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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Traité de sociologie primitive (1936): Préface du livre par l'auteur
Une édition électronique réalisée à partir du livre de Robert Lowie (1936), Traité de sociologie primitive. Paris : Union générale dÉditions, 1969, 443 pages. Collection : Petite bibliothèque Payot, no 137.
Préface
Dans l'édition originale de ce livre, j'ai tenté de résumer les faits essentiels de l'organisation sociale. et de mettre en garde contre des conclusions générales qu'on a tirées à une époque où l'ethnographie ne reposait pas encore sur une base empirique suffisante. Un critique anglais anonyme m'a comparé, non sans raison, à une servante qui enlève les toiles d'araignée dans une chambre fermée depuis longtemps. Je dois dire que cette humble tâche n'était pas le seul but que je me fusse proposé, mais c'est celui qui s'est imposé en premier lieu à l'attention de beaucoup de lecteurs. Quelques-uns ont jugé mon effort honnête, mais ennuyeux et stérile. D'autres m'ont, de plus, accusé du crime de lèse-majesté : j'aurais péché contre le nom sacro-saint de Lewis H. Morgan. Des critiques plus favorablement disposés ont déclaré que mon livre n'était qu'un compendium utile de faits qui n'avaient pas encore été réunis en un seul volume. Je ne tenterai pas ici de réfuter ces critiques dans le détail, car la réaction des lecteurs dépend nécessairement de leurs goûts et de leurs besoins individuels. Mon livre représente l'attitude de beaucoup de sociologues actuels, lesquels ne s'opposent pas du reste à toute interprétation raisonnable, c'est-à-dire à la confrontation des faits les uns avec les autres. En principe, je n'ai certes pas évité de tels rapprochements. Ai-je réussi à en démontrer le bien-fondé, ceci est une autre question. Refuser des généralisations prématurées n'équivaut pas à rejeter toute espèce de généralisation.
Au sujet de Morgan, je voudrais dissiper tout doute. Les crItiques, parfois plus que sévères, que j'ai adressées à cet auteur, le visent moins lui-même que ses trop serviles défenseurs actuels. Un pionnier a beaucoup d'excuses pour lui, surtout lorsqu'il a des résultats aussi sérieux à son actif. Si j'avais à écrire une histoire de la sociologie, j'exposerais en détail ce que l'ethnographie doit à Morgan. Le but que je me proposais dans ce livre m'a conduit à souligner ses erreurs. Cependant, si je n'ai pas rendu pleine justice à un aîné, j'ai voulu rendre sensibles les absurdités auxquelles on s'expose en tenant un savant, quel qu'il soit, pour une autorité infaillible. Cela est d'autant plus vrai qu'à l'époque où Morgan écrivait, on manquait presque totalement d'informations sur de vastes régions.
Pour ceux qui liront cet ouvrage, une réponse exhaustive à toutes les critiques qui m'ont été adressées serait moins utile qu'un exposé de mon attitude à l'égard de certaines écoles sociologiques. Je désirerais plus particulièrement exprimer mon opinion relative au prétendu conflit entre l'école « historique » (diffusioniste) et l'école « fonctionnelle ».
A mon avis, cette antithèse est purement artificielle. Puisque c'est de la « culture » que nous avons à nous occuper, notre devoir idéal est de projeter le maximum de lumière sur chaque parcelle de réalité qui se range sous cette rubrique. Je suis entièrement d'accord avec Malinowski lorsqu'il dit que chaque culture n'est pas un assemblage de faits dispersés, mais un tout complet, du moins dans une mesure considérable. Il s'ensuit qu'il est indispensable de déterminer de quelle façon se coordonnent les éléments qui ont été observés sur le terrain. C'est poursuivre un but esthétique bien plus que scientifique que de se contenter d'une série de tableaux isolés, si brillants soient-ils, des diverses cultures. Chaque élément, chaque ensemble culturel est conditionné par l'espace et par le temps, facteurs qu'une science de la culture ne saurait négliger. Si les peuples de la Mélanésie et du nord-ouest de l'Amérique présentent en commun le clan matrilinéaire, l'avunculat et l'héritage de la veuve de l'oncle, ces deux cultures ne peuvent pas être traitées comme deux systèmes fermés et sans relations l'un avec l'autre. Quiconque les étudie sans idées préconçues, est frappé par les ressemblances qu'ils présentent et cherche à se les expliquer.
L'explication peut revêtir deux formes. Historiquement l'analogie s'éclaire pleinement si les tribus que nous comparons ne formaient à l'origine qu'un seul peuple, ou si elles ont dérive leurs éléments culturels d'une source unique. Fonctionnellement, la ressemblance peut être attribuée au fait qu'un de ces éléments serait apparenté organiquement à un autre, si bien que la présence du premier rendrait celle du second plus probable que ne le voudraient les lois du hasard. Je suis fermement convaincu que les deux interprétations sont a priori également valables et que chacune doit trouver sa justification dans les conditions particulières du cas à considérer. S'il est prouvé que les tribus ont été en contact à un moment donné, on peut à bon droit invoquer l'argument historique. Lorsqu'il ne semble pas qu'il y ait eu contact, l'analogie s'explique par le principe de corrélation, selon la loi bien connue qui veut que les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Donnons un exemple concret. Une tribu du centre de la Californie, les Miwok, et une peuplade de Sioux méridionaux, les Omaha, possèdent en commun plusieurs particularités relatives à la terminologie de parenté, ainsi que certaines règles matrimoniales. Or ils ne sont nullement apparentés, ils sont même séparés par une immense région où ces caractéristiques n'apparaissent pas; et les Omaha ne partagent pas ces éléments avec les autres tribus du groupe Sioux, tels les Dakota et les Crow. Si ces éléments se sont transmis des Omaha aux Miwok, pourquoi les Dakota qui vivent tout près ne les ont-ils pas adoptés? S'ils viennent d'une autre direction, pourquoi n'ont-ils laissé aucune trace dans le territoire intermédiaire? La conclusion inévitable est que certaines particularités des termes de parenté et certaines règles matrimoniales sont en relation fonctionnelle les unes avec les autres, ce qui explique la diffusion observée ainsi que l'absence de diffusion relevée également, point tout aussi important logiquement.
Par le rôle considérable que j'attribue aux relations fonctionnelles, mon point de vue me rapproche de Radcliffe-Brown dont la parenté avec l'école sociologique de Mauss et de Durkheim rend l'uvre particulièrement intéressante aux lecteurs français. En fait, je suis pleinement d'accord avec Radcliffe-Brown en ce qu'il fait, mais je cesse de le suivre lorsqu'il expose ce qui, selon lui, devrait être fait. Son étude systématique de l'organisation sociale en Australie, sa connaissance précise et critique des anciens auteurs, sa définition bien établie des divers concepts, le rapport qu'il établit entre les terminologies de parenté et les règles matrimoniales, tout cela suscite mon admiration la plus vive. Ce qui plus est, je trouve chez ce savant un sens inné, quoique peut-être peu apparent, des problèmes historiques. Le simple fait que dans son livre sur les îles Andaman il ait compilé toutes les indications que nous possédons sur les autres Pygmées, est fort significatif. Il est évident qu'il considère comme concevable qu'il y ait quelque corrélation historique entre leurs cultures et que cette corrélation est potentiellement importante.
C'est seulement lorsque Radcliffe-Brown nous expose quels devraient être les buts de la sociologie que je me trouve en sérieux désaccord avec lui. Tout d'abord, avec Radcliffe-Brown ethnographe et contre Radcliffe-Brown philosophe, je suis fermement convaincu de la valeur de l'argument historique. Les phénomènes culturels ont entre eux des rapports chronologiques dont doivent tenir compte ceux qui les étudient. Il va sans dire que nous préférons une connaissance exacte de la chronologie à de simples conjectures. Cependant, lorsque les conjectures expliquent les faits observés, lorsqu'elles peuvent s'appuyer sur des lois plus ou moins prouvées, elles sont aussi naturelles qu'inoffensives. Elles ne deviennent dangereuses que lorsqu'elles se cristallisent en dogmes. Secondement, je m'insurge contre l'idée que Radcliffe-Brown ou quelque autre savant aurait découvert une « loi sociologique universelle ». Aujourd'hui que les sciences physiques insistent moins qu'auparavant sur la valeur éternelle de leurs généralisations, c'est proclamer en somme la supériorité des sciences sociales sur les sciences naturelles.
Pour en venir aux historiens qui se reconnaissent tels, j'admire profondément les tentatives que font Graebner et le Père Wilhelm Schmidt pour représenter l'ensemble de l'évolution humaine comme un tout organique. Schmidt en particulier a fait une magnifique oeuvre de pionnier en reliant les unes aux autres nos connaissances en préhistoire et en ethnographie. En principe, il a tenté ce que toute étude culturelle idéale devrait se proposer : assigner à chaque culture et à chaque élément culturel sa propre position chronologique. En pratique, son système présente deux défauts qui le rendent à mes yeux inadmissible. D'un côté, comme beaucoup d'autres auteurs, il est trop prompt à accepter pour leur valeur courante les concepts traditionnels de l'ethnologie, créant ainsi de pseudo-problèmes. J'ai suffisamment critiqué cette tendance dans ce volume. Par exemple, si, comme je le crois, le totémisme n'est pas une réalité historique, les questions relatives à la diffusion à travers le monde de cette prétendue entité disparaissent dans une large mesure; il ne reste plus que des problèmes spécifiques ayant trait aux rapports entre elles des formes évidemment identiques que revêt ce phénomène à l'intérieur de limites étroites. Ma seconde objection porte sur l'application d'un système qui ne se base que sur les faits océaniens et africains et qui prétend reconstruire n'importe quelle culture. La seule méthode qui s'impose ici, est celle qui s'inspire de la méthode géologique : traiter provisoirement chaque zone un peu importante en ellemême, y déterminer les phases des Kulturkreise, et, en dernier lieu seulement, confronter les diverses reconstructions. Cependant le Père Schmidt s'y refuse absolument. A la vérité, il a amélioré dans le détail le plan originel de Graebner, mais il a conservé l'erreur fatale qui consiste à appliquer à l'Amérique et à la Sibérie les classifications valables pour l'Océanie, sans même essayer l'opération inverse. Néanmoins, sur quelques points essentiels, on verra que les conclusions du Père Schmidt et les miennes concordent.
Mon point de vue est donc éclectique, non par besoin de concilier toutes les tendances, mais parce que les diverses opinions actuellement en cours semblent toutes contenir une part de vérité et se compléter mutuellement. Si je n'étais pas limité par le temps, l'espace et les moyens dont je dispose, ce volume deviendrait une encyclopédie, un recueil de tableaux graphiques dépeignant les sociétés avec toute la verve et la vivacité d'impression d'un Malinowski. Je mettrais alors soigneusement en évidence un grand nombre de corrélations qui, selon moi, rem. placeraient avantageusement les « lois » de Radcliffe-Brown. Puis j'établirais également des rapports historiques entre les faits, je reconstruirais le cours de l'évolution sociale dans chaque continent pour tenter en fin de compte une synthèse mondiale.
Toutefois, s'il m'est permis de modifier un mot de Pasteur, « le devoir cesse où le pouvoir manque », et mes lecteurs français devront se contenter d'une oeuvre beaucoup plus modeste. J'ai corrigé les fautes typographiques de l'édition américaine ainsi que certaines erreurs de fait, et, pour autant que le temps l'a permis, j'ai pris connaissance des derniers travaux parus. J'ai aussi joint à mon livre une carte indiquant la position des peuplades mentionnées les plus importantes.
Je dois beaucoup de reconnaissance à Mme Métraux qui a excellemment traduit ce traité quelque peu pesant. Elle m'a redonné confiance en la traduction.
Robert-H. Lowie.
Dernière mise à jour de cette page le Jeudi 27 mars 2003 09:11 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
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