[17]
Le pragmatisme
Préface de l'auteur
Les leçons qui vont suivre furent faites, sous forme de conférences, à l'Institut Lowell de Boston, en novembre et décembre 1906, puis à New-York, à l'Université de Colombie, en janvier 1907. On les trouvera ici reproduites telles que je les prononçai.
Le mouvement pragmatique, puisqu'on l'appelle ainsi et qu'il est évidemment trop tard pour lui donner un autre nom, bien que celui-ci ne me plaise pas, le mouvement pragmatique semble s'être formé assez brusquement, à la manière d'un précipité, dans l'air ambiant. Un certain nombre de tendances, qui avaient toujours existé en philosophie, ont tout à coup et collectivement pris conscience d'elles-mêmes ainsi que de leur mission collective. Ce fait s'est produit en de si nombreux pays, à des points de vue si nombreux, qu'on l'a compris de bien des manières fort peu concordantes. J'ai voulu le représenter tel qu'il s'offre à ma vue, et cela dans un tableau tracé à grands traits, où je ramènerais à l'unité toutes ces divergences et d'où j'exclurais toutes les controverses de détails. On aurait pu, je crois, s'épargner bien des discussions futiles, si nos adversaires avaient bien voulu attendre que nous [18] eussions nettement formulé notre message, c'est-à-dire la doctrine apportée par nous.
Si quelque lecteur, s'intéressant à cette question d'une manière générale, se trouve aussi intéressé par ces leçons, il voudra sans doute faire d'autres lectures. Voici donc plusieurs références à son usage.
En Amérique, le livre essentiel est l'ouvrage de .lohn Dewey : Studies in l.ogical Theory. Qu'on lise également les articles du môme auteur dans la Philosophical Review, dans le Mind et dans le Journal of Philosophy.
Toutefois, pour commencer, c'est sans doute dans les Études sur l’Humanisme, de S. Schiller, qu'on trouvera le meilleur exposé.
Qu'on lise en outre : Le Rationnel, par G. Milhaud ; les beaux articles de Le Roy dans la Revue de Métaphysique ; enfin, les articles de Blondel et de De Sailly dans les Annales de Philosophie chrétienne.
Pour éviter un malentendu. sans pouvoir les empêcher tous ! qu'on me permette de dire qu'il n'y a aucun lien logique entre le pragmatisme, tel que je le comprends, et « l'empirisme radical », doctrine récemment émise par moi. Cette doctrine a son existence propre, et l'on peut la rejeter entièrement, tout en ne cessant pas d'être un pragmatiste [1].
Université Harvard, avril 1907.
[20]
[1] Les lecteurs français de Pragmatisme perdent en un certain sens, plus que tous autres, par la mort de l'auteur. Il avait si particulièrement, et avec tant de joie, voulu faire de ce livre un livre pour eux ! Il m'écrivait notamment, à la date du 14 juin 1909 : « Je voudrais, pour le public français, atténuer, développer, ou, de n'importe quelle autre manière, rendre plus compréhensibles, certaines façons de m'exprimer, certains termes nouveaux. Tout d'abord, je voyais là une corvée [en français dans le texte], et je ne songeais qu'à m'y dérober. Mais je me sens tout enthousiasme à présent ». Par malheur, la santé de W. James, atteinte déjà, fut bientôt plus gravement compromise. Renonçant à remanier son livre, il me demanda d'y ajouter, en appendice, des pages que j'emprunterais à un autre de ses ouvrages, non encore traduit : The Meaning of Truth « La signification de la vérité »). Il me laissait libre de choisir. Mais le choix s'imposait de lui-même en faveur d'un article, reproduit dans ce second ouvrage, et autrefois publié pour répondre à « ceux qui se méprennent » sur le pragmatisme. On me permettra sans doute de signaler ici l'importance exceptionnelle de cet appendice. (Note du traducteur.)
|