« Ce n'est que rarement qu'il surgit parmi les peuples de ces âmes puissantes et droites, assez clairvoyantes pour voir la vérité et assez fortes pour l'imposer. » 

ERROL BOUCHETTE 

Errol Bouchette fut l'un des principaux penseurs économiques que le Québec ait comptés. Au début du vingtième siècle, il repose les questions économiques qu'Étienne Parent avait soulevées quelques décennies auparavant. Le Québec doit-il s'industrialiser ou s'ancrer dans l'agriculture ? Que faire des ressources naturelles et énergétiques du Québec que le monde industriel américain réclame ? Doit-on abandonner l'industrie et le commerce aux intérêts anglo-canadiens ou plutôt, dans les termes mêmes d'Étienne Parent, devenir « maîtres chez nous » ? Le Gouvernement du Québec doit-il se doter d'une politique industrielle cohérente ? Comment peut-il stimuler l'accumulation du capital industriel et transformer l'épargne en crédit industriel ? ... 

Dès sa première publication dans la Revue canadienne, l'ouvrage d'Errol Bouchette sur L'Indépendance économique du Canada français suscita un mouvement dans l'opinion publique car on s'aperçut que les philosophies et les idéologies qui dominaient alors au Québec ne cadraient plus avec la réalité de l'évolution économique nord-américaine. Publie sous forme de livre en 1906, l'ouvrage devint un des premiers instruments québécois d'éducation économique dans les collèges. On discuta de son contenu dans les journaux et on en fit état à l'Assemblée Nationale du temps à propos de l'établissement des écoles forestières et de l'Ecole des Hautes Études Commerciales.

Or, les problèmes et les dilemmes que soulève Errol Bouchette ne sont guère différents de ceux auxquels le Québec doit faire face aujourd'hui. La réalité économique a évolué, le Québec est aussi plus fort et mieux équipe, sa population plus instruite et plus urbanisée ; néanmoins, de nombreuses forces économiques, démographiques et politiques travaillent présentement contre le Québec et l'analyse des faits S'impose lorsque l'on veut juger de la pertinence des idéologies et élaborer des plans d'action. 

C'est pourquoi l'introduction à cette réédition du livre d'Errol Bouchette est davantage axée sur le présent et l'avenir que sur le passé. Les choses sont trop complexes et le passé trop éloigné pour que l'on puisse établir si les prescriptions d'Errol Bouchette cadraient bien avec la réalité québécoise de son époque. Trois quarts de siècle plus tard, cependant, il est exaltant de pouvoir réinterpréter le jeu dialectique d'Errol Bouchette à la lumière des réalités présentes. Il en résulte un dialogue salutaire qui permettra, nous l'espérons, de réduire le retard inévitable des idéologies sur les faits. 

Rodrigue TREMBLAY