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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Théorie du pouvoir politique et religieux (1796): Préface
Une édition électronique réalisée à partir de l'ouvrage de Louis-Ambroise vicomte de Bonald, Théorie du pouvoir politique et religieux. suivi de Théorie de l'éducation sociale. (titre complet:Théorie du pouvoir politique et religieux dans la société civile, démontrée par le raisonnement et par l'Histoire) (1796) Paris, Union générale d'éditions, 1965, 306 pages (pp. 1 à 236). Collection 10-18. Textes choisis par Mme Colette Capitan.
Préface
Dans tous les temps, l'homme a voulu s'ériger en législateur de la société religieuse et de la société politique, et donner une constitution à l'une et à l'autre : or, je crois possible de démontrer que l'homme ne peut pas plus donner une constitution à la société religieuse ou politique, qu'il ne peut donner la pesanteur aux corps, ou l'étendue à la matière, et que, bien loin de pouvoir constituer la société, l'homme, par son intervention, ne peut qu'empêcher que la société ne se constitue, on, pour parler plus exactement, ne peut que retarder le succès des efforts qu'elle fait pour parvenir à sa constitution naturelle.
En effet il existe une et une seule constitution de société politique, une et une seule constitution de société religieuse ; la réunion de ces deux constitutions et de ces deux sociétés constitue la société civile ; l'une et l'autre constitution résultent de la nature des êtres qui composent chacune de ces deux sociétés, aussi nécessairement que la pesanteur résulte de la nature des corps. Ces deux constitutions sont nécessaires dans l'acception métaphysique de cette expression, c'est-à-dire qu'elles ne pourraient être autres qu'elles ne sont, sans choquer la nature des êtres qui composent chaque société : ainsi toute société religieuse ou politique, qui n'est pas encore parvenue à sa constitution naturelle, tend nécessairement à y parvenir ; toute société religieuse ou politique, que les passions de l'homme ont écartée de sa constitution naturelle, tend, nécessairement à y revenir. Cette tendance contrariée par les passions de l'homme, ce combat entre l'homme et la nature, pour constituer la société, est la seule cause des troubles qui se manifestent au sein des sociétés religieuses et politiques. La force, l'indépendance, le perfectionnement en tout genre, sont, dans la société religieuse et politique, les fruits nécessaires de la constitution ; la faiblesse, la dépendance, la détérioration religieuse et politique sont l'infaillible partage des sociétés non constituées. Une société religieuse non constituée n'est qu'une forme extérieure de religion ; une société politique non. constituée n'est. qu'une forme extérieure de gouvernement ; et, à proprement parler, des sociétés non constituées ne méritent pas plus le nom de société, qu'un corps qui ne serait pas pesant ne mériterait le nom de corps. Si je n'ai pas démontré ces vérités, d'autres les démontreront, parce que le temps et les événements ont mûri ces vérités ; parce que la conservation de la société civile dépend aujourd'hui de leur manifestation, et que l'agitation intestine, qu'il n'est que trop aisé d'apercevoir dans la société générale, n'est autre chose que les efforts qu'elle lait pour enfanter des vérités essentielles à son existence.
Non seulement ce n'est pas à l'homme à constituer la société, mais c'est à la société à constituer l'homme, je veux dire à le former par l'éducation sociale.
L'homme n'existe que pour la société, et la société ne le forme que pour elle : il doit donc employer au service de la société tout ce qu'il a reçu de la nature et tout ce qu'il a reçu de la société, tout ce qu'il est et tout ce qu'il a. Servir la société, c'est l'administrer suivant la force de cette expression, ou exercer une fonction dans une partie quelconque de son administration.
J'ai donc traité de la constitution politique, de l'éducation sociale, de l'administration publique ; c'est-à-dire que j'ai traité le sujet le plus vaste et le plus important de tous ceux que l'homme peut soumettre à ses méditations. Que sont en effet toutes les sciences auprès de la science de la société ? et qu'est l'univers lui-même, si on le compare à l'homme ?
Après avoir établi les principes de la constitution des sociétés en général, et en avoir fait l'application à la constitution de la société politique, j'ose les appliquer à la constitution de la société religieuse ; en développant ces principes, sous des rapports moraux ou religieux, je suis pas à pas l'ordre et la marche que j'ai suivis en les développant sous les rapports politiques. je parviens donc à des résultats absolument semblables ; et cela doit être : car la société civile, réunion d'êtres à la fois intelligents et physiques, est un tout composé de deux parties absolument semblables, puisqu'elles sont composées des mêmes éléments, et que la seule différence qui existe entre elles consiste dans le rapport différent sous lequel chacune de ces parties considère les éléments ou les êtres que l'une de ces parties, qui est la société politique, considère comme physiques et intelligents, et que l'autre partie, qui est la société religieuse, considère comme intelligents et physiques.
Mais pourquoi des vérités si importantes au bonheur de la société sont-elles restées jusqu'à présent ensevelies sous un prodigieux amas d'erreurs ? Si leur démonstration est nécessaire, pourquoi leur manifestation est-elle si tardive ? Dans les sciences qui ont pour objet la quantité, l'étendue, le mouvement, les propriétés enfin de la matière, l'homme a fait des progrès étonnants ; et dans sa propre science, et dans la science de la société politique, il en est encore aux éléments et presque à l'ignorance du premier âge ! Ne cherchons pas hors de l'homme la cause de cette contradiction... Si, révélant à la pensée le mystère de ce nud invisible et puissant qui, dans la société politique, de toutes les volontés ne fait qu'une volonté, de tous les pouvoirs ne fait qu'un pouvoir, de toutes les forces ne fait qu'une force, de tous les hommes ne fait qu'un homme, la nature lui présente cette idée de l'unité, si grande parce qu'elle est si simple ; si elle lui montre dans l'homme moral unité de volonté, dans l'homme physique unité d'action, dans l'univers unité de plan ; si elle lui fait voir dans l'unité le principe de l'ordre, dans l'unité le secret du beau : l'ambition déçue de ses espérances s'indigne contre la barrière que la nature veut opposer à ses desseins, et l'homme, entraîne par l'ambition, rejette les inspirations de la nature ; et, s'éloignant de l'idée simple et vraie de l'unité et de l'indivisibilité du pouvoir, se perd dans les combinaisons laborieuses de la division et de l'équilibre des pouvoirs.
C'est donc sur une fatalité aveugle, sur une division sans terme ou un équilibre incertain de pouvoirs, que l'homme élève, malgré la nature, à l'aide de l'orgueil et de l'ambition, l'édifice de la société...
Lorsque je fonde un système de politique sur des propositions générales ou abstraites, et que j'en fais l'application par l'histoire, il ne suffit pas, pour le combattre, d'opposer des propositions à des propositions, ni des raisonnements à des raisonnements, mais il faut encore opposer les faits aux faits, l'histoire à l'histoire. Donnons-en un exemple. Des hommes qu'on a honorés du titre de métaphysiciens politiques, et dont toute la métaphysique est l'obscurité d'un esprit faux, et toute la politique les désirs effrénés d'un cur corrompu, ont avancé que la souveraineté résidait dans le peuple. C'est là une proposition générale ou abstraite ; mais lorsqu'on veut en faire l'application à l'histoire ou par l'histoire, il se trouve que le peuple n'a jamais été et qu'il ne peut jamais être souverain : car où seraient les sujets quand le peuple est souverain ? Si l'on veut que la souveraineté réside dans le peuple, dans ce sens qu'il ait le droit de faire des lois, il se trouve que nulle part le peuple n'a fait des lois, qu'il est même impossible qu'un peuple fasse des lois, et qu'il n'a jamais fait, et qu'il ne peut jamais faire autre chose qu'adopter des lois faites par un homme appelé par cette raison législateur : or, adopter des lois faites par un homme, c'est lui obéir ; et obéir n'est pas être souverain, mais sujet, et peut-être esclave. Enfin si l'on prétend que la souveraineté réside dans le peuple, dans ce sens que le peuple en délègue l'exercice en nommant ceux qui en remplissent les diverses fonctions, il se trouve que le peuple ne nomme personne, et ne peut même nommer qui que ce soit ; mais qu'un nombre convenu d'individus, qu'on est convenu d'appeler peuple, nomment individuellement qui bon leur semble, en observant certaines formes publiques ou secrètes dont on est également convenu. Or des conventions ne sont pas des vérités ; car les conventions humaines sont contingentes, c'est-à-dire qu'elles peuvent être ou n'être pas, ou être autres qu'elles ne sont ; au lieu que les vérités sont nécessaires, c'est-à-dire qu'elles doivent être et qu'elles ne peuvent être autres qu'elles ne sont sans cesser d'être des vérités. Donc cette proposition générale ou abstraite : La souveraineté réside dans le peuple, n'a jamais reçu et ne peut recevoir aucune application ; donc c'est une erreur.
J'ai énoncé dans les premiers chapitres de mon ouvrage des propositions générales et abstraites : mais j'en ai fait une application continuelle et suivie à l'histoire et ces propositions abstraites sont devenues des vérités évidentes, des principes.
Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 09 mars 2003 16:25 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
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