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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Une édition électronique sera réalisée à partir du texte de Gustave Dupin (1935), M. Poincaré et la guerre de 1914. Étude sur les responsabilités. (1935). Paris: Librairie du travail, 1935, nouvelle édition revue et augmentée, 155 pages. Une édition numérique réalisée par M. Jean-Paul Murcia, bénévole, professeur de philosophie à Dijon.
Avant-propos de la première édition Gustave Dupin, janvier 1930.
Depuis plus d'une dizaine d'années, j'ai reçu à maintes reprises des lettres de correspondants de province qui me disaient en substance : Puisque vous vous occupez des responsabilités de la guerre, indiquez-nous donc les ouvra-ges dont nous devons faire l'acquisition pour nous mettre au courant de cette question qui nous semble grave entre toutes...
Je répondais en dressant une liste aussi succincte que possible, mais réunissant cependant les principaux aspects de la question et y compris les plus indispensables des documents ; j'arrivais ainsi, et quel que fût mon souci d'économie, à un total de plusieurs centaines de francs, et c'était trop, le plus souvent, pour la bourse modeste de mes correspondants. Combien j'ai vu de bonnes volontés découragées par l'obstacle pécuniaire !
D'autre part, il n'existait pas encore de compendium général précis que je pusse indiquer, et c'est cette lacune, maintes fois constatée par une expérience déjà longue, que le présent travail a pour but de combler. Il a été conçu et rédigé dans le but de populariser les tableaux essentiels de la conflagration européenne ; tableaux volontairement estompés et défigurés par une presse complice de guerre, et trop souvent méconnus ou oubliés de l'opinion qu'elle égare. Au surplus, l'action vulgarisatrice de ce travail a été déjà essayée, si je puis dire, puisque tous ses chapitres, sauf deux, ont paru sous forme d'articles d'étude, soit dans Évolution, soit dans lÉcole Émancipée ; et c'est parce qu'on en a reconnu l'utilité que je les ai réunis et mis à jour des récents documents.
* * *
Les historiens officiels s'attachent à subtiliser la question des responsabilités en feignant d'accorder de l'importance à des pièces tout à fait secondaires et inadéquates, mais de façon à masquer les points essentiels irréfragablement acquis, à égarer l'opinion dans un byzantinisme spécieux et à lui donner la sensation de l'hermétique et de l'abscons ! La composition de la commission chargée de l'examen des archives du Quai d'Orsay, où pas un seul indépendant n'a eu accès, ainsi d'ailleurs que son fonctionnement occulte, contribuent à imposer à l'opinion publique le sentiment que de telles recherches ne sont point de sa compétence et passent de loin sa compréhension. C'est là une mystification de plus et un surérogatoire outrage au sens de la démocratie ; somme toute un tour de bateleur qui a pour but d'escamoter au souverain son droit d'examen et de décision en ce qui le touche le plus. Cette Commission, nommée par les prévenus eux-mêmes, et dans le but bien évident de se faire blanchir, est une des plus cinglantes dérisions dont on ait jamais fouaillé un peuple. Et dire que parmi la quarantaine de budgétivores compères qui la composent, il ne s'en est pas trouvé un seul pour avoir la pudeur de réclamer l'impartialité de la contradiction compétente et libre !...
Si l'on n'avait pas trompé la nation lors du déclenchement de la guerre, il est bien incontestable qu'on n'aurait pas aujourd'hui à lui dissimuler les faits qui se rapportent à ce moment tragique. Le travail qu'on va lire a pour but de fixer les points de repère essentiels d'une recherche que l'on voudrait à tout prix soustraire à son attention.
* * *
S'il est des lecteurs dont le sentiment autocratique et maurrasien affirme la nécessité du « faux patriotique », et qui croient que, par la suite, la raison dÉtat interdit de jamais dévoiler au peuple les artifices dont on s'est servi pour le faire marcher, que ceux-là rejettent ce livre, il n'est pas fait pour eux... Mais il s'adresse aux citoyens libres, ou qui, du moins, aspirent à l'être ; à ceux qui pensent que les gouvernants ne mentent que pour cacher leur malfaisance dans l'avilissement des gouvernés.
Il est pour ceux qui croient que l'inextricable gâchis de l'Europe d'après guerre a sa cause profonde dans le mortel sophisme de la légitimité des mensonges dÉtat.
Faut-il évoquer ici l'invraisemblable imbroglio de la Conférence de La Haye ? Pendant la guerre, en 1917, j'eus l'occasion de rencontrer Philip Snowden à Paris, dans une maison amie et hautement estimable, et après guerre, en 1925, j'ai causé avec son Secrétaire à Beaulieu. J'ai retiré de ces entretiens la certitude que le Chancelier travailliste avait sur les origines et les responsabilités à peu près la même opinion que nous. Dès lors, qui ne comprend que ses éclats disparates et inadéquats de La Haye dissimulaient mal un certain dépit de n'y pouvoir étaler ses véritables et secrètes raisons ? A qui fera-t-on croire qu'il y eût obtenu quatre-vingts pour cent de ses revendications et l'évacuation immédiate de la Rhénanie, s'il n'y eût fait sentir vigoureusement le fer de l'aiguillon, j'entends des vérités cachées. Au surplus, de retour in England, il y reçut l'approbation ostensible et marquée du Roi. Et je crois indiquer au chapitre IV du présent travail, que la décision rapide de publier les archives anglaises en quelques mois, révélait assez la volonté royale de se désolidariser de ce que lord Lansdowne a si bien nommé « le complot sinistre pour forcer à la guerre à tout prix ».
Véritablement, il commence à être flagrant que tous ces délégués, à Genève comme à La Haye et si bien intentionnés qu'on les suppose considèrent que l'Europe est dans la situation d'un morphinomane qui serait en danger de mort si on lui retirait brusquement sa drogue la drogue des mensonges de guerre. Personne n'y dit ce qu'il sait, ni n'y exprime le fond de sa pensée. Telle est la pitoyable équivoque qui pèse sur tous ces conciles européens.
Les efforts de Briand pour établir un état de paix rappellent assez ceux de Waldeck-Rousseau pour liquider l'affaire Dreyfus : c'est compromis d'avocat. Briand voudrait pacifier l'Europe, mais que jamais il ne soit question de la recherche de la vérité. Que dirait-on d'un chirurgien qui prétendrait fermer une plaie en y laissant une malpropreté ?... Il aurait beau multiplier ses exhorta-tions verbales : Plus de plaie ! Mettons la plaie hors des possibilités !... il n'en entretiendrait pas moins un foyer d'infection mortelle.
Les efforts de Briand, en admettant qu'ils soient momentanément utiles, seraient funestes à l'avenir, parce qu'ils sont au fond démoralisateurs, en éteignant chez les peuples le sentiment de la justice et de ses sanctions nécessaires. On ne fera pas plus la paix en gardant le mensonge, que l'on n'a pu faire la guerre en gardant la vérité.
Sincérité, peut-être. Mais la sincérité ni même le repentir ne suffisent. M. Briand ne commence-t-il pas à avoir conscience du spectacle qu'il donne : velléités personnelles d'avancer dans le sens de la confiance, et reculs effectifs que lui fait exécuter son gouvernement dans le sens de la méfiance. Car le pharisaïsme gouvernemental passe les bornes de l'hypocrisie. Et les assurances de désarmement que prodiguent nos actuels hommes dÉtat, valent exactement les dégrèvements qu'ils décrètent et qui, dans la réalité, se traduisent incontinent par un nouveau bond de vie chère !
La farce lugubre durera... ou se précipitera dans la catastrophe finale, à moins que les hommes de travail et de paix véritable, qui, eux, ne sont ni diplomates, ni délégués prébendés, ne se décident à ne plus favoriser la morphinomanie du mensonge dans l'unique but de sauver la face aux funestes politiciens de 1914, et que toutes affaires cessantes ils se rallient à la thèse dès longtemps posée par notre Société dÉtudes, à savoir que l'apaisement véritable et définitif ne peut résulter que de la justice dévoilant la vérité aux yeux de tous ; car, ainsi que l'a dit récemment le sénateur américain Shipstead, « la divulgation des faits et de la vérité concernant l'origine de la guerre est d'un intérêt vital pour la réconciliation des peuples en Europe. »
Mon désir serait que les personnes de bonne volonté dont je parle reconnaissent dans le présent travail un effort objectif autant que sincère vers la vulgarisation populaire de cet idéal.
* * *
Ce livre s'adresse spécialement aux pacifistes de toutes écoles et de toutes tendances, et ils sont nombreux dont la bonne volonté est émouvante, mais qui, par conséquence de l'étouffement systématique d'une presse complice, n'ont pas encore pu s'instruire des responsabilités précises de la catastrophe européenne. À ceux-là qui, maintes fois sans doute, ont dû souffrir confusément de l'insuffisance et de l'empirisme de leurs moyens d'action, il proposera la base critique et scientifique qui manquait à leurs généreuses dispositions.
Il n'y a qu'un moyen d'empêcher les égorgements mutuels des peuples, c'est que ceux-ci s'y refusent. Ils s'y refuseraient certainement s'ils savaient par quelles mensongères et infâmes machinations on a pu les entraîner en 1914. C'est donc cette démonstration qu'il faut populariser. En voici le rudiment historique.
G. D.
Janvier 1930.
Dernière mise à jour de cette page le Vendredi 05 septembre 2003 13:43 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
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