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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Anthony Collins, Discours sur la liberté de penser
écrit à l'occasion d'une nouvelle secte d'esprits forts, ou de gens qui pensent librement.
Avertissement


Une édition électronique réalisée à partir du texte d'Anthony Collins, Discours sur la liberté de penser écrit à l'occasion d'une nouvelle secte d'esprits forts, ou de gens qui pensent librement. Traduit de l'anglais et augmenté d'une lettre d'un médecin arabe. Londres, 1714. Traduction anonyme. Imprimé à La Hague par Henri Scheurleer, 262 pp + 29 pp. Une édition numérique réalisée à partir d'un facsimilé de la Bibliothèque nationale de France par Kim Noisette, bénévole, doctorant en philosophie à l'Université de Sherbrooke et à l'Université Fédérale de São Paulo (Brésil).

Avertissement


[iii] Il n'y a guère de livres sans préface ou sans avertissement, et il n'y a guère de préface ou d'avertissement qu'un lecteur se donne la peine de lire. Cependant il y en a dont on peut dire que la lecture est absolument nécessaire à plusieurs égards. Cet avertissement est de ce genre, puisqu'il s'agit d'y donner quelques lumières au lecteur sur trois sujets assez importants.

I. Quelques personnes ont publié, d'une manière à convaincre leurs lecteurs qu'ils étaient bien persuadés de ce qu'ils avançaient, qu'il faudrait un grand commentaire pour faire entendre aux étrangers le discours dont on donne ici [iv] la traduction, ce qui leur fait croire qu'il ne pourra jamais être traduit dans aucune langue, avec le moindre succès a. Il ne faudrait, pour faire sentir au lecteur l'iniquité de ce jugement, que lui nommer les membres de cette équitable société, qui ont offerts leurs soins pour la traduction de ce livre, qu'ils trouvent aujourd'hui à propos de condamner à ne parler qu'aux anglais. Mais, parce qu'en levant ce masque, on ne manquerait pas de blesser des lois d'honnêteté et de charité dont on fait profession, on aime mieux prendre une autre voie, et tâcher de convaincre le lecteur, peut-être déjà prévenu, du contraire de la sentence de ces juges du Parnasse hollandais.

La vérité, la pensée et la raison sont de tous les pays. Comment donc un livre, dont le seul but est de faire sentir aux hommes l'obligation dans laquelle ils sont de connaître la vérité, de se servir [v] de leur jugement et de leur raison, peut-il passer, dans l'esprit de gens qui prétendent au titre de savants et de beaux esprits, pour ne pouvoir jamais avoir de succès ? Surtout quand ils ont eux-mêmes reconnu que ce même livre renferme une infinité de choses importantes, curieuses et extraordinaires, et qu'on n'y peut trouver une seule proposition hétérodoxe.

Ainsi, tenons-nous-en à ce que leur jugement a de favorable, et accordons-leur même que les citations si diversifiées de ce petit discours, semblent n'intéresser que les anglais, mais ils voudront bien reconnaître de leur côté que le fond du discours est également intéressant pour toutes sortes de peuples. En effet, ne trouve-t-on pas partout des prêtres ? Partout ne sont-ils pas animés du même esprit de domination ? Partout ne voit-on pas qu'ils ne peuvent souffrir qu'on les contredise le moins du monde ? Ainsi partout, les peuples souverainement [vi] intéressés à la connaissance de la vérité sont dans l'obligation, qu'ils ne sentent pas assez, d'examiner toutes ces différentes matières que les prêtres leur proposent comme les objets de leur foi. On ne peut leur faire connaître cette obligation d'une manière plus vive et mieux raisonnée que ne fait l'auteur de ce discours : n'est-il pas très raisonnable d'en conclure que ce livre ne peut être lu par toutes sortes de peuples qu'avec un très grand succès ?

Il est vrai que l'auteur, n'ayant eu dessein de travailler que pour les gens de son pays, n'a tiré toutes ses preuves que des auteurs de sa nation ; mais, outre que la plupart font très connus dans tous les pays réformés, et même quelques-uns, comme le Chancelier Francis Bacon, dans toute l'Europe, on peut avancer, sans trop risquer, qu'il ne faut qu'avoir lu quelques ouvrages des prêtres soit anciens soit [vii] modernes, pour avoir de quoi suppléer aux citations tirées des écrivains anglais. Les Augustins, les Origènes, les Athanases chez les anciens, les Bellarmins, les Du Pérons, les Bossuets, les Claudes, les Du Moulins, les Jurieux, les Joncourts, les Perisonius et les Lydekkers, les Arminiens, les Voetiens, les Coccéiens, sans parler des vénérables pères de la société de Jésus et des jansénistes, fournissent des faits et des opinions en assez grand nombre, et assez d'exemples d'animosité, de partialité et d'entêtement, pour suppléer au petit nombre de citations que renferme ce petit discours b.

Mais à quoi bon renvoyer le lecteur à tous ces vénérables auteurs de tant d'opinions différentes et contraires ? Il ne faut que lire l'histoire ecclésiastique pour y trouver plus de motifs qu'il n'en faut pour porter un homme de bon sens à n'en croire que les lumières de sa raison. Il faut même encore moins. [viii] Le cours journalier des choses peut fournir à un lecteur éclairé tout ce qu'il lui faut pour remplacer des citations qu'on s'imagine, sans raison, en être moins bonnes, parce qu'elles ne sont pas des écrivains que nous connaissons. Que chaque lecteur réfléchisse sur la conduite des prêtres de sa religion ; que dis-je ? sur celle seulement de ceux de sa ville, et il est hors de doute qu'il y rencontrera autant de suppléments ou plutôt autant de commentaires pour les passages tirés des docteurs anglais. Ainsi, ce discours est en tous sens d'une utilité extraordinaire pour toutes sortes de peuples, ainsi on a eu raison de croire le pouvoir traduire avec succès.

II. Quant à cette traduction, on n'a rien à en dire sinon qu'on y a apporté autant de soin que l'a permis beaucoup de précipitation, et la crainte que le libraire avait d'être arrêté. On n'a point recherché à orner une matière [ix] qui se recommande assez d'elle-même ; outre cela, ce discours est écrit en anglais d'une manière si simple et si concise qu'on a cru devoir imiter l'auteur dans la traduction et s'en tenir à une certaine simplicité, pour ne pas s'attirer le reproche d'avoir brodé la matière.

III. Il reste un avis très important à donner au lecteur par rapport à la destinée de ce livre : certaines personnes semblent lui avoir déjà prédit ce à quoi il va être exposé, en disant tout ce qu'il a déjà souffert, quel bruit et quel vacarme épouvantable ont fait les ecclésiastiques anglais depuis qu'il paraît, et comment il ne laissent échapper aucune occasion de crier contre ce livre.

Le public sait il y a longtemps que jamais livre, qui attaque ce qu'on appelle le clergé, n'a paru sans être aussitôt titré des noms les plus odieux. Ce n'est, s'écrient ordinairement ces messieurs, qu'un tissu de propositions horribles et détestables, qui mènent à l'athéisme, au [x] libertinage, à l'irréligion ; l'auteur est un athée, un libertin, un tout ce qu'il leur plaît ; mais aussi, on doit savoir que ce sont des lieux communs dont ils se servent souvent sans choix. Et s'ils étaient assez préoccupés pour les employer contre ce livre-ci, on est certain qu'il peut par lui-même réfuter toutes leurs invectives. Quant à l'auteur, si on ne craignait de blesser sa modestie, en faisant ici son caractère avec tous les éloges que sa vertu mérite, on en dirait plus qu'il n'en faut pour le mettre à couvert de leurs horribles épithètes. On se contentera de renvoyer le lecteur [à la section II, V, 3], où il trouvera le vrai caractère de ce vertueux écrivain, et ce qu'il fait de tout ce que la calomnie peut vomir contre lui, ou contre un ouvrage qu'il n'a fait que dans la vue de tracer aux hommes une voie sûre pour parvenir à la connaissance de la vérité, et par elle au souverain bien qui doit être l'objet de toute créature raisonnable.



a [Le Journal littéraire de La Haye, qui annonce la publication du Discourse, déclare que comme ce livre est très centré sur l’Église anglicane, « les étrangers ne sauraient guère s'y intéresser... il ne pourra jamais être traduit dans aucune autre langue avec le moindre succès. » (1713, p.468). L'Avertissement répond directement à cette remarque et met les arguments de Collins à portée du public français. Ann Thompson fait remarquer que cet échange entre traducteur et journal littéraire est peut-être une campagne publicitaire destinée à attirer plus d'attention sur le Discourse (La Lettre Clandestine, 2000, vol.9, p.101).]

b [L'Avertissement fait ici référence à des éléments connus du public français de l'époque. Pour un Français cultivé des années 1710, l'antagonisme des jésuites et des jansénistes était d'actualité. Le ou les auteurs de l'Avertissement incitent le lecteur à comparer ce qu'il connaît du clergé chez lui avec ce que Collins rapporte pour remarquer des situations communes.]



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 26 novembre 2014 14:56
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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