[7]
Aperçus sur l’ésotérisme islamique
et le taoïsme.
Avant-propos
- « Dans l’Islamisme, a écrit Guénon, la tradition est d’essence double, religieuse et métaphysique ; on peut qualifier très exactement d’exotérique le côté religieux de la doctrine, qui est en effet le plus extérieur et celui qui est à la portée de tous, et d’ésotérisme son côté métaphysique, qui en constitue le sens profond, et qui est d’ailleurs regardé comme la doctrine de l’élite ; et cette distinction conserve bien son sens propre ; puisque ce sont là deux faces d’une seule et même doctrine. »
Il convient d’ajouter que, pour Guénon, l’ésotérisme est toujours et partout le même, quels que soient les noms qu’on lui donne suivant la variété des pays et des traditions. Si la connaissance véritable de l’ultime Réalité est l’objet final de la recherche ésotérique, les méthodes utilisées, bien que souvent analogues, ne sont pas forcément identiques ; elles peuvent varier comme varient les langues et les individus. « La diversité des méthodes, nous [8] écrivait Guénon le 3 octobre 1945, répond à la diversité même des natures individuelles pour lesquelles elles sont faites ; c’est à la multiplicité des voies conduisant toutes à un but unique. »
Dans ce petit livre, nous avons réuni en chapitres un certain nombre d’articles anciens relatifs au Çûfisme (Et-Taçawwûf), c’est-à-dire à l’ésotérisme islamique. On complétera non seulement par quelques passages qui y font allusion dans ses différents ouvrages, notamment dans Le Symbolisme de la Croix, mais aussi par deux articles reproduits dans les Symboles fondamentaux : « Les mystères de la lettre Nûn » et « Sayful-Islam ».
Nous avons donné comme premier chapitre sur l’Ésotérisme islamique, paru dans
les Cahiers du Sud, bien qu’il soit postérieur aux autres pour la date de parution, parce que c’est celui qui précise le mieux les particularités de l’initiation en Islam, en définissant les notions fondamentales de Taçawwûf : Shariyah Tarîqah Haqîqah ; la première constituant la base exotérique fondamentale nécessaire ; la seconde la Voie et ses moyens ; la troisième le but ou le résultat final. Dans les autres chapitres, Guénon expose avec sa clarté synthétique habituelle ce qu’est le Tawhid et le Faqr, et donne des exemples de sciences traditionnelles à propos de l’Angélologie de l’alphabet [9] arabe, de la Chirologie et de la Science des lettres (Ilmûl-hûrûf).
René Guénon a longuement parlé, notamment dans les Aperçus sur l’initiation, Le Règne de la quantité et les signes des temps et Initiation et réalisation spirituelle, de ce qu’il a appelé la « Contre-initiation » et la « Pseudo-initiation ». Les auteurs arabes ont traité aussi de cette question à propos des awliyâ es-shaytân et à propos des « faux çûfis » qui sont, dit l’un d’eux, « comme des loups parmi les hommes ».
Abû Ishâq Ibrâhîm al-Holwânî demandait un jour à Hussein ibn Mançûr al-Hallâj ce qu’il pensait de l’enseignement ésotérique (madhab al-bâtin). Al-Hallâj lui répondit « Duquel veux-tu parler, du vrai ou du faux ? (bâtin al-bâtil aw bâtin al-Haqq). S’il s’agit de l’ésotérisme vrai, la voie exotérique (sharîyah) est son aspect extérieur et celui qui la suit vraiment découvre son aspect intérieur qui n’est autre que la connaissance d’Allâh (marifah billah) ; quant au faux ésotérisme, ses aspects extérieur et intérieur sont tous les deux plus horribles et détestables l’un que l’autre. Tiens-t’en donc à l’écart. »
Guénon dira semblablement : « Quiconque se présente comme instructeur spirituel sans se rattacher à une forme traditionnelle déterminée ou sans se conformer aux règles établies par celle-ci ne peut avoir véritablement la qualité [10] qu’il s’attribue ; ce peut être, suivant les cas, un vulgaire imposteur ou un “illusionné”, ignorant les conditions réelles de l’Initiation ; et dans ce dernier cas plus encore que dans l’autre, il est fort à craindre qu’il ne soit trop souvent, en définitive, rien de plus qu’un instrument au service de quelque chose qu’il ne soupçonne peut-être pas lui-même [1]. »
Le dernier chapitre est consacré au Taoïsme et au confucianisme. Il montre que la différence entre l’ésotérisme et l’exotérisme se rencontre également dans les formes non religieuses de la Tradition. Et c’est normal, puisqu’il s’agit là, tant pour les rites que pour la perspective, d’une différence de nature et même de nature profonde.
Beaucoup plus ancien que La Grande Triade, le dernier livre que Guénon ait publié de son vivant, et où il a parlé le plus de la civilisation chinoise, cet article contient une réflexion finale qui ne manque pas d’intérêt. Guénon y déclare en effet que quelles que soient les conditions cycliques qui pourront entraîner la disparition plus ou moins complète de l’aspect extérieur de la tradition chinoise, l’ésotérisme de celle-ci, le Taoïsme, ne mourra jamais, parce que, dans sa nature essentielle, il est éternel, c’est-à-dire au-delà de la condition temporelle.
[11]
Comme nous l’avons fait précédemment pour les recueils posthumes que nous avons présentés aux lecteurs depuis plusieurs années : Études sur la franc-maçonnerie et le compagnonnage, Études sur l’hindouisme, Formes traditionnelles et cycles cosmiques ainsi que pour la nouvelle édition du Théosophisme nous avons ajouté quelques comptes rendus de livres et de revues où René Guénon donne d’intéressantes précisions sur l’orthodoxie traditionnelle.
Roger Maridort,
février 1973.
[12]
[1] Initiation et réalisation spirituelle ; chapitre sur « Vrais et faux instructeurs spirituels », p. 144-145.
|