Toute sa vie, Etzer Vilaire a été pris par la question de la profondeur philosophique. Le printemps de son œuvre est pavé de textes nourris de cette veine ; ses écrits sont des imbrications où le temps a inscrit ses couleurs diverses et certaines traces d’une mémoire collective.
De cette profondeur philosophique cependant, Vilaire remonte à la surface avec une écriture où la trame du vécu haïtien se présente, vêtue d’un décor dramatique qui fait semblant de s’éloigner du décor local. La préoccupation principale, selon lui, se fixe sur l’universel. Or, paradoxalement, la trajectoire de Vilaire vers l’universel fait toujours escale sur le terrain d’une thématique du terroir. Une thématique qui se dissout dans la profondeur philosophique pour se transformer en éclats universels dans la pluralité de la poétique vilairienne. Et si Vilaire se plaint et évite le danger que représente « une poésie haïtienne qui se borne à la description de notre merveilleuse nature tropicale », toujours est-il que le souffle qui fait balancer les palmiers de son île souffle aussi, en filigrane, dans les espaces de son œuvre. Comme preuve, il n’est qu’à placer Les Dix hommes noirs dans l’optique d’une analyse sérieuse de la dramatique haïtienne pour remarquer que les reflets des malheurs du pays sont partout dans l’œuvre de Vilaire. Et quand on compare ce chef-d’œuvre à une œuvre d’un autre auteur de sa génération, on voit que, de ces textes malgré les rossignols qui mêlent leurs chants aux sons des tambours le plus haïtien n’est pas celui qu’on pense.
Le détour vers l’universel permet à Vilaire de contourner l’espace d’un folklorisme à bon marché (pour ne pas dire de la superficialité tout court) tout en lui permettant d’accéder au milieu des grands drames ancrés dans l’histoire de son pays.
Etzer Vilaire avait un grand ami. C’était son frère Jean-Joseph, lui aussi poète, qui était en plus son confident. C’est à lui qu’Etzer avait le premier confié les tourments que lui causait le plus grand chagrin d’amour de sa vie. Il avait dû rompre subitement les relations avec la femme dont la pensée occupait tout l’espace de son cœur. Dans son recueil Page d’amour, il a écrit pour elle des vers magnifiques où il expose les fibres de ses sentiments. C’était sa grande déception ! Il s’est marié des années plus tard à Ariane Cazeau et a eu d’elle onze enfants : six garçons et cinq filles.
Vilaire a aussi étudié le droit. Comme son père, il a été juge au Tribunal de Jérémie. C’est le poète George Sylvain, qui lors d’une tournée de conférences dans cette ville, découvre Vilaire et l’incite à se joindre aux écrivains de la Génération de La Ronde. L’œuvre de Vilaire connaît alors un grand succès à Port-au-Prince avant d’être lue à Paris où le recueil Nouveaux poèmes est couronné par l’Académie française en 1912. C’est la célébrité ; Vilaire se rend en France accompagné de Jean Price-Mars pour recevoir le prix. Le gouvernement de Borno fait appel à Vilaire qui déménage et se rend à la capitale. Là, on le retrouve Juge de Cassation au Tribunal de Port-au-Prince. Sa situation financière s’améliore : le salaire du Juge est supérieur à celui du professeur de français.
L’homme fait de la politique. Il se lie d’amitié avec l’intellectuel Jean Price-Mars dont il appuie la candidature au Sénat. Vilaire prend alors des positions, pose des actes où s’affirme son caractère inflexible. Il prend la défense d’un patriote qu’on accuse de délit contre le gouvernement et l’occupant américain. Son réquisitoire déchaîné contre ces protagonistes est la cause d’une arrestation immédiate. Le poète/avocat est en prison, mais sa fierté ne démord pas. Il faisait partie de cette génération d’Haïtiens chez qui l’honneur occupait une place importante. Vilaire retourne une fois de plus à Jérémie en 1926. La population de sa ville natale veut faire de lui un député.
Durant la période du triomphe des écrivains de l’Indigénisme haïtien dont les poètes empruntaient une voie opposée à celle tracée par Vilaire il est entré dans son cocon ; comme un ermite, il a pénétré dans la salle de sa solitude de créateur, avec tout de même la certitude que sa poésie intemporelle, pétrie de profondeur, trouverait à l’avenir des générations de lecteurs qui auront compris la justesse de son chant. Il est mort le 22 mai 1951. Il avait 79 ans.
Josaphat-Robert Large
Source du texte: île en île, Etzer Vilaire. [En ligne] Consulté le 12 mars 2019.
Source de la photo: Wikipédia, l'encyclopédie libre, Etzer Vilaire. [En ligne] Consulté le 12 mars 2019.
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