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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Une édition électronique réalisée à partir du texte d'Édouard CHAVANNES (1865-1918), DE L’EXPRESSION DES VOEUX DANS L’ART POPULAIRE CHINOIS. Paris: Éditions Bossard, 1922, 44 pages + 14 planches hors-texte. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris. EXTRAIT : CONCLUSION … C’est bien plutôt une règle presque universelle que le décor en Chine est symbolique ; une fois que l’attention est portée dans cette direction, elle découvre le symbole partout ; c’est comme une atmosphère dans laquelle vit constamment le peuple chinois. Mais, si nous avions augmenté nos listes d’associations d’idées, de jeux de mots et de personnages mythologiques, nous n’aurions pas tardé cependant à reconnaître que ces nouveaux symboles ne font que répéter les quelques vœux uniformes que nous avons dégagés. Ce symbolisme nous apparaît donc comme très simple dans son fond qui se compose de quelques idées élémentaires, comme très compliqué dans sa forme qui est l’œuvre d’artistes à l’esprit subtil. D’où provient d’abord cette recherche d’ingéniosité dans l’expression ? Il semble que la banalité même des idées qu’il s’agissait de formuler ait été une des raisons qui ont incité les Chinois à en varier l’expression par tous les moyens possibles. Qui de nous, en écrivant ces lettres de jour de l’an que l’usage impose, n’a senti le désir de renouveler par quelque tour ingénieux ce que peuvent avoir de fastidieux des formules cent fois répétées ? Il faut, en outre, tenir compte du goût inné de l’esprit humain pour le symbole, soit sous la forme inférieure du rébus, soit sous les aspects plus relevés de l’association d’idées, source de toutes les images poétiques, ou de la personnification des abstractions, principe de toute la mythologie. Ces considérations peuvent expliquer pourquoi les Chinois ont varié les modes d’expression de leur pensée ; mais elles ne nous montrent pas pourquoi cette pensée se répète, toujours identique à elle-même, sur les divers produits de leur art domestique. En étudiant les idées que les Chinois expriment de préférence par des symboles, nous sommes partis de l’idée de bonheur ; tous les autres concepts que nous avons passés en revue, celui de longévité, celui de nombreuse postérité, celui de haute dignité, ne sont que l’analyse de l’idée de bonheur et en font partie. On peut donc dire, d’une manière générale, que ce symbolisme exprime des vœux de bonheur ; si le Chinois écrit partout ces vœux, c’est parce qu’il croit à leur efficacité ; il pense que la formule de la bénédiction, de même que celle de la malédiction, peuvent être suivies d’effet ; en répétant des souhaits de bonheur sur les vêtements et sur les vases qui sont associés à la vie journalière de l’homme, on multipliera donc autour de lui les chances de bonheur. La croyance à l’efficacité du vœu, telle est la raison d’être de tous ces décors qui ne sont que des souhaits déguisés. D’autre part, cette préoccupation constante du bonheur n’est-elle pas une caractéristique de l’esprit chinois ? Lorsqu’on a étudié les vases grecs, on a pu écrire un volume sur les vases ornés d’inscriptions amoureuses ; et cela prouve que le sentiment de l’amour jouait un grand rôle dans la vie des Grecs. Si on jette les yeux sur toute la flore et toute la faune mystiques qui animent les dentelles de pierre de nos cathédrales gothiques, on reconnaîtra que ce décor s’inspire essentiellement de croyances religieuses. On tirera de là certaines conclusions soit sur la psychologie de la Grèce antique, soit sur celle du moyen âge. De même, en passant en revue ces porcelaines, ces amulettes et ces broderies qui toutes expriment le désir du bonheur, nous pourrons dire que l’esprit chinois est comme hanté par ce désir qui est chez lui un sentiment prédominant. Ce bonheur, quel est-il ? Il n’est point conçu comme quelque chose de transcendant ; c’est la vie avec ses avantages mondains, richesses, honneurs, considération. L’esprit chinois est si fortement pénétré de l’amour de la vie, qu’il a été de tout temps épris de la chimère de l’immortalité. Les empereurs de Chine ont cherché passionnément le secret qui permet de ne point mourir ; le panthéon indigène est presque tout entier composé de ces hommes légendaires qui, versés dans les arts magiques, surent échapper à la loi de l’universelle destruction. Le souhait d’avoir de nombreux enfants n’est d’ailleurs qu’un autre aspect du désir de survivre, puisque ce sont les sacrifices offerts par les fils qui assurent le bonheur des parents après leur mort. La famille est la forme sous laquelle l’individu périssable devient immortel. Aucun peuple au monde ne me paraît avoir eu un sentiment aussi intense de la valeur intrinsèque de la vie. C’est là, je n’hésite pas à le dire, qu’on peut trouver l’explication profonde du caractère chinois. Le Chinois, tant qu’il n’a pas connu de religions étrangères comme le bouddhisme ou le christianisme, ne s’est pas mis en peine d’un paradis, car la vie telle qu’il la connaît lui suffit, et il ne demande pas autre chose ; tout l’effort de sa volonté s’est porté vers une morale, le confucéisme, dont l’obligation et la sanction étaient purement humaines. La vie est à elle-même sa propre raison d’être. Ces considérations, à propos de quelques décors de vases et de tentures, peuvent paraître un peu ambitieuses ; mais n’est-ce pas précisément dans cette imagerie, œuvre d’auteurs anonymes qui se conforment au goût public, n’est-ce pas dans cet art populaire que se marquent le mieux les tendances élémentaires qui sont le fond de l’état mental d’une nation ? Ces porcelaines et ces broderies ne sont pas de libres fantaisies destinées seulement à charmer les yeux ; je crois bien plutôt entendre sortir d’elles des millions et des millions de voix qui répètent à l’infini les vœux monotones de l’âme chinoise, affirmant ainsi la conception que toute une race s’est faite de la destinée humaine.
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