Préface de Charles Darwin
à la 2e édition anglaise
Charles Darwin
Septembre 1874
Depuis la publication de la première édition de cet ouvrage en 1871, j’ai pu y faire des corrections importantes. Après l’épreuve du feu, par laquelle ce livre a passé, je me suis appliqué à profiter des critiques qui me semblaient avoir quelque fondement. Un grand nombre de correspondants m’ont également communiqué une foule si étonnante d’observations et de faits nouveaux, que je ne pouvais en signaler que les plus importants. La liste de ces nouvelles observations et des corrections les plus importantes qui sont entrées dans la présente édition se trouve ci-après. De nouveaux dessins faits d’après nature par M. T. W. Wood ont également remplacé quatre figures de la première édition et quelques nouvelles gravures y ont été ajoutées.
J’appelle l’attention du lecteur sur les observations qui m’ont été communiquées par M. le professeur Huxley. Ces observations se trouvent en Supplément à la fin de la première partie (page 274), et traitent des différences du cerveau humain, comparé aux cerveaux des singes supérieurs. Ces observations ont d’autant plus d’à-propos que depuis quelques années diverses publications populaires ont grandement exagéré l’importance de cette question.
A cette occasion, je dois faire observer que mes critiques prétendent assez souvent que j’attribuais exclusivement à la sélection naturelle tous les changements de structure corporelle et de puissance mentale, qu’on appelle communément changements spontanés ; j’ai cependant déjà constaté, dès la première édition de l’Origine des Espèces, qu’on doit tenir grand compte de l’usage ou du non-usage héréditaires, aussi bien des parties du corps que des facultés mentales. Une autre part dans ces changements a été attribuée par moi aux modifications dans la manière de vivre. Encore faut-il admettre quelques cas de réversion occasionnelle de structure, et tenir compte de ce que j’ai appelé « Croissance corrélative » voulant indiquer par là que différentes parties de l’organisation sont, d’une manière encore inexpliquée, dans une telle connexion, que si l’une de ces parties varie, l’autre varie encore davantage, et si ces changements ont été accumulés par l’hérédité, d’autres parties peuvent être modifiées également.
D’autres de mes critiques insinuent que, ne pouvant expliquer certains changements dans l’homme par la sélection naturelle, j’inventai la sélection sexuelle. Pourtant, dans la première édition de l’Origine des Espèces, j’avais déjà donné une esquisse claire de ce principe, en remarquant qu’il s’appliquait également à l’homme.
La sélection sexuelle a été traitée avec plus d’étendue dans le présent ouvrage, par la raison que l’occasion s’en présentait pour la première fois. J’ai été frappé de la ressemblance de la plupart des critiques à moitié favorables, de la sélection sexuelle, avec celles qu’avait rencontrées la sélection naturelle, prétendant, par exemple, que ces principes pouvaient bien expliquer quelques faits isolés, mais ne pouvaient certainement pas être employés avec l’extension que je leur ai donnée. Ma conviction sur le pouvoir de la sélection sexuelle n’a cependant pas été ébranlée, quoiqu’il soit probable, et même certain qu’avec le temps un certain nombre de mes conclusions pourront être trouvées erronées, chose tout à fait explicable, puisqu’il s’agit d’un sujet traité pour la première fois. Lorsque les naturalistes se seront familiarisés avec l’idée de la sélection sexuelle, je crois qu’elle sera acceptée plus largement, comme elle a d’ailleurs été admise déjà par plusieurs des juges les plus autorisés.
Ch. Darwin
Septembre 1874
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