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Collection « Les auteur(e)s classiques »

PERTINAX (André Géraud), Les fossoyeurs.
Défaite militaire de la France — Armistice — Contre-révolution. Tome II. Pétain
.
(1943)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de PERTINAX (André Géraud), Les fossoyeurs. Défaite militaire de la France — Armistice — Contre-révolution. Tome II. Pétain. New York: Les Éditions de la Maison française, Inc., 1943, 316 pp. Une édition numérique réalisée par Michel Bergès, bénévole, directeur de la collection “Civilisations et politique”.

[9]

LES FOSSOYEURS.
Tome II. PÉTAIN

PREMIÈRE PARTIE

Introduction

Dans la nuit du 16 juin, le maréchal Pétain devient président du Conseil des ministres. Alors commence la page la plus honteuse de l’histoire de France. Nos annales ne contiennent rien de comparable. Le désastre de 1870-71, les convulsions sanglantes de la Commune n’entamèrent pas la fierté de notre peuple : que l’on parcoure plutôt les débats de l’Assemblée Nationale de l’époque, une grande assemblée. La Révolution de 1789 a déchiré l’âme française, mais, avec son prolongement napoléonien, reste l’épopée de la Nation. Les guerres de religion du XVIe siècle et la Fronde du XVIIe furent, avant tout, surabondance de sève : l’aristocratie n’y survécut pas dans son rôle politique et ce fut sans doute une perte, mais, parallèlement, les lettres et les arts approchèrent des sommets grecs et latins. Il faut remonter jusqu’au début du XVe siècle, jusqu’au règne de Charles VI, le roi dément, pour trouver un malheur qui puisse être rapproché de notre deuil : le territoire occupé par l’étranger et des factions en ligue avec le conquérant. Encore le parallèle est-il plus apparent que réel. Un organisme à peine formé ne peut souffrir comme un adulte : la France d’il y a cinq cents ans était éparse et ne se connaissait pas. Le miracle de Jeanne d’Arc fut précisément de l’éveiller à elle-même. De plus, l’envahisseur et l’envahi étaient issus de la même société féodale, avaient le vif sentiment de la chrétienté : la conquête ne pouvait marquer de transition très brutale. La Guyenne a relevé, trois siècles durant, de la couronne d’Angleterre et Bordeaux s’est révolté, dans la deuxième partie du XVe, pour ne pas changer d’allégeance, pour ne pas subir la domination des hommes du nord. Enfonçons-nous plus loin encore [10] dans les âges révolus. La dislocation actuelle de la France, au matériel et au moral, n’a d’égale qu’au Ve siècle. La ressemblance est-elle enfin satisfaisante ? Pas tout à fait. Ceux qui virent se dissoudre la « Romania » ressentirent ce que nous éprouvons aujourd’hui, ou plutôt ce que nous éprouverions si nous désespérions des Nations Unies. Mais l’empire des Césars eut plus de deux cents ans pour agoniser et nous sommes tombés sous un coup de hache. L’invasion se fit par endosmose, avant de briser les portes et de submerger la Ville. L’Église offrit alors une synthèse dont nous n’avons pas l’équivalent.

Le fait inouï, c’est que des Français se soient rencontrés, le 16 juin 1940, pour désirer passionnément l’armistice qui entraînait la fin de l’indépendance nationale, qu’ayant hâte de le solliciter, ils aient négligé les grandes possibilités de combat encore existantes, qu’ils aient vu dans les conventions signées avec l’Allemagne et l’Italie des instruments de domination intérieure, que, saisissant enfin l’occasion d’anéantir la République et de modeler la patrie sur le modèle fasciste, ils aient, du coup, trouvé à l’ennemi visage presque amical. En vain représente-t-on que la France de 1940, telle l’Allemagne de 1918, était forcée d’emprunter les institutions du vainqueur pour le fléchir. L’excuse n’est pas bonne. Le fac-similé de démocratie, dénommé République de Weimar, dont l’Allemagne tenta de se couvrir, ne fut, pour l’essentiel, qu’un jeu de scène, une duperie, une préparation de la revanche. La révolution nationale de Bordeaux et de Vichy, en contraste, est l’œuvre de copistes sincères, attachant leur sort personnel à la réussite et à la durée de l’imitation. Pour eux, l’armistice ne fut pas ce qu’il avait été pour les Allemands, un dénouement inévitable accepté dans un esprit de résistance, un dénouement non dépourvu de promesses, fertilisé par la querelle des vainqueurs, mais le moyen — le moyen obtenu dans l’intrigue — d’une fin suprême : la transformation intérieure.

Quand nous nous retournons vers les formidables événements qui se pressent en cette fin de juin 1940, nous apercevons, en pleine lumière, comme sur une crête dominant le paysage, les deux couronnes de chêne : Pétain et Weygand. Eux seuls, supposés régents [11] impeccables de l’art militaire, ont donné l’impulsion décisive. Surtout Weygand, généralissime de l’armée, qui s’est ensuite estompé derrière Pétain.

La catastrophe morale, la reddition sans limites, la capitulation des armes, du cœur et de l’esprit, est inexplicable si l’on ne tient compte que de ces deux hommes. Seuls, ils se découpent sur le ciel. Mais, au versant opposé de la hauteur, est groupée toute une faction, la faction qui s’est recrutée à partir de 1934. Elle a empêché la France de mettre le dictateur nazi à la raison, en 1936, lorsqu’elle était encore la plus forte. Elle a voulu accepter l’hégémonie d’Adolphe Hitler en Europe plutôt que de risquer un conflit capable d’entraîner des bouleversements sociaux. Elle a salué l’annexion de l’Autriche, la réoccupation militaire du Rhin, l’entrée des Allemands et des Italiens en Espagne, le démembrement puis l’incorporation de la Tchéco-Slovaquie dans le Reich comme des « victoires de la paix ». La Pologne et la Russie eussent été livrées au conquérant nazi s’il n’avait tenu qu’à elle. Elle a fait semblant de ne pas comprendre que la poussée hitlérienne n’était point de celles qui peuvent être contenues par l’octroi d’avantages limités, que, la bête nazie une fois déchaînée, le conflit était inévitable et devenait de plus en plus inégal à mesure que la date en était reculée, les armements d’un pays caporalisé et mobilisé ne pouvant que précéder les nôtres. Elle a pu feindre de ne pas saisir le déroulement parce qu’une démission totale de la France, une soumission complète aux demandes du Führer, eussent substitué la conquête douce à la conquête violente et qu’il lui fut loisible d’équivoquer là-dessus, de représenter comme compatible avec la survivance de la Nation ce qui ne l’était pas. À la vérité, la faction était prête depuis cinq ans à trafiquer de l’indépendance de la France. Elle l’a d’autant plus facilement abandonnée, le 16 juin 1940, qu’elle l’eût volontiers concédée le 3 septembre précédent sinon plus tôt. Sa grande réussite fut de trouver en Pétain et en Weygand des chefs de file. Alors sortit de terre une conspiration qui n’avait jamais complètement émergé et qui, hors le cas de désastre militaire, eût seulement continué à remuer dans les ténèbres. Sans cette bande d’effrontés, Pétain, secondé par Weygand, [12] n’eût pas accompli une œuvre aussi compliquée et d’aussi longue haleine. Il n’était pas d’audace assez grande.

Pour comprendre la suite des faits, il importe de saisir exactement ce que fut sa contribution et celle des autres, et comment des militaires, d’un patriotisme classé, lièrent partie avec des politiciens qui, depuis longtemps, disposaient de leur pays comme d’une société commerciale en liquidation. Nous avons noté les faits et gestes des deux chefs depuis leur avènement, le 19 mai. Il faut maintenant les serrer de plus près, prendre leur mesure dans le passé, les mettre à leur place dans la bande contre-révolutionnaire. Notre récit ne peut plus être gouverné par l’unité de temps et de lieu. Notre rivière s’étend et se ramifie. Le flot des événements, il nous faut le décrire non seulement en aval, mais aussi en amont de Gamelin, Daladier et Reynaud. L’histoire de notre désastre militaire se suffit plus ou moins à elle-même. Les fautes politiques et militaires commises en 1939 et 1940 furent d’une telle portée immédiate que j’ai pu provisoirement laisser de côté les antécédents ou, du moins, ne marquer leur influence que par des allusions ou références de détail. Mais ils portent à plein sur ce qui va suivre. À l’approche du nécromant nazi, on peut dire que se raniment et s’exaltent les haines, les rancœurs, les habitudes d’esprit, les conceptions mauvaises, les calculs de lucre, ensevelis dans les années antérieures. Ils furent, plus que les protagonistes du moment, les authentiques signataires de l’armistice séparé. La contre-révolution, plus funeste que la défaite, ne peut être saisie que par une investigation assez profondément conduite dans la France républicaine.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 22 décembre 2022 11:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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