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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Essai sur le régime des castes. (1935)
Introduction: Essence et réalité du régime des castes. I
Une édition électronique réalisée à partir du livre Célestin Bouglé (1870-1940), Essai sur le régime des castes (1935). Paris : Les Presses universitaires de France. Texte de la 4e édition, 1935. Paris, réédition de la 4e édition, 1968, 216 pp. Première édition, 1908. Collection: Bibliothèque de sociologie contemporaine. Une édition numérique réalisée par notre inlassable bénévole qui fait un travail exceptionnel, Marcelle Bergeron, professeure retraitée de l'école polyvalente Dominique-Racine de Chicoutimi.
Introduction: Essence et réalité du régime des castes par Célestin Bouglé
Le régime des castes est-il un phénomène universel, commun à toutes les civilisations, ou un phénomène unique, particulier à l'Inde ? Et quelle parenté relie ce régime aux formes sociales analogues, à la ghilde, au clan, à la classe ?
Pour délimiter le champ de notre recherche, c'est à ces questions qu'il nous faut répondre d'abord.
I Définition du régime des castes
L'abbé Dubois, dans ses précieuses observations sur les Murs, institutions et cérémonies du peuple de l'Inde [note 1], s'efforçait d'établir que la division en castes était commune à la plupart des anciennes nations. De même Max Müller, dans son article sur la caste [note 2], démontrait l'universalité des différences ethniques, des oppositions politiques, des spécialisations professionnelles sur lesquelles, suivant lui, repose tout le régime. « L'antipathie entre le Saxon et le Celte, entre la noblesse et la bourgeoisie, la distinction du financier et du savetier, tout cela existe encore, et semble presque indispensable au développement normal de toute société. » Des indications analogues ne manquent pas dans les ouvrages plus récents. « C'est une grave erreur, dit W. Crooke, que de croire que la caste est particulière à l'Inde et liée d'une manière intime à la religion hindoue » [note 3]. Il n'est pas rare que les voyageurs, en décrivant les usages hindous, les rapprochent de leurs équivalents européens : ils rappellent qu'entre la répugnance du brahmane pour le paria et la répugnance du lord pour le balayeur, il n'y a pas de différence de nature [note 4].
Inversement, l'auteur dont les réflexions ont le plus puissamment contribué à renouveler tout le problème, M. Senart [note 5], insiste sur l'idée que la caste est un phénomène essentiellement hindou ; cette idée est le pivot de son argumentation. En présentant ses recherches sur l'ethnographie du Bengale [note 6], M. Risley mettait de même en évidence l'originalité des subdivisions de la société hindoue.
Entre ces affirmations contraires comment opter ? Le choix dépendra naturellement de la façon dont on définira le régime en question. La Révolution est-elle socialiste ? Les sociétés primitives sont-elles égalitaires ? La réponse tient à l'idée qu'on se fait du socialisme et de l'égalitarisme. Faute de définition préalable, la discussion tournera sans fin. Force nous est donc de commencer par construire la notion du régime des castes.
Si nous consultons l'usage courant, le mot de caste semble éveiller d'abord lidée d'une spécialisation héréditaire. Le fils du forgeron sera forgeron, comme le fils du guerrier sera guerrier. Pour la répartition des tâches il sera tenu compte, non des vux exprimés ou des aptitudes manifestées par l'individu, mais seulement de sa filiation. Race et métier sont accouplés. Nul autre que le fils ne peut continuer la profession du père, et le fils ne peut choisir d'autre profession que celle de son père. Les professions sont pour les familles comme autant de monopoles obligatoires ; l'exercice en est pour les enfants non seulement un droit, mais un devoir de naissance. Il faut que cet esprit règne dans une société pour que nous disions qu'elle est soumise au régime des castes.
Mais cela suffit-il ? Il faut en outre, à ce qu'il nous semble, que nous distinguions dans cette société des niveaux, des étages, une hiérarchie. Le mot de caste ne fait pas seulement penser aux travaux héréditairement divisés, mais aux droits inégalement répartis. Qui dit caste ne dit pas seulement monopole, mais privilège. Par le fait de sa naissance, tel individu paie de lourds impôts ; tel autre y est soustrait. Devant la justice celui-ci « vaut » cent sous d'or, celui-là cinquante. L'anneau d'or, la robe rouge ou le cordon jaune que porte l'un sont rigoureusement interdits à l'autre. Leur « statut » personnel est déterminé, pour la vie, par le rang du groupe auquel ils appartiennent. On dira que ces inégalités sont l'uvre du régime des castes.
Un autre élément nous paraît nécessaire à sa définition. Quand nous déclarons que l'esprit de caste règne dans une société, nous entendons que les différents groupes dont cette société est composée se repoussent au lieu de s'attirer, que chacun d'eux se replie sur lui-même, s'isole, fait effort pour empêcher ses membres de contracter alliance, ou même d'entrer en relation avec les membres des groupes voisins. Un homme refuse systématiquement de chercher femme en dehors de son cercle traditionnel ; bien plus, il repousse tout aliment préparé par d'autres que par ses congénères ; le seul contact des « étrangers », pense-t-il, est quelque chose d'impur et de dégradant. Cet homme obéit à l' « esprit de caste ». Horreur des mésalliances, crainte des contacts impurs, répulsion à l'égard de tous ceux dont on n'est pas parent, tels nous paraissent être les signes caractéristiques de cet esprit. Il nous semble fait pour émietter les sociétés qu'il pénètre ; il les partage non seulement en quelques couches superposées, mais en une multitude de fragments opposés ; il dresse leurs groupes élémentaires les uns en face des autres, séparés par une répulsion mutuelle.
Répulsion, hiérarchie, spécialisation héréditaire, l'esprit de caste réunit ces trois tendances. Il faut les retenir toutes trois si l'on veut obtenir une définition complète du régime des castes. Nous dirons qu'une société est soumise à ce régime si elle est divisée en un grand nombre de groupes héréditairement spécialisés, hiérarchiquement superposés, et mutuellement opposés si elle ne tolère en principe ni parvenus, ni métis, ni transfuges de la profession si elle s'oppose à la fois aux mélanges de sangs, aux conquêtes de rangs et aux changements de métiers.
Que cette définition ne fasse pas violence à l'usage courant du mot, on s'en rendra compte, si on la rapproche d'un certain nombre de définitions reçues. La plupart mettent en évidence la liaison de l'idée de caste avec l'idée de spécialisation héréditaire. « La caste est essentiellement héréditaire, dit Guizot [note 7]: c'est la transmission de la même situation, du même pouvoir de père en fils. Là où il n'y a pas d'hérédité, il n'y a pas de caste. » Suivant Ampère [note 8], trois conditions sont essentielles à l'existence d'une caste : « S'abstenir de certaines professions qui lui sont étrangères, se préserver de toute alliance en dehors de la caste, continuer la profession qu'on a reçue de ses pères. »
À la répartition héréditaire des métiers, on ajoute souvent, pour définir le régime des castes, l'inégalité des droits. Le régime des castes, d'après James Mill [note 9], c'est « la classification et la distribution des membres d'une communauté en un certain nombre de classes ou d'ordres pour l'accomplissement de certaines fonctions, les uns devant jouir de certains privilèges, et les autres supporter certaines charges ». « Trois éléments constituent la caste, dit Burnouf [note 10]; le partage des fonctions entre les hommes, leur transmission héréditaire et la hiérarchie. »
D'autres définitions posent comme essentiel au régime des castes cet esprit de division que nous notions en troisième lieu. « La caste, d'après Senart [note 11], est un organisme de sa nature circonscrit et séparatiste. La classe et la caste ne se correspondent ni par l'étendue, ni par les caractères, ni par les tendances natives. Chacune, parmi les castes mêmes qui se rattachent à une seule classe, est nettement distinguée de ses congénères ; elle s'en isole avec une âpreté que ne désarme aucun souci d'une unité supérieure. La classe sert des ambitions politiques ; la caste obéit à des scrupules étroits, à des coutumes traditionnelles, tout au plus à certaines influences locales, qui n'ont d'ordinaire aucun rapport avec les intérêts de classe. Avant tout, la caste s'attache à sauvegarder une intégrité dont la préoccupation se montre ombrageuse jusque chez les plus humbles. » « Au point de vue social et politique, lit-on dans un rapport anglais [note 12], la caste c'est la division, l'envie, la haine, la jalousie, la défiance entre voisins. »
La plupart de ces définitions n'ont qu'un défaut, qui est leur étroitesse. Elles mettent en lumière l'un ou l'autre des aspects du régime à définir ; mais aucun d'eux ne doit être laissé dans l'ombre. C'est en tenant sous les yeux les trois éléments constitutifs de la caste qu'il nous faut rechercher à quelles civilisations elle s'est imposée, et avec quelles formes sociales elle est apparentée.
Notes :
1 Paris, Martin, 1825, pp. 26, 46. 2 Essais de mythologie comparée, trad. PERROT, Paris, Didier, 1873, pp. 70-373. 3 The Tribes and Castes of the N. W. Provinces and Oudh, Calcutta, 1896, p. XVI. 4 WILKINS, Modern Hinduism, Religion and Life of Hindus in North India, Londres, Unwin, 1887, pp. 163-164. De LANOYE, L'Inde contemporaine, Paris, Hachette, 1855, p. 32. 5 Les castes dans l'Inde. Les faits et le système, Paris, Leroux, 1896, p. 257. 6 The Tribes and Castes of Bengal, Calcutta, 1896, p. XXI sqq. 7 La civilisation en Europe, Paris, Didier, 1882, p. 138. 8 Comptes rendus de l'Acad. des Inscrip., 1848, cités par REVILLOUT, Droit Égyptien, Paris, Leroux, 1884, I, p. 132 sqq. 9 Voir le Ve Supplément de l'Encyclopédie britannique, art. « Caste ». 10 Essai sur le Véda, ou Étude sur les religions, la littérature et la constitution sociale de l'Inde, Paris, Dezobry, 1863, p. 218. 11 Op. cit., pp. 158, 180. 12 Cité Par SCHLAGINTWEIT, Zeitschrift der Deutschen morgenländischen Gesellschaft, Bd. XXXIII, p. 587. SHERRING insiste sur ce même trait, Hindu Tribes and Castes, Calcutta, 1879, III, pp. 218, 235.
Dernière mise à jour de cette page le mardi 30 janvier 20076:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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