Références
bibliographiques
avec le catalogue
En plein texte
avec GoogleRecherche avancée
Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF
Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
Collection « Les auteur(e)s classiques »
Le Play. Textes choisis et préface par Louis Baudin. Préface
Une édition électronique réalisée à partir du livre de Frédéric Le Play, Le Play. Textes choisis et préface par Louis Baudin. Paris: Librairie Dalloz, 1947, 316 pages. Collection des grands économistes. Une édition numérique réalisée par Marcelle Bergeron, bénévole.
Le Play s'est penché sur le problème ouvrier et l'a étudié avec un soin particulier. Non seulement il en a compris l'importance, mais il a profondément senti le désarroi des esprits à ce sujet, nous dirions volontiers qu'il en a souffert. Il a eu le très grand mérite de ne pas se borner à des critiques ou à des palliatifs, mais de chercher les causes profondes du mal. Il est allé au delà des chiffres, des situations apparentes et des attitudes intéressées, et il s'est aperçu que la condition prolétarienne n'est pas déterminée par une insuffisance de salaire ou un excès de travail, elle a sa source dans l'âme humaine. D'une objectivité parfaite, il souligne aussi bien l'erreur des patrons uniquement préoccupés de leurs intérêts et la responsabilité des ouvriers qui « sont bien souvent misérables par leur faute », comme l'avait déjà déclaré le Docteur Villermé (Tableau de l'état physique et moral des ouvriers, II, p. 351).
Les remèdes que Le Play préconise sont énumérés dans le chapitre II de L'organisation du travail :
1° Permanence des engagements réciproques du patron et de l'ouvrier. Cette permanence assure la stabilité et évite l'antagonisme de classes, déjà inquiétant avant l'apparition du « Capital » et provoqué par la Révolution.
2° Entente complète touchant la fixation du salaire conformément aux prescriptions de la coutume : l'assiette du salaire dépend de la nature du travail et surtout du caractère de la population : rétribution proportionnelle au temps de travail, ou part du profit fixée par la tradition, ou salaire proportionnel à la quantité de travail accompli. Ces moyens ne sont que « des mécanismes dont l'action bienfaisante dépend surtout des forces morales qui sont inhérentes aux systèmes ou propres aux intéressés » et l'on « a fait fausse route quand on a voulu réorganiser le travail à l'aide d'une formule générale fondée sur l'un de ces mécanismes ou sur quelque combinaison financière ». Il faut se référer à la coutume « qui est partout applicable ».
3° Alliance des travaux de l'atelier et des industries domestiques, rurales ou manufacturières.
Nous disons aujourd'hui qu'il importe de rétablir l'équilibre entre les professions et en particulier entre l'industrie et l'agriculture. Le Play veut lier les ateliers aux domaines ruraux et les grandes manufactures aux propriétés rurales ou forestières, ainsi se trouverait résolu, comme il l'était jadis, le problème du chômage par la possibilité donnée aux individus de passer d'un travail à un autre. Cette alliance entre l'industrie et l'agriculture est observée par Le Play dans les pays du Nord et de l'Orient, elle est plus rare ailleurs. Ces observations sont intéressantes, car elles viennent à l'appui des thèses de nombreux réformateurs désireux soit de rattacher l'homme à la terre sans s'acharner à obtenir un retour au sol qui paraît précaire et dont l'histoire n'offre pas d'exemples, soit de faciliter les déplacements de main-d'uvre qu'une fâcheuse immobilisation rend victime de la moindre crise.
Le Play cite des cas de travaux agricoles effectués par des ouvriers d'usines : « la culture d'un jardin potager fournissant à la famille les légumes, les fruits et les plantes aromatiques », l'élevage des abeilles, volailles ou autres petits animaux nourris grâce aux facilités de « parcours » gracieusement données par le patron ou par les voisins, l'engraissement d'un ou de deux pores, l'«exploitation» d'une ou de deux vaches laitières. Les membres de la famille trouvent ainsi des travaux proportionnés à leurs forces, et apportent au budget commun un supplément. en nature qui n'est pas négligeable. Le Play déplore le fait qu'à Paris les ouvriers soient devenus exclusivement urbains depuis l'établissement des fortifications de 1841 ; ils ont eu dès lors tendance à être instables et forment « le plus redoutable table foyer de souffrance et d'antagonisme qu'on ait jamais vu chez un peuple civilisé ».
4° Habitudes d'épargne assurant la conservation de la famille et l'établissement de ses descendants. Le Play veut que cette épargne corresponde au moins « au dixième de la recette », ce qui est beaucoup pour de petites bourses.
L'épargne pourvoit à deux « convenances » : elle permet à l'excédent de population qui ne trouve pas emploi dans les ateliers où travaillaient ses ancêtres de s'adresser ailleurs et elle « conserve des coutumes qui assurent le bien-être des générations successives ». Elle a fait « pendant des siècles la grandeur de la France », remarque souvent répétée et très exacte.
5° Union indissoluble entre la famille et son foyer, qui « fixe pendant des siècles au foyer bâti par le fondateur d'une famille, les générations successives de ses descendants ». Cette pratique a été observée par Le Play surtout dans l'Europe septentrionale et orientale. Sans doute le bien-être relatif des populations qui possèdent en permanence leur foyer est dû en partie à l'avantage de ne pas avoir à payer de loyer, mais « un examen plus attentif montre bientôt que ce bien-être résulte surtout d'un ensemble de causes morales ». La jeune fille surtout peut et doit être sous ce rapport une « auxiliaire de l'ordre moral » en se refusant à entrer en ménage dans une habitation qu'elle ne possède pas en propre avec son mari, de manière à stimuler le travail et l'épargne et à assurer la stabilité de son foyer futur.
6° Respect et protection accordés à la femme, à savoir : réserve et égards que les institutions et les murs imposent à l'homme vis-à-vis de la femme, peines infligées à ceux qui enfreignent ces devoirs, coutumes qui concentrent au foyer les obligations de la femme et la dispensent de se mêler au mouvement extérieur des affaires.
On voit quelle large extension Le Play donne à la morale. Il ne se borne nullement à faire appel à la charité, à la manière des catholiques libéraux de la nuance Villeneuve-Bargemont (Économie politique chrétienne, 1834) ou Moreau Christophe (Du problème de la misère et de sa solution chez les peuples anciens et modernes, 1851), il ne la sous-estime pas, mais ne la croit pas capable de guérir le paupérisme, cette pauvreté permanente et redoutable parce que ceux qui la subissent s'y habituent et ne font pas effort pour l'éviter.
De nouveau, dans ce domaine, nous trouvons un élargissement de la famille comme base du système, social. C'est une des institutions les plus célèbres que Le Play ait conçue : le patronage volontaire.
Lidée lui en est venue en observant les communautés patriarcales de l'Orient et certaines entreprises nordiques telles que les forges suédoises d'Osterby dont le patron était appelé « patriarche » par un personnel respectueux et dévoué. Aussi Le Play fait-il du patron un tout autre personnage que le chef d'entreprise classique, coordinateur des facteurs de production, non pas qu'il nie ce rôle capital, mais il le complète et il trace la silhouette du chef tel qu'il est compris dans les doctrines contemporaines.
Mais loriginalité de Le Play n'est pas encore dans cet aspect du problème, elle est plutôt dans ce fait qu'il ne met pas au premier plan des préoccupations du patron lui-même l'action destinée à améliorer les conditions de vie du travailleur, à lui assurer un certain confort, à garantir son avenir ce que déjà Sismondi avait réclamé avec précision et autorité . Le Play vise d'abord et surtout laction morale. Un titre de La Constitution essentielle de l'humanité (Chap. II, par. 8) est typique à cet égard ; il est ainsi libellé: « Le progrès matériel et intellectuel est stérile ou dangereux, s'il n'est pas complété par un progrès dans la pratique de la loi morale. » Voilà qui est nouveau. La mission du patron n'est pas d'améliorer la nourriture ou le logement, moins encore d'augmenter le salaire, elle est «de propager chez les ouvriers la connaissance de l'ordre moral et le respect des lois de la famille» (Réforme sociale, II, p. 28). Après le bon despote des Physiocrates, voici le bon patron. Et que l'on ne croie pas à la facilité de cette tâche : le chef doit lui-même d'abord donner l'exemple, il ne doit pas s'inspirer uniquement de son intérêt personnel, ni de l'intérêt personnel et immédiat des ouvriers. C'est le bien commun qu'il doit avoir en vue. On regrette qu'à cet égard, comme à beaucoup d'autres, Le Play s'en soit tenu à des considérations sociales et morales sans remonter jusqu'à l'économique.
Dernière mise à jour de cette page le Lundi 30 juin 2003 11:48 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
×
À tous les utilisateurs et les utilisatrices des Classiques des sciences sociales,
Depuis nos débuts, en 1993, c'est grâce aux dons des particuliers et à quelques subventions publiques que nous avons pu mener à bien notre mission qui est de donner accès gratuitement à des documents scientifiques en sciences humaines et sociales de langue française.
Nous sollicitons votre aide durant tout le mois de décembre 2020 pour nous aider à poursuivre notre mission de démocratisation de l'accès aux savoirs. Nous remettons des reçus officiels de dons aux fins d'impôt pour tous les dons canadiens de 50 $ et plus.
Aidez-nous à assurer la pérennité de cette bibliothèque en libre accès!
Merci de nous soutenir en faisant un don aujourd'hui.
Jean-Marie Tremblay, fondateur des Classiques des sciences sociales