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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gustave Le Bon, Lois psychologiques de l'évolution des peuples. (1895). Paris: Félix Alcan, Éditeur, 1895, 186 pp. Une édition numérique réalisée par Jean-Marc Simonet, bénévole, professeur retraité de l'Université de Paris XI-Orsay. Introduction LES IDÉES ÉGALITAIRES MODERNES ET LES BASES PSYCHOLOGIQUES DE L’HISTOIRE
La civilisation d’un peuple repose sur un petit nombre d’idées fondamentales. De ces idées dérivent ses institutions, sa littérature et ses arts. Très lentes à se former, elles sont très lentes aussi à disparaître. Devenues depuis longtemps des erreurs évidentes pour les esprits instruits, elles restent pour les foules des vérités indiscutables et poursuivent leur œuvre dans les masses profondes des nations. S’il est difficile d’imposer une idée nouvelle, il ne l’est pas moins de détruire une idée ancienne. L’humanité s’est toujours cramponnée désespérément aux idées mortes et aux dieux morts. Il y a un siècle et demi à peine que des philosophes, fort ignorants d’ailleurs de l’histoire primitive de l’homme, des variations de sa constitution mentale et des lois de l’hérédité, ont lancé dans le monde l’idée de l’égalité des individus et des races. Très séduisante pour les foules, cette idée finit par se fixer solidement dans leur esprit et porta bientôt ses fruits. Elle a ébranlé les hases des vieilles sociétés, engendré la plus formidable des révolutions, et jeté le monde occidental dans une série de convulsions violentes dont le terme est impossible à prévoir. Sans doute, certaines des inégalités qui séparent les individus et les races étaient trop apparentes pour pouvoir être sérieusement contestées ; mais on se persuada aisément que ces inégalités n’étaient que les conséquences des différences d’éducation, que tous les hommes naissent également intelligents et bons, et que les institutions seules avaient pu les pervertir. Le remède était dès lors très simple : refaire les institutions et donner à tous les hommes une instruction identique. C’est ainsi que les institutions et l’instruction ont fini par devenir les grandes panacées des démocraties modernes, le moyen de remédier à des inégalités choquantes pour les immortels principes qui sont les dernières divinités d’aujourd’hui. Certes, une science plus avancée a prouvé la vanité des théories égalitaires et montré que l’abîme mental, créé par le passé entre les individus et les races, ne pourrait être comblé que par des accumulations héréditaires fort lentes. La psychologie moderne, à côté des dures leçons de l’expérience, a montré que les institutions et l’éducation qui conviennent à certains individus et à certains peuples sont fort nuisibles à d’autres, Mais il n’est pas au pouvoir des philosophes d’anéantir les idées lancées dans le monde, le jour où ils reconnaissent qu’elles sont erronées. Comme le fleuve débordé qu’aucune digue ne saurait contenir, l’idée poursuit sa course dévastatrice, et rien n’en ralentit le cours. Cette notion chimérique de l’égalité des hommes qui a bouleversé le monde, suscité en Europe une révolution gigantesque, lancé l’Amérique dans la sanglante guerre de sécession et conduit toutes les colonies française à un état de lamentable décadence, il n’est pas un psychologue, pas un voyageur, pas un homme d’État un peu instruit, qui ne sache combien elle est erronée ; et pourtant il en est bien peu qui ose la combattre. Loin d’ailleurs d’être entrée dans une phase de déclin, l’idée égalitaire continue à grandir encore. C’est en son nom que le socialisme, qui semble devoir asservir bientôt la plupart des peuples de l’Occident, prétend assurer leur bonheur. C’est en son nom que la femme moderne, oubliant les différences mentales profondes qui la séparent de l’homme, réclame les mêmes droits, la même instruction que lui et finira, si elle triomphe, par faire de l’Européen un nomade sans foyer ni famille. Des bouleversements politiques et sociaux que les principes égalitaires ont engendrés, de ceux beaucoup plus graves qu’ils sont destinés à engendrer encore, les peuples ne se soucient guère, et la vie politique des hommes d’État est aujourd’hui trop courte pour qu’ils s’en soucient davantage. L’opinion publique est d’ailleurs devenue maîtresse souveraine, et il serait impossible de ne pas la suivre. L’importance sociale d’une idée n’a d’autre mesure réelle que la puissance qu’elle exerce sur les âmes. Le degré de vérité ou d’erreur qu’elle comporte ne saurait avoir d’intérêt qu’au point de vue philosophique. Quand une idée vraie ou fausse est passée chez les foules à l’état de sentiment, toutes les conséquences qui en découlent doivent être successivement subies. C’est donc au moyen de l’instruction et des institutions que le rêve égalitaire moderne tente de s’accomplir. C’est grâce à elles que, réformant les injustes lois de la nature, nous essayons de couler dans le même moule les cerveaux des nègres de la Martinique, de la Guadeloupe et du Sénégal, ceux des Arabes de l’Algérie et enfin ceux des Asiatiques. C’est là sans doute une bien irréalisable chimère, mais l’expérience seule peut montrer le danger des chimères. La raison ne saurait transformer les convictions des hommes. Cet ouvrage a pour but de décrire les caractères psychologiques qui constituent l’âme des races et de montrer comment l’histoire d’un peuple et sa civilisation dérivent de ces caractères. Laissant de côté les détails, ou ne les envisageant que quand ils seront indispensables pour démontrer les principes exposés, nous examinerons la formation et la constitution mentale des races historiques, c’est-à-dire des races artificielles formées depuis les temps historiques par les hasards des conquêtes, des immigrations ou des changements politiques, et nous tâcherons de démontrer que de cette constitution mentale découle leur histoire. Nous constaterons le degré de fixité et de variabilité des caractères des races. Nous essaierons de découvrir si les individus et les peuples marchent vers l’égalité on tendent au contraire à se différencier de plus en plus. Nous rechercherons ensuite si les éléments dont se compose une civilisation : arts, institutions, croyances, ne sont pas les manifestations directes de l’âme des races, et ne peuvent pour cette raison passer d’un peuple à un autre. Nous terminerons enfin en tâchant de déterminer sous l’influence de quelles nécessités les civilisations pâlissent, puis s’éteignent. Ce sont des problèmes que nous avons longuement traités dans divers ouvrages sur les civilisations de l’Orient.Ce petit volume doit être considéré simplement comme une brève synthèse. Ce qui m’est resté de plus clair dans l’esprit, après de lointains voyages dans les pays les plus divers, c’est que chaque peuple possède une constitution mentale aussi fixe que ses caractères anatomiques, et d’où ses sentiments, ses pensées, ses institutions, ses croyances et ses arts dérivent. Tocqueville et d’autres penseurs illustres ont cru trouver dans les institutions des peuples la cause de leur évolution. Je suis persuadé au contraire, et j’espère prouver, en prenant précisément des exemples dans les pays qu’a étudiés Tocqueville, que les institutions ont sur l’évolution des civilisations une importance extrêmement faible. Elles sont le plus souvent des effets, et bien rarement des causes. Sans doute l’histoire des peuples est déterminée par des facteurs fort divers. Elle est pleine de cas particuliers, d’accidents qui ont été et qui auraient pu ne pas être. Mais à côté de ces hasards, de ces circonstances accidentelles, il y a de grandes lois permanentes qui dirigent la marche générale de chaque civilisation. De ces lois permanentes, les plus générales, les plus irréductibles découlent de la constitution mentale des races. La vie d’un peuple, ses institutions, ses croyances et ses arts ne sont que la trame visible de son âme invisible, Pour qu’un peuple transforme ses institutions, ses croyances et ses arts, il lui faut d’abord transformer son âme ; pour qu’il pût léguer à un autre sa civilisation, il faudrait qu’il pût lui léguer aussi son âme. Ce n’est pas là sans doute ce que nous dit l’histoire ; mais nous montrerons aisément qu’en enregistrant des assertions contraires elle s’est laissé tromper par de vaines apparences. Les réformateurs qui se succèdent depuis un siècle ont essayé de tout changer : les dieux, le sol et les hommes. Sur les caractères séculaires de l’âme des races que le temps a fixés, ils n’ont rien pu encore. La conception des différences irréductibles qui séparent les êtres est tout à fait contraire aux idées des socialistes modernes, mais ce ne sont pas les enseignements de la science qui pourraient faire renoncer à des chimères les apôtres d’un nouveau dogme. Leurs tentatives représentent une phase nouvelle de l’éternelle croisade de l’humanité à la conquête du bonheur, ce trésor des Hespérides que depuis l’aurore de l’histoire les peuples ont poursuivi toujours. Les rêves égalitaires ne vaudraient pas moins peut-être que les vieilles illusions qui nous menaient jadis, s’ils ne devaient se heurter bientôt au roc inébranlable des inégalités naturelles. Avec la vieillesse et la mort ces inégalités font partie des iniquités apparentes dont la nature est pleine et que l’homme doit subir.
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