Émile BRÉHIER, LA PHILOSOPHIE DU MOYEN AGE


 

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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Émile BRÉHIER, LA PHILOSOPHIE DU MOYEN AGE. (1949)
Introduction


Une édition numérique réalisée à partir du livre d’Émile BRÉHIER, LA PHILOSOPHIE DU MOYEN AGE. Paris: Les Éditions Albin Michel, 1949, 470 pp. Nouvelle édition corrigée, mis à jour et augmentée d'un appendice. Collection: L'évolution de l'humanité. Une édition numérique réalisée par Jean-Marc Simonet, professeur retraité de l'enseignement, Université de Paris XI-Orsay, bénévole.

Introduction


Le Moyen Age est l’époque, à limites assez indéterminées, qui s’écoule entre la dissolution de l’Empire d’Occident et la formation des États modernes [1]. Cet intervalle de temps, qui va du VIe siècle environ jusqu’à la Réforme, a vu naître des efforts considérables pour réaliser l’unité politique et religieuse de l’Occident : empire de Charlemagne, saint empire romain germanique, papauté, union de tous les peuples chrétiens dans les expéditions des croisades, telles en sont les grandes manifestations.

Au point de vue de l’histoire des idées, les limites du Moyen Age sont assez bien marquées par la circonstance suivante : c’est l’époque où, en Occident tout au moins, toute l’initiative intellectuelle revient à l’Église ; seule héritière des anciennes écoles, elle enseigne, autant que cela lui paraît exigé ou permis par sa fin surnaturelle, la philosophie et les sciences dans les monastères, les écoles-cathédrales et les universités. Le Moyen Age commence au VIe siècle, après les grandes synthèses néo-platoniciennes p002 orientales des païens Plotin, Proclus et Damascius et du chrétien Denys l’Aréopagite, et après la grande synthèse occidentale de saint Augustin. Il se termine au XVe siècle par une transformation de la culture où l’Église ne joue plus le rôle essentiel [2].

Longtemps négligée, l’histoire intellectuelle du Moyen Age, n’a commencé à attirer l’attention que bien après l’histoire politique. Depuis une trentaine d’années, les travaux qui lui sont consacrés sont considérables ; la publication des Beiträge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters par Bauemker en Allemagne, l’impulsion donnée en France par les admirables travaux de M. Gilson, marquent la vitalité de ces études, qui reposent sur une documentation qui s’enrichit tous les jours de textes inédits.

Les débuts sont difficiles : le latin se corrompt et disparaît comme langue vulgaire au VIe siècle ; les parlers qui naissent de lui ne sont pas employés comme langue écrite (cette répugnance du savant pour la langue vulgaire durera jusqu’au XVIe siècle) ; la production intellectuelle n’a pu se rétablir avant que le latin fût de nouveau appris dans les écoles comme une langue morte : ce qui n’eut lieu que sous Charlemagne.

Vers le XIe siècle encore, les chances d’avenir de l’Occident auraient peut-être paru petites à qui l’aurait mis en regard avec l’éclatante civilisation de l’Islam. « Avec leurs palais, leurs cités, leurs bains publics, les cités (de l’Espagne islamique) ressemblaient plus aux villes de l’empire romain qu’aux misérables groupes de bicoques de bois qui, en France et en Germanie, s’élevaient à l’abri de quelque abbaye ou de quelque forteresse féodale » ; l’Islam débordait alors l’Occident jusqu’en Portugal et en Sicile ; aussi bien « ce p003 ne fut pas avant le XIIIe siècle, ce ne fut qu’après le temps des croisades et après la grande catastrophe des invasions mongoles que la civilisation de la chrétienté occidentale commença d’atteindre une position de relative égalité avec l’Islam. Au XVe siècle seulement, avec la Renaissance et la grande expansion maritime des États européens, l’Occident chrétien devait réussir à s’assurer cette primauté de civilisation que nous considérons aujourd’hui comme une sorte de loi de nature » [3]. Pourtant, dès l’abord, l’Occident présente un trait bien particulier ; tandis que, en pays d’Orient, toute l’activité intellectuelle, dès la fin de l’antiquité, chez les païens comme chez les chrétiens, semble avoir été accaparée par la science des choses divines, en Occident, il en est tout autrement ; un mince filet coule de connaissances positives qui, par leur nature et leur essence, échappent à la vie religieuse : ce sont d’abord les sept arts libéraux : grammaire, rhétorique, dialectique, arithmétique, géométrie, astronomie, musique ; c’est l’ensemble des connaissances géographiques et naturelles qui sont ramassées dans un ouvrage tel que celui de Pline l’Ancien ; c’est une morale rationnelle, telle qu’on la trouve dans le traité Des Devoirs de Cicéron, dans les œuvres de Sénèque, dans la Pharsale de Lucain, dans la Consolation de la Philosophie de Boèce : grâce à toutes ces œuvres, une certaine atmosphère humaniste se maintient, qui est propre à la latinité, et qui amènera la floraison du XIIe siècle. Il y a là une tradition purement occidentale, dont il faut souligner l’importance : elle se rattache à l’érudition romaine. Rome n’a pas engendré la science, mais elle a eu sa manière à elle de recevoir et de maintenir la science des Grecs : dès que l’hellénisme s’étend au Ier siècle avant Jésus-Christ, on trouve des hommes pour y faire ce qui était le plus nécessaire à leurs concitoyens qui ne possédaient pas la tradition des études, c’est-à-dire des p004 ouvrages d’ensemble, des résumés, des collections ; Varron et Cicéron sont en tête de ce mouvement d’érudits : Varron avec ses Antiquités romaines et les œuvres où il résumait la science grecque, Cicéron avec ses exposés de la philosophie des Stoïciens, des Épicuriens et des Académiciens ; plus tard vient l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, la vaste collection de cosmologie, de géographie, de zoologie, de botanique, de pharmacologie, de minéralogie, où il entasse toutes ses notes de lecture, le meilleur comme le pire. Ces auteurs furent, directement ou indirectement, les maîtres des sciences profanes en Occident.

L’autorité de saint Augustin fit sans doute beaucoup pour maintenir cette tradition érudite : on ne trouverait nul autre père de l’Église dont les œuvres contiennent des traités philosophiques comme le Contra Academicos ou le De Ordine, des manuels d’arts libéraux comme le De Musica, enfin de copieux extraits ou résumés des Antiquités romaines de Varron, surtout dans la Cité de Dieu.

Les fameuses Noces de Mercure et de la Philologie, de Marcianus Capella, suivent aussi les traces de l’érudition romaine : le prologue, écrit dans un style alambiqué, expose avec un parfait sérieux une mythologie ; l’auteur paraît avoir oublié qu’il est chrétien ; il l’expose pourtant en pur littérateur, sans y attacher la moindre croyance et avec, parfois, une précision de détails qui sent la recherche érudite [4] : c’est Varron qu’il a mis ici à contribution ; pour les sept traités qui suivent, c’est encore Varron qui a la plus grande part dans les livres sur la Grammaire, la Dialectique, l’Arithmétique et l’Astronomie, tandis que les autres viennent d’autres érudits romains, la Rhétorique, d’Aquila, la Musique, d’Aristide p005 Quintilien, la Géométrie (qui contient, au début, une description de la terre), de Pline et de Solinus.

Le livre IV, sur la Dialectique, résume le contenu des premiers ouvrages de l’Organon d’Aristote jusqu’au premier livre des Premiers Analytiques ; mais il ajoute, sur le syllogisme conditionnel, des considérations qui dérivent de la logique stoïcienne [5]. Sa géométrie est en même temps une géographie élémentaire ; son astronomie contient quelques traces d’héliocentrisme (le soleil tourne autour de la terre, mais Vénus et Mercure tournent autour du soleil) ; mais sa représentation du monde est bien plus fidèle à l’hellénisme que celle du moine syrien Cosmas Indicopleustes, qui, à l’autre bout du monde chrétien, opposait à l’image grecque de l’univers une terre oblongue, sans antipodes, liée par ses extrémités aux extrémités du ciel [6].



[1] Cf. G.-L. Burr, XXXIII : le mot paraît avoir été employé pour la première fois en 1469.

[2] Il serait hors de propos d’indiquer dès maintenant les traits généraux de la pensée médiévale ; ils ressortiront peu à peu ; l’on trouvera la meilleure perspective pour les saisir d’ensemble, au chapitre II de la troisième partie.

[3] Christopher Dawson, XXXIV p. 176-177.

[4] Cette forme littéraire est celle de la Satyre de Varron avec son mélange de prose et de vers ; chacun des sept arts y est décrit sous la forme d’une Vierge avec les attributs qui lui conviennent : ces personnifications, qui viennent peut-être de Varron, sont celles qui se retrouveront sculptées sur le portail des cathédrales.

[5] Avec quelques modifications comp. Diogène, Vie des philosophes liv. VII, § 79, avec Capella, § 420.

[6] Migne, V, t. LXXXVIII, 79-d.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 17 septembre 2010 16:34
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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