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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gustave Le Bon, La Révolution française et la psychologie des Révolutions. Explicables seulement par la psychologie moderne, beaucoup dévénements historiques sont restés aussi incompris de leurs auteurs que de leurs historiens. Paris : Ernest Flammarion, Éditeur, 1916, 322 pp. Dixième mille. 1re édition, 1912. Une édition numérique réalisée grâce à la générosité de M. Roger Deer, retraité et bénévole. Préface de la nouvelle édition Les idées actuelles sur la révolution française 13 janvier 1913 Louvrage dont je présente une nouvelle édition na pas été écrit pour blâmer ou louer la Révolution, mais seulement pour tâcher de linterpréter au moyen des méthodes psychologiques exposées dans un autre de mes livres : Les Opinions et les Croyances. Le but poursuivi me dispensait de tenir compte des opinions antérieurement formulées. Il était cependant intéressant de les connaître, cest pourquoi jai consacré un chapitre à énumérer les idées, dailleurs contradictoires, des historiens sur le grand drame révolutionnaire. Les livres ne traduisent guère que des opinions anciennes. Ils peuvent préparer les idées de lavenir mais expriment rarement celles du présent. Seuls les revues et les journaux traduisent fidèlement les sentiments de lheure actuelle. Leurs critiques sont donc fort utiles. Des divers articles consacrés à lanalyse de cet ouvrage on peut dégager trois conceptions, représentant nettement les idées ayant cours aujourdhui sur la Révolution Française. La première considère la Révolution comme une sorte de croyance quil faut accepter ou rejeter en bloc ; la seconde comme un phénomène mystérieux resté inexplicable; la troisième, comme un événement ne pouvant être jugé avant la publication dun nombre immense de pièces officielles encore inédites. Il ne sera pas sans intérêt dexaminer brièvement la valeur de ces trois conceptions. Interprétée avec les yeux de la croyance, la Révolution apparaît à la majorité des Français comme un événement heureux les ayant sortis de la barbarie et libérés de loppression de la noblesse. Plus dun personnage politique croit que sans la Révolution il serait réduit à la domesticité chez de grands seigneurs. Cet état desprit est bien traduit dans une étude importante, consacrée par un célèbre homme dÉtat, M. Émile Ollivier, à combattre les idées de mon livre. Après avoir rappelé la théorie qui considère la Révolution comme un événement inutile, léminent académicien ajoute : ...Gustave Le Bon vient daccorder son autorité à cette thèse. Dans un ouvrage récent sur la psychologie de la Révolution, où lon retrouve sa puissance de synthèse et de style, il dit : Le gain récolté au prix de tant de ruines eût été obtenu plus tard sans effort par la simple marche de la civilisation. M. Émile Ollivier nadmet pas cette opinion. La Révolution lui paraît avoir été nécessaire, et il conclut en disant : Regrette qui voudra de nêtre plus un vilain allant battre des étangs pour empêcher les grenouilles de troubler le sommeil du seigneur ; se lamente qui voudra de navoir plus la satisfaction de voir son champ dévasté par la meute dun jeune insolent ; se désole qui voudra de nêtre plus exposé à se réveiller à la Bastille parce que quelque Lauzun convoite sa femme, ou à cause dun mot prononcé contre un puissant, ou mieux encore, pour un motif ignoré ; se désespère qui voudra de nêtre pas tyrannisé par quelques ministres, par quelques commis, par quelques intendants, de nêtre plus taillé à merci, pillé plus quimposé; de nêtre plus foulé et conspué par de prétendus conquérants. Pour moi plébéien, je suis reconnaissant à ceux dont le rude labeur ma délivré de ces jougs qui, sans eux, pèseraient encore sur ma tête, et malgré leurs fautes, je les bénis. La croyance synthétisée par les lignes précédentes contribua fortement, avec lépopée napoléonienne, à rendre populaire en France le souvenir de la Révolution. Elle dérive surtout de cette illusion si répandue, même chez des hommes dÉtat, que les institutions déterminant les formes dexistence dun peuple, alors que ces dernières sont pres-que exclusivement conditionnées par les progrès scientifiques et économiques. La locomotive fut une niveleuse autrement efficace que la guillotine, et même sans la Révolution, nous serions sûrement arrivés depuis longtemps à la phase dégalité et de liberté atteinte aujourdhui et que dailleurs plu-sieurs peuples avaient déjà conquise avant lépoque révolutionnaire. La seconde des conceptions énumérées plus haut jugeant la Révolution un événement mystérieux et inexplicable contribue également à maintenir son prestige. Dans un article consacré à lexamen de mon ouvrage, le directeur politique dun des plus importants journaux de Paris, M. Drumont, sexprime comme il suit : Cet événement formidable, qui secoua le vieux monde sur sa base, reste toujours une énigme... Les méthodes de la psychologie moderne ne font pas comprendre davantage ce quil y eut détrange et de mystérieux dans cette crise qui restera toujours un des étonnements de lhistoire. Cette théorie paraît assez répandue chez nos hommes politiques. Je lai retrouvée sous une forme peu différente dans un article publié par un ancien ministre, M. Edouard Lockroy : ...Les historiens nont pas compris la Révolution... La Convention a vécu dans le chaos au centre dune émeute permanente... La dictature de Robespierre est une fable... Lhistoire de la Révolution, cest lhistoire dune foule où personne nest responsable et où tout le monde agit... Qui est responsable ? La foule, tout le monde, personne, des gens obscurs qui entraînent des gens inconnus. Envisagée sous un tel angle, la Révolution apparaîtrait comme une série dévénements chaotiques dominés par un hasard mystérieux. Ces courtes citations montrent quelles incertitudes obscurcissent encore létude de la Révolution et semblent justifier la prudence des érudits se bornant à publier des textes (Note 1). Un esprit impartial soucieux de se former une idée juste sur la Révolution se trouve donc aujourdhui en présence, soit de croyances aveugles, soit dassertions déclarant ce grand événement inexplicable, au moins avec les documents actuels. Cette impuissance dinterprétation mavait frappé quand je commençai létude de la Révolution pour y chercher une application de mes méthodes psychologiques. Il mapparut très vite que les incertitudes des historiens sur cette grande crise résultaient simplement de lhabitude davoir recours aux interprétations rationnelles pour expliquer les événements dictés par des influences mystiques, affectives et collectives étrangères à la raison. Lhistoire de la Révolution en fournit à chaque page la preuve. La logique collective seule et non la logique rationnelle pouvait révéler pourquoi les assemblées révolutionnaires votaient sans cesse des mesures contraires aux opinions de chacun de leurs membres. La raison ne saurait expliquer davantage pourquoi, dans une nuit célèbre, les représentants de la noblesse renoncèrent à des privilèges auxquels ils étaient si attachés et dont labandon en temps utile eût peut-être évité la Révolution. Comment, sans connaître les transformations de personnalités dans diverses circonstances, comprendre que les bourgeois intelligents et pacifiques qui, dans certains comités, décidaient la création du système métrique et louverture de grandes écoles, votaient ailleurs des mesures aussi barbares que la mort de Lavoisier, celle du poète Chénier ou encore la destruction des magnifiques tombeaux de Saint-Denis ? Comment comprendre enfin la propagation des mouvements révolutionnaires en général sans la connaissance des lois réelles de la persuasion, si différentes de celles quenseignent les livres ? Nous sommes trop rationalisés en France pour admettre facilement que lhistoire puisse se dérouler en dehors de la raison et souvent même contre toute raison. Il faudra bien cependant nous résigner à changer entièrement nos méthodes dinterprétations historiques si nous voulons arriver à comprendre une foule dévénements que la raison demeure impuissante à expliquer. Je crois que les idées exposées dans cet ouvrage se répandront rapidement. De nombreux articles prouvent quelles ont déjà frappé beaucoup dobservateurs. Il suffira de citer parmi eux quelques extraits du plus important des journaux anglais, le Times. Tous les hommes dÉtat devraient étudier le livre de Gustave Le Bon. Lauteur na aucun respect pour les théories classiques concernant la Révolution, et ses interprétations psychologiques le conduisent à des conclusions très neuves. Cest ainsi quil expose avec un frappant relief le faible rôle joué par la masse du peuple dans les mouvements révolutionnaires, labsolue contradiction entre les volontés individuelles et les volontés collectives des membres des assemblées, lélément mystique qui conduisit les héros de la Révolution et à quel point ces héros furent peu influencés par la raison. Sans la Révolution il eût été très difficile de prouver que la raison ne saurait transformer les hommes, et que par conséquent une société ne se reconstruit pas à la volonté des législateurs, si complet que soit leur pouvoir. Lhistoire de la Révolution se compose en réalité dune série dhistoires parallèles, et souvent indépendantes : histoire dun régime usé qui périt faute de défenseurs ; histoire des assemblées révolutionnaires ; histoire des mouvements populaires et de leurs meneurs ; histoire des armées ; histoire des institutions nouvelles, etc. Toutes ces histoires représentant le plus souvent des conflits de forces psychologiques, doivent être étudiées avec des méthodes empruntées à la psychologie. On pourra discuter la valeur de nos interprétations. Je crois cependant quil sera désormais difficile décrire une histoire de la Révolution sans en tenir compte. Paris, Janvier 1913. NOTES : (Note 1). Cette besogne du reste fort utile, bien que devant peu changer, je crois les idées actuelles, sera fort longue. On en jugera par les lignes suivantes dun récent critique. La Révolution sera connue seulement lorsque sera écrite histoire de ces innombrables comités de province vingt mille, dit-on tous invariablement composés de politiciens daventure, terroristes de villages, rétablissant insolamment à leur profit une basse et cruelle féodalité et sefforçant, pourrait-on croire, à décourager et à déshonorer par leur cynisme leffort inouï du pays tout entier vers des utopies sublimes et des rêves de fraternité. (Retour à l'appel de note 1)
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