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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Une édition électronique réalisée à partir du texte de Marcel Griaule (1898 - 1956): DIEU D’EAU: entretiens avec Ogotemmêli. Paris: Librairie Arthème Fayard, 1975, 224 pages. Première édition: 1948. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris. Introduction Dans l’un des chaos de roches les plus étonnants de l’Afrique, vit une population de paysans-guerriers qui fut l’une des dernières du domaine français à perdre son indépendance. Pour la plupart des Blancs de l’Afrique occidentale, les Dogon sont de dangereux hommes, sinon les plus arriérés de la Fédération. Ils passent pour pratiquer encore des sacrifices humains et pour se défendre d’autant mieux contre les influences extérieures qu’ils habitent un pays difficile. Des littérateurs ont raconté leurs petites peurs lors d’excursions supposées téméraires. D’après ces légendes et sous prétexte de révoltes dues souvent à des malentendus, on a parfois tenu en exil des villages entiers. En bref, les Dogon représenteraient l’un des plus beaux exemples de primitivité farouche et cette opinion est partagée par certains Noirs musulmans qui, intellectuellement, ne sont pas mieux outillés que les Blancs pour apprécier ceux de leurs frères fidèles aux traditions ancestrales. Seuls les fonctionnaires qui ont assumé la lourde tâche d’administrer ces hommes ont appris à les aimer. L’auteur de ce livre et ses nombreux coéquipiers fréquentent les Dogon depuis une quinzaine d’années. Ils ont publié sur ces hommes des travaux qui en font actuellement le peuple le mieux connu du Soudan français : Les Ames des Dogon (G. DIETERLEN, 1941), Les Devises (S. DE GANAY 1941), Les Masques (M. GRIAULE, 1938) ont apporté à l’érudition la preuve que les Noirs vivaient sur des idées complexes, mais ordonnées, sur des systèmes d’institutions et de rites où rien n’est laissé au hasard ou à la fantaisie. Ces travaux, il y a déjà dix ans, attiraient l’attention sur des faits nouveaux concernant la « force vitale » dont les sociologues nous entretiennent depuis un demi-siècle. Ils démontraient l’importance primordiale de la notion de personne, elle-même liée à celle de société, d’univers, de divinité. Ce faisant, l’ontologie dogon ouvrait des horizons aux ethnologues et plaçait le problème sur un plan plus vaste. Par ailleurs tout récemment (1945), un livre retentissant sur La Philosophie bantoue (R. P. TEMPELS) analysait des notions comparables et posait la question de savoir si l’on doit « prêter à la pensée bantoue un système philosophique ». Par effets de persévérance et de méthode, quinze années après les premiers pas faits dans les rochers des Falaises de Bandiagara, à cette question il peut être répondu en ce qui concerne les Dogon : ces hommes vivent sur une cosmogonie, une métaphysique, une religion qui les mettent à hauteur des peuples antiques et que la christologie elle-même étudierait avec profit. Cette doctrine, un homme vénérable l’a confiée à l’auteur. Ogotemmêli, d’Ogol-du-Bas, chasseur devenu aveugle par accident, devait à son infirmité d’avoir pu longuement et soigneusement s’instruire. D’une intelligence exceptionnelle, d’une habileté physique encore visible malgré son état, d’une sagesse dont le prestige s’étendait dans tout son pays, il avait compris l’intérêt des travaux ethnologiques des Blancs et il avait attendu pendant quinze ans l’occasion de révéler son savoir. Il voulait sans doute que ces Blancs fussent déjà au fait des institutions, des coutumes et des rites les plus importants. En octobre 1946, il manda chez lui l’auteur et, durant trente trois journées, des entretiens inoubliables se déroulèrent, mettant à nu l’ossature d’un système du monde dont la connaissance bouleversera de fond en comble les idées reçues concernant la mentalité noire comme la mentalité primitive en général. On serait tenté de croire qu’il s’agit d’une doctrine ésotérique. D’aucuns ont même avancé, à première vue et sans attendre de précisions, qu’il y avait là spéculation individuelle d’intérêt secondaire. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui jugent bon de passer une vie sur les idées apparemment personnelles de Platon ou de Julien d’Halicarnasse. Bien qu’elle ne soit connue, dans son ensemble, que des anciens et de certains initiés, cette doctrine n’est pas ésotérique puisque chaque homme parvenu à la vieillesse peut la posséder. D’autre part, des prêtres totémiques de tous âges connaissent les parties correspondant à leur spécialité. Bien plus, les rites afférant à ce corps de croyances sont pratiqués par le peuple entier. Certes, ce peuple n’a pas toujours la connaissance profonde de ses gestes et de ses prières, mais en cela il ressemble à tous les peuples. On ne saurait taxer d’ésotérisme le dogme chrétien de la transsubstantiation sous prétexte que l’homme de la rue ignore ce mot et n’a que des lueurs sur la chose. Une réserve de même sorte pourrait être faite concernant la valeur explicative et représentative de cette doctrine, concernant la mentalité noire en général. On pourrait avancer que ce qui vaut pour les Dogon ne vaut point pour les autres populations du Soudan. A cela, l’auteur et ses coéquipiers répondent avec assurance : la pensée Bambara repose sur une métaphysique aussi ordonnée, aussi riche et dont les principes de base sont comparables à ceux qu’utilisent les Dogon. Les travaux de Mme G. Dieterlen et de Mme de Ganay en apportent le témoignage. Il en est de même des Bozo, pêcheurs du Niger, des Kouroumba, cultivateurs du centre de la Boucle, des énigmatiques Forgerons des mêmes régions, chez lesquels les enquêtes ne font que commencer. Il ne s’agit donc point ici d’un système de pensée insolite, mais bien du premier exemple d’une suite qui sera longue. Ce faisant, l’auteur souhaite atteindre deux buts : d’une part, mettre sous les yeux d’un public non spécialiste, et sans l’appareil scientifique habituel, un travail que l’usage réserve aux seuls érudits ; d’autre part, rendre hommage au premier Noir de la Fédération occidentale qui ait révélé au monde Blanc une cosmogonie aussi riche que celle d’Hésiode, poète d’un monde mort, et une métaphysique offrant l’avantage de se projeter en mille rites et gestes sur une scène où se meut une multitude d’hommes vivants.
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