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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Système des contradictions économiques Misère de la philosophie. (1846)
Prologue, par Pierre-Joseph Proudhon
Une édition électronique réalisée à partir du livre de Pierre-Joseph Proudhon (1846), Philosophie de la misère. Système des contradictions économiques. Extraits. Paris : Union Générale dÉditions, 1964, pages 1 à 307. Collection : Le Monde en 10-18.
Prologue
I
Avant que j'entre dans la matière qui fait l'objet de ces nouveaux mémoires, j'ai besoin de rendre compte d'une hypothèse qui paraîtra sans doute étrange, mais sans laquelle il m'est impossible d'aller en avant et d'être compris : je veux parler de l'hypothèse d'un Dieu.
Supposer Dieu, dira-t-on, c'est le nier. Pourquoi ne l'affirmez-vous pas ?
Est-ce ma faute si la foi à la Divinité est devenue une opinion suspecte ? Si le simple soupçon d'un Être suprême est déjà noté comme la marque d'un esprit faible, et si, de toutes les utopies philosophiques, c'est la seule que le monde ne souffre plus ? Est-ce ma faute si l'hypocrisie et l'imbécillité se cachent partout sous cette sainte étiquette ?
[...] Je dirai donc comment, étudiant dans le silence de mon cur et loin de toute considération humaine, le mystère des révolutions sociales, Dieu, le grand Inconnu, est devenu pour moi une hypothèse, je veux dire un instrument dialectique nécessaire.
Si je suis, à travers ses transformations successives, l'idée de Dieu, je trouve que cette idée est avant tout sociale ; j'entends par là qu'elle est bien plus un acte de foi de la pensée collective qu'une conception individuelle. Or, comment et à quelle occasion se produit cet acte de foi ? Il importe de le déterminer.
Au point de vue moral et intellectuel, la société, ou l'homme collectif, se distingue surtout de l'individu par la spontanéité d'action, autrement dite, l'instinct. Tandis que l'individu n'obéit ou s'imagine n'obéir qu'à des motifs dont il a pleine connaissance et auxquels il est maître de refuser ou d'accorder son adhésion ; tandis, en un mot, qu'il se juge libre, et d'autant plus libre qu'il se sait plus raisonneur et mieux instruit, la société est sujette à des entraînements où rien, au premier coup d'il, ne laisse apercevoir de délibération et de projet, mais qui peu à peu semblent dirigés par un conseil supérieur, existant hors de la société, et la poussant avec une force irrésistible vers un terme inconnu. [...] Tout l'effort même de ceux qui, à la suite de Bossuet, Vico, Herder, Hegel, se sont appliqués à la philosophie de l'histoire, a été jusqu'ici de constater la présence du destin providentiel, qui préside à tous les mouvements de l'homme. Et j'observe, à ce propos, que la société ne manque jamais, avant d'agir, d'évoquer son génie : comme si elle voulait se faire ordonner d'en haut ce que déjà sa spontanéité a résolu. Les sorts, les oracles, les sacrifices, les acclamations populaires, les prières publiques, sont la forme la plus ordinaire de ces délibérations après coup de la société.
Cette faculté mystérieuse, tout intuitive, et pour ainsi dire supra-sociale, peu ou point sensible dans les personnes, mais qui plane sur l'humanité comme un génie inspirateur, est le fait primordial de toute psychologie.
Or, à la différence des autres espèces animales, comme lui soumises tout à la fois à des appétences individuelles et à des impulsions collectives, l'homme a le privilège d'apercevoir et clé signaler à sa propre pensée l'instinct ou fatum qui le mène ; nous verrons plus tard qu'il a aussi le pouvoir d'en pénétrer et même d'en influencer les décrets. Et le premier mouvement de l'homme, ravi et pénétré d'enthousiasme (du souffle divin), est d'adorer l'invisible Providence dont il se sent dépendre et qu'il nomme Dieu. [...] Dieu apparaît donc à l'homme comme un moi, comme une essence pure et permanente, qui se pose devant lui ainsi qu'un monarque devant son serviteur et qui s'exprime, tantôt par la bouche des poètes, des législateurs et des devins, musa, nomos, numen; tantôt par l'acclamation populaire, Vox populi Vox Dei. [...]
Remarquons au surplus qu'en rapportant à la conscience vague, et pour ainsi dire objectivée d'une raison universelle, la première révélation de, la Divinité, nous ne préjugeons absolument rien sur la réalité même ou la non réalité de Dieu. En effet, admettons que Dieu ne soit autre chose que l'instinct collectif ou la raison universelle : reste encore à savoir ce qu'est en elle-même cette raison universelle. Car, comme nous le ferons voir par la suite, la raison universelle n'est point donnée dans la raison individuelle; en d'autres termes, la connaissance des lois sociales, ou la théorie des idées collectives, bien que déduite des concepts fondamentaux de la raison pure, est cependant tout empirique, et n'eût jamais été découverte a priori par voie de déduction, d'induction ou de synthèse. D'où il suit que la raison universelle est précisément, en langage moderne, ce que les anciens appelèrent Dieu. Le mot est changé : que savons-nous de la chose ?
Poursuivons maintenant les évolutions de l'idée divine.
L'Être suprême une fois posé par un premier jugement mystique, l'homme généralise immédiatement ce thème par un autre mysticisme, l'analogie. Dieu n'est, pour ainsi dire, encore qu'un point : tout à l'heure il remplira le monde.
De même qu'en sentant son moi social, l'homme avait salué son Auteur ; de même en découvrant du conseil et, de l'intention dans les animaux, les plantes, les fontaines, les météores, et dans tout l'univers, il attribue à chaque objet en particulier, et ensuite au tout, une âme, esprit ou génie qui y préside : poursuivant cette induction déifiante du sommet le plus élevé de la nature, qui est la société, aux existences les plus humbles, aux choses inani-mées et inorganiques. [...]
Ainsi, sans un Dieu, fabricateur souverain, l'univers et l'homme n'existeraient pas : telle est la profession de foi sociale. Mais aussi sans l'homme Dieu ne serait pas pensé, - franchissons cet intervalle, - Dieu ne serait rien. Si l'humanité a besoin d'un auteur, Dieu, les dieux, n'a pas moins besoin d'un révélateur : la, théogonie des histoires du ciel, de, l'enfer et de leurs habitants, ces rêves de la pensée humaine, sont la contre-partie de l'univers, que certains philosophes ont nommé en retour le rêve de Dieu. [...]
Descendons de cette région fantastique : l'impitoyable raison frappe à la porte ; il faut répondre à ses questions redoutables. Qu'est-ce que Dieu ? dit-elle. Mystère de Dieu et de la raison! Afin de rendre l'objet de son idolâtrie de plus en plus rationnel, le croyant le dépouille successivement de tout ce qui pourrait le faire réel ; et après des prodiges de logique et de génie, les attributs de l'Être par excellence se trouvent être les mêmes que ceux du néant. Cette évolution est inévitable et fatale : l'athéisme est au fond de toute théodicée.
Essayons de faire comprendre ce progrès.
L'esprit d'analyse, Satan infatigable qui interroge et contredit sans cesse, devait tôt ou tard chercher la preuve du dogmatisme religieux. Or, que le philosophe détermine l'idée de Dieu, ou qu'il la déclare indéterminable; qu'il l'approche de sa raison, ou qu'il l'en éloigne, je dis que cette idée souffre une atteinte. Donc le mouvement athéiste est le second acte du drame théologique, et ce second acte est donné par le premier, comme l'effet par la cause. Les cieux racontent la gloire de l'Éternel, dit le psalmiste; ajoutons : Et leur témoignage le détrône.
[...] Si je suis un esprit, un moi sensible et émettant des idées, continue le théiste, j'ai part aussi à l'existence absolue ; je suis libre, créateur, immortel, égal à Dieu. Cogito, ergo sum ; je pense, donc je suis immortel : voilà le corollaire, la traduction de l'Ego sum qui sum : la philosophie est d'accord avec la Bible. L'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme sont données par la conscience dans le même jugement : là, l'homme parle au nom de l'univers, au sein duquel il transporte son, moi; ici, il parle en son propre nom, sans s'apercevoir que, dans cette allée et cette venue, il ne fait que se répéter.
L'immortalité de l'âme, vraie scission de la divinité et qui, au moment de sa promulgation première, arrivée après un long intervalle, parut une hérésie aux fidèles du dogme antique, n'en fut pas moins considérée comme le complément de la majesté divine, le postulé nécessaire de la bonté et de la justice éternelles. [...]
En se faisant semblable à Dieu, l'homme faisait Dieu semblable à lui : cette corrélation, que pendant bien des siècles on eût qualifiée d'exécrable, fut l'invisible ressort qui détermina le nouveau mythe. Au temps des patriarches, Dieu faisait alliance avec l'homme; maintenant, et pour cimenter le pacte, Dieu va se faire homme. Il prendra notre chair, notre figure, nos passions, nos joies et nos peines, naîtra d'une femme et mourra comme nous. Puis, après cette humiliation de l'infini, l'homme prétendra encore avoir agrandi l'idéal de son Dieu, en faisant, par une version logique, de celui qu'il avait jusque-là nommé créateur, un conservateur, un rédempteur. L'humanité ne dit pas encore : C'est moi qui suis Dieu ; une telle usurpation ferait horreur à sa piété ; elle dit : Dieu est en moi. [...]
Lorsque Milton représente la première femme se mirant dans une fontaine et tendant avec amour les bras vers sa propre image comme pour l'embrasser, il peint trait pour trait le genre humain. Ce Dieu que tu adores, ô homme! ce Dieu que tu as fait bon, juste, tout-puissant, tout sage, immortel et saint, c'est toi-même , cet idéal de perfections est ton image, épurée au miroir ardent de ta conscience. Dieu, la nature et l'homme, sont le triple aspect de l'être un et identique; l'homme, c'est Dieu même arrivant à la conscience de soi par mille évolutions; en Jésus-Christ, l'homme s'est senti Dieu, et le christianisme est vraiment la religion de Dieu-homme. Il n'y a pas d'autre Dieu que celui qui, dès l'origine, a dit : Moi ; il n'y a pas d'autre Dieu que Toi.
Telles sont les dernières conclusions de la philosophie, qui expire en dévoilant le mystère de la religion et le sien.
II
Il semble dès lors que tout soit fini ; il semble que, l'humanité cessant de s'adorer et de se mystifier elle-même, le problème théologique soit écarté à jamais. Les dieux sont partis : l'homme n'a plus qu'à s'ennuyer et mourir dans son égoïsme. Quelle effrayante solitude s'étend autour de moi et se creuse au fond de mon âme ! Mon exaltation ressemble à l'anéantissement, et depuis que je me suis fait Dieu, je ne me vois plus que comme une ombre. Il est possible que je sois toujours un moi, mais il m'est bien difficile de me prendre pour l'absolu ; et si je ne suis pas l'absolu, je ne suis que la moitié d'une idée.
Un peu de philosophie éloigne de la religion, a dit je ne sais quel penseur ironique, et beaucoup de philosophie y ramène. - Cette observation est d'une vérité humiliante. [...]
On se tromperait donc, si l'on allait s'imaginer, après l'exposé rapide que j'ai fait des évolutions religieuses, que la métaphysique a dit son dernier mot sur la double énigme exprimée dans ces quatre mots : existence de Dieu, immortalité de l'âme. Ici, comme ailleurs, les conclusions les plus avancées et les mieux établies de la raison, celles qui paraissent avoir tranché à jamais la question théologique, nous ramènent au mysticisme primordial, et impliquent les données nouvelles d'une inévitable philosophie. [...] Le genre humain, au moment où j'écris, est à la veille de reconnaître et d'affirmer quelque chose qui équivaudra pour lui à l'antique notion de la Divinité; et cela, non plus comme autrefois par un mouvement spontané, mais avec réflexion et en vertu d'une dialectique invincible.
Je vais, en peu de mots, tâcher de me faire entendre.
S'il est un point sur lequel les philosophes, malgré qu'ils en eussent, aient fini par se mettre d'accord, c'est sans doute la distinction de l'intelligence et de la nécessité, du sujet de la pensée et de son objet, du moi et du non-moi; en termes vulgaires, de l'esprit et de la matière. [...]
Ainsi, qui pense, et qui est pensé ? Qu'est-ce qu'une âme, qu'est-ce qu'un corps ? je défie d'échapper à ce dualisme. [...]
Or, quiconque a pris la peine d'y réfléchir sait aujourd'hui qu'une semblable distinction, toute réalisée qu'elle soit, est ce que la raison peut rencontrer de plus inintelligible, de plus contradictoire, de plus absurde. L'être ne se conçoit pas plus sans les propriétés de l'esprit que sans les propriétés de la matière. [...] Force nous est donc de débuter par un dualisme dont nous savons parfaitement que les termes sont faux, mais qui, étant pour nous la condition du vrai, nous oblige invinciblement ; force, nous est, en un mot, de commencer avec Descartes et avec le genre humain par le moi, c'est-à-dire par l'esprit.
Mais depuis que les religions et les philosophies, dissoutes par l'analyse, sont venues se fondre dans la théorie de l'absolu, nous n'en savons pas mieux ce que c'est que l'esprit, et nous ne différons en cela des anciens que par la richesse de langage dont nous décorons l'obscurité qui nous assiège. Seulement, tandis que, pour les hommes d'autrefois, l'ordre accusait une intelligence hors du monde; pour les modernes, il semble plutôt l'accuser dans le monde. Or, qu'on la place dedans ou dehors, dès l'instant qu'on l'affirme en vertu de l'ordre, il faut l'admettre partout où l'ordre se manifeste, ou ne l'accorder nulle part. Il n'y a pas plus de raison d'attribuer de l'intelligence à la tête qui produisit l'Iliade qu'à une masse de matière qui cristallise les octaèdres; et réciproquement il est aussi absurde de rapporter le Système du monde à des lois physiques, sans tenir compte du moi ordonnateur, que d'attribuer la victoire de Marengo à des combinaisons stratégiques, sans tenir compte du premier consul. Toute la différence qu'on pourrait faire est que, dans ce dernier cas, le moi pensant est localisé dans le cerveau de Bonaparte; tandis que, par rapport à l'univers, le moi n'a pas de lieu spécial et se répand partout.
Les matérialistes ont cru avoir bon marché de l'opinion contraire, en disant que l'homme, ayant assimilé l'univers à son corps, acheva sa comparaison en prêtant à cet univers, une âme semblable à celle qu'il supposait être le principe de sa vie et de sa pensée ; qu'ainsi tous les arguments de l'existence de Dieu se réduisaient à une analogie d'autant plus fausse que le terme de comparaison était lui-même hypothétique.
[...] Or, qui ne voit que l'objection des matérialistes prouve précisément ce qu'elle a pour objet de nier ? L'homme distinguant en lui-même un principe spirituel et un principe matériel, qu'est-ce autre chose que la nature même, proclamant tour à tour sa double essence, et rendant témoignage de ses propres lois ? Et remarquons l'inconséquence du matérialisme: il nie, et il est forcé de nier que l'homme soit libre; or, moins l'homme a de liberté, plus son dire acquiert d'importance et doit être regardé comme l'expression de la vérité. Lorsque j'entends cette machine qui me dit : je suis âme et je suis corps; bien qu'une semblable révélation m'étonne et me confonde, elle revêt à mes yeux une autorité incomparablement plus grande que celle du matérialiste qui, corrigeant la conscience et la nature, entreprend de leur faire dire : je suis matière et rien que matière, et l'intelligence n'est que la faculté matérielle de connaître.
Que serait-ce si, prenant à mon tour l'offensive, je démontrais combien l'existence des corps, ou, en d'autres termes, la réalité d'une nature purement corporelle, est une opinion insoutenable ? - La matière, dit-on, est impénétrable. - Impénétrable à quoi ? demanderai-je. A elle-même sans doute ; car on n'oserait dire à l'esprit, puisque ce serait admettre ce que l'on veut écarter. Sur quoi j'élève cette double question : Qu'en savez-vous ? et qu'est-ce que cela signifie ?
[...] Ainsi, soit que la philosophie, après avoir renversé le dogmatisme théologique, spiritualise la matière ou matérialise la pensée, idéalise l'être ou réalise l'idée; soit qu'identifiant la substance et la cause, elle substitue partout la FORCE, toujours elle nous ramène à l'éternel dualisme, et, en nous sommant de croire à nous-mêmes, nous oblige à croire en Dieu, si ce n'est aux esprits. [...]
La philosophie, à sa dernière heure, ne sait donc rien de plus qu'à sa naissance : comme si elle n'eût paru dans le monde que pour vérifier le mot de Socrate, elle nous dit, en se couvrant solennellement de son drap mortuaire : Je sais que je ne sais rien. Que dis-je ? la philosophie sait aujourd'hui que tous ses jugements reposent sur deux hypothèses également fausses, également impossibles, et cependant également nécessaires et fatales, la matière et l'esprit. En sorte que, taudis qu'autrefois l'intolérance religieuse et les discordes philosophiques, répandant partout les ténèbres, excusaient le doute et invitaient à une insouciance libidineuse, le triomphe de la négation sur tous les points ne permet plus même ce doute ; la pensée, affranchie de toute entrave, mais vaincue par ses propres succès, est contrainte d'affirmer ce qui lui paraît clairement contradictoire et absurde. Les sauvages disent que le monde est un grand fétiche gardé par un grand manitou. Pendant trente siècles, les poètes, les législateurs et les sages de la civilisation, se transmettant d'âge en âge la lampe philosophique, n'ont rien écrit de plus sublime que cette profession de foi. Et voici qu'à la fin de cette longue conspiration contre Dieu, qui s'est appelée elle-même philosophie, la raison émancipée conclut comme la raison sauvage : L'univers est un non-moi, objectivé par un moi.
L'humanité suppose donc fatalement l'existence de Dieu : et si, pendant la longue période qui se clôt de notre temps, elle a cru à la réalité de son hypothèse, si elle en a adoré l'inconcevable objet, si, après s'être saisie dans cet acte de foi elle persiste sciemment, mais non plus librement, dans cette opinion d'un être souverain qu'elle sait n'être qu'une personnification de sa propre pensée ; si elle est à la veille de recommencer ses invocations magiques, il faut croire qu'une si étonnante hallucination cache quelque mystère, qui mérite d'être approfondi.
Je dis hallucination et mystère, mais sans que je prétende nier par là le contenu surhumain de l'idée de Dieu, comme aussi sans admettre la nécessité d'une nouvelle religion. Car s'il est indubitable que l'humanité, en affirmant Dieu ou tout ce que l'on voudra sous le nom de moi ou d'esprit, n'affirme qu'elle-même, on ne saurait nier non plus qu'elle s'affirme alors comme autre que ce qu'elle se connaît; cela résulte de toutes les mythologies comme de toutes les théodicées. [...]
C'est donc une démonstration scientifique, c'est-à-dire empirique, de l'idée de Dieu, qui reste à faire : or, cette démonstration n'a jamais été essayée. La théologie dogmatisant sur l'autorité de ses mythes, la philosophie spéculant à l'aide des catégories, Dieu est demeuré à l'état de conception transcendantale, c'est-à-dire inaccessible à la raison, et l'hypothèse subsiste toujours.
III
Il me reste à dire comment, dans un livre d'économie politique, j'ai dû partir de l'hypothèse fondamentale de toute philosophie.
Et d'abord, j'ai besoin de l'hypothèse de Dieu pour fonder l'autorité de la science sociale. [...] La philosophie sociale n'admet point a priori que l'humanité dans ses actes puisse ni tromper ni être trompée : sans cela, que deviendrait l'autorité du genre humain, c'est-à-dire l'autorité de la raison, synonyme au fond de la souveraineté du peuple ? Mais elle pense que les jugements humains, toujours vrais dans ce qu'ils ont d'actuel et d'immédiat, peuvent se compléter et s'éclairer successivement les uns les autres, à mesure de l'acquisition des idées, de manière à mettre toujours d'accord la raison générale avec la spéculation individuelle, et à étendre indéfiniment la sphère de la certitude : ce qui est toujours affirmer l'autorité des jugements humains.
Or, le premier jugement de la raison, le préambule de toute constitution politique, cher-chant une sanction et un principe, est nécessairement celui-ci : Il est un Dieu ; ce 'qui veut dire : la société est gouvernée avec conseil, préméditation, intelligence. Ce jugement, qui exclut le hasard, est donc ce qui fonde la possibilité d'une science sociale, et toute étude historique et positive des faits sociaux, entreprise dans un but d'amélioration et de progrès, doit supposer avec le peuple l'existence de Dieu, sauf à rendre compte plus tard de ce jugement.
Ainsi, l'histoire des sociétés n'est plus pour nous qu'une longue détermination de l'idée de Dieu, une révélation progressive de la destinée de l'homme. Et tandis que l'ancienne sagesse faisait tout dépendre de la notion arbitraire et fantastique de la Divinité, opprimant la raison et la conscience, et arrêtant le mouvement par la terreur d'un maître invisible ; - la nouvelle philosophie, renversant la méthode, brisant l'autorité de Dieu aussi bien que celle de l'homme, et n'acceptant d'autre joug que celui du fait et de l'évidence, fait tout converger vers l'hypothèse théologique, comme vers le dernier de ses problèmes.
L'athéisme humanitaire est donc le dernier terme de l'homme, par conséquent la dernière phase de la philosophie, servant de passage à la reconstruction ou vérification scientifique de tous les dogmes démolis. [...]
J'ai besoin de l'hypothèse de Dieu pour montrer le lien qui unit la civilisation à la nature.
En effet, cette hypothèse étonnante, par laquelle l'homme s'assimile à l'absolu, impliquant l'identité des lois de la nature et des lois de la raison, nous permet de voir dans l'industrie humaine le complément de l'opération créatrice, rend solidaire l'homme et le globe qu'il habite, et, dans les travaux d'exploitation de ce domaine où nous a placés la Providence, et qui devient ainsi en partie notre ouvrage, nous fait concevoir le principe et la fin de toutes choses. Si donc l'humanité n'est pas Dieu, elle continue Dieu ; ou, si l'on préfère un autre style, ce que l'humanité fait aujourd'hui avec réflexion, est la même chose que ce qu'elle a commencé d'instinct, et que la nature nous semble accomplir par nécessité. Dans tous ces cas, et quelque opinion qu'on choisisse, une chose demeure indubitable, l'unité d'action et de loi. Êtres intelligents, acteurs d'une fable conduite avec intelligence, nous pouvons hardiment conclure de nous à l'univers et à l'éternel, et, quand nous aurons définitivement organisé parmi nous le travail, dire avec orgueil : La création est expliquée.
Ainsi le champ d'exploration de la philosophie se trouve déterminé : la tradition est le point de départ de toute spéculation sur l'avenir; l'utopie est écartée à jamais; l'étude du moi, transporté de la conscience individuelle aux manifestations de la volonté sociale, acquiert le caractère d'objectivité dont elle avait été jusqu'alors privée; et, l'histoire devenant psychologie, la théologie anthropologie, les sciences naturelles métaphysique, la théorie de la raison se déduit, non plus de la vacuité de l'intellect, mais des innombrables formes d'une nature largement et directement observable.
J'ai besoin de l'hypothèse de Dieu pour témoigner de ma bonne volonté envers une multitude de sectes, dont je ne partage pas les opinions, mais dont je crains les rancunes : - théistes; je sais tel qui, pour la cause de Dieu, serait prêt à tirer l'épée, et, comme Robes-pierre, à faire jouer la guillotine jusqu'à la destruction du dernier athée, sans se douter que cet athée ce serait lui; mystiques, dont le parti, composé en grande partie d'étudiants et de femmes, marchant sous la bannière de MM. Lamennais, Quinet, Leroux et autres, a pris pour devise : Tel maître tel valet, tel Dieu tel peuple; et, pour régler le salaire d'un ouvrier, commence par restaurer la religion; - spiritualistes, qui, si je méconnaissais les droits de l'esprit, m'accuseraient de fonder le culte de la matière, contre lequel je proteste de toutes les forces de mon âme; - sensualistes et matérialistes, pour qui le dogme divin est le symbole de la contrainte et le principe de l'asservissement des passions, hors desquelles, disent-ils, il n'est pour l'homme ni plaisir, ni vertu, ni génie; - éclectiques et sceptiques, libraires-éditeurs de toutes les vieilles philosophies, mais eux-mêmes ne philosophant pas, coalisés en une vaste confrérie, avec approbation et privilège, contre quiconque pense, croit ou affirme sans leur permission; - conservateurs enfin, rétrogrades, égoïstes et hypocrites, prêchant l'amour de Dieu par haine du prochain, accusant depuis le déluge la liberté des malheurs du monde, et calomniant la raison par sentiment de leur sottise. [...]
Enfin j'ai besoin de l'hypothèse de Dieu pour expliquer la publication de ces nouveaux Mémoires.
Notre société se sent grosse d'événements et s'inquiète de l'avenir : comment rendre raison de ces pressentiments vagues avec le seul secours d'une raison universelle, immanente si l'on veut, et permanente, mais impersonnelle, et par conséquent muette ; - ou bien avec l'idée de nécessité, s'il implique que la nécessité se connaisse, et partant qu'elle ait des pressentiments ? Reste donc encore une fois l'hypothèse d'un agent ou incube qui presse la société, et lui donne des visions.
Or, quand la société prophétise, elle s'interroge par la bouche des uns, et se répond par la bouche des autres. Et sage alors qui sait écouter et comprendre, parce que Dieu même a parlé, quia locutus est Deus.
L'Académie des Sciences morales et politiques a proposé la question suivante :
Déterminer les laits généraux qui règlent les rapports des profits avec les salaires, et en expliquer les oscillations respectives.
Il y a quelques années, la même Académie demandait : Quelles sont les causes de la misère ? C'est qu'en effet le dix-neuvième siècle n'a qu'une pensée, qui est égalité et réforme. Mais l'esprit souffle où il veut : beaucoup se mirent à ruminer la question, personne ne répondit. Le collège des aruspices a donc renouvelé sa demande, mais en termes plus significatifs. Il veut savoir si l'ordre règne dans l'atelier; si les salaires sont équitables; si la liberté et le privilège se font une juste compensation; si la notion de valeur, qui domine tous les faits d'échange, est, dans les formes où l'ont rendue les économistes, suffisamment exacte; si le crédit protège le travail; si la circulation est régulière; si les charges de la société pèsent également sur tous, etc., etc.
Et, en effet, la misère ayant pour cause immédiate l'insuffisance du revenu, il convient de savoir comment, hors les cas de malheur et de mauvaise volonté, le revenu de l'ouvrier est insuffisant. C'est toujours la même question d'inégalité des fortunes qui fit tant de bruit il y a un siècle, et qui, par une fatalité étrange, se reproduit sans cesse dans les programmes académiques, comme si là était le véritable nud des temps modernes [...].
Je sais bien que les vues de l'Académie ne sont pas si profondes, et qu'elle a horreur des nouveautés à l'égal d'un concile; mais plus elle se tourne vers le passé, plus elle nous réfléchit l'avenir, plus par conséquent nous devons croire à son inspiration : car les vrais prophètes sont ceux qui ne comprennent pas ce qu'ils, annoncent. Écoutez plutôt :
Quelles sont, a dit l'Académie, les applications les plus utiles qu'on puisse faire du Principe de l'association volontaire et Privée au soulagement de la misère ?
Et encore :
Exposer la théorie et les principes du contrat d'assurance, en faire l'histoire, et déduire de la doctrine et des faits les développements que ce contrat peut recevoir, et les diverses applications utiles qui pourraient en être faites dans l'état de progrès où se trouvent actuellement notre commerce et notre industrie.
Lorsque, réunissant dans le même point de vue le sujet et l'objet, l'Académie demande, à côté d'une théorie de l'association des intérêts, une théorie de l'association volontaire, elle nous révèle ce que doit être la société la plus parfaite, et par là même elle affirme tout ce qu'il y a de plus contraire à ses convictions. Liberté, égalité, solidarité, association! Par quelle inconcevable méprise un corps si éminemment conservateur a-t-il proposé aux citoyens ce nouveau programme des droits de l'homme ? Ainsi Caïphe prophétisait la rédemption en reniant Jésus-Christ.
[Cependant], l'Académie a retiré sa question. Ainsi donc messieurs de l'Académie désavouent, dans la chambre de leurs séances, ce qu'ils ont annoncé sur le trépied! Une telle contradiction n'a rien qui m'étonne ; et Dieu me garde de leur en faire un crime. Les anciens croyaient que les révolutions s'annonçaient par des signes épouvantables, et qu'entre autres prodiges les animaux parlaient. C'était une figure, pour désigner ces idées soudaines et ces paroles étranges qui circulent tout à coup dans les masses aux instants de crises, et qui semblent privées de tous antécédents humains, tant elles s'écartent du cercle de la judiciaire commune. A l'époque où nous vivons, pareille chose ne pouvait manquer de se produire. [...] Sachons donc discerner les avis d'en haut d'avec les jugements intéressés des hommes et tenons pour certain que dans les discours des sages, cela est surtout indubitable, à quoi leur réflexion a eu le moins de part.
Toutefois l'Académie, en rompant si brusquement avec ses intuitions, semble avoir éprouvé quelque remords. En place d'une théorie de l'association à laquelle par réflexion elle ne croit plus, elle demande un Examen critique du système d'instruction et d'éducation de Pestalozzi, considéré Principalement dans ses rapports avec le bien-être et la moralité des classes pauvres. Qui sait ? peut-être que le rapport des profits et des salaires, l'association, l'organisation du travail, enfin, se trouvent. au fond du système d'enseignement. La vie de l'homme n'est-elle pas un perpétuel apprentissage ? La philosophie et la religion ne sont-elles pas l'éducation de l'humanité ? Organiser l'instruction, ce serait donc organiser l'industrie, et faire la théorie de la société : l'Académie, dans ses moments lucides, en revient toujours là.
Quelle influence, c'est encore l'Académie qui parle, les progrès et le goût du bien-être matériel exercent-ils sur la moralité d'un peuple ?
Prise dans le sens le plus apparent, cette nouvelle question de l'Académie est banale et propre tout au plus à exercer un rhéteur. Mais l'Académie, qui doit jusqu'à la fin ignorer le sens révolutionnaire de ses oracles, a levé le rideau dans sa glose. Qu'a-t-elle donc vu de si profond dans cette thèse épicurienne ?
« C'est, nous dit-elle, que le goût du luxe et des jouissances, l'amour singulier qu'en éprouve le plus grand nombre, la tendance des âmes et des intelligences à s'en préoccuper exclusivement, l'accord des particuliers ET DE L'ÉTAT pour en faire le mobile et le but de tous leurs projets, de tous leurs efforts et de tous leurs sacrifices, engendrent des sentiments généraux ou individuels qui, bienfaisants on nuisibles, deviennent des principes d'action plus puissants peut-être que ceux qui en d'autres temps ont dominé les hommes. »
Jamais plus belle occasion ne s'était offerte à des moralistes d'accuser le sensualisme du siècle, la vénalité des consciences, et la corruption érigée en moyen de gouvernement : au lieu de cela, que fait l'Académie des Sciences morales ? Avec le calme le plus automatique, elle institue une série où le luxe, si longtemps proscrit par les stoïciens et les ascètes, ces maîtres en sainteté, doit apparaître à son tour comme un principe de conduite aussi légitime, aussi pur et aussi grand que tous ceux invoqués jadis par la religion et la philosophie. Déterminez, nous dit-elle, les mobiles d'action (sans doute vieux maintenant et usés) auxquels succède providentiellement l'histoire de la VOLUPTÉ, et, d'après les résultats des premiers, calculez les effets de celle-ci. Prouvez, en un mot, qu'Aristippe n'a fait que devancer son siècle, et que sa morale devait avoir son triomphe, aussi bien que celle de Zénon et d'A-Kempis.
Donc, nous avons affaire à une société qui ne veut plus être pauvre, qui se moque de tout ce qui lui fut autrefois cher et sacré, la liberté, la religion et la gloire, tant qu'elle n'a pas la richesse ; qui, pour l'obtenir, subit tous les affronts, se rend complice de toutes les lâchetés : et cette soif ardente de plaisir, cette volonté irrésistible d'arriver au luxe, symptôme d'une nouvelle période dans la civilisation, est le commandement suprême en vertu duquel nous devons travailler à l'expulsion de la misère ! ainsi dit l'Académie. Que devient après cela le précepte de l'expiation et de l'abstinence, la morale du sacrifice, de la résignation et de l'heureuse médiocrité ? Quelle méfiance des dédommagements promis pour l'autre vie, et quel démenti à l'Évangile ! Mais surtout quelle justification d'un gouvernement qui a pris la clef d'or pour système! Comment des hommes religieux, des chrétiens, des Sénèque ont-ils proféré d'un seul coup tant de maximes immorales ?
On s'étonnera peut-être qu'après avoir, à l'instar des plus audacieux novateurs, mis en question tous les principes de l'ordre social, la religion, la famille, la propriété, la justice, l'Académie des Sciences morales et politiques n'ait pas aussi proposé ce problème : Quelle est la meilleure forme de gouvernement ? En effet, le gouvernement est pour la société la source d'où découle toute initiative, toute garantie, toute réforme. Il était donc intéressant de savoir si le gouvernement, tel qu'il se trouve formulé dans la Charte, suffisait à la solution pratique des questions de l'Académie. Mais ce serait mal connaître les oracles que de s'imaginer qu'ils procèdent par induction et analyse ; et précisément parce que le problème politique était une condition ou corollaire des démonstrations demandées, l'Académie ne pouvait le mettre au concours. Une telle conclusion lui aurait ouvert les yeux, et sans attendre les mémoires des concurrents, elle se serait empressée de supprimer tout entier son programme. L'Académie a repris la question de plus haut. Elle s'est dit !
Les oeuvres de Dieu sont belles de leur propre essence, justificata in semetipsa; elles sont vraies, en un mot, parce qu'elles sont de lui. Les pensées de l'homme ressemblent à d'épaisses vapeurs, traversées par de longs et minces éclairs. Qu'est-ce donc que la vérité par rapport à nous, et quel est le caractère de la certitude ?
Comme si l'Académie nous disait: Vous vérifierez l'hypothèse de votre existence, l'hypothèse de l'Académie qui vous interroge, l'hypothèse du temps, de l'espace, du mouvement, de la pensée et des lois de la pensée. Puis vous vérifierez l'hypothèse du paupérisme, l'hypothèse de l'inégalité des conditions, l'hypothèse de l'association universelle, l'hypothèse du bonheur, l'hypothèse de la monarchie et de la république, l'hypothèse d'une providence ! ...
C'est toute une critique de Dieu et du genre humain.
J'en atteste le programme de l'honorable compagnie : ce n'est pas moi qui ai posé les conditions de mon travail, c'est l'Académie des Sciences morales et politiques. Or, comment puis-je satisfaire à ces conditions, si je ne suis moi-même doué d'infaillibilité, en un mot si je ne suis Dieu ou devin ? L'Académie admet donc que la divinité et l'humanité sont identiques ; ou du moins corrélatives ; mais il s'agit de savoir en quoi consiste cette corrélation : tel est le sens du problème de la certitude, tel est le but, de la philosophie sociale.
Ainsi donc, au nom de la société que Dieu inspire, une Académie interroge.
Au nom de la même société, je suis l'un des voyants qui essaie de répondre. La tâche est immense et je ne promets pas de la remplir : j'irai jusqu'où Dieu me donnera. Mais, quel que soit mon discours, il ne vient point de moi: la pensée qui fait courir ma plume ne m'est pas personnelle, et rien de ce que j'écris ne m'est imputable. Je rapporterai les faits tels que je les aurai vus; je les jugerai sur ce que j'en aurai dit ; j'appellerai chaque chose de son nom le plus énergique, et nul ne pourra y trouver une offense. Je chercherai librement et d'après les règles de la divination que j'ai apprise, ce que nous vent le conseil divin qui s'exprime en ce moment par la bouche éloquente des sages, et par les vagissements inarticulés du peuple : et quand je nierais toutes les prérogatives consacrées par notre constitution, je ne serai point factieux. je montrerai du doigt où nous pousse l'invisible aiguillon ; et mon action ni mes paroles ne seront irritantes. Je provoquerai la nue, et quand j'en ferais tomber la foudre, je serais innocent. Dans cette enquête solennelle où l'Académie m'invite, j'ai plus que le droit de dire la vérité, j'ai le droit de dire ce que je pense : puissent ma pensée, mon expression et la vérité, n'être jamais qu'une seule et même chose !
Et vous, lecteur, car sans lecteur il n'est pas écrivain, vous êtes de moitié dans mon oeuvre. Sans vous, je ne suis qu'un airain sonore ; avec la faveur de votre attention, je dirai merveille. Voyez-vous ce tourbillon qui passe et qu'on appelle la SOCIÉTÉ duquel jaillissent avec un éclat si terrible, les éclairs, les tonnerres et les voix ? je veux vous faire toucher du doigt les ressorts cachés qui le meuvent ; mais il faut pour cela que vous vous réduisiez, sous mon commandement, à l'état de pure intelligence. [...]. Souffrez donc qu'avant de dérouler à vos yeux les feuillets du livre de vie, je prépare votre âme par cette purification sceptique, que réclamèrent de tous temps de leurs disciples les grands instituteurs des peuples, Socrate, Jésus-Christ, saint Paul, saint Rémi, Bacon, Descartes, Galilée, Kant, etc.
[...] Qu'aucune fantaisie politique ni religieuse ne retienne donc votre âme captive; c'est l'unique moyen aujourd'hui de n'être ni dupe ni renégat. Ah ! disais-je au temps de mon enthousiaste jeunesse, n'entendrai-je point sonner les secondes vêpres de la république, et nos prêtres, vêtus de blanches tuniques, chanter sur le mode dorien l'hymne du retour: Change, ô Dieu, notre servitude, comme le vent du désert en un souffle rafraîchissant!...
Mais j'ai désespéré des républicains, et je ne connais plus ni religion ni prêtres.
Je voudrais encore pour assurer tout à fait votre jugement, cher lecteur, vous rendre l'âme insensible à la pitié, supérieure à la vertu, indifférente au bonheur. Mais ce serait trop exiger d'un néophyte. Souvenez-vous seulement, et n'oubliez jamais, que la pitié, le bonheur, et la vertu, de même que la patrie, la religion et l'amour, sont des masques .....
(Dans un Premier chapitre que nous supprimons, Proudhon expose les doctrines qui se disputent le monde : l'économie politique (ou la routine) et le socialisme (ou l'utopie). Dans un tel conflit d'impuissances, la vérité se trouve dans la conciliation des deux méthodes antagonistes, soit : dans une formule qui, combinant Conservation et Mouvement, découvrirait les fondements de l'ordre et « la loi organique de l'humanité »).
Dernière mise à jour de cette page le samedi 4 novembre 200611:14
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cégep de Chicoutimi.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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