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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Hier et demain. Pensées brèves. (1918) Introduction
Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gustave Le Bon, Hier et demain. Pensées brèves. Paris: Ernest Flammarion, Éditeur, 1918, 250 pp. Dixième mille. Une édition numérique réalisée grâce à la générosité de M. Roger Deer, retraité et bénévole.
Introduction
Paris, novembre 1917.
Limmense conflit où se heurtent si violemment les forces de lunivers na pas accumulé seulement des ruines matérielles, mais aussi des ruines morales. Si nous voyons le monde changer, ce nest pas uniquement parce que des cités ont été anéanties, des frontières géographiques déplacées, mais surtout parce que les anciennes conceptions orientant la vie des peuples ont perdu leur force.
Les idées qui rayonnaient au firmament de la civilisation et réglaient les rapports entre les hommes pâlissent tour à tour. Les peuples voient sébranler leur confiance dans la puissance des armatures sociales qui les protégeaient.
Les divers gouvernements, quelle que fût leur forme, ont manifesté la même insuffisance. Toutes les doctrines le pacifisme et le socialisme, la liberté aussi bien que lautocratie montrèrent une égale impuissance. Aucun des dogmes proposés aux nations na révélé une efficace vertu. Les formules les plus chargées despoir perdent tout prestige.
La meurtrière épopée issue des ambitions germaniques na donc pas seulement fait sortir les peuples de leur vie journalière, mais aussi des conceptions traditionnelles qui leur servaient de flambeau.
* * *
Le monde se trouve arrêté dans sa marche et lavenir enveloppé de ténèbres parce quun peuple puissant par les armes sest précipité sur lEurope pour lasservir. Invoquant les principes dune philosophie que beaucoup admiraient sans en comprendre les menaces, il affirma que le droit donné par la force était supérieur à tous les autres. Léquité, la justice, lhumanité et toutes les acquisitions résultant de siècles defforts furent déclarées sans valeur. LAllemagne espérait quelles se montreraient sans force.
Pour faciliter son entreprise cette nation fit preuve dune férocité et dun mépris des lois traditionnelles de lhonneur qui remplirent le monde de stupeur et dressèrent bientôt contre elle les peuples indignés par ce retour à la barbarie.
Linvasion fut repoussée, mais combien de temps encore faudra-t-il rester en armes pour éviter les attaques dun peuple ne reconnaissant aucune valeur aux traités?
* * *
Lhistoire a vu des périodes où les hommes agirent autant quaujourdhui, elle nen a pas connu où il leur fut aussi nécessaire de réfléchir. Ninvoquant plus pour expliquer les choses, ni les hasards dun sort incertain, ni les volontés souveraines de dieux inconstants, lhomme moderne ne cherche quen lui-même les causes de son destin. Il voit le danger des illusions et comprend que le monde nest pas gouverné par les chimères issues de ses désirs.
Puissante destructrice dillusions, la guerre a considérablement modifié notre vision générale des choses et forcé tous les esprits à méditer sur des questions de droit, de psychologie et dhistoire abandonnées jadis aux spécialistes.
* * *
Les problèmes que la paix fera surgir sont nombreux et difficiles. Croire à leur simplicité conduit aux solutions incertaines chargées de conséquences dan-
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gereuses. Tout se tient dans lédifice économique et social. Les intérêts y sont enchevêtrés et contradictoires. La nécessité les domine plus que nos volontés.
Jai déjà consacré un volume aux Enseignements psychologiques de la guerre et un second à ses premières conséquences. Je me propose dexaminer plus tard les problèmes quelle fera naître.
Ces longues études aboutissent finalement à un petit nombre de conclusions faciles à formuler en pensées brèves.
La pensée brève semble une forme littéraire bien adaptée aux besoins de lâge actuel. Le champ de la connaissance est devenu si vaste et la spécialisation si étroite quil faut bien se résigner à naborder que les idées générales servant de soutien aux diverses branches du savoir. Elles constituent larmature philosophique des choses, lâme des phénomènes.
Peu nombreuses à chaque époque, elles évoluent lentement et ne peuvent changer sans que les civilisations quelles orientaient soient transformées.
Condensées en propositions concises, ces idées générales et les réflexions quelles entraînent nont dailleurs dintérêt quà la condition dêtre la synthèse de faits nombreux. Elles disent alors beaucoup de choses en peu de mots et dispensent de longs discours. Leur rôle est surtout de faire penser et non de démontrer.
Les lecteurs bienveillants qui, de régions variées du globe, suivent depuis longtemps ma pensée à travers des langages fort divers, retrouveront dans ce livre les principes que jai déjà appliqués à létude de grands problèmes historiques. Une fois encore jai tâché de dégager la psychologie des vagues théories livresques pour ladapter aux réalités journalières quelle semblait vouloir ignorer et que seule elle peut expliquer pourtant.
Ce nouveau travail sera utile sil conduit le lecteur à considérer certaines faces des phénomènes qui avaient pu lui échapper, à réviser ses opinions en faisant le tour des choses, à se défier surtout des explications simplistes que la complication extrême des phénomènes ne comporte jamais.
* * *
Ce ne sont pas seulement des pensées nées du spectacle de la guerre et des possibilités davenir dont elle sera la source que renferme cet ouvrage. Il se termine par des réflexions scientifiques dintérêt général. Lauteur ne pouvait oublier quune partie de sa vie fut consacrée à des travaux de laboratoire et que la science est la seule génératrice de nos rares certitudes. Elle est aussi la grande consolatrice pendant ces heures sombres où tous les charmes de la vie dis-paraissent, où lombre de la mort grandit chaque jour et où lavenir lui-même semble dépourvu despérance. La chaîne des heures serait trop lourde si, pour fuir des réalités obsédantes ramenant aux barbaries de la préhistoire, on ne pouvait errer dans les régions lointaines de la science pure où sélaborent les lois souveraines qui orientent les mondes vers des buts mystérieux.
Paris, novembre 1917.
Dernière mise à jour de cette page le Lundi 16 juin 2003 13:12 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
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