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Collection « Les auteur(e)s classiques »

La Formation du radicalisme philosophique.
Tome III. Le Radicalisme philosophique. (1901)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Élie Halévy, La Formation du radicalisme philosophique.Tome III. Le Radicalisme philosophique. Première édition 1901. Paris: Les Presses universitaires de France, 1995, 448 pp. Collection: Philosophie morale. Une réalisation conjointe de Réjeanne Toussaint (Chomedey, Ville Laval, Québec) et de Jean-Marc Simonet, professeur retraité de l'enseignement, Université de Paris XI-Orsay, bénévoles.

Avant-propos

« Entre erreur et sophisme, il y a une différence facile à saisir. Erreur désigne simplement une opinion fausse ; sophisme désigne aussi une opinion fausse, mais dont on fait un moyen pour un but [1]. » Ainsi s'exprime Bentham, dans son Traité des sophismes politiques. Or quelles sont, selon lui, les causes des sophismes ? Tout homme public, nous dit Bentham, est soumis constamment à l'influence de deux intérêts distincts : l'intérêt général, « constitué par sa participation au bonheur de la communauté tout entière », et l'intérêt privé, « constitué par la part qu'il a dans les avantages d'une fraction de la communauté [2] ». Un homme public recourra au sophisme dans la mesure où, son intérêt privé entrant en conflit avec l'intérêt général, il désirera nécessairement défendre, comme l'intérêt général, l'intérêt de la corporation particulière à laquelle il appartient. Faire voir qu'il n'y a pas identité entre les intérêts des gouvernants et ceux des gouvernés, et travailler à la réaliser, c'est à quoi tend l'effort des réformateurs. Faire croire que cette identité d'intérêts se trouve déjà réalisée entre gouvernants et gouvernés, c'est à quoi tendent tous les discours des membres de la corporation gouvernante. Groupés sous les ordres de Bentham et de James Mill, trouvant enfin, depuis le rétablissement de la paix, un public pour écouter leur voix, les radicaux philosophiques attaquent, en bloc et systématiquement, tous les sophismes des partis conservateurs.

Sophismes économiques. Chaque groupe de producteurs demande à être protégé par l'État contre la concurrence étrangère ; mais le résultat de cette politique de protection, c'est que tous les consommateurs, c'est-à-dire tous les citoyens sans exception, pâtissent. Il y a conflit entre l'intérêt privé des groupes et l'intérêt général de la nation. Les économistes utilitaires, Ricardo et ses disciples, réclament l'abandon d'une politique aussi absurde qu'elle est compliquée, et le sacrifice des intérêts de groupe à l'intérêt général. Déjà les industriels renoncent à réclamer la protection de l'Etat : les propriétaires du sol et leurs clients constituent, à eux seuls, tout le parti protectionniste. La nouvelle économie politique démontre cependant, avec une rigueur mathématique, que l'opération des lois de la nature les enrichit nécessairement, et sans nul effort de leur part, aux dépens de toutes les autres classes sociales. Les réformateurs utilitaires ne demandent pas la confiscation des fermages : car cette politique de confiscation impliquerait l'accroissement des fonctions de l'Etat, et, de toutes les corporations, la corporation gouvernementale leur apparaît comme la plus détestable. Mais ils demandent que l'Etat cesse d'accroître, par un protectionnisme inique, les avantages, naturellement énormes, dont jouissent les propriétaires du sol, et que, réduisant à rien ses fonctions économiques, il promulgue la liberté des échanges de tous les produits, entre tous les individus, sur toute la surface du globe.

Sophismes que l'on peut appeler proprement politiques. Les partis conservateurs ont fini par accréditer en Angleterre cette idée que gouvernement complexe et gouvernement libéral sont deux expressions synonymes. La vérité, c'est que la complexité des institutions politiques et judiciaires en Grande-Bretagne est le rempart des privilèges artistocratiques, et non des libertés populaires. Simplifiez le régime électoral en instituant le suffrage universel, placez tous les détenteurs du pouvoir exécutif dans la dépendance étroite du Parlement, et le Parlement lui-même dans la dépendance étroite de la majorité, il devient inutile alors de protéger la liberté de l'individu, par la complexité des institutions et de la procédure, contre les usurpations du pouvoir administratif. Puisque celui-ci émane directement de la volonté du plus grand nombre, il doit arriver que ses décisions seront, en général, conformes à l'intérêt du plus grand nombre ; il convient donc de les rendre, par la simplification des lois constitutionnelles et des formalités, aussi faciles et aussi rapides que possible. Pendant que les whigs opposent la complexité du régime libéral à la simplicité du régime despotique, les radicaux de l'école de Bentham opposent l'énergie du régime démocratique aux lenteurs des gouvernements complexes et aristocratiques.

Sophismes philosophiques enfin. Ils sont, en quelque sorte, à la base de tous les autres. La morale « sentimentale », et en particulier la morale « ascétique », est, si nous en croyons Bentham, le produit d'un régime aristocratique. Ceux qui enseignent la morale du sacrifice, ceux qui exhortent l'individu à sacrifier son intérêt à un idéal supérieur, ceux qui commettent ce contresens d'opposer l'intérêt de l'individu à l'intérêt de la société, comme si la société était autre chose que la collection de tous les individus, ne sont pas, à proprement parler, victimes d'une erreur : ils se rendent, plus ou moins consciemment, coupables d'un sophisme. Membres de la corporation gouvernante, c'est aux intérêts de cette corporation qu'ils invitent les individus à se sacrifier. Mais les utilitaires ne prêchent aux hommes ni l'obéissance ni l'humilité ; c'est par la défense égoïste de leurs droits et de leurs intérêts qu'ils les invitent à réaliser la prospérité générale. Pour les convaincre, ils s'appliquent à détruire le dualisme établi par la philosophie traditionnelle entre la raison et la sensation, entre le devoir et l'intérêt ; comme la raison est le produit naturel de l'arrangement des sensations, l'ordre moral résulte nécessairement de l'équilibre des intérêts. Ainsi, grâce à Bentham et à James Mill, s'évanouissent les obscurités sophistiques de la morale et de la logique, et la simplification des lois se trouve préparée par la simplification de la pensée philosophique.



[1] Jeremy Bentham, Traité des sophismes politiques, p. 1 ; cf. Bowring, vol. Il, p. 379. - Les manuscrits du Traité se trouvent dans les Mss. Univ. Coll. n°s 103, 104. - Sauf quelques fragments de 1804, 1806 et 1808, ils ont tous été rédigés depuis le mois d'août 1809 jusqu'au mois de juin 1811. - Voir, dans Bowring, vol. X, p. 519-520, le plan primitif de l'ouvrage, postérieurement modifié par Dumont, qui publia l'ouvrage sous forme d'un second volume faisant suite à Tactique des Assemblées législatives, Genève, 1816. - Bentham remet la main à ces manuscrits de 1818 à 1822 (Mss. Univ. Coll. n° 105).

[2] Jeremy Bentham, Traité des sophismes politiques, p. 226 ; cf. Bowring, vol. II, p. 475.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 26 juin 2009 9:53
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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