PRÉFACE
Comme j'achevois ce quatriéme volume, on m'a envoyé d'Amsterdam le XXIII. tome de la Bibliothéque Françoise, dans lequel j'ai trouvé une lettre, où sous prétexte de rapporter quelques faits concernant l'état des sciences en Espagne, on a vivement déclamé contre certain ouvrage qu'on n'a point nommé, mais qu'on a assez désigné pour connoître aisément qu'on veut parler des Lettres Juives.
J'avois d'abord résolu de ne point répondre à cette critique, dont l'auteur est généralement reconnu, soit dans le monde, soit dans la république des lettres, pour une espéce de fou, & pour une parfaite copie du fameux dom Quichotte. En effet, on sçait qu'il a pris une passion aussi romanesque pour la nation Espagnole, que celle du héros de la Manche pour son incomparable dulcinée.
Je ne me croyois donc point obligé de faire attention aux objections d'un pareil personnage; & j'aurois suivi mon premier mouvement, si je n'avois réfléchi dans la suite que cette impertinente lettre se trouvant insérée dans un journal où l'on voit quelquefois des choses assez curieuses & assez utiles, bien des gens pourroient se persuader que cette critique seroit de la main des journalistes. Je dirai donc un mot de quelques-unes des bévues dont ce ridicule écrit est rempli.
Le chevalier d'Ibérie prend d'abord la défense de tous les auteur qui sont critiqués dans les Lettres Juives. On doit lui pardonner d'être sensible à leur affront; car il y a bonne part. Aussi appelle-t-il au public de l'injustice qu'il croit qu'on lui a faite. Il traite d'ignorans, dit-il, des gens de lettres, qui ont mis le public en état de juger de leur érudition. Je réponds à cela, qu'il n'est rien de si faux que ce reproche, & je défie qu'on me nomme un auteur estimable, dont je n'aye pas fait l'éloge. Descartes, Gassendi, Bernier, Mallebranche, Bayle, Locke, s'Gravesande, Vitriarius, Boerhave, de Thou, Daniel, Pascal, Sirmond, Péteau, Lamy : enfin tous les sçavans, de quelque état, & de quelque religion qu'ils soient, catholiques ou protestans, jésuites ou jansénistes, m'ont été égaux. Dès qu'ils ont eu du mérite, je n'ai pas balancé à leur rendre justice. J'ai eu la même équité envers les auteurs qui n'ont écrit que sur des matières concernant la poësie & les romans. J'ai loué Corneille, Racine, Milton, Pope, Pétrarque, le Tasse, le Guarini, dom Lompès de Véga, Cervantes, Crébillon, Voltaire, Rousseau. Il est vrai qu'en accordant du génie à ce dernier, j'ai cru que je pouvois, & que je devois lui refuser ce qu'un arrêt solemnel du premier parlement de France lui avoit ôté.
Ce sont-là tous les bons auteurs dont j'ai parlé; & je continuerai d'avoir toujours pour leurs ouvrages une estime infinie. Quels sont donc ces écrivains que j'ai traités d'ignorans, & qui avoient mis le public en état de juger de leur érudition? Je comprends que le critique a voulu se désigner lui-même. Mais comment a-t-il pû se fourrer dans la cervelle, que, pour avoir copié trois pages du dictionnaire de Moréri, & trois autres de celui de Corneille, & les avoir cousues avec quelques morceaux de plusieurs autres livres, & avec les larcins qu'il a fait à Baudrand, dont il a presque entièrement volé le dictionnaire, il ait mérité le nom & la réputation de sçavant? Je passe aux autres griefs.
Il est étonnant, dit ce critique, qu'un homme qui a de la naissance, de l'éducation, de l'esprit, du bien & des charges honorables, quitte tout cela, & se dégrade jusqu'à la condition d'auteur. Ces louanges qu'on me donne sont des guirlandes dont on orne la victime; & je ne suis élevé si haut que pour en être précipité. Je répondrai, avant de quitter cet article, que quand il seroit vrai, que la fortune m'auroit placé dans un état brillant, je puis, sans honte l'abandonner, pour me livrer entièrement à l'étude de la philosophie; & pour jouir de la douce satisfaction que donnent les sciences à ceux qui les cultivent. A-t-on jamais fait un crime à la Roche-Foucault, à Montagne, à Malherbe, à Racan, à Bussy-Rabutin, de leurs ouvrages? Le fameux cardinal de Richelieu fut aussi porté à passer pour auteur qu'à détruire la monarchie d'Espagne. Sans doute, que le critique méprise ce cardinal, & qu'il doit lui trouver deux défauts bien essentiels. Je poursuis l'examen de ses reproches.
Il me range dans la classe des auteurs libertins qui n'écrivent que pour décrier leur propre religion, la vertu, le sçavoir & le mérite. Quant à ce qui regarde la vertu & la religion, j'ai assez montré dans les préfaces du premier & du second volumes, qu'il n'y avoit qu'un vrai calomniateur qui pût tenir un pareil langage: & pour ce qui concerne le peu de respect qu'il dit que j'ai pour les véritables sçavans, on vient de voit de quelle manière je me suis justifié. J'avoue, que, si le critique est un véritable sçavant, j'ai mal fait de condamner ses ouvrages: mais je laisse au public à décider si je suis coupable ou non.
Comme le censeur n'a point jugé à propos d'entrer dans aucun détail, & qu'il s'est simplement contenté de se répandre en invectives contre moi, & de louer excessivement un nombre de mauvais auteurs, il m'est impossible de lui répondre sur les défauts qu'il peut trouver dans cet ouvrage. J'examinerai donc seulement, avant de finir cette préface, quelques-uns des éloges qu'il a prodigués aux écrivains Espagnols; & je montrerai évidemment qu'il les a cent fois plus ravalés, par la façon dont il a voulu les élever, que n'auroit pû faire la plus outrageante critique. On peut très-bien lui appliquer cet égard ce beau passage de Tacite: Pessimum inimicorum genus laudantes.
Ce critique commence d'abord par établir la bonté, la beauté & la justesse du génie de la nation Espagnole, sur les oeuvres de sainte Thérèse, de Louis de Grenade, & du révérend pere Rodriguès. Il va ensuite jusqu'à m'insulter sur le doute où il est que ces livres me soient connus. J'ose lui dire qu'ils me le sont autant qu'à lui: a cela près, que j'en fais beaucoup moins de cas; & sur-tout de Rodriguès, dont j'ai lu quelques ouvrages assez mauvais traduits par un fort médiocre auteur, & si généralement méprisés, que Molière n'a pas craint de les tourner en ridicule, dans une de ses pièces. Je m'étonne que le critique ignore ce vers:
Elle lit Rodriguès, fait l'oraison mentale.
Peut-être est-ce en lui un oubli volontaire; car sur les choses qui regardent le théâtre, il doit se trouver en pays de connoissance.
Je viens aux poëtes dramatiques que le censeur a loués d'une manière si ridicule, que s'il avoit voulu les déchirer par une sanglante satyre, il n'auroit pû s'y prendre autrement. Voici les propres termes dont il se sert: Les auteurs dramatiques Espagnols ont long-tems été le magasin où les nôtres alloient se fournir. Scaron, Montfleury en sont des preuves. Peut-on rien dire d'aussi flétrissant pour la gloire des poëtes Espagnols, que de les faire inventeurs des plus misérables farces, & de leur donner pour disciples & pour imitateurs les plus vils & les plus mauvais de nos écrivains? Comment jugeroit-on de certains poëtes, si un homme écrivoit que Pradon avoit formé son goût sur leurs ouvrages? N'auroit-on pas raison de les regarder comme les excrémens de la république des lettres? Il faut avouer que le censeur ne sçait guère choisir ses louanges. Dieu me garde d'un tel panégyriste: j'aime encore mieux sa haine que son amitié. Pour lui faire connoître la différence qu'il y a entre les éloges que j'ai donnés aux bons écrivains Espagnols, & les sottises qu'il en a écrites, je mettrai ici ce que Jacob Brito dit de dom Lopès de Vega dans la CXVIII. lettre.
Cet auteur a fait de si excellentes comédies, que le grand Corneille assuroit qu'il auroit donné les deux meilleures de ses tragédies, pour avoir trouvé le caractère du Menteur. Tu sçais que c'est d'après la pièce de cet Espagnol que le poëte François a composé la sienne. Je laisse présentement à décider, lequel du critique ou de moi, a affecté de faire injure à la nation Espagnole. Mais il me sera encore plus aisé d'obtenir un jugement favorable, lorsqu'on verra le parallèle de ce que nous avons dit tous les deux des historiens Espagnols.
Le critique se contente de parler de l'histoire d'Arragon de Zurita, &c. & de l'histoire générale d'Espagne de Mariana. Par une bizarrerie inexprimable des deux auteurs qu'il cite, il en est un qui doit être en horreur à tous les gens de bien. Ce n'est pas que l'histoire de Mariana ne soit un bon livre. Mais il en a fait un autre [1] que le parlement de Paris a condamné au feu, & que les jésuites eux-mêmes,ont désavoué.
Il insinue dans cet ouvrage, qu'il est permis & même louable de tuer un roi hérétique ou tyran. Il loue excessivement le moine exécrable qui tua Henri III. & ne craint point de l'appeller l'honneur & la gloire de la France. Il faut avouer, que, puisque le critique ne vouloit citer que deux auteurs, il pouvoit bien éviter de parler de Mariana, ou du moins imiter mon exemple, & faire en même-tems mention de plusieurs autres. J'en transcrirai ici les noms, selon l'ordre où leurs éloges se trouvent dans la CXVIII. lettre. Antoine de Solis, Sandoval, Antoine de Herrera, dom Barthelemi de las Casas. Je n'ai point, non plus oublié de louer les auteurs des romans, & les poëtes qui méritent l'estime des connoisseurs, & j'ai fait les éloges de Michel de Cervantes, de Matheo Aleman, de dom Alonso de Hercilla, de Juan Rufo, de Christoval de Virvès, &c. On peut juger par le nombre de ces écrivains, si j'ai cherché à diminuer la gloire d'une nation pour augmenter celle d'une autre. Il est vrai que j'ai soutenu, & je le soutiens encore, que les Espagnols n'ont aucun philosophe; & qu'attendu l'inquisition, ils ne sçauroient en avoir. Mais l'univers entier n'est-il pas convaincu de cette vérité? Le censeur, il est vrai, ne veut point l'avouer. En preux & en incomparable chevalier, il soutient son opinion à tort & à travers. Véritable digne copie du héros de Cervantes, on ne peut vivre en paix avec lui, si l'on ne confesse purement & simplement, que les défauts de sa charmante dulcinée sont au-dessus des vertus des plus grandes princesses.
Pour donner plus de poids à son opinion, le critique s'appuye de l'autorité du pere Rapin, qui, dans ses réflexions sur la philosophie, a dit que les Espagnols excelloient en métaphysique. Mais cet auteur a écrit une sottise qui n'excuse nullement celle du censeur. En voici la preuve. Par l'éloge que fait ce jésuite de la physique & de la logique d'Aristote, on verra aisément si son sentiment doit être regardé comme décisif dans les matières de philosophie. Il ne parut rien, dit-il [2], de réglé & d'établi sur la logique & la bonne physique devant Aristote. Ce génie si plein de raison & d'intelligence, approfondit tellement l'abîme de l'esprit humain, qu'il en pénétra tous les ressorts, par la distinction exacte qu'il fit de ses opérations. On n'avoit point encore sondé ce vaste fond des pensées de l'homme, pour en connoître la profondeur. Aristote fut le premier qui découvrit cette nouvelle voie pour parvenir à la science par l'évidence de la démonstration, & pour aller géométriquement à la démonstration par l'infaillibilité du syllogisme, l'ouvrage le plus accompli, l'effort le plus grand de l'esprit humain.
Pour faire connoître l'impertinence & le ridicule de cet éloge, & de quelle espéce sont les livres de philosophie que le pere Rapin regarde comme des chefs-d'oeuvre, je me contenterai de citer ici un passage de Descartes, un autre de Mallebranche & un autre de Loke. Quiconque voudra être plus amplement persuadé de l'inutilité des ouvrages du philosophe Grec, pourra consulter l'illustre Gassendi dans ses exercitationes parradoxicae adversus Aristotelicos.
Je commence par transcrire le sentiment de Mallebranche [3]. Aristote...... ne raisonne presque jamais que sur les idées confuses que l'on reçoit par les sens, & sur d'autres idées vagues, générales & indéterminées, qui ne représentent rien de particulier à l'esprit. Car les termes ordinaires de ce philosophe ne peuvent servir qu'à exprimer confusément aux sens & à l'imagination les sentimens confus que l'on a des choses sensibles, ou à faire parler d'une manière si vague & si indéterminée, que l'on n'exprime rien de distinct.
Voici présentement Descartes,qui va parler. La logique de l'école...... n'est à proprement parler, qu'une dialectique, qui enseigne les moyens de faire entendre à autrui les choses qu'on sçait, ou même aussi de dire sans jugement plusieurs paroles touchant celles qu'on ne sçait pas. Ainsi elle corrompt le bon sens, plutôt qu'elle ne l'augmente. [4]
Je vais finir de réfuter le pere Rapin, par ce passage de M. Locke. Nous raisonnons, dit-il [5], beaucoup mieux, & plus clairement que nous observons seulement la connexion des preuves, sans réduire nos pensées en régle, ou en forme de syllogisme....... Dieu n'a pas été si peu libéral de ses faveurs envers les hommes, que, se contentant d'en faire des créatures à deux jambes, il ait laissé à Aristote le soin de les rendre des créatures raisonnables.
On peut voir maintenant quel fond l'on peut faire sur l'autorité du pere Rapin dans ce qui concerne les philosophes; & puisqu'il a prodigué des louanges à Aristote, il n'est pas fort surprenant qu'il ait loué les métaphysiciens Espagnols. C'étoit une suite nécessaire de sa façon de penser, tous ces métaphysiciens étant zélés sectateurs d'Aristote. Mais pour montrer l'ignorance ou la mauvaise foi du critique, s'il y a tant d'excellens philosophes & métaphysiciens en Espagne, d'où vient n'en nomme-t-il pas quelques-uns? C'est qu'il lui auroit été impossible de pouvoir le faire, ou qu'il eût augmenté le ridicule qu'il s'est déja si justement acquis.
Pour achever enfin la réponse que j'ai daigné faire à ses objections, je vais réfuter celle où il m'accuse d'affecter de décrier la nation Espagnole. Il est vrai que j'ai dit, & je le dis encore, qu'elle est fière, orgueilleuse, fainéante, superstitieuse, & soumise aux moines à l'excès. Mais en exposant ainsi ses défauts, ainsi que ceux des autres peuples dont j'ai parlé, j'ai rendu justice à ses vertus. Et sans rappeller tout ce que j'en ai écrit, je me contenterai de citer ici ce morceau de la CVI. lettre. Depuis le regne de Philippe V. le ministre d'Espagne a eu de très-habiles gens: mais les orages auxquels toutes les cours sont sujettes, les ont ôtés de leurs places. On vante sur-tout le cardinal Alberoni. Non-seulement les étrangers qui sont en grand nombre dans ce pays, mais même plusieurs Espagnols, rendent justice à cet habile ministre...... Depuis l'avenement de Philippe V. à la couronne, l'Espagne a réparé la moitié des maux dont elle avoit été accablée par des personnes qui avoient été chargées de la conduite des affaires sous les regnes de Philippe IV. & de Charles II. Ses troupes sont nombreuses, bonnes & bien disciplinées. Elle s'est repeuplée d'un quart plus qu'elle n'étoit, par le grand nombre de François & de Flamands qui s'y sont établis: & cette couronne, qui depuis un tems n'avoit plus rien de redoutable, tient actuellement le rang respectable qu'elle occupoit autrefois.
En voilà assez, je crois, pour faire connoître la folie, l'ignorance & la mauvaise foi du prétendu chevalier d'Ibérie, car je ne répondrai point aux invectives & aux injures grossières qu'il me dit à la fin de sa lettre. A Dieu ne plaise que j'autorise jamais l'indigne coutume d'introduire sur le Parnasse le langage des halles. L'esprit seul est membre de la république des lettres, & le corps n'y a aucune part. Sans cela, dans quel embarras ne tomberoit-on pas quelquefois sur le rang qu'on y donneroit à certains personnages? Où placeroit-on, par exemple, un homme, qui après avoir été danseur de corde, baladin & comédien pendant sa jeunesse, auroit dans sa vieillesse épousé consécutivement deux chambrières de comédiennes, & une gardeuse de dindons devenue servante de cabarets, & qui pis est, la sienne? Je suis certain que le critique m'avouera, que si l'individu personnel étoit membre de la république des lettres, il seroit bien difficile de sçavoir où placer cet original.
Avant de finir cette préface, je dirai un mot des traductions qu'on a faites des Lettres Juives. Deux différentes personnes les ont trouvées assez bonnes pour vouloir les insérer dans deux ouvrages périodiques qui paroissent à Londres. Le premier est intitulé: Gentelman's Magazine, & l'autre Fog's Weekly Journal. Je ne sçaurois que me louer de ces traductions: elles sont fort bonnes; & font honneur à l'original. Mais je ne puis m'empêcher d'avouer, que j'ai vû avec quelque peine qu'un de ces deux traducteurs [6], affectoit quelquefois de changer le titre de certaines lettres, & de substituer la qualification de monsieur au nom de Jacob Brito, ou d'Aaron Monceca, ensorte qu'il devenoit incertain si ces lettres étoient originales ou traduites: & je remarquerai en passant, que ce n'est pas aux plus mauvaises qu'il a fait une semblable soustraction.
La LXXIV. est dans le cas de celles dont je parle. Elle commence par ces mots: La première lettre que je t'ai écrite d'Egypte, doit t'avoir donné une idée des ruines d'Alexandrie, &c. c'est-à-dire en Anglois, The last letter I wrote from Egypt gave an idea of the ruins of Alexandria, &c. [7].
Comme une pareille conduite est condamnable par toutes les loix établies dans la république des lettres, je signifie dès aujourd'hui à ce traducteur, que s'il continue à faire de pareilles soustractions Normandes & ambiguës, je me pourvoirai pardevant le tribunal de nosseigneurs les journalistes, afin que par eux justice soit rendue; & qu'il soit expressément enjoint audit traducteur de rendre à chacun ce qui lui appartient. Mais j'espère qu'il ne m'obligera point à avoir aucun procès avec lui & qu'il imitera dorénavant la bonne foi de son confrère, qui n'use point de ces suppressions de titres, lesquels, en matiere de belles-lettres, sont des demi-larcins.
Au reste, je le remercie de la façon élégante & précise avec laquelle il a traduit mes lettres. Je lui dois même un compliment particulier pour la lettre qui commence ainsi: J'ai couru, mon cher Brito, un des plus grands dangers que j'essuierai de ma vie. [8]
Il a eu la bonté de ne point changer le titre de celle-là, & de ne point substituer la qualité de monsieur au nom de Brito. Lorsque je songe que j'ai déja été injurié par quelques auteurs, & pillé par quelques autres, peu s'en faut que je ne croie être devenu un personnage important dans la république des lettres.
Je passe à une autre traduction, qui va, dit-on, bientôt paroître. Elle est en Hollandois, & le manuscrit en est actuellement entre les mains d'un libraire. (2) Je ne l'ai point vûe, & quand j'aurois été à même de la voir, je n'en aurois pû juger, n'entendant point cette langue. Mais une personne qui en connoît tous les avantages, m'a assuré que je ne devois point me plaindre de la façon dont mes lettres étoient rendues, n'ayant rien perdu entre les mains du traducteur. C'est tout ce que je sçais de cet ouvrage, dont l'auteur ne m'est nullement connu.
[(2) Elle a paru depuis cette Préface, & a été imprimée à la Haye, chez Isaac van der Kloot. L'auteur de cette traduction m'a fait l'honneur de me la dédier sous ce titre Aan den zeer geleerden schranderen en wakkeren Schryver der LETTRES JUIVES. Je suis charmé de trouver ici l'occasion de lui témoigner publiquement ma reconnoissance, & de le remercier d'avoir jugé à propos de faire connoître mes lettres à une nation que j'estime infiniment.]
On m'a aussi écrit d'Allemagne, qu'on y avoit déja traduit en Allemand les deux premiers volumes des Lettres Juives. Mais il me seroit aussi impossible de juger d'une traduction Allemande que d'une Hollandoise.
Enfin, quelque chose d'incomparablement plus singulier que tout cela, c'est qu'on m'a mandé, qu'elles avoient été réimprimées à Avignon, & qu'on y en avoit déja vû deux volumes, mais misérablement tronqués & défigurés, conformément au sort ordinaire de toute édition contrefaite en terre papale.
[1] De rege & regis institutione.
[2] Rapin, réflexion sur la logique, num. IV. Pag. 373-374.
[3] Mallebranche, recherche de la vérité, liv. 5. chap. 2. pag. 388.
[4] Descartes, principe de la philosophie. Préface.
[5] Essai sur l'entendement humain, liv. 4, chap. 17. pag. 868.
[6] L'auteur du Fog's Weekly Journal.
[7] Voyez le num. 417 du Fog's Weekly Journal.
[8] En Anglois, I have undergone, dear Brito, one of the great dangers, &c. Fog's Weekly Journal, July 31, 1737.
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