lui un organisateur incomparable. Von Reichenau exerça pendant quelque temps la charge de chef d’armes. Il révéla sa maîtrise en fondant l’unité motorisée lourde, dont le tank était fonction. Von Reichenau commandait alors le 4e groupe d’armées, stationné à Leipzig, tandis que son ami intime, le général Blaskowitz, avec le 3e groupe, tenait garnison à Dresde.
Le général von Reichenau forma donc l’armée à sa nouvelle tâche offensive. Il commandait le VIIe corps à Munich, lorsqu’il mit au point les plans d’invasion de l’Autriche tout d’abord, puis de la Tchécoslovaquie. Il prépara de même l’invasion de la Pologne pendant qu’il était à la tête du 4e groupe d’armées.
Sous le régime de Weimar, le chef d’armes était, fait significatif, le chef de la Division des opérations. Il fonctionnait en outre comme inspecteur des écoles militaires. Le grand maître des écoles de guerre n’était autre que le général Liebmann qui devait devenir en 1937 le premier « commandeur » de l’Académie militaire de Berlin. Véritable mentor des jeunes officiers, Liebmann exerça aussi une influence directe sur les Beck, Halder, von Bock, von Rundstedt, von Witzleben, Guderian. Son génie pédagogique avait déjà été reconnu par von Seeckt.
Le profane ne soupçonne pas la longueur de certains préparatifs. L’État-Major travailla des années à ses plans d’invasion. Tout fut pesé et prévu : effectifs et matériel, travaux de l’arrière, transports, importance des réserves ; la consommation des munitions comme les pertes en hommes ; sans oublier une estimation précise de la puissance, de la résistance, de la doctrine ennemies. De l’État-major, le plan passe au commandant en chef de l’armée. Il n’est pas indispensable que le même état-major assure, après l’organisation, l’exécution on le verra dans le cas de von Reichenau.
Les hostilités engagées, une adaptation constante des plans s’impose. Au début de la guerre, le génie des stratèges allemands étonna le monde. Les opérations s’enchaînaient avec une facilité déconcertante. Le succès prévenait les ordres de ces divinités invincibles. En réalité, ce succès reposait sur un travail préalable de longue durée.
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Ici apparaît la différence entre l’État démocratique et l’État militarisé. Dans une démocratie saine, comme l’Angleterre, l’Amérique ou la Suisse, le corps des officiers demeure sous le contrôle constant du parlement. Ce serait un crime de lèse-démocratie d’élaborer en temps de paix des plans d’agression.
L’invasion alliée elle-même le prouve. Au début de 1944, les chefs chargés de l’action projetée contre le continent sont désignés. Avec son état-major, le général Eisenhower part pour Londres. Il n’y trouve aucun plan préparé et il se met à l’œuvre. Des mois passent et grâce à un travail intense l’invasion commence. Seul le spécialiste peut imaginer ce que cela représente.
Au contraire, la guerre-éclair menée par l’Allemagne contre l’Autriche, la Tchécoslovaquie, contre la Pologne, contre le Danemark et la Norvège et enfin contre la Hollande, la Belgique et la France réussit chaque fois du fait d’une préparation poussée dès l’époque de Weimar. Encore une preuve et une contre-preuve.
La campagne africaine et sicilienne victorieusement terminée, la capitulation de Badoglio acquise, il semble que les Alliés auraient dû occuper sans retard l’Italie. Faute de plans, des mois furent perdus.
D’autre part, la retraite allemande en Russie tourna à la catastrophe. Les mathématiciens militaires n’avaient pas prévu un recul et les improvisations géniales de von Manstein sur le front sud ne purent compenser l’absence d’un plan défensif.
Pendant les premiers mois de la guerre, on ne cessa de reprocher aux Alliés leur manque de préparation et d’initiative, tandis que leur décision agressive valait une auréole aux Allemands.
Aujourd’hui, la guerre finie, cet esprit d’agression est tenu pour un crime. Le militarisme allemand a vécu.
[1] Littéralement : appointé.
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