Préface
Tome 15
Passer de la Régence à Fleury et à Louis XV, c’est, ce semble, passer de la pleine lumière aux arrière-cabinets de Versailles, cachés dans l’épaisseur des murs, sans air ni jour que ceux des petites cours qui sont des puits. Grand changement. Tout était en saillie. Tout gravitait autour d’un fait très public, le Système. Tout entrait clans le drame, et paraissait au premier plan, le mal surtout. Ce temps ne voilait rien.
Il en est autrement de Fleury et de Louis XV. Les gouvernements successifs ont cru devoir cacher cette histoire de prêtre et de roi. C’est un mystère d’État. Deux personnes en ce siècle ont seules eu la faveur d’en ouvrir les archives diplomatiques, l’historien de la Régence Lemontey, et celui de la Chute des Jésuites. Les quarante années qui s’étendent de l’une à l’autre époque n’étaient guère connues jusqu’à nous que dans les événements qu’on peut dire extérieurs, militaires, littéraires, les anecdotes de Paris. Pour le centre réel de l’action, du gouvernement, l’intérieur de Versailles, qui le savait ? personne. Porte close. On n’y entrait pas. C’était trop haut pour les simples mortels. Affaire de Cabinet ! Grand mot qui fermait tout. Ce n’était pas figure. Le Cabinet n’est pas le salon des ministres et de la table verte, mais le petit trou noir où le roi écrivait, souvent contre son ministère, à sa famille, à ses parents, amis, Espagnols, Autrichiens.
L’extrait de d’Argenson donné en 1825 ne nous révélait guère que la politique extérieure de cet homme excellent dans son court ministère. En 1857, heureusement son très digne neveu, honnête et courageux, averti que l’on préparait une édition de son grand-oncle, et craignant la prudence timide que l’on pourrait y mettre, cassa les vitres, et publia lui-même, nous donna le vrai Louis XV (édition Jaunet, in-douze). Puis vint l’édition in-octavo, très ample et fort utile à consulter.
Là, en pleine lumière, éclate le secret de ce règne : la conspiration de famille. On voit parfaitement que le roi ne fut point aussi flottant qu’on l’avait cru, mais sous l’empire d’une idée fixe. Si les ministres ou les maîtresses influèrent, ce fut en suivant cette idée, servant uniquement l’intérêt de famille.
Le témoignage de d’Argenson est d’autant plus grave qu’il a un culte ardent et sincère de la royauté. Il s’obstine à aimer le roi, à espérer en lui, à croire qu’un jour ou l’autre il vaudra quelque chose. La vérité, malgré lui, lui échappe, s’arrache de sa bouche. Il la dit à regret, à son corps défendant. Même après sa disgrâce, il est le même. Sa foi robuste n’en est pas ébranlée. Il garde encore longtemps son credo monarchique : l’espoir du salut par le Roi. D’autant plus il est accablé quand manifestement tout est perdu (1756) et la France livrée à l’Autriche. Alors il succombe et il meurt.
Des lueurs singulières éclataient par ce livre, mais courtes, brèves, des lumières incomplètes. Enfin un secours est venu qui nous aide à lire d’Argenson, qui donne Versailles jour par jour. C’est l’immense et consciencieux Journal de M. de Luynes, qui, de chez la reine, voit tout, note tout à sa date, en termes ménagés, mais clairs le plus souvent. La reine, quoique si dévote, les amis de la reine, entrèrent très peu dans le mouvement de Versailles, restèrent à part du Dauphin, de Mesdames. M. de Luynes est un témoin honnête, triste, respectueux, dont certes le respect n’est nullement de l’approbation.
Sa chronologie simple, mais infiniment détaillée, sans le savoir, sans le vouloir, confirme les faits graves donnés par d’Argenson et autres. Il explique Barbier, la Hausset, etc. Il prouve que Soulavie fut souvent très bien informé.
Le secours admirable que je trouve dans M. de Luynes, c’est qu’autour d’un grand fait qui me vient de quelque autre, il me donne une infinité de faits accessoires qui l’amènent, l’expliquent, qui se lient avec lui par la force des choses. Le grand fait passe ; mais la trace en continue longtemps ; mille détails le rappellent encore. Encadré dans la multitude de ses précédents, de ses conséquents, prévu avant, suivi après, ce fait offre un ensemble de faits qui se supposent, se tiennent, se prouvent les uns les autres. Voilà un fait solide, alors, et il n’est pas facile d’y toucher et de l’ébranler. Il repose dans la certitude, une certitude telle que nulle science d’observation ou de calcul ne donne de preuve plus forte.
Pour les temps antérieurs à ce Journal, très laborieusement j’ai moi-même construit mon fil chronologique, l’ai suivi en toute rigueur. Aux temps tragiques surtout de Mme de Prie, un seul fait hors de date eût rendu tout obscur. Là et partout (ainsi que je l’ai dit ailleurs), je suis le serf du temps. Je m’interdis ces tableaux généraux où l’on rapproche pour l’effet littéraire des faits d’époques différentes. Qu’ils soient brillants, ces tableaux, il n’importe. Leur éclat obscurcit, faisant perdre de vue la vraie lumière profonde de l’histoire, la causalité.
Par ce respect du temps, il s’est trouvé que même où ce volume ne s’appuie pas de documents nouveaux, il n’en donne pas moins une histoire absolument neuve. Ceux qui croyaient savoir l’histoire de Louis XV, seront un peu surpris. Ils n’y reverront rien qui réponde à leurs souvenirs. Pour les rassurer, j’ai cité beaucoup, et dans le texte même (non pas au bas des pages). Par là, dans les moments critiques qui les inquiéteraient, ils sentiront la base ferme que l’histoire leur met sous les pieds.
J’ai poussé ce scrupule (pour le procès de Damiens) jusqu’à citer de ligne en ligne. Les nuances infinies du règne de Mesdames, les variations que subit dix ans la Pompadour du plus haut au plus bas, avant son règne de la Guerre de Sept-Ans, tout cela est daté, précisé par les textes.
Saint-Simon m’a servi encore dans ce volume. Quoique la fin de ses Mémoires reste cachée toujours aux secrètes archives des Affaires étrangères, il donne, dans ce que nous avons, des faits capitaux sur Fleury : sa profonde ignorance (avouée de son ami Walpole), sa niaise confiance aux Anglais, sa connivence honteuse à la vie pitoyable du petit roi, et le soin qu’il eut d’éloigner de lui les honnêtes gens qu’avaient choisis Louis XIV et le Régent. Sur tous ces points, il autorise, confirme Soulavie, et aussi sur le point très grave qui contient tout : Fleury fut le mannequin d’Issy, de Saint-Sulpice, des Rohan, des Tencin. Ils ne le lâchèrent pas, le firent rester, même idiot, nous tinrent liés sous ce cadavre.
D’Argenson et autres nous prouvent qu’il ne rétablit pas la France. Il la livra aux Fermiers généraux.
Tout le monde se jouait de lui, même l’Espagne, ce qu’établit Montgon (qu’on ne lit pas assez).
M. d’Haussonville a fourni la preuve de ses deux trahisons, de ses faiblesses pour l’Autriche, à qui il dénonçait nos ministres et nos généraux, à qui il immola l’armée infortunée, gelée dans le retour de Prague.
Noailles que j’ai ailleurs admiré, défendu, ici me tromperait par son adresse à embrouiller les choses, sans d’Argenson qui donne naïvement le dessous des cartes, l’asservissement de Noailles aux dévots, à Mesdames et à l’intérêt de famille (1746).
Voltaire me sert fort par ses lettres, peu par son Louis XV, sa triste Histoire du Parlement. Il est dans ces ouvrages injuste et léger, très flatteur, spécialement pour Richelieu.
L’homme de Richelieu, Soulavie, est trop décrié. Bavard et mauvais écrivain, ne sachant pas trop bien les affaires générales, il sait très bien Versailles. Il avait sous la main et Richelieu vivant, et les papiers de Richelieu, les papiers Maurepas, le Journal de M. de Luynes. Avec tant de secours, il pouvait marcher droit. Pour la cour, il est bon le plus souvent, et on le trouve exact en ce qu’on peut vérifier.
Duclos, fort inutile pour les temps antérieurs, est tout à coup en 1756 très important, très grave. Dans sa position singulière, à part des philosophes, familier chez la Pompadour, et surtout ami de Bernis, il a vu de très près à ce moment. Il y donne deux faits capitaux : 1o La Pompadour a seulement influé jusqu’en 1756 ; mais alors elle règne (par la grâce de Marie-Thérèse) ; 2o l’ordre de Rosbach partit de Vienne, de notre ambassadeur Choiseul, le valet de l’Autriche.
La Hausset est fort curieuse, mais elle fait un roi bonasse, et une douceâtre Pompadour. Elle ignore que sa maîtresse a rempli les prisons d’État. Elle ignore (chose plus étonnante) que par trois fois (1747, 1752, 1755) la Pompadour fut très près de tomber. Elle sait des choses importantes : le petit Parc-aux-Cerfs intérieur près de la chapelle, l’inceste simulé par les seigneurs pour plaire au roi, sa vive jalousie à l’égard de ses fille, sa haine pour Bernis, quand il le sut amant de sa fille l’Infante, etc., etc.
Elle réduit ce qu’on avait dit sur la haute faveur de Quesnay et de son école auprès du roi. Il avait plu sans doute par la doctrine économiste qui fait le roi co-propriétaire en tout bien du royaume. Mais il resta toujours isolé, à distance. Même en voiture, et l’emmenant comme médecin, la Pompadour ne daignait lui parler.
L’excellent Journal de Marais, qui nous a révélé la honteuse enfance du roi, le fangeux Versailles de ce temps, malheureusement nous quitte de bonne heure. Et il s’en faut que Barbier le remplace. Très prolixe pour le Parlement et riche pour l’histoire de Paris, Barbier ignore profondément la Cour, le lieu étroit où tout se décidait. En 1738, à peine, il commence à savoir les faits de 1732 (l’avènement de la Mailly). Il ne sait pas un mot du règne de Mme de Vintimille, un des grands moments de l’histoire.
Même son Parlement, il le sait assez mal. Il n’en marque pas bien la dualité intérieure (jansénistes et Politiques), les tendances opposées qui ôtaient toute force à ce corps, guerroyant à la fois contre la Bulle et l’Encyclopédie. Utile cependant, très utile, ce Journal ne me quitte pas ; il me donne (en regard de De Luynes et de d’Argenson) la chronologie de Paris.
Le témoin capital du siècle est certainement d’Argenson. Il n’est pas sans talent (voir le sinistre bal de décembre 1751), et il a un grand cœur, un violent amour du peuple et de la France. Je comprends qu’aujourd’hui tous les petits esprits tombent sur lui, relèvent soigneusement ses contradictions.
Oui, oui, c’était un simple. Cela n’empêche pas qu’il ne fût un voyant, ne devinât cent choses qui depuis se sont faites. On dirait qu’il est membre de l’Assemblée Constituante. Il voit toute la France nouvelle, l’Italie libre, la naissance des États-Unis.
Sans accuser, il est terrible. Il ressort partout de son livre que Versailles ne cesse pas un seul jour de trahir la France.
Du reste innocemment, en grande sécurité de conscience. Quand Louis XV reçut l’égratignure de Damiens, il dit : « Eh ! pourquoi me tuer ? Je ne fais de mal à personne. »
Il aurait pu être encore pire, avec l’éducation qu’il eut, avec les petits corrupteurs auxquels l’abandonna Fleury. Il aurait pu être un Néron. Au fond, ce fut un gentilhomme, timide, hautain et sec, dissolu, aimant la famille, mais du plus bas amour, amour de chat ; très hostile à son fils, beaucoup trop tendre pour ses filles. Si on qualifie cet amour moins sévèrement que les contemporains, il restera toujours incontestable que Mesdames eurent sur lui une énorme influence. L’une sauva les biens du Clergé ; il n’y eut de ruiné que la France. L’autre fut la cause directe des guerres principales de ce règne.
Croyant solidement que le royaume était un simple patrimoine, ni le roi ni ses filles n’eurent le moindre scrupule. Pour l’une, on tue deux cent mille hommes, pour lui donner le Milanais (174l-1748). On ne réussit pas. Alors, pour elle encore, pour lui donner les Pays-Bas, commence la grande Guerre de Sept-Ans, qui coûte un million d’hommes (si l’on compte tous ceux qui moururent de misère).
M. de Luynes, dans son détail immense des choses publiques, officielles, à son insu, appuie merveilleusement d’Argenson. Il nous donne le temps et le lieu, les petits voyages, le changement des appartements. Avec lui et Blondel, et le savant M. Soulié, le conservateur de Versailles, je vois tout, je suis tout, de jour, de nuit. Un plan ingénieux, par de petites cartes qu’on lève à volonté, donne la superposition des étages, des entresols même coupés dans la hauteur des pièces, l’infinie subdivision du vaste labyrinthe (Bibl. du Louvre, vol. in-quarto). Rien de plus instructif. Tel cabinet, tel escalier, expliquent les grands événements.
En ce palais impur, le seul lieu un peu propre où puisse s’arrêter le regard, c’est l’appartement de la reine. Elle était née charmante de cœur et de douceur modeste. Faible, bigote, parfois intolérante, quand elle y est poussée par ses Jésuites polonais, d’elle-même elle n’est pas intrigante. Sa petite société resta à part de la cabale du Dauphin, de Mesdames. Je n’aime guère son président Hénault, mais beaucoup ses de Luynes, rares courtisans, qui, loin de demander, dépensaient leur fortune à nourrir leur maîtresse, infirme, abandonnée. Cet honnête intérieur m’a reposé les yeux. M. de Luynes, par le portrait sévère qu’il a fait du Dauphin, par des traits innombrables relatifs aux filles du roi, fait sentir fortement combien la reine est loin de ses enfants, de Madame Henriette et de Madame Adélaïde, les deux Chefs du Conseil, pour dire comme d’Argenson. Au volume suivant, en mars 1767, on verra la fille et la mère se disputer directement l’éducation de Louis XVI.
J’ai profité souvent des Nouvelles ecclésiastiques, fort ; peu des livres de Hollande, Histoire de la cour de Perse, Vie privée, et autres sottises, d’écrivains faméliques, ignorants et mal informés, qui écrivaient pour les libraires les mystères de la Cour dont ils ne savaient pas un mot.
Dans le labeur ingrat, mais nécessaire, de bien tenir, sans le lâcher, le fil central qui mène tout, je ne m’écarte guère ni vers les affaires protestantes, ni vers nos colonies. Je dois les ajourner. Mais je ne puis pas ajourner un spectacle admirable et de lumière immense, qui m’a consolé, soutenu, dans mon sombre Versailles où j’étais enfermé l’essor de la pensée au dix-huitième siècle.
Plus l’autorité tombe et descend dans la honte, plus le libre esprit monte, allume le fanal immortel qui nous guide encore.
C’est de la Régence à Rosbach, dans ces trente-trois années, que ce siècle a été fort, original et lui-même. La décadence en tout commence en 1760 [1].
Aux neuf années de paix entre les guerres (17481757), la France étonna le monde d’une fécondité inouïe. Jamais tant de grands livres ne parurent en même temps. On vit surgir coup sur coup, comme aux époques antiques des soulèvements de la terre, des masses énormes et colossales, des Alpes et des Pyrénées.
L’Esprit des Lois, splendide exposition de tant de faits curieux, de tant de vues ingénieuses, fut un coup de théâtre immense (1748).
Et à l’instant (1749), surgit, comme une autre montagne, la grande Histoire naturelle de Buffon, sa Théorie de la terre, qui le mènera en trente ans aux Époques de la nature.
Bientôt (1753) apparaît, incomplète encore, cette histoire qui fit toute histoire, qui nous engendra tous (et critiques et narrateurs), le vaste Essai sur les mœurs des nations (complet, 1757).
Cependant, année par année, par l’effort titanique de Diderot, d’Alembert, Voltaire, tant d’autres qui si généreusement y jetèrent leurs travaux, s’entassait l’Encyclopédie, livre puissant, quoi qu’on ait dit, qui fut bien plus qu’un livre, la conspiration victorieuse de l’esprit humain.
Victorieuse. Je le dis en deux sens.
On pourra voir dans ce volume l’hommage étrange que l’Autriche elle-même, pour entraîner la France, fut obligée de rendre à l’opinion dominante : on verra la cabale autrichienne se dire philosophe, Kaunitz, Choiseul, courtisans de Ferney, et la grosse Marie-Thérèse, quatre heures par jour à son prie-dieu, autant le soir aux pièces de Voltaire, qu’elle fait jouer lâchement par ses filles les archiduchesses.
On y verra aussi comment un encyclopédiste, l’ami et l’allié de Diderot et de d’Alembert, poursuivi à la fois par les rois et par les dévots, leur livra en un an cent combats, sept batailles, fit face à leur sept cent mille hommes. C’est la plus grande lutte pour la disproportion des forces qu’on ait vue depuis Salamine. La même année, 1757, on proscrivit ensemble Frédéric, l’Encyclopédie ; on mit au ban du monde et la philosophie et le roi des penseurs. La Pensée vainquit à Rosbach.
Trois empires et cent millions d’hommes ne purent rien sur quatre millions. Le fer, le feu, la mort, mollirent contre l’idée.
L’Idée forte et paisible. Le soir de ces grands jours, ayant couché par terre vingt, trente mille Croates ou Cosaques, Frédéric, immuable, écrivait à Voltaire, ou faisait un chapitre de ses admirables Mémoires.
Napoléon semble avoir peu goûté que les idéologues aient eu un si grand capitaine. Il est fort dur pour lui. Il tient trop peu de compte des circonstances spéciales, vraiment uniques, d’une telle crise.
La France, en général, n’a pas rendu encore tout ce qu’elle doit à l’homme qui l’a le plus aimée, qui vécut d’elle, ne parla que sa langue, à ce Français, si grand par l’action et par la pensée.
Le dix-huitième siècle avait posé sa foi, son credo, son symbole (par Voltaire, Vauvenargues, etc.) : Le but de l’homme est l’action. Il restait de montrer et de prouver cela, comme fit Frédéric, par toute activité, dans la paix, dans la guerre, administration, lois, combats, avec ce calme souverain, qui, par-dessus le trouble des affaires, des dangers, planait dans la culture des arts.
L’action ! On verra combien ce simple mot fut fort pour rallier le siècle avant la décadence de 1760. Il est très faux qu’on ait erré, flotté. Non, l’Europe a marché très droit.
Leibnitz posa la force vive, premier élément d’action. Vico dit que l’homme est créateur, père et fils de son action (1726). Montesquieu, aux Lettres persanes, que le principe inactif et stérile du Moyen-âge allait mourir (1720). Voltaire proclame en ses Lettres anglaises : « L’action est le but de l’homme. » (1734). « L’action libre (1738) et sous la même règle morale. » (1751).
Diderot enfin entreprend d’évoquer l’action, la force vive, en tous les êtres, fait jaillir de chacun le Dieu qui est en lui. Il s’écrie : « Élargissez Dieu ! » Mot fécond qui lança, avec nous, l’Allemagne, et les sciences de la nature.
Celles de l’homme l’étaient par l’Essai sur les mœurs, et la grande enquête historique sur l’action universelle de l’homme, sur sa concordance morale.
Montesquieu et Voltaire avaient pressenti l’Orient, regardé vers la Perse. Au moment où l’Essai parut, un héros de vingt ans, Anquetil, sans moyens ni ressources, va au fond de l’Asie (1754) chercher les livres de la Perse, la tradition sainte de la morale antique, l’accord du genre humain (du présent au passé), la foi de l’action, du travail créateur à l’image de Dieu, qui nous fait dieux aussi.
Hyères, 1er mai 1866.
[1] Ce volume s’arrête à l’entrée de la Guerre de Sept-Ans. Helvétius, Holbach, viennent plus tard, ainsi que Candide, cette fâcheuse éclipse de Voltaire. La réaction pleureuse de Diderot (le Père de famille) et de la Nouvelle Héloïse (1759), ne me regardent pas encore. L’art est encore entier. Cet art de la Régence subsiste. Il va faiblir, et peu à peu faire place au pauvre art Louis XVI. Le style aussi s’altère vers 1760. Un grand maître l’a dit : « Dans Voltaire, la forme est l’habit de la pensée, transparent, rien de plus. Avec Rousseau, l’art paraît trop, et l’on voit commencer le règne de la forme, par conséquent sa décadence. »
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