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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Emmanuel Kant, CRITIQUE DU JUGEMENT (1790).
Préface à la 1re édition


Une édition électronique réalisée à partir de la traduction en français de Jacques Auxenfants du livre d'Emmanuel Kant, CRITIQUE DU JUGEMENT (1790). Chicoutimi: Les Classiques des sciences sociales, 2019, 228 pp. [Le traducteur nous a accordé son autorisation de diffuser en libre accès à tous le texte intégral de la traduction de cette oeuvre de Kant le 20 mars 2019.]

[167]

Préface à la 1re édition (1790]

On peut appeler raison pure la faculté de connaître d'après des principes a priori, et critique de la raison pure l'examen de sa possibilité et de ses limites en général, bien que, par cette faculté, l'on n'entende que la raison dans son usage théorique, comme nous l'avons fait sous ce titre dans notre premier ouvrage, et sans vouloir en outre soumettre à l'examen, suivant les principes qui lui sont propres, sa faculté en tant que raison pratique. Cette critique porte dès lors uniquement sur notre faculté de connaître a priori les choses et de ce fait elle s'occupe exclusivement de la faculté de connaître, abstraction faite du sentiment de plaisir et de déplaisir et de la faculté de désirer ; en outre, parmi les facultés de connaître, la critique ne s'occupe que de Y entendement pour ce qui concerne ses principes a priori, à l'exclusion de la faculté de juger et de la raison (en tant que facultés appartenant également à la raison théorique), et cela parce qu'il est apparu, au cours de notre recherche, qu'aucune faculté de connaître autre que l'entendement ne peut fournir des principes a priori de connaissance qui soient constitutifs. Ainsi la critique, qui examine l'ensemble de ces facultés quant à la part du capital de connaissance que chacune, à l'égard des autres, pourrait prétendre posséder à partir de ses racines propres, ne conserve rien d'autre que ce que l'entendement prescrit a priori comme lois pour la nature, considérée en tant qu'ensemble des phénomènes (phénomènes dont la forme elle aussi est donnée a priori) ; elle renvoie en revanche tous les autres concepts purs parmi les Idées qui, tout en étant inaccessibles pour notre faculté de connaître théorique, ne sont toutefois ni inutiles ni superflues, mais servent comme principes régulateurs : ainsi d'une part elle(s) réprime(nt) (difficulté d'attribution du sujet du verbe) les prétentions inquiétantes de l'entendement, lequel (puisqu'il peut livrer a priori les conditions de possibilité de toutes les choses qu'il est en mesure de connaître) [168] fait comme s'il avait également, par cette capacité, enveloppé dans ses limites la possibilité de toutes les choses en général, et d'autre part elle(s) le dirige(nt) lui-même, dans la considération de la nature, d'après un principe de complétude, complétude qu'il ne peut d'ailleurs jamais atteindre, et favorise(nt) par là l'intention finale de toute connaissance.

C'était donc proprement l’entendement, avec son domaine spécifique et, pour être plus précis, la faculté de Connaître, dans la mesure où ledit entendement comprend des principes de connaissance constitutifs a priori, qui devait, par la critique appelée en général Critique de la raison pure, être investi, et cela contre tous les autres compétiteurs, dans une possession assurée, mais exclusive. De même est-ce la raison, qui ne contient des principes constitutifs a priori qu'à l'égard de la faculté de désirer, dont la Critique de la raison pratique a montré ce qui constitue son domaine propre.

Quant à savoir maintenant si la faculté de juger, laquelle constitue, dans l'ordre de nos facultés de connaître, un terme intermédiaire entre l'entendement et la raison, possède elle aussi, pour elle-même, des principes a priori ; quant à savoir si ceux-ci sont constitutifs ou simplement régulateurs (auquel cas ils n'indiquent point de domaine propre) et si cette faculté, en tant que moyen terme entre faculté de connaître et faculté de désirer (exactement comme l'entendement prescrit a priori des lois à la première, tandis que la raison en prescrit à la seconde), fixe a priori une règle au sentiment de plaisir et de déplaisir, ce sont là des questions dont traite la présente Critique de la faculté déjuger.

Une critique de la raison pure, c'est-à-dire de notre faculté de porter un jugement suivant des principes a priori, serait incomplète si celle de la faculté de juger, laquelle prétend également pour elle-même, en tant que participant de la faculté de connaître, à de tels principes, n'était pas traitée comme une partie spécifique de cette critique ; et cela bien que, dans un système de philosophie pure, les principes propres à ladite faculté de juger ne sauraient constituer une partie spécifique s'inscrivant entre les parties théorique et pratique, mais pourraient, si cela était nécessaire, être à l'occasion annexés à chacune des deux. En effet, si un tel système, sous l'intitulé général de métaphysique, doit un jour être édifié (système dont il est possible de parvenir complètement à bout et qui est extrêmement important, sous tous rapports, pour l'usage de la raison), il faut d'abord que la critique ait sondé le sol destiné à porter cet édifice jusqu'à la profondeur à laquelle se situe le premier socle de la faculté des principes indépendants de l'expérience, ceci afin que l'édifice ne s'effondre pas en l'une quelconque de ses parties, ce qui entraînerait inévitablement la ruine de l'ensemble.

[169]

Cela dit, de la nature de la faculté déjuger (faculté dont l'usage approprié est si nécessaire et si universellement requis que, sous le nom de bon sens, c'est bien d'elle à laquelle on songe, et à nulle autre), l'on peut facilement déduire que de grandes difficultés doivent accompagner la découverte d'un principe qui lui soit propre (il lui faut en effet contenir en elle-même un quelconque principe a priori, faute duquel elle ne saurait être présentée, même devant la critique la plus commune, comme une faculté de connaître particulière), principe qui cependant ne doit point être dérivé de concepts a priori ; ces derniers en effet relèvent de l'entendement, et la faculté déjuger ne se propose que leur application. Elle doit donc livrer elle-même un concept, par lequel aucune chose n'est à proprement parler connue, concept qui ne sert de règle qu'à elle seule, bien qu'il ne s'agisse point d'une règle objective, règle à laquelle elle puisse adapter son jugement ; faute de ce concept en effet, une autre faculté de juger serait à son tour requise permettant de distinguer si le cas d'application qui se présente est tel que la règle trouve à s'y appliquer.

Cet embarras au sujet d'un tel principe (qu'il soit subjectif ou objectif) se manifeste principalement dans ceux des jugements que l'on nomme esthétiques, et qui intéressent le beau et le sublime dans la nature ou dans l'art. C'est toutefois l'examen critique d'un principe de la faculté déjuger que l'on rencontrera en ceux-ci qui constitue la partie la plus importante d'une critique de cette faculté. En effet, bien que, considérés uniquement en eux-mêmes, ces jugements esthétiques ne contribuent en rien à la connaissance de la chose, ils relèvent néanmoins de la faculté de connaître seule et apportent la preuve d'un rapport immédiat de cette faculté avec le sentiment de plaisir ou de déplaisir, cela suivant un principe a priori spécifique, principe qu'il ne faut pas confondre avec ce qui peut être le fondement de la détermination de la faculté de désirer, puisque cette dernière possède ses principes a priori dans des concepts de la raison. Cependant, en ce qui concerne le jugement logique porté sur la nature, là où l'expérience établit le jeu des lois au sein des choses, lois que le concept universel du sensible, propre à l'entendement, ne suffit plus à comprendre ou à expliquer, jugement à l'occasion duquel la faculté de juger peut tirer d'elle-même un principe de relation (téléologique) entre la chose naturelle et le suprasensible inconnaissable (quand bien même elle ne doit utiliser ce principe que pour elle-même, en vue de la connaissance de la nature), l'on peut et l'on doit assurément appliquer un tel principe a priori pour la Connaissance des êtres du monde ; ce faisant, l'on ouvre ainsi en même temps des perspectives profitables pour la raison pratique ; mais ce principe (téléologique) n'entretient aucun rapport immédiat avec le sentiment de plaisir et de déplaisir, rapport qui constitue précisément, comme je l'ai dit ci-dessus, le caractère énigmatique du principe de la faculté de juger et qui rend nécessaire, dans la critique, la présence d'une section spéciale consacrée à cette faculté [170], puisque le jugement logique (téléologique) selon des concepts (dont on ne peut jamais tirer une conséquence immédiate pour le sentiment de plaisir et de déplaisir) aurait en tout état de cause pu être ajouté à la partie théorique de la philosophie, accompagné néanmoins d'une limitation critique de ces concepts.

Étant donné que l'examen de la faculté du goût, en tant que faculté de juger esthétique, n'est pas entrepris ici en vue de la formation et de la culture dudit goût (car celle-ci poursuivra son cours à l'avenir, comme elle l'a fait jusqu'ici, même sans de telles recherches), mais simplement dans une perspective transcendantale, j'ose espérer qu'on la jugera avec indulgence, en prenant en considération le caractère restreint de cet objectif. Toutefois, la perspective limitée ainsi indiquée doit s'attendre à être examinée le plus rigoureusement qui soit. La grande difficulté qui se présente à vouloir résoudre un problème que la nature a embrouillé à ce point servira toutefois d'excuse, comme je l'espère, à quelque obscurité dans la solution, obscurité que l'on ne saurait totalement éviter, à condition toutefois d'avoir préalablement montré avec suffisamment de clarté que le principe convoqué a été correctement établi ; et cela quand bien même la manière d'en déduire le phénomène de la faculté de juger n'aurait pas toute la clarté exigible légitimement ailleurs, je veux dire dans une connaissance par concepts, clarté que je crois avoir également atteinte dans la seconde partie (téléologie) de cet ouvrage.

C'est donc par là que j'achève toute mon entreprise critique. Je passerai ensuite rapidement à l'entreprise doctrinale, pour gagner si possible sur l'âge qui s'avance, le temps qui, dans une certaine mesure, peut encore être favorable à cette recherche. Il va de soi qu'il n'y aura point, dans la doctrine, de partie spécifique consacrée à la faculté déjuger, puisque c'est la critique qui sert de théorie à celle-ci ; il va de soi au contraire que, conformément à la division de la philosophie en philosophie théorique et philosophie pratique, ainsi qu'à la division de la philosophie pure en des parties distinctes analogues, la métaphysique de la nature et celle des mœurs s'acquitteront de cette tâche.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 29 juin 2019 9:34
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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