Introduction
Comme chacun sait, les formules que donne Marx dans le Livre I du Capital ont déjà été distribuées sous forme polycopiée ; il en sera bientôt de même pour celles du début du Livre II. Un exposé préliminaire en a été fait à la réunion de Parme [1] où on a cherché à accorder le symbolisme au système de notation adopté dans la première partie des « Eléments d’économie marxiste » (publiés dans Prometeo, série du second après-guerre, puis dans Programme communiste).
Dans ces colonnes, nous n’allons pas reproduire la partie algébrique dont nous avons traité à la réunion, mais il nous paraît utile d’exposer à nouveau quelques uns des concepts fondamentaux sur lesquels s’est arrêté le rapporteur, ceux-ci étant très utiles pour introduire au traitement des questions concernant l’accumulation du capital.
Dans le livre I, on sait que Marx traite du « procès de production du capital ». Le thème n’en est donc pas la production de marchandises ou de biens de consommation étudiée dans son fonctionnement propre à l’époque historique du capitalisme manufacturier et industriel. Un tel intitulé laisserait supposer que la société bourgeoise aurait pour moteur ou finalité la satisfaction des besoins humains et, pour ce faire, aurait construit une certaine machinerie sociale de production. Ceci serait aussi naïf et insuffisant qu’invalidé pour cause d’influence des fausses doctrines des apologistes du capital que l’œuvre entière de Marx a pour effet de démolir.
Pour affirmer que le moteur du mécanisme social de classe propre à la bourgeoisie est la production de capital et non de marchandises, Marx choisit rigoureusement son titre qui aurait bien pu être : procès de production de survaleur [2] dans la forme capitaliste. Dans ces préliminaires si fondamentaux est déjà contenue la thèse suivante : pour produire des objets visant à la satisfaction des besoins humains, il ne doit plus être nécessaire de produire du capital, de la survaleur ni de la « valeur » tout court, c’est-à-dire des « marchandises ». Nous avons là, déjà, les bases des proclamations qui, aujourd’hui, si longtemps après la rédaction de ces pages, sont au centre de la lutte que nous menons : on ne sort de l’économie bourgeoise-capitaliste qu’en sortant de l’économie marchande. Tout le cours immense de l’économie russe, de la guerre civile à nos jours, sur une période de plus de trente ans, n’est qu’un cycle historique initial de production de capital et de survaleur où il n’y a pas une miette de socialisme.
Le Livre II du Capital traite du « procès de circulation du capital » ; à nouveau il n’est donc pas question de « circulation des marchandises dans la forme historique capitaliste ». Quatre-vingt-dix neuf pour cent des modernisateurs de Marx n’ont pas saisi que depuis quatre-vingts ans nous sommes à jamais sortis, en sautant le pas de manière aussi révolutionnaire qu’historiquement irréversible, de la vaine opposition sur laquelle sont édifiées les doctrines économiques bourgeoises qui traitent de la production et de la circulation comme de domaines séparés.
Aux yeux du bourgeois, du philistin académique et du traître au marxisme hier révisionniste, aujourd’hui « enrichisseur » - le capital est sujet actif dans la production et la marchandise objet passif, tandis que dans la circulation les marchandises forniquent entre elles dans tous les azimuts suivant la loi de l’échange d’équivalents ; pour nous marxistes révolutionnaires, marché et capital sont des monstres à exterminer. Où survit le premier prospère le second, abject hermaphrodite, passif et actif, s’engendrant sans cesse lui-même à partir de lui-même, en un procès obscène.
[1] Réunion de Parme, septembre 1958 : « La théorie de la fonction primordiale du parti politique, seul gardien et sauvegarde de l’énergie historique du prolétariat. »
[2] Mehrwert. Nous ne conservons la traduction de ce terme par plus-value que dans les passages de la traduction Molitor de Marx à laquelle Bordiga se réfère.
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