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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Histoire du mouvement ouvrier. Tome I: 1830 à 1871. (1948)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir de l'article du livre d'Édouard Dolléans (1877-1954), Histoire du mouvement ouvrier. Tome I : 1830 à 1871. Paris: Librairie Armand Colin, 1948, 4e édition, 397 pp. Coll. "Économie, Sociétés, Civilisations". Première édition, 1936. Épuisé chez l'éditeur. Une édition numérique réalisée par Jean-Claude Bonnier, bénévole, professeur d'histoire et d'économie au Lycée de Douai, dans le département du nord de la France.

Préface
de Lucien Febvre


Pour le livre vivant qu'on va lire, Edouard Dolléans me demande quelques mots d'introduction. L'orgueil serait de les lui refuser. C'est qu'il ne s'agit point ici de Préface endimanchée : d'un témoignage, simplement - celui qu'un historien, toujours préoccupé de l'incidence des faits économiques sur le destin des sociétés, doit rendre nécessairement à son compagnon d'armes, l'économiste historien. Pourvu, bien entendu, qu'ils aient l'un et l'autre en commun l'idée maîtresse : histoire, science de l'homme. Et qu'assaillis par les faits contradictoires ils sachent se camper, pareillement, au carrefour où toutes influences viennent se recouper et se fondre : je veux dire, dans la conscience des hommes vivant en société.

Or, cette position, c'est celle-là même qu'a toujours adoptée dans son œuvre Édouard Dolléans. Une œuvre qui pourrait s'inscrire, tout entière, sous la large rubrique d'Histoire non pas tant du Travail que des Travailleurs, et qui, mieux que d'autres, nous fournit l'occasion de jeter, sur la vaste province qu'étiquètent ces trois mots, un coup d'œil d'ensemble rapide, mais instructif.

Michelet, dans la Préface aussi belle que peu connue de son Histoire du XIXème siècle, nous montre un observateur contemplant de haut l'Europe de 1800 ; il dit lui-même « du haut d'un ballon » : hardiesse un peu désuète d'imagination et propre à faire sourire nos générations de libres aviateurs. Ce qui frappe sa vue ? En France, des masses énormes gravitant vers des casernes ; en Angleterre, des masses non moins grandes s'entassant dans des fabriques, ces casernes du travail. « Tout entière, constate l'historien, l'Angleterre d'elle-même y a passé et s'est enterrée là. Où est-elle, la vieille Angleterre, avec ses classes agricoles, le paysan, le gentilhomme de campagne ? Tout cela, en trois quarts de siècle, a disparu, fait place à un peuple d'ouvriers enfermés aux manufactures. » La vieille Angleterre : mais bientôt aussi la vieille Allemagne, et la vieille France rurale du Nord et de l'Est ? Début d'un nouveau livre dans l'Histoire du Monde : celui précisément, dont Édouard Dolléans, de bonne heure, s'est voué à tourner les pages, lourdes d'un avenir qui est notre présent.

Or, de quoi s'agissait-il pour lui, essentiellement ? D'étudier la condition changeante des masses ouvrières ; d'en suivre les vicissitudes à travers le temps ; d'examiner pour lui-même, et en lui-même, le gros problème de l'influence exercée sur cette condition par les progrès de la technique, par les inventions s'enchaînant les unes aux autres et déterminant, directement ou indirectement, non seulement le niveau de vie des ouvriers, mais encore leurs attitudes et leurs sentiments ?

Belles et passionnantes études, que d'autres se sont préoccupés de mener à bien par des méthodes appropriées : noms d'auteurs et noms d'ouvrages sont sur toutes les lèvres. Mais pareil examen n'était, pour Édouard Dolléans, qu'une introduction au véritable objet qu'il se proposait d'atteindre. Et d'abord, à l'étude détaillée de la formation, de la structure, de l'organisation interne des masses ouvrières dans les divers pays, telles qu'elles résultent, à la fois, du passé et du présent de chacun d'eux. Au milieu de ces masses, comme autant de ferments, de petits groupes d'hommes, des noyaux d'ouvriers intelligents, énergiques, avides de lire, capables de réfléchir à leurs lectures comme à leurs expériences : une véritable aristocratie du monde ouvrier. C'est elle, au jour le jour, qui oriente les réactions mouvantes de la masse vis-à-vis, non seulement des problèmes vitaux que pose la technique, mais encore et surtout des grands problèmes généraux et sociaux - problèmes d'enseignement et d'éducation, de conquête et de défense des libertés, d'attitude en face de la paix et de la guerre, etc. - qui se dressent devant les masses ouvrières et suscitent dans leurs couches profondes des réactions si particulières.

Voilà qui pouvait rapprocher nettement Édouard Dolléans de l'objet véritable des recherches qu'il instaurait : je veux dire d'une étude attentive de ce qu'on peut nommer « le mouvement ouvrier », ce singulier n'impliquant pas, naturellement, la réduction arbitraire à l'unité de tous les pays et de toutes les masses ouvrières : il s'agit de déceler leurs caractères communs, non pas, certes, d'ignorer les oppositions et les diversités nationales.

Or, comment sont nés les mouvements ouvriers au sein de nos sociétés, peu à peu pénétrées et transformées par ce machinisme dont l'installation coïncide en Angleterre, à la fin du XVIIIe siècle, avec la première des deux révolutions industrielles qui ont bouleversé l'univers depuis cent cinquante ans - celle de James Watt, s'il faut un nom pour la baptiser ; la seconde s'appellerait, si l'on veut, celle de Gramme ? Comment, à l'épreuve des faits nouveaux, s'est modifiée ce qu'on pourrait appeler l'idéologie des travailleurs et constituée une mentalité proprement et spécifiquement ouvrière ? Quel rôle ont joué, dans la constitution d'une telle idéologie, d'une part les systèmes des critiques, des prophètes, des doctrinaires ; de l'autre, les idées élaborées spécialement par cette élite ouvrière dont nous parlions à l'instant ? Gros problème d'influence : des idées sur les faits et, en retour, des faits sur les idées : celui-là même qu'il y a bien longtemps, dans la Revue de Synthèse Historique (1909), je posais moi-même à propos d'un petit livre substantiel de mon vieil ami Édouard Droz sur Proudhon, père unique, disait-il, ou tout au moins auteur principal du Syndicalisme français contemporain ; problème de vaste envergure, qu'il serait passionnant de reprendre et d'étudier à la lueur de biographies ouvrières précises, individuelles et vivantes, et par exemple, chez nous, en dressant, face aux affirmations dogmatiques des Saint-Simon, des Proudhon et des Marx, l'attitude de combat et l'activité nourrie d'expérience d'un Pelloutier, mort épuisé de misère et de maladie à trente-trois ans, ou bien, avant lui, celle des « hommes de la Commune », le relieur Varlin, le bronzier Camélinat, le comptable. Jourde - authentiques représentants d'une époque méditative et tourmentée.

Encore, par ces études, la série des points d'interrogation ne serait-elle point épuisée. Resterait à voir comment se sont constituées peu à peu les organisations nationales des masses ouvrières ; comment, par exemple, en France, se sont constituées lentement, laborieusement, par des centaines d'efforts obscurs et parfois contraires, la Fédération des Bourses, puis celle des Syndicats, puis enfin, au-dessus d'elles, la Confédération du Travail - cette oeuvre collective sur laquelle aucun homme n'a le droit, devant l'Histoire, d'apposer son nom ; comment enfin, au-dessus des institutions propres aux divers pays, s'est créée peu à peu une organisation générale, une sorte d'internationalisme ouvrier résultant et d'échanges, de plus en plus nombreux, d'idées entre des mouvements nationaux d'abord confinés en vases clos ; et de liaisons, de plus en plus étroites, entre les professions organisées de chaque pays ; et, finalement, de l'élaboration d'un droit ouvrier se définissant et se précisant chaque jour davantage. Voilà quelques-uns des innombrables problèmes qu'il s'agirait, si l'on voulait couvrir tout le vaste champ que nous prospectons, de poser correctement et d'étudier au triple point de vue de l'analyse des structures sociales, de la psychologie des mouvements collectifs ; finalement, de l'organisation et de la conquête d'un droit nouveau : le droit national ouvrier. Tout un monde de problèmes vivants.

Un monde de problèmes, mais qui n'ont fait reculer ni par leur ampleur ni par leur variété le travailleur plein de force et de maturité, nourri de lectures, mais aussi d'expériences, riche de la connaissance des textes et fort du maniement des choses qui a été pendant treize ans, de 1920 à 1933, à la tête du Secrétariat Général de la Chambre de Commerce Internationale, l'organisateur et l'animateur de sept ou huit grands congrès internationaux pour l'étude des problèmes d'échange les plus graves de l'après-guerre. Après avoir marqué sa place dans la plupart des grandes conférences économiques internationales qui caractériseront curieusement toute une phase de notre passé d'hier, Édouard Dolléans est venu simplement, par goût personnel et libre choix, reprendre à la Faculté de Droit de Dijon son enseignement universitaire ; un enseignement dont il sut toujours faire (son ancien collègue de la Faculté des Lettres, aux années fiévreuses d'avant-guerre, peut en donner ici le témoignage) mieux encore qu'une joie de l'esprit pour ses disciples : dans toute la force du terme, une amitié.

Nostalgie de raffiné, sensible au charme prenant des rues claires bordées de nobles hôtels qu'ombragent de grands arbres - ou de ces petites places à demi désertes qui nichent au flanc des églises dijonnaises : plages de silence et de douce lumière, sur quoi lentement se meut, pour rythmer les travaux paisibles, les heures et les saisons, l'ombre fraîche des clochers bourguignons ? Peut-être. Mais, très certainement, désir d'ajouter à la chaîne un maillon, de reprendre et de pousser plus avant, dans la pleine maturité, l’œuvre hardiment conçue dans l'allégresse juvénile des débuts.

Déjà, il y a vingt-cinq ans, dans ses beaux livres sur Robert Owen et sur le mouvement chartiste en Angleterre, Édouard Dolléans cherchait à démêler les origines théoriques et les origines historiques du mouvement ouvrier. Déjà, il essayait de définir la part des constructeurs de systèmes et des promoteurs d'action, celle des théoriciens et celle des militants dans cette agitation confuse du Chartisme où se mêlèrent à la violence et à une sorte d'humour bouffon, des comportements hérités du puritanisme et les appels d'un lyrisme à la fois chétif et grandiloquent. Aujourd'hui, reprenant et élargissant ses études, il s'attache dans son histoire de la pensée ouvrière de 1830 à nos jours, à bien situer à son plan l’œuvre puissante d'un Marx, d'un Proudhon et d'un Bakounine ; mais s'il met en lumière le visage humain de ces grands artisans d'idées, ceux qu'il pousse au premier plan, ce sont les militants obscurs qui ont forgé, péniblement, cet instrument de défense puis de libération : le syndicalisme. Respect de la vérité psychologique d'une vivante histoire ? Sans doute. Mais aussi, peut-être, instinct secret d'un moraliste attentif à défendre une conception du monde où l'homme, méditant librement son destin, serait, non point une machine aux réactions avilies par la publicité, mais, comme disait Michelet : son propre Prométhée.

LUCIEN FEBVRE.


Retour au texte de l'auteur: Édouard Dolléans (1877-1954) Dernière mise à jour de cette page le Mercredi 09 juillet 2003 09:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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