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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Histoire du mouvement ouvrier. Tome III: 1921 à nos jours. (1953)
Préface: Visions et méthodes


Une édition électronique réalisée à partir de l'article du livre d'Édouard Dolléans (1877-1954), Histoire du mouvement ouvrier. Tome III : 1921 à nos jours. Coll. "Économie, Sociétés, Civilisations", Librairie Armand Colin, Paris, 1953, 424 pp. Première édition. Épuisé chez l'éditeur. Une édition numérique réalisée par Jean-Claude Bonnier, bénévole, professeur d'histoire et d'économie au Lycée de Douai, dans le département du nord de la France.

Préface

Visions et méthodes


Les historiens sociaux doivent s'astreindre aux méthodes scientifiques rigoureuses; une fois soumis à cette stricte obligation afin d'évoquer des Sociétés réelles et non artificiellement construites, ils sont en droit d'animer et de rendre vivants les éléments qu'ils ont rassemblés; alors seulement ils peuvent devenir des visionnaires. Leur vision peut rayonner d'un foyer central : une région, une époque, un événement d'importance stimulatrice, un métier ou une classe, une grande unité vivante et mouvante par les relations qu'elle possède avec les pays qu'elle enrichit, ou par les travaux d'ensemble qu'elle suscite, telle La Méditerranée; les personnalités illustres ou effacées, biographies de personnages et de personnes, œuvres romancées comme celles d'Henry Poulaille, dont la forme permet à l'histoire d'être sensible et présente. Ces visions diverses donnent leurs cadres à l'inspiration de tel ou tel des historiens sociaux. Mais elles peuvent les dépasser par ce que j'appellerai la méthode de la découverte dont l'initiateur a été Lucien Febvre. Paru en 1912, Philippe II et la Franche-Comté cerne une société dans sa complexité, sous toutes ses faces et au triple point de vue de l'histoire politique, de l'histoire religieuse et de l'histoire économique. Son oeuvre poursuivie depuis cette époque s'est étendue sur tout le XVIème siècle. Et, en dehors de la Renaissance, son auteur a été conduit à projeter une vive lumière sur des méthodes fécondes et des perspectives plus larges. Dans la Revue historique, parlant de la thèse de Fernand Braudel, Lucien Febvre écrivait: «Organiser le passé en fonction du présent: c'est ce qu'on pourrait nommer la fonction sociale de l'histoire. On a fait la Théorie de l'Histoire, on n'a pas fait sa Sociologie (1

Et Lucien Febvre se plaint de ces historiens qui gardent une sorte de fétichisme du fait (2).

Partant d'un individu et de l'atmosphère dans laquelle il a vécu, Lucien Febvre fait rayonner sa recherche à travers toute une époque. En interrogeant l'individu, l'historien interroge le milieu, et, grâce à cette double interrogation, à cette recherche dans deux directions, il dessine le destin de l'individu et l'évolution de la société.

Pour rendre les visages de ses héros proches de nous, Lucien Febvre précise le comportement de leurs contemporains; leur psychologie n'est pas la même que celle des autres temps ; ils ont leur mentalité particulière et leurs réactions affectives, car notre imagination est courte et les hommes varient dans la réalité à de bien brefs intervalles. Que ce soit pour Rabelais, pour Bonaventure des Périers, pour Martin Luther ou dans son essai sur Marguerite de Navarre, Lucien Febvre a tracé la courbe d'un destin, situé l'individu dans le cadre de ce destin (3).

Poussant plus loin encore cette étude des correspondances entre le milieu et l'individu, Lucien Febvre publie une introduction géographique à l'histoire: La Terre et l'Évolution humaine (4). Les rapports et les relations de la terre et de l'histoire sont analysés par Lucien Febvre dans l'esprit de ces larges approximations et des suggestions sans cesse renouvelées de la vie que souhaitait le professeur Rauh, lorsqu'il écrivait (5): «[L'invention] née au contact de la réalité complexe vaut mieux que la preuve qui la suit lentement.» Lucien Febvre analyse «un esprit qui se cherche», sans rigidité systématique ou préconçue. Il s'efforce de classer les questions débattues qui se rattachent à la géographie physique, à la géographie humaine et à leurs relations avec l'histoire. Il tente de définir aussi nettement que possible ce que peut être, vis-à-vis de ces questions si délicates d'influence, l'attitude des géographes et des historiens.

Vers l'époque où Lucien Febvre publiait Philippe II et la Franche-Comté paraissait un essai: Le Chartisme (6). Ce grand mouvement social permettait de faire une large coupe dans la société anglaise au centre du XIXème siècle. L'ouvrage portait sur les relations des classes entre elles, sur la psychologie du prolétariat anglais, des masses et des militants. Ce qui domine la vision de cette histoire, c'est la diversité d'une société, même et peut-on dire principalement au moment où non seulement ses classes dirigeantes et ses classes aisées, mais aussi les classes sociales déshéritées, sont en pleine ascension et lorsqu'on assiste à l'élan des classes sociales les plus nombreuses. En face de l'éveil des consciences les plus humbles, on pourrait définir cette période de l'histoire de la Grande-Bretagne: la montée d'un peuple sur des plans contradictoires; en réalité trois plans, les classes moyennes et les classes ouvrières - le troisième plan s'exprimant par la permanence du torysme conservateur anglais, d'une essence très différente du comportement réactionnaire des nations du continent européen.

Cette multiplicité du destin du peuple britannique, cette diversité interne contrastée était inscrite déjà partiellement dans la configuration du pays physique. Elle révèle la réalité historique du pluralisme (7). Aussi l'historien est-il en défiance contre les explications unilatérales et contre tout dessein exclusiviste d'une école, d'un parti ou d'une forme de gouvernement en vue de forcer l'existence de ce peuple en un sens unique. Une intention de monisme est inhumaine parce que, inévitablement, elle conduit, pour atteindre ses fins, à l'oppression. Un être humain ne peut être forcé à la façon d'une plante, et, lorsqu'on arrache son adhésion par la violence ou seulement par la menace, son cri et même son silence n'est pas un consentement.

Enfin, les problèmes de contingence se révèlent plus proches de nous, leur complexité se précise, grâce aux contacts personnels, aux affrontements collectifs qui marquent les évolutions à travers un mouvement long et multiple, tel que le Chartisme. Ainsi apparaît une autre méthode: la méthode de vision par le dedans, que Armand Hoog définit justement lorsqu'il écrit: «Une méthode d'analyse des problèmes humains qui tienne à la fois sa rigueur des disciplines scientifiques et sa souplesse de la psychologie... Le destin est la forme de vie de celui qui ne dépasse pas ses fatalités…. Au-delà du destin auquel chacun est libre d'obtempérer, commencent le drame intérieur, le dépassement et le choix. (8


Notes

(1) LUCIEN LEBVRE, Compte rendu de La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l'époque de Philippe Il par Fernand Braudel, dans la Revue historique, juillet-octobre 1949.

(2) Cf. HENRI LÉVY-BRUHL,
Le Fait en Histoire, Revue de Synthèse.

(3) LUCIEN FEBVRE,
La Religion de Rabelais : Le Problème de l'Incroyance au XVIème siècle, Albin Michel ; Bonaventure des Périers, Presses Universitaires ; Martin Luther, Presses Universitaires ; Marguerite de Navarre, Gallimard.

(4) Bibliothèque de Synthèse historique, 1ère édition 1922, 2ème édition 1924.
(5) FRÉDÉRIC RAUH,
De la Méthode et de la Psychologie des sentiments, 1899.
(6) ÉDOUARD DOLLÉANS,
Le Chartisme, 2 vol., Préface de Sidney Webb, Ste Catherine Press, Édit. Floury, 1912-1913; 2ème édition en 1 vol., Marcel Rivière, 1948.

(7) Pluralisme plus incontestable encore pour la France et son histoire que pour celle de beaucoup d'autres nations : « Que la France s'appelle variété » (Lucien Febvre).

(8) L'historien aperçoit chez le romancier comme une forme individuelle de l'Histoire : « Romans et livres d'histoire se complètent puisque, sous deux angles différents, la vie des hommes en société leur doit de vivre et de revivre. Cf. ÉDOUARD DOLLÉANS, Drames Intérieurs. Balzac a été le grand peintre de la société de son temps. Après lui, dans des romans comme L'Assommoir, Germinal, La Terre, Zola a brossé des fresques aux couleurs épaisses et brutales. A l'inverse, avec une minutieuse attention aux infinies nuances du sentiment, Marcel Proust a donné une description cruelle d'une société mondaine en dissolution ; mais les coups de sonde dont elle est l'occasion nous font pénétrer loin dans les ténèbres de l'humain. De même, admirons le diptyque de GASTON ROUPNEL, romancier et historien, Nono, le Vieux Garain et Histoire et Destin.


Retour au texte de l'auteur: Édouard Dolléans (1877-1954) Dernière mise à jour de cette page le Jeudi 29 janvier 2004 06:47
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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