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Les atrocités allemandes en Pologne.
Témoignages et documents.
Avant-propos
Cette brochure, comme tant d’autres du même genre, a tous les inconvénients mais peut-être aussi les avantages d’une publication trop proche des événements. Elle repose sur des témoignages oculaires, des récits de réfugiés venant de toutes les parties de la Pologne, des officiers et des soldats de l’armée polonaise qui, après avoir franchi plusieurs frontières, ne cessent d’affluer en France, et de civils, hommes et femmes personnellement connus et dignes de confiance. Il est incontestable que l’indignation et la douleur qu’éprouvent les témoins assombrissent le tableau qu’ils ont peint des événements. Si poignant que soit ce frémissement devant la réalité, on a essayé de faire abstraction de tout ce qui pouvait éveiller le soupçon d’une exagération. Mais quand des dizaines de témoins concordent dans leur description, à tel point qu’une monotonie d’horreur s’en dégage, certains faits peuvent être considérés comme acquis. Par surcroît de prudence, on a tenu à recouper les souvenirs des Polonais par des informations de source allemande, des déclarations officielles, des reportages de la radio allemande, des descriptions de nazis, qui ont traversé la Pologne après la défaite, tous empreints d’un optimisme de commande, des articles des journaux nazis, qui ont reçu l’ordre de peindre le conquérant sous les traits d’un administrateur magnifiquement capable et infiniment bienveillant. Beaucoup de détails révoltants ont été écartés, s’ils ne se trouvaient pas corroborés par des sources nazies ; les cris des victimes ont été passés sous silence, quand les aveux des bourreaux faisaient défaut. Par crainte d’exagération ce petit récit pèche, peut-être, par un excès de prudence.
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Sa faiblesse fondamentale est l’impossibilité de citer les témoins. Ils ont tous, sans exception, laissé leur famille en Pologne. Ils ne parlent que quand ils sont sûrs de leur anonymat. Non seulement leurs noms ne pouvaient pas être publiés, mais même certaines précisions ont dû être passées sous silence, surtout s’il s’agissait de villages trop petits et d’événements trop saillants, qui auraient permis d’identifier leurs proches.
Dans ces conditions, la publication de cette brochure peut paraître prématurée, puisque le réquisitoire n’est pas complété et que les accusateurs ne peuvent pas élever la voix en public. Mais si on avait attendu, on serait tombé dans l’excès de précaution, dont le Livre blanc anglais est un exemple. Si ce témoignage officiel, construit avec des récits connus depuis longtemps, avait paru plus tôt, beaucoup plus tôt, des années avant que la guerre n’éclatât, la conscience du monde se fut révoltée dans tous les pays ; l’opinion des hésitants, des mal informés se seraient ralliée à la grande cause de la lutte pour la liberté et la dignité humaines. La réserve diplomatique, le désir de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures d’un pays, l’ont emporté sur les sursauts d’une indignation légitime. On a attendu jusqu’au jour où il a fallu trancher par la guerre, ce qu’on aurait peut-être pu éviter par une gigantesque croisade morale de réprobation universelle. On a oublié les enseignements que les enseignements que Hitler lui-même a donnés dans « Mein Kampf » : « L’emploi de la force physique toute seule, sans une force morale basée sur une conception spirituelle, ne peut jamais conduire à la destruction d’une idée ou à l’arrêt de sa propagation… » Et après avoir posé la question : « Est-il possible d’extirper avec l’épée une conception de l’esprit ? » il donne cette réponse : « à une condition : c’est que cette force matérielle soit au vice d’une idée ou conception philosophique nouvelle, allumant un nouveau flambeau. »
Ces phrases d’Hitler, expert à manier l’opinion publique, justifient cette publication précipitée. Aux foyers des incendies qui ont dévasté la Pologne, s’allumera peut-être la flamme d’une nouvelle solidarité du monde.
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Elle se dressera contre ceux qui viennent d’appliquer sous nos yeux un système de guerre renouvelé, avec une science féroce, des âges barbares : l’extermination d’un peuple. Guerre dont le principe veut qu’elle soit poursuivie impitoyablement après la victoire.
L’horrible guerre de Pologne continue.
Décembre 1939.
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