À SA MAJESTÉ POSTICHE THEODORE I,
ROI DE CORSE.
SIRE,
Votre Majesté me permettra-t-elle de lui offrir la traduction du second volume des Lettres Juives ? Je sçais qu'en ayant dédié le premier à un garçon libraire, vous trouverez peut-être extraordinaire que je mette un nom aussi auguste que le vôtre à la tête de celui-ci. Mais si vous vous rappelez, SIRE, qu'avant votre arrivée en Corse, vous étiez presque aussi inconnu que lui, vous me pardonnerez mon audace.
Quel malheur pour le peuple Hébraïque qu'il ne vous ait pas pris envie de vous faire roi de Jérusalem! Vous y auriez réussi sans doute aussi heureusement que dans l'entreprise qui vous rend le maître d'un bien qui appartient légitimement aux Génois. Quelle gloire pour tous les juifs, si vous aviez voulu jouer le personnage du Messie qu'ils attendent: & qu'il eût été heureux pour eux d'avoir à leur tête un aventurier aussi entreprenant que vous! Peut-être la difficulté d'y réussir vous a-t-elle empêché de prendre ce parti. Vous auriez cependant trouvé dans les juifs d'Amsterdam des ressources considérables. J'ose vous donner, SIRE, un conseil salutaire. Si vous êtes jamais chassé de Corse, faites-vous circoncire, & menez sur les bords du Jourdain un peuple qui n'attend qu'un libérateur. Mais si vous voulez regner sur le coeur des Hébreux, gouvernez-les plus doucement que vous ne faites les Corses. Les Israëlites n'aiment point à être arquebusés, & vous n'obtiendrez rien d'eux par la rigueur.
Il me paroît que vous n'imitez pas mal ceux qui firent la conquête du nouveau monde. Fernand Cortez traita les Mexicains comme vous traitez les Corses. En passant, dans vos voyages, en Espagne, auriez-vous pris le génie de ce général Espagnol? Souvenez-vous qu'il couvroit ses cruautés du prétexte de la différence de religion. Mais les peuples, chez qui vous commandez actuellement, sont catholiques, apostoliques & Romains. Peut-être imitez-vous le duc d'Albe. En ce cas, vous suivez, SIRE, un mauvais modéle. Il perdit la moitié des Pays-Bas, & sa cruauté n'a pas peu servi à y former la république de Hollande.
Croyez-moi donc, SIRE: Que VOTRE MAJESTE postiche prenne plutôt pour exemple un nombre de grands-hommes remplis de valeur & de fermeté, mais toujours prêts à pardonner. Henri IV, de qui VOTRE MAJESTE est aussi éloignée que S. Crépin l'est du bon Dieu, conquit son royaume, autant par la douceur que par les armes.
En imitant ce héros, vous attirerez après vous tous les coeurs. Les habitans de votre nouvel empire vous chériront, & les étrangers viendront, en foule vous offrir leurs services. Le comte de Bonneval quittera le turban pour venir être général de vos armées. Le baron de Polnitz reprendra le petit collet pour vous servir d'aumônier. Le duc de Riperda, abandonnant les intérêts du roi de Maroc, se chargera du ministère de votre état. Et je puis assurer VOTRE MAJESTE, que si je ne m'étois raccomodé depuis peu de jours avec ma famille, j'eusse accepté avec grand plaisir la place de votre chancelier. Mais vous ne manquerez pas d'illustres personnages pour la remplir; & je vous promets que j'aurai soin de m'informer de tous les gens qui pourroient mériter cet emploi, & d'en instruire exactement VOTRE MAJESTE.
Je suis avec un profond respect, SIRE, DE VOTRE MAJESTE POSTICHE,
Le très-humble & très obéissant serviteur,
Le traducteur des LETTRES JUIVES.
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