Note de Paul Chalus
Paul CHALUS,
Secrétaire général
du Centre International de Synthèse.
Ce qui apparaît aux époques cruciales de l'Histoire est comparable aux « émergences » dont parlent les biologistes et certains, philosophes. Ainsi l'invention de l'écriture, au troisième millénaire avant notre ère.
Et n'est-ce pas une autre « mutation » que cette transformation du manuscrit en livre imprimé ? Dans la carrière de cet « être » étrange qu'est le texte, l'écrit, grâce auquel peut se transmettre la pensée à travers le temps et l'espace, des caractéristiques nouvelles et révolutionnaires apparaissent brusquement. Si, dans les débuts, son apparence ne change guère - le livre du XVe siècle ressemble, le plus qu'il le peut, au manuscrit - la matière dont il est fait est assez nouvelle, du moins en Europe : une pellicule de nature végétale, le papier, qu'on peut fabriquer en grandes quantités, remplace le parchemin, d'origine animale, toujours rare et cher. D'autre part, grâce aux caractères mobiles, il se reproduit infiniment plus vite et plus facilement : au lieu de s'ajouter lentement les uns aux autres, les exemplaires apparaissent par centaines, par milliers à la fois.
Le présent ouvrage montre quelles furent les conditions et les phases de cette métamorphose. S'il permet, d'une part, de se rendre mieux compte des éléments qu'elle exigeait pour se produire, il montre, d'autre part, les profondes modifications qu'à son tour le livre imprimé - ce « ferment », selon l'expression de Lucien Febvre - produisit dans la culture européenne. Fille, en un sens, de l'humanisme naissant et de ses exigences, l'imprimerie en assura les progrès et le définitif triomphe. Cent ans après sa naissance, elle avait créé un monde nouveau - et une mentalité nouvelle.
On verra, dans ces pages attachantes, comment typographes, maîtres imprimeurs, libraires, auteurs enfin ont constitué assez rapidement un monde à part qui, en cette époque tout imprégnée encore de Moyen Âge, possédait un état d'esprit étonnamment ouvert, moderne, progressiste, pourrait-on dire - et dont l'influence fut grande. Ainsi, les hommes ont fait les livres, et les livres, à leur tour, ont façonné les hommes.
Histoire de la pensée, histoire des techniques, érudition bibliographique, psychologie des sentiments - connaissance des hommes -, tout cela était nécessaire et tout cela a été effectivement mis à contribution par Henri-Jean MARTIN pour réussir cet ouvrage. D'autre part, on y trouvera une Préface de la plume de Lucien FEBVRE, tandis que M. Marcel THOMAS a rédigé une Introduction consacrée aux manuscrits, qui furent, « durant tant de siècles, l'unique moyen de diffusion de la pensée écrite ». On doit aussi des contributions à Mme Marie-Roberte GUIGNARD et au R. P. Henri BEPNARD-MAITRE sur le livre et sa diffusion en Extrême-Orient, à Mme Anne BASANOF concernant le livre dans les pays slaves. M. Moché CATANE, de son côté, montre quelle fut l'utilisation rapide de l'imprimerie par les Juifs de tous les pays européens.
Grâce à cet ouvrage, dont il serait superflu de souligner l'importance, se trouvent mieux éclairées les origines effectives de notre manière de vivre et de penser : en cinq siècles la face du monde a été transformée par la « civilisation du livre ».
Paul CHALUS,
Secrétaire général
du Centre International de Synthèse.
Note. - Cet ouvrage est le tome XLIX de la Bibliothèque de Synthèse historique « L'Évolution de l'Humanité », fondée par Henri BERR et dirigée, depuis sa mort, par le Centre International de Synthèse dont il fut également le créateur.
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