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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Élie Halévy, L'Angleterre et son empire. (1905)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Élie Halévy, L'Angleterre et son empire. “Pages libres” Éditeur, Paris, 1905, 128 pp. Collection “Études sur la politique extérieure des États”. Une édition numérique réalisée à partir d'un facsimilé de la Bibliothèque nationale de France, Gallica.

[5]

L’Angleterre et son empire.

Introduction

[6]
[7]

Les souverains vainqueurs de la France napoléonienne avaient fondé » en 1815 » une sorte de ligue pour défendre, à travers l'Europe, les Institutions établies, et intervenir collectivement dans tous les pays où ces institutions seraient menacées par l'agitation libérale. Canning, ministre des affaires étrangères en 1822, rompt avec la « Sainte-Alliance », et donne à la politique extérieure de l'Angleterre une orientation nouvelle. Il retourne, contre les puissances absolutistes, le « principe d'intervention ». Il favorise l'émancipation des colonies espagnoles de l'Amérique du Sud. Il favorise l'émancipation de la Grèce. En échange de la protection politique que l'Angleterre offre aux peuples libérés# elle leur demande des traités de commerce, qui lut permettent de leur expédier sans entraves les produits industriels dont elle est encombrée. Que cette politique réussisse, et l'on verra se constituer, [8] en face du vieux monde, monarchique et féodal, dont les capitales sont Saint-Pétersbourg, Vienne et Berlin, une société occidentale, fondée sur les principes nouveaux de la liberté politique et du libre échange, et qui aura son centre à Londres,

L'alliance française est un élément nécessaire de cette politique, et la France en rend souvent l'exécution difficile, à partir du moment surtout où, les whigs étant parvenus au pouvoir, c'est lord Palmerston qui continue l'application du système de Canning. Car la France n'est pas tombée au niveau de l'Espagne et du Portugal, où un « parti anglais », dirigé par les représentants diplomatiques de l'Angleterre, lutte avec le parti de la Sainte-Alliance. Les libéraux français n'acceptent pas la tutelle anglaise : beaucoup se souviennent des guerres de la Révolution et de l'Empire, et veulent que leur pays recommence à jouer en Europe le grand rôle qu'il avait joué naguère. Lord Palmerston, en conséquence, a des difficultés avec le gouvernement de Louis-Philippe au sujet de la Belgique, lorsqu'on peut craindre de voir la France reprendre, de ce côté, sa politique traditionnelle d'agrandissements territoriaux ; au sujet de l'Espagne, où le roi des Français poursuit une politique dynastique ; au sujet des affaires d'Orient, lorsque Thiers, ayant voulu appuyer la révolte égyptienne de Mehemet-Ali, volt se reformer contre lui, à l'instigation de lord Palmerston, la coalition [9] de 1814 et de 1815, l'alliance de l'Angleterre avec les puissances du Nord.

Mais la politique de lord Palmerston réussit chaque fois qu'une révolution installe à Paris un gouvernement nouveau, heureux de l'alliance et du patronage que lord Palmerston lui offre aussitôt. Elle triomphe en 1854, lorsque lord Palmerston, de concert avec Napoléon III, envoie une expédition franco-anglaise vaincre la Russie dans la Mer Noire. En 1856, le traité de Paris renverse les positions établies en 1815. Toutes les puissances européennes se trouvent alliées contre la Russie, sous la direction des deux puissances occidentales, de l'Angleterre et de la France.


À cette politique européenne correspond une politique coloniale.

L'Angleterre est devenue, pendant la première moitié du siècle, la nation colonisatrice par excellence ; mais elle se souvient toujours de la leçon qu'elle reçut lorsqu'elle perdit, au siècle précédent, ses colonies d'Amérique. Les doctrinaires du nouveau mouvement colonial sont des démocrates et des libres échangistes, qui réclament pour les nouvelles colonies la plus grande quantité possible de liberté politique et de liberté économique. S'ils préconisent la colonisation, c'est comme un moyen d'atténuer, sans recourir au socialisme d'État, les crises dont l'industrie anglaise souffre périodiquement. Il n'y aura plus surpopulation, lorsque les [10] Anglais qui ne trouvent pas à manger chez eux s'en iront peupler au loin des déserts. Il n'y aura plus surproduction, lorsque ces c migrant s seront devenus assez riches, par l'élevage et la culture, pour absorber le trop-plein de l'industrie métropolitaine. Mais, soit que l'on considère les colonies comme des marchés pour l'écoulement des produits industriels, soit qu'on les considère comme des débouchés pour l'écoulement de la population, elles sont évidemment d'autant plus utiles qu'elles coûtent moins, et par suite, d'autant plus utiles qu'elles sont moins gouvernées. Les États-Unis d'Amérique sont la plus riche et la plus utile des colonies anglaises. Il faut donc que les autres colonies, dans l'Amérique du Nord, dans l'Afrique Australe, dans l'Australie, tendent, avec la connivence de l'Angleterre, vers cette indépendance que les États-Unis d'Amérique durent conquérir par une révolution violente. Le ministère des colonies ne vise plus à exercer de contrôle sur l'administration des colonies, si ce n'est dans la mesure nécessaire pour empêcher les colons de se laisser entraîner à une politique d'expansion territoriale : c'est le gouvernement central qui, en 1852 et en 1856, émancipe successivement le Transvaal et l'État d'Orange, contre le vœu des colons anglais du Cap.

Assurément l'Angleterre possède, outre les colonies de peuplement, d'autres territoires, habités par des populations ou trop barbares [11] ou trop peu progressives pour qu'il puisse être question de leur accorder l'autonomie : mais elle en augmente aussi peu que possible le nombre et l’étendue. En Afrique, il lui suffit de garantir la sécurité du commerce sur les côtes. Aux Indes, les vice-rois sont hostiles, par tradition et par principe, à toute extension territoriale vers le Nord. En Chine, les « guerres de l'opium » elles-mêmes ont pour objet non de conquérir des provinces mais de forcer l'entrée d'un marché systématiquement fermé aux produits de l'industrie européenne. La politique coloniale de l'Angleterre, vers le milieu du dix-neuvième siècle, vise non pas à dominer, mais seulement à commercer.


Toute cette politique extérieure — politique européenne et politique coloniale — est une politique de principes, une politique libérale. Le gouvernement anglais intervient en Europe : mais c'est pour défendre les institutions libérales contre les puissances absolutistes. Hors d'Europe il n'intervient pas, si ce n'est pour assurer partout la liberté des échanges. Elle est en même temps une politique d'intérêt, une politique nationale. Par elle, la diplomatie anglaise est prépondérante en Europe. Par elle, le commerce anglais a la suprématie sur toutes les mers.

Or, dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, sous la pression des circonstances, cette politique a subi une révolution. L'Angleterre s'est [12] de plus en plus abstenue d’intervenir, ou, pour parler plus exactement, n'a plus trouvé l'occasion d'intervenir dans les affaires de l'Europe. En revanche, de pressants intérêts économiques l'ont entraînée à intervenir sans cesse par les armes ; hors d'Europe, pour protéger et pour étendre son empire colonial. C'est ce que Ton exprime, plus brièvement, en disant que la politique extérieure de l'Angleterre est devenue « impérialiste ».



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 7 février 2024 22:46
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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