Oeuvres de Pierre Teilhard de Chardin, tome 10: Comment je crois


 

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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Oeuvres de Pierre Teilhard de Chardin, tome 10: Comment je crois.
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir des Oeuvres de Pierre Teilhard de Chardin, tome 10: Comment je crois. Paris: Les Éditions du Seuil, 1969, 294 pp. Collection: Oeuvres de Pierre Teilhard de Chardin, no 10. Une édition numérique réalisée par Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers retraitée du Cégep de Chicoutimi.

[13]

COMMENT JE CROIS

Avant-propos


Ce dixième volume des Oeuvres du Père Teilhard de Chardin était destiné initialement à contenir tous les essais et articles du Père consacrés à des problèmes de théologie. Vu le nombre et l'étendue de ces écrits, les éditeurs ont été obligés, pour contenir ce volume dans des limites raisonnables, de répartir les textes sur deux volumes, dont le premier contiendra les écrits se référant plus spécialement à la théologie spéculative, tandis que le second réunira les textes où le thème de la vie chrétienne constitue le sujet dominant. Une telle division contient, il est vrai, une part d'arbitraire, surtout lorsqu'on tient compte du fait que l'auteur traite souvent dans un même article ou essai des deux aspects du problème théologique. Malgré les réserves qu'on pourrait faire à ce sujet, il nous semble pourtant que le choix réalisé ici présente l'avantage de faire ressortir tant l'aspect théorique que l'aspect pratique de la pensée théologique de l'auteur.

Dans les dernières années, les écrits théologiques de Teilhard de Chardin ont déjà fait l'objet de nombreux travaux, soit sur l'ensemble de sa théologie, suit sur l'un ou l'autre Point de sa doctrine. Qu'on se rappelle les études du Père Henri de Lubac [1], de Georges Crespy [2], [14] Piet Smulders [3], Christopher Mooney [4], Sigurd Daecke [5], Eulalio Baltazar [6], Robert North [7], Denis Mermod [8], Robert Francœur [9], George Maloney [10], E. Martinazzo [11], Robert Faricy [12] et Francisco Bravo [13]. À cette liste volontairement incomplète, il faudrait ajouter un grand nombre d'articles et de brochures, sans oublier les comptes rendus des congrès, où la pensée théologique de Teilhard donna lieu à d'importants rapports et discussions. Parmi ces derniers signalons tout spécialement le Congrès scotiste international, tenu à Oxford et Edimbourg du 11 au 17 septembre 1966, et où la doctrine christologique du Père fit l'objet de plusieurs rapports [14]. Rarement dans l'histoire de la théologie la pensée d'un auteur aura donné lieu, en si peu d'années, à des études et des discussions aussi nombreuses et souvent passionnées, - fait d'autant plus remarquable que l'auteur lui-même ne se donnait nullement comme un théologien et considérait ses écrits en cette matière plutôt comme de simples suggestions. Le nombre et la qualité de ces études, d'inspiration parfois très divergente, montre à l'évidence à quel point cette pensée a retenu l'attention des théologiens et à quel point elle constitue un stimulant exceptionnel pour la réflexion théologique de notre époque.

[13]

Il ne peut être question ici, dans ce bref avant-propos, d'analyser les livres que nous venons de mentionner, ni de nous prononcer sur les problèmes en discussion. Qu'il nous soit permis plutôt de nous adresser à ceux qui ne sont pas théologiens de métier, afin de les aider à mieux comprendre la véritable intention de l'auteur et la portée réelle de ses écrits en cette matière.

Pour bien comprendre un auteur, il ne suffit pas d'examiner les différents points de la doctrine qu'il nous apporte. Il faut avant tout se rendre compte, aussi clairement que possible, du problème auquel cette doctrine est supposée apporter une solution. Quel est donc le problème central auquel Teilhard a voulu donner une réponse, le problème qui se trouve au cœur même de toute sa pensée théologique ? Sans aucun doute - et sur ce point il semble bien que l'accord se soit fait - le problème central de Teilhard fut celui qu'on désigne de nos jours communément par le terme de sécularisation. Le terme « religion de la terre » (« le Dieu de l'En-Avant ») utilisé par Teilhard, et la sécularisation chère aux théologiens d'aujourd'hui couvrent en effet la même réalité idéologique et sociologique. Pour plus de clarté, distinguons bien sécularité, sécularisation et sécularisme. Par sécularité on entend communément la reconnaissance de la valeur propre de la terre et de l'activité terrestre de l'homme, - activité humaine dont la science, la technique et l'organisation de la société constituent de nos jours la partie la plus importante. Par sécularisation nous désignons le processus historique et sociologique, qui conduisit à cette reconnaissance et qui se caractérise par un affranchissement progressif, dans l'activité scientifique et politique de l'homme, de toute ingérence de la théologie et de la métaphysique. Par sécularisme, enfin, il faut entendre toute attitude ou toute doctrine exaltant exclusivement les valeurs de la vie terrestre au détriment de toute préoccupation religieuse ou métaphysique.

Pour le chrétien, il va sans dire, tout sécularisme est inacceptable, mais quelle doit être son attitude vis-à-vis du fait indéniable de la sécularisation ? Comment définir les rapports entre le message évangélique et la « religion de la terre » ? Comment réaliser en nous-mêmes l'harmonie entre notre tâche terrestre et notre vocation céleste ? Ce problème n'est certainement pas nouveau en théologie, mais jamais il n'a été [16] ressenti avec autant d'acuité que de nos jours. Teilhard en fit le point de départ de sa réflexion théologique, à un moment où peu d'entre nous se rendaient compte de l'urgence de ce problème. De par son expérience de savant et sa sensibilité exceptionnelle pour les courants spirituels de notre époque, il entrevit à quel point l'homme moderne s'est éveillé à la claire conscience de sa vocation et de ses responsabilités terrestres. Avec une lucidité surprenante, il prévoyait que ce courant devait inévitablement conduire, non seulement à un élargissement du fossé entre l'Église et la culture moderne, mais également à une crise au plus vif du monde croyant même. Il s'agit, nous dit-il, de « la montée irrésistible dans le ciel humain, par toutes les voies de la pensée et de l'action, d'un Dieu évolutif de l'En-Avant, - antagoniste, à première vue, du Dieu transcendant de l'En-Haut présenté par le Christianisme à notre adoration ». « Aussi longtemps, ajoutait-il, que par une Christologie renouvelée (dont tous les éléments sont entre nos mains) l'Église ne résoudra pas le conflit apparent désormais éclaté entre le Dieu traditionnel de la Révélation et le Dieu « nouveau » de l'Évolution, - aussi longtemps le malaise s'accentuera, non seulement en marge, mais au plus vif du monde croyant ; et pari passu [15], le pouvoir chrétien diminuera, de séduction et de conversion [16]. »

Ce que Teilhard prévoyait dans ce texte, et dans de nombreux autres passages de ses écrits, se trouve bien réalisé de nos jours et on pourrait se demander si, aujourd'hui, nous ne serions pas plus près de la solution si ses avertissements avaient été entendus en temps voulu. Quoi qu'il en soit, il ne fait aucun doute que son diagnostic était fondamentalement exact et la crise dont nous soufrons aujourd'hui consiste bien dans le conflit entre une religion de transcendance et un monde sécularisé, entre le « Dieu de l'En-Haut » et « le Dieu d'En-Avant », entre « une religion du ciel » et « une religion de la terre ».

Mais si le problème de la sécularité, tel qu'il est posé de nos jours, est déjà présent au centre de la pensée teilhardienne, il revêt chez lui une forme et une dimension extrêmement originales. C'est que chez lui le travail terrestre de l'homme se trouve relié à l'idée d'un monde en évolution. [17] Dans un monde statique, la dignité du travail humain ne se pose pas dans les mêmes termes que dans un monde en évolution. C'est précisément parce que nous vivons dans un monde en voie de construction que notre travail reçoit une valeur nouvelle et une importance capitale. La tâche humaine s'identifie ni plus ni moins à l'obligation de continuer la grande œuvre de l'évolution et de la conduire à son achèvement. Ainsi Teilhard a-t-il le droit d'exalter la grandeur et la dignité de la tâche humaine et de parler d'un « saint amour de la terre » bien avant que Dietrich Bonhoefer nous parlât d'une « sainte sécularité » (heilige Weltlichkeit).

Et, de même que le problème de la sécularité prend chez Teilhard une forme neuve et extrêmement riche, de même aussi la solution qu'il nous propose diffère-t-elle radicalement de celle proposée par la plupart des théologiens de la sécularité tels qu'un Harvey Cox, un William Hamilton, un Thomas Altizer, un Paul Van Buren et autres. Loin de pencher vers une théologie sans Dieu ou de sombrer dans un sécularisme radical comme il est de mode dans certains milieux, c'est au contraire dans une christologie renouvelée, dans le centre même de la foi chrétienne, qu'il entrevoyait la solution du problème qui nous occupe. Cet univers dont nous célébrons la grandeur et la richesse n'existe pas en dehors du Christ ; il est relié organiquement au Christ en ce sens que tout a été créé pour Lui et qu'en Lui tout trouve son achèvement.

Cette christologie, d'inspiration nettement paulinienne, est assez proche de celle qu'on nomme communément scotiste, bien qu'elle s'en sépare sur plusieurs points importants. Le théologien du Moyen Âge prend son point de départ en Dieu et se demande quelle fut l'intention divine en décrétant l'incarnation du Verbe ; Teilhard médite sur la valeur de la terre et se demande comment elle peut être reliée au Verbe incarné. Dans la spéculation médiévale l'accent est plutôt sur la préexistence du Christ en vue de qui tout sera créé ; Teilhard mettra l'accent sur l'eschatologie, sur le terme de l'histoire terrestre dont le Christ constituera la définitive consécration. Pour le théologien du Moyen Âge, le Christ est surtout le premier conçu dans la pensée divine de la création ; pour Teilhard, Il est avant tout le terme et le couronnement de l'histoire.

[18]

Une telle christologie contient selon lui la vraie solution au problème de la sécularité. Si la vocation humaine consiste à construire la terre et si cette construction de la terre constitue la préparation, insuffisante certes, mais nécessaire, à l'avènement du Christ, n’en suit-il pas que le travail humain, en ce qu'il contient de plus précieux et de plus élevé, possède une orientation intrinsèque au Christ, fin et couronnement de ce monde en formation ? Cette liaison entre le travail humain et le Christ de la Parousie constituait le thème central traité par Teilhard dans le Milieu divin, publié antérieurement. C'est dans les pages qui suivent qu'on trouvera une élucidation plus poussée de certains points de doctrine qui en constituent le fondement. Ainsi donc Teilhard a-t-il posé le problème théologique de la sécularité dans une forme extrêmement originale et éclairante, tout en lui donnant une solution réellement chrétienne en plein accord avec les données traditionnelles de la foi.

Loin d'approuver le courant de sécularisme qui nous opprime, c'est bien à dépasser toute forme de sécularisme que Teilhard nous invite en intégrant les valeurs de la terre dans une vision christocentrique du monde.

À part les questions christologiques, c'est surtout au problème du péché originel que sont consacrés le plus grand nombre d'essais contenus dans ce volume. Tout lecteur averti se rendra compte qu'il s'agit ici d'essais, qui, selon l'intention et le désir de l'auteur, devaient être étudiés de plus près par des théologiens de métier. Si certaines formules proposées par Teilhard peuvent paraître encore assez hésitantes, c'est pourtant bien dans le sens indiqué par lui que s'oriente aujourd'hui la recherche théologique sur ce point.

N. M. WILDIERS
Docteur en Théologie



[1] La Pensée religieuse du Père Pierre Teilhard de Chardin (Paris 1962) ; La Prière du Père Teilhard de Chardin (Paris, 1964).

[2] La Pensée théologique de Teilhard de Chardin (Paris, 1961 De la science à la théologie. Essai sur Teilhard dit Chardin (Neuchâtel, 1965).

[3] Het visioen van Teilhard à Chardin (Brugge, 1964 ; tract. franç. 1967).

[4] Teilhard de Chardin and the mystery of Christ (Londres-New York, 1966 ; trad. franç.).

[5] Teilhard à Chardin und die Evangelische Theologie (Göttingen, 1967).

[6] Teilhard and the Supernatural (Baltimore, 1966).

[7] Teilhard and the creation of the soul (Milwaukee, 1967).

[8] La Morale de Teilhard (Paris, 1967).

[9] Perspectives in Evolution (Baltimore, 1965).

[10] The Cosmic Christ. From Paul to Teilhard (New York, 1968).

[11] Teilhard à Chardin. Conamen lecturae criticae (Rome, 1965).

[12] Teilhard de Chardin's theology of the christian in the world (New York, 1967).

[13] Christ in the thought of Teilhard de Chardin (Notre Dame Univ. Press, 1967).

[14] De doctrina Joannis Duns Scoti. Acta Congressus Scotistici Internationalis Oxonii et Edimburgi 11-17 sept. 1966 celèbrati. Vol. III : Problemata Theologica (Studia Scholastico-Scotistica, vol. III) Rome, 1968 (voir surtout les rapports de Robert North, Gabriele Allegra et Gerardo Cardaropoli).

[15] Du même pas. (N.D.E.)

[16] Ce que le monde attend en ce moment de l'Église de Dieu (1952).


Retour au texte de l'auteure: Simone Weil, philosophe Dernière mise à jour de cette page le mardi 20 novembre 2012 18:44
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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