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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Psychologie de l'éducation. (1910) Préface de la 13e édition
Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gustave Le Bon, Psychologie de l'éducation. L'éducation est l'art de faire passer le conscient dans l'inconscient. Paris: Ernest Flammarion, Éditeur, 1910, 13e édition augmentée de plusieurs chapitres sur les méthodes d'éducation en Amérique. 344 pp. Une édition numérique réalisée grâce à la générosité de M. Roger Deer, retraité et bénévole.
Préface de la 13e édition
Cet ouvrage a eu beaucoup de lecteurs. Ses nombreuses éditions et ses traductions en plusieurs langues (note 1) le prouvent. Cependant son influence sur les universitaires est restée très faible. Encadrés par de rigoureux programmes, les professeurs ne peuvent enseigner que les matières de ces programmes, et ils les enseignent nécessairement avec les méthodes qui servirent à leur propre instruction.
Bien dautres raisons dailleurs, sopposent à la transformation de notre système déducation. On les trouvera exposées dans cet ouvrage. Elles montrent pourquoi les meilleures volontés seraient impuissantes aujourdhui à rien changer.
Une preuve nouvelle de cette impuissance me fut fournie dans la circonstance que voici.
À la suite de la lecture dune des premières éditions de ce livre, un éminent sénateur, que je ne connaissais que de réputation, le professeur Léon Labbé, membre de lAcadémie des sciences et de lAcadémie de médecine, vint me voir pour mentretenir de son intention de prononcer un discours énergique au Sénat dans le but dobtenir la réforme de notre enseignement. Le savant académicien revint plusieurs fois discuter ce sujet avec moi. Le résultat final de nos discussions fut que pour transformer notre système déducation, il faudrait dabord changer lâme des professeurs, puis celle des parents, et enfin celle des élèves. Devant cette évidence, lillustre sénateur renonça de lui-même à prononcer son discours.
Dans mes précédentes éditions, je métais borné à dire quelques mots de lenseignement à létranger. Considérant quil serait utile dentrer dans des détails, jai consacré plusieurs chapitres de cette nouvelle édition, à étudier les méthodes déducation adoptées par les professeurs dans le pays où lenseignement atteint son plus haut degré de perfection les États-Unis dAmérique. Cet exposé montrera combien est profond labîme séparant leurs conceptions des nôtres. Guidés par une psychologie très sûre, les maîtres savent développer chez lélève lesprit dobservation, la réflexion, le jugement et le caractère. Le livre joue un rôle très faible dans cet enseignement et la récitation un rôle nul. Cest exactement le contraire de ce qui se passe dans notre Université. De lécole primaire à lenseignement supérieur, le jeune Français ne fait que réciter des leçons. De rares esprits indépendants échappent à linfluence universitaire, mais la grande masse des élèves en gardent toute leur vie
la funeste empreinte. Et cest pourquoi, si nous avons en France un petit noyau dhommes supérieurs qui maintiennent un peu notre rang dans le monde, les hommes moyens, vrais soutiens dune civilisation, nous font de plus en plus défaut. Comment se formeraient-ils, puisque notre enseignement ne les crée pas ?
On trouvera à chaque page de ce livre la preuve, fournie par les universitaires eux-mêmes, que tout leur enseignement consiste à faire réciter des manuels. Dans la plus réputée de nos grandes Écoles, lÉcole Polytechnique, la méthode est la même. Lélève se borne à apprendre par coeur, pour les réciter le jour de lexamen, dès choses qui, nétant entrées dans lentendement que par la mémoire, seront bientôt oubliées.
Le très pauvre enseignement donné dans cette École a été fort bien jugé par un ancien polytechnicien, actuellement inspecteur général des Mines, M. A. Pelletan, dans un mémoire publié par la Revue générale des Sciences du 15 avril 1910. En voici un court extrait :
Linstruction tournée uniquement vers les questions dexamen y perd tout caractère scientifique et nexerce que la mémoire. Comme on ne demande au polytechnicien que dapprendre son cours, et quon nexige de lui aucun travail personnel, rien ne permet de distinguer sa véritable valeur : ceux qui ont beaucoup de mémoire et peu dintelligence peuvent obtenir des notes de supériorité, même en mathématiques. On les retrouve souvent la sortie dans les premiers rangs.
* * *
La transformation de notre enseignement étant à peu près impossible, à quoi peut bien servir un nouveau livre sur léducation ? Ne sait-on pas, dailleurs, que les piles innombrables de ceux qui paraissent journellement sur ce sujet nont guère dantres lecteurs que leurs auteurs ?
Cest justement ce que je me disais lorsque, il y a plus de sept ans, navré de létat dabaissement où nous conduisait notre Université, je songeais à rédiger ce volume. Je me résolus cependant à lécrire, dabord parce quon ne doit jamais hésiter à dire ce quon croit utile, et ensuite parce que jétais persuadé que, tôt ou tard, une idée juste finit toujours par germer, quelque dur soit le rocher où elle est tombée.
Je nai pas regretté la publication de cet ouvrage. Il a eu des lecteurs nombreux, sur lesquels je ne comptais guère, et une influence spéciale moins espérée encore. Cette influence ne sest pas exercée sur une Université, trop vieille pour changer, mais sur une catégorie dhommes auxquels je navais nullement songé.
Il est advenu, en effet, que mes recherches ont fini par trouver un écho dans une importante école, destinée à former nos futurs généraux. Je veux parier de lÉcole de guerre, établissement très heureusement soustrait à laction de lUniversité. De savants maîtres, le général Bonnal, le colonel de Maudhuy, et bien dautres y ont inculqué à une brillante élite dofficiers les principes fondamentaux développés dans cet ouvrage.
Cest dans la profession militaire surtout que devait apparaître lutilité de méthodes permettant de fortifier le jugement, la réflexion, lhabitude de lobservation, la volonté et la domination de soi-même.
Acquérir ces qualités, puis les faire passer dans linconscient, de façon à ce quelles deviennent des mobiles de conduite, constitue tout lart de léducation. Les officiers ont parfaitement compris ce que les universitaires navaient pu saisir. Une nouvelle preuve men a été fournie par louvrage récent de M. le commandant détat-major Gaucher, Étude sur la psychologie de la troupe et du commandement, où se trouvent reproduites les conférences faites par lui à des officiers pour leur exposer les méthodes déducation que jai développées, en me basant sur les données modernes de la Psychologie. Ce sera peut-être par larmée que notre Université subira la transformation quelle refuse daccepter.
Ce nest pas seulement dans larmée française que les principes déducation établis dans cet ouvrage commencent à se répandre. Dans une fort remarquable étude publiée par The Naval and rnilitary Gazette du 8 mai 1909. lauteur sexprime ainsi :
On na jamais donné une meilleure définition de léducation que celle due à Gustave Le Bon : Léducation est lart de faire passer le conscient dans linconscient . Les chefs de létat-major général anglais ont accepté ce principe comme la base fondamentale de létablissement dune unité de doctrine et daction dans léducation militaire dont nous avions si besoin.
Lauteur montre très bien lapplication de ce principe dans les nouvelles instructions de létat-major. Ce dernier a fort bien compris que ce nest pas la raison mais linstinct qui fait agir sur le champ de bataille, doù la nécessité de transformer le rationnel en instinctif par une éducation spéciale. Cest de linconscient que surgissent les décisions rapides. Lhabileté et lunité de doctrine doivent, par une éducation appropriée, être rendues instinctives. On ne saurait mieux dire.
Note:
Note 1. Sur la première page de la traduction russe on lit : Cette traduction a été faite par le général Serge Boudaievsky, sur le désir exprimé par son Altesse Impériale, le grand duc Constantin Constantinovich, président de lAcadémie des sciences et directeur des Écoles militaire, de la Russie. (Retour à l'appel de note)
Dernière mise à jour de cette page le Lundi 16 juin 2003 13:14 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
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