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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Une édition électronique réalisée à partir des textes de Jean Itard (1774-1838), Mémoire et Rapport sur Victor de l'Aveyron. Paris: Bibliothèque 10-18, octobre 2002, 123 pages. Deux textes publiés en annexe de Lucien Malson, Les enfants sauvages. Avec une préface inédite de Philippe Folliot, professeur de philosophie au Lycée Ango, à Dieppe en Normandie et responsable du site Philotra. [Mémoire sur les premiers développements de Victor de lAveyron (1801); Rapport sur les nouveaux développements de Victor de lAveyron (1806 ; imprimé en 1807).] Une édition numérique réalisée par Pierre Palpant, bénévole, pré-retraité, Paris. Préface inédite de Philippe Folliot, bénévole, professeur de philosophie, Lycée Ango, à Dieppe en Normandie et responsable du site Philotra, le 29 décembre 2003. « Victor de lAveyron », découvert à la fin du XVIIIème, remis à Itard par des spécialistes de lépoque qui ne voyaient en lui quun idiot banal, est lenfant sauvage le plus connu, certainement plus par le film de François Truffaut que par les rapports dItard, publiés tardivement. Plus rarement parle-t-on des enfants-loups, des enfants-porcs, des enfants-ours, et autres enfants-moutons, pourtant tout aussi réels. Dans ces cas, le spectaculaire lemporte trop souvent, et lon oublie de se poser les questions essentielles à leur sujet. Quest-ce dabord quun enfant sauvage? Cest un enfant qui a grandi hors de la société des hommes, hors de la civilisation, parfois seul, parfois en compagnie danimaux, en tout cas loin du modèle humain et des relations sociales. On a parfois dit que la question posée par ces cas était celle de la différence entre lhumanité et lanimalité; elle est plus précisément celle de la nature humaine. On croyait naïvement ce fut en partie le cas de Rousseau quil suffisait dôter la croûte civilisatrice pour retrouver lhomme naturel, et lauteur du Discours sur lorigine, comme dautres, rêvaient dexpériences (1) qui permettraient de révéler une nature humaine originelle dont nous nous éloignons chaque jour davantage (2). Quentendait-on alors par nature humaine? Un ensemble de caractéristiques universelles innées, dordre biologique, intellectuel, moral, et même métaphysique. Les conceptions sopposaient sur le fait de savoir si cette nature déterminait visiblement nos comportements ou si elle demeurait enfouie, écrasée par le milieu et lhistoire, si elle était bonne ou mauvaise, mais rarement cherchait-on à la nier. En effet, si cette nature nexistait pas, quétait alors lhomme ? Fallait-il se résigner à admettre que lhumanité était un artifice humain social, arbitraire, que les hommes se produisaient les uns les autres, par léducation, par le milieu, indépendamment dun créateur? Car la question allait bien jusque là: «le sensualisme grossier» reproché à Diderot, qui avait dû prendre le chemin de la Bastille pour sa Lettre sur les aveugles, sinscrit dans la même perspective: si les idées intellectuelles et morales de laveugle ne saccordent pas avec nos prétendues idées innées, ces dernières dépendent en fait de nos sens, et lidée dune origine divine dun être humain non animal, animé dune conscience morale donnée par le créateur, sécroule. Certains essayèrent bien de voir en les enfants sauvages les résultats de tares héréditaires (3), mais lidée de nature humaine était à lagonie. Lethnologie a enfoncé le clou en montrant la diversité socioculturelle et le caractère relatif et acquis dattitudes, de coutumes, de sentiments, que nous avions crus universels (4). Que restait-il de lhomme naturel: quelques caractéristiques biologiques. On a désormais compris que lexpression «homme naturel» na aucun sens : lhomme est culturel ou nest pas. Il est le fruit du milieu. Fallait-il être naïf pour croire comme Frédéric II de Hohenstaufen que des enfants à qui on ne parlerait pas utiliseraient naturellement lhébreu, langue naturelle! Mais nallons pas trop loin. Labandon de la vieille idée de nature humaine nest pas louverture à nimporte quelle thèse métaphysique dune autocréation de lhomme ex nihilo. La critique du déterminisme dune nature innée ne permet aucunement daffirmer la légitimité dun existentialisme qui veut affirmer la liberté humaine face à une facticité presque totalement neutre. Lhomme ne fait pas de lui nimporte quoi, et il ne faut pas exagérer dans le but peut-être inavoué de saper le fondement dune morale le relativisme. Le bébé, si lon ignore pour linstant son avenir, fils de bourgeois, enfant de prolétaire, ou enfant sauvage, nest pas le lieu dinfinies potentialités. Si Lucien Malson (5) a raison de dire quil nest «rien que des virtualités aussi légères quune transparente vapeur » et que «toute condensation suppose un milieu» (6), il ne faudrait pas en conclure que lhomme peut échapper à lactualisation sociale déterminée de caractéristiques potentielles en nombre limité. Un homme nest ni un pigeon, ni un éléphant. Quoi quon dise, il ny a pas dinfinies façons dêtre humain au milieu des hommes. Il ne sagit nullement ici de justifier un ethnocentrisme que nous savons dépassé, mais denvisager la possibilité dune définition de la nature sociale de lhomme. On a pu, pour différentes raisons, se moquer du vivant politique dAristote, mais son propos, débarrassé dune perspective finaliste, est pertinent. Lhomme est fondamentalement social, il est homme, ni bête, ni dieu, en étant social. Cest en comprenant ce «social», dont luniversalité est évidente, quon peut comprendre lhomme. Le reste est mythe. Disons quelques mots de lhomme Itard (1774-1838). Médecin à linstitution des sourds-muets de Paris, influencé par lempirisme et le sensualisme, il avait compris limportance fondamentale de la culture. Pour Pinel, Victor nétait quun arriéré mental, incapable de progrès. Le but dItard a été de sortir le sauvage de létat dans lequel il fut trouvé, pour montrer que lhomme est essentiellement un être « construit ». Malgré les limites, les progrès de Victor furent manifestes, ce qui montrait que le déficit de Victor nétait pas définitif, mais le fruit dune insuffisance de stimulations du milieu . À cet égard, Itard est un pionnier, et il ouvre la voie à la psychiatrie infantile. Notes: (1) Jean-Jacques Rousseau : Discours sur lorigine et les fondements de linégalité parmi les hommes, Préface. (2) On prête de telles expériences au pharaon Psammétique et à Frédéric II de Hohenstaufen. (3) Et on voulait voir là la raison de labandon de ces enfants, alors que lexpérience montre que labandon tient à des facteurs fort différents. (4) On peut bien sûr rappeler le rôle du béhaviorisme et du marxisme, dans des perspectives différentes. (5) Lucien Malson : Les enfants sauvages, UGE, Paris 1964. (6) Ibidem, p.9.
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