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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Martin Luther, un destin (1928)
Avant-propos de la 2e édition, 1944


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Lucien Febvre, Martin Luther, un destin. 4e édition avec une postface de Robert Mandrou, 1968 Paris : Quadridge – PUF., 1988, 210 pp. Première édition, 1928. Une réalisation conjointe de Réjeanne Toussaint et de Jean-Marc Simonet, professeur retraité de l'enseignement, Université de Paris XI-Orsay, bénévoles.


Avant-propos de la 2e édition

Seize ans se sont écoulés depuis qu’a vu le jour (1928) ce livre, petit par le format, grand par le sujet. Il fut bientôt épuisé. De divers côtés, on m’a prié de le rééditer. Je l’ai donc relu attentivement. Avec des lunettes de myope tout d’abord — et j’espère avoir effacé les fautes, typographiques et autres, qui s’étaient glissées dans son texte. Avec des jeux tout clairs, ensuite, pour bien voir l’ensemble, de haut et de loin. — À ma honte peut-être, je l’avoue : je n’ai rien trouvé à y changer.

De bienveillants critiques — ce livre n’en eut point d’autres, à ma connaissance — m’ont reproché naguère de n’avoir pas poussé mon étude au-delà de 1525, d’avoir trop peu suivi, et de trop loin, le Luther d’entre 1525 et 1547 sur les chemins de la vie. Dans ce que j’appelais, dans ce que j’appelle toujours, d’un mot qui semble avoir troublé quelques-uns de mes lecteurs [1], le Repli. Si pour mieux préciser ma pensée, j’ai ajouté, dans cette édition nouvelle, deux petits mots à Repli, si je parle maintenant, sans équivoque je l’espère, d’un Repli sur soi — ces reproches amicaux ne m’ont point amené à changer d’avis. J’ai fait en 1927 ce que je voulais faire. J’ai dit, de mon mieux, le jeune Luther, et sa force, et sa fougue, et tout ce qu’il apportait de neuf au monde en étant lui. Obstinément lui. Rien que lui. Tout ce qu’il apportait ? Une nouvelle façon de penser, de sentir et de pratiquer le christianisme. Qui, n’ayant pu être ni écrasée dans l’œuf, ni avalisée telle quelle, ni digérée à l’amiable par les chefs de l’Église devint, de ce chef et tout naturellement, une religion nouvelle, une branche nouvelle du vieux christianisme. Et la génératrice sinon d’une nouvelle race d’hommes, du moins nouvelle variété de l’espèce chrétienne : la variété luthérienne. Moins tranchée sans doute dans son apparence extérieure, moins abrupte, moins faite pour se répandre hors des lieux d’origine que cette autre variété vivace et prolifique, qu’à trente ans de distance devait engendrer le Picard Jean Calvin ? Certes. Tenace pourtant. Durable. Susceptible de se plier à bien des événements divers. Capable d’attraction, au point d’adultérer parfois, à ce qu’il semble, la variété voisine et d’inspirer des craintes aux gardiens jaloux de sa pureté. D’importance historique considérable, en tout cas, du fait qu’elle peuple pX notamment une partie de l’Allemagne. Et que l’esprit luthérien adhère fortement à la mentalité des peuples qui l’adoptèrent.

Qu’il y ait lieu d’étudier le Luther d’après 1525 comme le Luther d’avant : point de doute. Qu’entre ces deux Luther, il n’y ait point d’ailleurs de coupure vraie — mieux, qu’il n’y ait pas deux Luther mais un seul ; que le Luther de 1547 soit toujours, en sa foi, le Luther de 1520 — d’accord. Je n’ai jamais voulu dire, je n’ai jamais dit le contraire. J’ai assez défendu la thèse, paradoxale aux yeux de beaucoup, que le Luther de la guerre paysanne, le Luther condamnant avec tant de passion, de véhémence et de cruauté les paysans révoltés, n’était pas un autre Luther que le Luther de 1520, celui qui écrivait les grands traités libéraux — j’ai assez cherché à établir, contre tant d’avis contraires et motivés, l’unité profonde et durable des tendances luthériennes à travers les événements les plus déconcertants — qu’il est inutile sans doute que je m’excuse d’une faute que je n’ai commise ni en fait ni en intention. Repli ne signifie pas coupure. L’être qui, heurtant ses tentacules de toutes parts au monde hostile, rentre le plus qu’il peut dans sa coquille pour s’y donner un sentiment de paix intérieure et de bienfaisante liberté — cet être ne se dédouble pas. Quand il sort à nouveau, c’est lui, toujours lui qui recommence à tâtonner dans le monde hérissé ; et inversement. — Seulement, qui veut comprendre chez un Luther ce jeu alterné de sorties et de rentrées, d’explorations et de retraites — ce n’est pas en 1525, en 1530 qu’il se doit placer pour prendre son départ. C’est bien avant. C’est au point d’origine. Situer ce point, avec précision, dans la vie de Luther ; suivre les premiers développements des germes de « luthérisme » qu’un examen attentif permet de déceler, dès avant que Luther ne soit devenu Luther ; voir naître, grandir et s’affirmer Luther dans Luther — et puis, l’affirmation faite et recueillie, s’arrêter ; laisser aux prises l’homme avec les hommes, la doctrine avec les doctrines, l’esprit avec les esprits qu’il lui faut ou combattre, ou rallier (et on ne rallie jamais des esprits, on ne gagne jamais des hommes, on ne substitue jamais une doctrine à une autre, sans laisser fatalement un autre esprit envahir son esprit, un autre homme pénétrer son humanité, d’autres doctrines mordre sur sa doctrine). — Voilà ce que j’ai voulu faire. Voilà la préface nécessaire, indispensable à toute étude du Luther d’après 1525. Une telle étude ne peut se suffire à elle-même ; il lui faut, en préface, la connaissance solide du Luther d’avant 1525 — et elle n’éclaire pas, elle ne permet pas, rétrospectivement, de comprendre, d’expliquer, de faire comprendre ce Luther. Au contraire, une étude du Luther d’avant 1525 — elle rend compte de tout Luther. C’était d’elle que, Français, nous manquions en 1927. C’est d’elle toujours que nous avons besoin en 1944.

J’écris cette phrase en sachant parfaitement que, depuis 1927, bien des événements se sont passés dans quoi Luther a joué, dans quoi on a fait jouer pXI à Luther un rôle. N’exagérons pas : un certain rôle tout de même. Des pièces d’argent de 5 marks frappées en Allemagne, dès 1933, à l’effigie du révolté, en ont suffisamment averti le peuple allemand. Des pièces de monnaie, toute une littérature aussi, sur quoi, dès 1934, nous attirions l’attention du public français.

Un nouveau Luther serait né dès lors. Un Luther que, dit-on, nous ne saurions comprendre, nous Français, nous étrangers. Un Luther tel que nous devrions considérer comme périmée à peu près toute la littérature qui fut consacrée avant 1933 au Réformateur. Un Luther en qui on nous prie de voir, non pas du tout une personnalité religieuse, mais, essentiellement, une personnalité politique dont l’étude impartiale serait de nature à nous communiquer « une compréhension nouvelle de la véritable nature du peuple allemand ». Déclarations à quoi semblait faire écho, en France, dès 1934, l’auteur d’une biographie de Luther écrivant qu’aussi bien, les questions que posait l’histoire de celui qu’on appelait, naguère, le Réformateur, ne relevaient pas, « pour inattendue que l’affirmation en puisse paraître, du domaine religieux — mais du domaine social, politique, voire économique ». Et il ajoutait, dans le corps de son livre, que « la doctrine elle-même est ce qu’il y a de moins intéressant dans l’histoire de Luther et du luthéranisme ». Car, « ce qui fait du Réformateur une puissante figure, c’est l’homme ; la doctrine est enfantine ».

Vieil enfant, pas plus en 1944 qu’en 1927, je n’ai de raison de penser, pour ma part, que la doctrine de Luther soit dénuée d’intérêt. Même pour une juste compréhension de la psychologie collective et des réactions collectives d’un peuple, le peuple allemand, et d’une époque, celle de Luther, que bien d’autres ont suivie : toutes teintées pareillement de luthéranisme. On m’excusera donc de rééditer ce petit livre sous la forme qui lui valut, entre autres marques de considération, de figurer dans la petite liste d’écrits retenus pas Scheel, dans la seconde édition de ses précieux Dokumente zur Luthers Entwicklung.

Sous la forme — à quelques corrections près, je l’ai dit, et à quelques additions. Il m’a paru, en relisant mon livre, que je passais trop vite sur la traduction de la Bible entreprise par un Luther otiosus dans ces mois « paresseux » de la Wartbourg dont l’activité nous stupéfie et nous frappe d’admiration — tant s’y montrent singuliers le pouvoir de travail et l’entrain créateur de l’Augustin mis hors la loi. Bonne occasion pour attirer l’attention du lecteur sur un style prodigieux et jamais étudié par d’autres que par des grammairiens : cependant, plus que tant d’autres, ce style, ce n’est pas seulement l’homme, c’est l’époque ; la trouble, la prodigieuse époque de Luther, si proche et si lointaine de la nôtre : mais nous la croyons toujours uniquement proche, et nous ne comprenons pas plus à propos de l’Augustin d’Eisleben qu’à propos du Cordelier de Chinon — cet autre prodigieux créateur de style — que ces hommes, au sens vrai des mots, pensaient d’une autre façon que nous, pXII et que, sur ce point, leur langue nous éclaire [2]. Le tout est de lui demander, de savoir lui demander ses lumières...

Paris, le 31 janvier 1944.

 

Ce livre est toujours assez demandé pour qu’à nouveau l’éditeur le réimprime. Son succès est attesté non seulement par ces rééditions mais par l’apparition, en 1945 à Bruxelles, d’une édition belge faite sur le texte de la première édition, et, en 1949, par la publication à Florence, chez Barbera, d’une traduction italienne. Je ne crois pas avoir de retouches à apporter à mon texte primitif. Je le livre de nouveau aux lecteurs et aux critiques — en confiance.

Paris, le 20 janvier 1951.

                                                                    L. F.



[1] Je pense surtout à M. Henri Strohl, ce luthérologue de haute et libérale compréhension.

[2] Voir ce que j’en dis dans Le problème de l’incroyance au XVIe siècle, La religion de Rabelais, Paris, 1943, in-8o, sqq., où se trouve esquissée, je l’espère, une méthode.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 27 avril 2008 19:22
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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