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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Oeuvres complètes de J. Michelet, Histoire de France. (1895)
Tome seizième. Louis XV et Louis XVI
Préface.


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jules Michelet, Oeuvres complètes de J. Michelet. Histoire de France. Tome seizième. Louis XV et Louis XVI. (1895). Édition définitive revue et corrigée. Paris: Ernest Flammarion, Éditeur, 1895, 434 pages. Une édition électronique réalisée à partir du fac-similé de l'édition originale telle que reproduite par la Bibliothèque Nationale de France. Une édition numérique réalisée par M. Jean-Marc Simonet, professeur retraité de l'enseignement, Université de Paris XI-Orsay.

Préface

Histoire de France. Tome 16


L’Histoire de France est terminée.

J’y mis ma vie. — Je ne regrette rien.

Commencée dès 1830, elle s’achève enfin (1867).

Il est rare que cette courte vie humaine suffise à de pareils labeurs. L’un des grands travailleurs du siècle, M. de Sismondi, eut le chagrin de ne point achever. Plus heureux, j’ai vécu assez pour mener cette histoire jusqu’en 89, jusqu’en 95, traverser ces longs âges, enfin joindre à cette épopée le drame souverain qui l’explique.

Tout mon enseignement et mes travaux divers convergèrent vers ce but. Je déclinai ce qui s’en écartait, le monde et la fortune, les fonctions publiques, estimant que l’histoire est la première de toutes.

Mes livres secondaires, qu’on croyait des excursions, ont été les études, les constructions préalables, parfois même des parties essentielles du grand édifice.

Je ne réclame rien pour le travail pénible que j’eus d’explorer le premier, à chaque âge, les sources alors peu connues (manuscrits, ou imprimés rares). J’ai été trop heureux de les signaler à l’attention. Chacun de mes volumes, attaqué, discuté, n’en fut pas moins l’occasion d’éditer les nouveaux documents que j’avais exploités. Beaucoup sont maintenant publiés, dans les mains de tous.

Le principe moderne, tel que je l’exposai (1846) en tête de ma Révolution, trouve au présent volume, en Louis XV et Louis XVI, sa confirmation décisive. La clarté saisissante des documents nouveaux, comme une blanche lumière électrique, perce de part en part le trouble clair-obscur où s’affaissa la monarchie.

Nos pères, par une seconde vue, aperçurent en 92 qu’un complot fort ancien de l’étranger contre la France se tramait en Europe et dans Versailles même. Les preuves étaient insuffisantes et ils ne pouvaient qu’affirmer.

Dans ma Révolution, j’en pus dire davantage (sur le procès de Louis XVI). Les royalistes eux-mêmes, leurs aveux triomphants, éclaircissaient au moins 92.

Mais jusqu’où remontaient l’intrigue et les machinations ? Récemment dans mon Louis XV (ch. XI, p. 141), réunissant des documents irrécusables, j’établis que nos pères n’avaient eu qu’une vue partielle et incomplète en ce qu’ils appelaient le Complot autrichien. Je remontai plus haut. Je donnai un fil sûr pour l’histoire de cinquante années : la Conspiration de famille. Je montrai que, non seulement par Marie-Antoinette, Choiseul et les traités de 1756, mais bien avant, et dès Fleury, l’étranger régna à Versailles, — bien plus, que le roi fut constamment l’étranger [1].

C’est là le grand courant de l’histoire, et le fil général. Ceux qui voulaient durer et garder le pouvoir, comme Fleury, Choiseul, savaient parfaitement qu’il fallait se ranger au grand courant, ne pas s’en écarter, se soucier fort peu de la France, être bon Espagnol, bon Autrichien, servir la pensée fixe, l’intérêt de famille.

Louis XV écrivait tous les jours à Madrid, à sa fille l’Infante. La grande affaire de sa vie fut de faire reine cette fille, ou mieux, de faire impératrice la fille de sa fille, qui épouserait Joseph II.

De là vient que le roi, de cœur très espagnol, devient très autrichien, l’Autriche étant la seule maison où celle de Bourbon puisse se marier sans déroger. Joseph II naît à peine qu’il est le mari projeté, désiré, de Versailles et Madrid. Prise énorme pour Vienne. La catholique Autriche, par un ministre philosophe, Choiseul, met la France en chemise, amuse l’opinion, mystifie Versailles et Ferney.

Voilà, je le répète, le grand courant qui domine l’histoire l’intérêt de famille. Y eut-il un contre-courant ? une politique française qui balançât un peu cet ascendant de l’étranger ? On voudrait bien le croire, et quelques-uns l’ont soutenu. On eût trouvé piquant de découvrir que Louis XV, ce roi sournois, haïssant ses ministres et trahissant la trahison, fut en dessous un patriote. L’excellente et curieuse publication de M. Boutaric (1866) a montré ce qu’on en doit croire. On y voit que Conti et Broglie firent tout pour l’éclairer, lui trouvèrent des observateurs habiles et de premier mérite, des Vergennes et des Dumouriez, et qu’ils ne réussirent à rien. Dans ses petits billets furtifs, il ne veut et ne cherche qu’un certain plaisir de police. C’est la jouissance peureuse du mauvais écolier qui croit faire un tour à ses maîtres. Nulle part il n’est plus misérable. Il s’égare en ses propres fils, veut tromper ses agents, ment à ceux qui mentent pour lui, il perd la tête et convient qu’il « s’embrouille ». Là son tyran Choiseul le pince et l’humilie. Il se renfonce dans l’obscur, dans la vie souterraine d’un rat sous le parquet. Mais on le tient : Versailles tout entier est sa souricière.

L’affaire d’on — (et la confirmation, que M. Boutaric donne au récit de M. Gaillardet, tiré des papiers d’Éon même), cette affaire illumine le rat dans ses plus misérables trous. Choiseul y est cruel, impitoyable pour son maître. On ne s’étonne pas de la haine fidèle que lui garda un homme qui haïssait peu (Louis XVI).

Sur Choiseul j’ai été très ferme, contre Voltaire et autres dupes. Croira-t-on que Flassan ose impudemment dire que Choiseul n’est pas Autrichien ? (T. XI, 151.)

Que nous en coûta-t-il ? rien que le monde. Enfermée désormais, perdant à la fois ses deux Indes, bannie d’Amérique, et d’Asie, la France vit l’Anglais occuper à son aise les cinq parties du globe.

Cela apparemment nous brouille avec l’Autriche ? Nullement. Remarquable progrès de cette invasion intérieure. Vienne nous a menés quatorze ans par le fil peu sûr d’une maîtresse usée, la Pompadour, et d’un petit roué, Choiseul. Elle prend à Versailles un solide établissement par une jeune reine charmante, toute-puissante par la passion, immuablement Autrichienne, et qui, dans le trône de France, mettra de petits Autrichiens. De même que, par sa Caroline, Marie-Thérèse a repris Naples et l’ascendant sur l’Italie, — par Marie-Antoinette elle pèse sur la France, l’exploite aux moments décisifs.

Il est curieux de voir combien notre diplomatie a été et est autrichienne. M. de Bacourt (Intr. à La Marck) n’a pas craint d’avancer que Marie-Antoinette ne se mêla pas des affaires, n’agit pas pour sa mère, son frère, etc. !! Voilà jusqu’où, aux derniers temps, on osait nier l’histoire, démentir la tradition, tous les témoignages contemporains, la concordance des mémoires, l’aveu des royalistes eux-mêmes.

Ce n’était plus un parti, c’était la grande masse des honnêtes gens et des gens bien pensants qui laissait là l’histoire, préférait le roman. Sur cette pente, la fantaisie s’enhardissait et avançait, mêlait ses jeux à des ombres si sérieuses. La légende allait son chemin. Des esprits inventifs, des plumes adroites, habiles, avaient des bonheurs singuliers, des trouvailles imprévues, charmantes. Ces nouveautés étonnaient quelques-uns ; mais, dans peu, devenant anciennes, elles auraient fini par être respectées, prendre l’autorité du temps.

Un matin, qui l’eût cru ? des archives de Vienne, d’un dépôt si discret, si peu intéressé à éclaircir l’histoire, arrive à la légende le plus accablant démenti !

Et de qui, s’il vous plait ? de la reine elle-même, de sa mère, de ses frères.

Par qui ? par la voie la plus sûre, l’honorable archiviste de la maison d’Autriche, M. Arneth, qui donne ces lettres textuelles, et sans changement que l’orthographe (qu’il a eu le tort de rectifier).

Le fameux complot autrichien, tant nié, n’est que trop réel. Qui le dit ? C’est Marie-Thérèse. Rien de plus violent que l’action de la mère sur la fille, de celle-ci sur le roi.

Les projets de démembrement que formait la Coalition, furent-ils connus du roi et de la reine, quand ils appelaient l’étranger ? Savaient-ils qu’il voulait mutiler, déchirer la France ? Point fort essentiel qui devait influer sur le jugement définitif que l’histoire porterait sur eux [2].

Les lettres publiées par Arneth montrent qu’ils furent très avertis. Ils surent que le secours demandé coûterait à la France ses meilleures frontières, les barrières qui la gardent, et ne purent pas douter qu’ainsi démantelée et à discrétion, elle ne fût en péril pour l’intérieur, le corps même de la monarchie. L’ambassadeur d’Autriche les avertit expressément « que les puissances ne feraient rien pour rien », se payeraient de l’Alsace, de nos Alpes et de la Navarre (7 mars 91, p. 147-149). Malgré cette communication, la reine réclama de nouveau l’invasion (20 avril). Enfin, la Coalition s’étant armée et complétée, la reine révéla à l’Autriche le plan de Dumouriez et le point que devait attaquer La Fayette : « Voilà, dit-elle, le résultat du conseil d’hier », conseil tenu devant le roi et dont elle connut par lui le résultat pour en informer l’ennemi (26 mars 92, Arneth, 259).

Tout ce que les Campan et autres amis de la reine, pour excuser ses torts, nous disent de la froideur du roi, est mis à néant par ces lettres. Il la suspectait fort, il est vrai, à son arrivée. Il fut un peu tardif. Mais dès 71, un an après le mariage, quoiqu’ils fussent encore des enfants, elle était maîtresse de lui. Les ministres étrangers le voyaient, en tiraient augure (Creutz, ap. Geffroy). Duclos dit à l’avènement (en mots très crus que je traduis) : « La femme et le lit règneront. »

Louis XVI n’eut rien de la France, ne la soupçonna même pas. De race et par sa mère, il était un pur Allemand, de la molle Saxe des Augustes, obèse et alourdie de sang, charnelle et souvent colérique. Mais, à la différence des Augustes, son honnêteté naturelle, sa dévotion, le rendirent régulier dans ses mœurs, sa vie domestique. En pleine Cour il était solitaire, ne vivant qu’à la chasse, dans les bois de Versailles, à Compiègne ou à Rambouillet. C’est uniquement pour la chasse, pour conserver ses habitudes, qu’il tint les États généraux à Versailles (si près de Paris !).

S’il n’eût vécu ainsi, il serait devenu énorme, comme les Augustes, un monstre de graisse, comme son père le Dauphin, qui dit lui-même, à dix-sept ans, « ne pouvoir traîner la masse de son corps ». Mais ce violent exercice est comme une sorte d’ivresse. Il lui fit une vie de taureau ou de sanglier. Les jours entiers au bois par tous les temps. Le soir, un gros repas où il tombait de sommeil, non d’ivresse, quoi qu’on ait dit. Il n’était nullement crapuleux comme Louis XV. Mais c’était un barbare, un homme tout de chair et de sang. De là sa dépendance de la reine. On le vit dès son âge de vingt ans, dans la crise indécente de juillet 74. On le vit d’une manière effrayante dans les premières grossesses. Il était hors de lui, pleurait.

Nul roi ne montra mieux une loi de l’histoire qui a bien peu d’exceptions : « Le roi, c’est l’étranger. » Tout fils tient de sa mère. Le roi est fils de l’étrangère, et il en apporte le sang. La succession presque toujours a l’effet d’une invasion. Les preuves en seraient innombrables. Catherine, Marie de Médicis, nous donnèrent de purs Italiens ; la Farnèse de même (dans Charles III d’Espagne). Louis XVI fut un vrai Saxon, et plus Allemand que l’Allemagne, dans l’alibi complet, la parfaite ignorance du pays où il a régné.

Étrangers par la race, les rois le sont par la croyance, tous nécessairement attachés à la religion qui veut l’obéissance et la résignation, supprime la patrie, les fiers instincts de liberté. Le chrétien pour patrie a le ciel, le catholique Rome. Tout roi est très chrétien. Espagne, Autriche, Portugal, etc., ont un titre analogue. Le schisme n’y fait rien. Papauté de Moscou, papauté de Londres, il n’importe, le trône a pour base l’autel. Notre roi, entre tous, portant jadis la chape, chanoine à Saint-Quentin, abbé de Saint-Martin, fut essentiellement un personnage ecclésiastique. Les deux derniers ont été très fidèles à ce caractère intérieur, essentiel, de la royauté. — Louis XV, au moment décisif de son règne, vers 1750, quand la grande question peut déjà s’entrevoir, lorsque déjà l’on crie : « Allons brûler Versailles ! » Louis XV affronte l’avenir, et à tout prix sauve les biens de l’Église. — Louis XVI, sérieux, excellent catholique, très opposé à toute nouveauté, non seulement refusa douze ans l’état civil aux Protestants, non seulement garda et ménagea les biens d’Église, mais se perdit plutôt que de demander au clergé un serment purement politique, qui ne blessait en rien sa foi religieuse.

Telle n’était point la reine. Elle ne fut d’aucun des deux mondes, ni philosophe ni dévote. Elle n’eut de religion que la famille. Malgré sa servitude passionnée de la Polignac qui semblait l’écarter de Vienne, il suffisait d’un mot de sa mère, de son frère, pour réveiller en elle le fond du fond, l’intérêt autrichien.

Les lettres qu’on vient de publier éclairent terriblement la figure de Marie-Thérèse, la part qu’elle a dans le tragique destin de sa fille. Elle la conseille bien comme femme et pour la vie privée, mais elle la corrompt comme reine, exige d’elle tout ce qui doit la perdre. Par sa lourde, pressante et infatigable insistance, ses prières (qui vont jusqu’aux larmes), elle en fait, dans les moments graves, ce que soupçonnait Louis XVI, un funeste agent de l’Autriche. Parfois elle la trompe, lui ment (ment à sa fille !). Souvent elle l’exploite et spécule sur ses grossesses qui lui asserviront le roi. Le détail très honteux en est très authentique.

On peut le dire, on lui vendit la reine. Il ne l’eut (en juillet 1774) qu’au prix d’une concession déplorable. Il lutta quelque peu, et là, il est intéressant. Aidé de Maurepas, Vergennes, de ses souvenirs surtout, de sa piété filiale, il s’obstina à repousser Choiseul, l’ennemi de son père, le chef du parti autrichien. Mais sa servitude charnelle lui enleva le peu qu’il avait de force et de sens. Il faiblit trois fois pour l’Autriche, et, pour l’intérêt de Joseph, il compromit longtemps la cause américaine.

Les véritables royalistes ne pardonneront pas aux amis de la reine d’avoir avili Louis XVI en le faisant compère des Calonne et des Loménie, de l’avoir employé à couvrir de sa parole, de sa personne aimée et populaire, ces ministres indignes. C’est le moment ou il tombe au plus bas, le seul moment où vraiment il m’étonne. Dans quel néant moral le jeta sa matérialité pesante pour qu’il oubliât le vrai Louis XVI, le roi dévot, et subît l’homme de la reine, l’incrédule et le prêtre athée (1787) !

Mais si le roi, entraîné par la reine, eut ce moment d’inconséquence, reconnaissons qu’en tout le reste il fut fidèle à sa tradition. Il ne fut nullement, comme on a dit, incertain et variable, mais toujours le même et très fixe (au moins dans son for intérieur) contre toute nouveauté, contraire à l’Amérique, contraire à Turgot et à Necker, forcé de marcher quelquefois, mais n’avançant qu’à reculons, et en protestant en dessous.

Les réformes que lui arracha la force de l’opinion, n’eurent aucune portée sérieuse ; on le verra par ce volume. Les fameuses Assemblées provinciales qu’on a fait valoir récemment, ne furent qu’un leurre en 1786. — Le roi, loin de céder en rien au progrès et à la raison, s’aigrit par les concessions, fort légères, qu’il lui fallut faire, les mensonges qu’il lui fallut dire. — Nos pères ne se trompèrent en rien lorsqu’ils sentirent en lui le solide, l’inconvertissable ennemi de la Révolution.

Pour établir cela et le mettre dans tout son jour, j’ai dû m’écarter peu, effleurer, éluder ce qui m’en éloignait. De là plusieurs lacunes  [3]. Mainte chose ne sont montrées que de profil, plusieurs même passées tout à fait.

Rien ne me pèse plus que d’omettre sur le chemin tels faits admirables, héroïques, qui sont restés sans récompense, sans mémoire jusqu’ici. L’Histoire doit payer pour la France. Ces dettes me suivent et me poursuivent. Je ne me pardonne pas de n’avoir point parlé de cet obscur Léonidas qui nous a sauvés à Saint-Cast, et dont la vaillance oubliée m’est révélée à ce moment par mon savant ami, M. le professeur Macé.

Que de dévouements, que d’efforts, de sacrifices et de cruels malheurs, que de vertus punies par la dureté du sort, dans notre histoire maritime et coloniale ! Je resterais inconsolable si je n’y revenais un jour.

Il faut dire que la France entière du dix-huitième siècle (tant légère qu’on la croie) a eu un esprit étonnant de générosité, parfois excessif en bonté. — L’élan pour l’Amérique est simplement sublime. — L’attachement bizarre, obstiné, acharné, qu’elle eut pour Louis XVI, fermant les yeux à l’évidence, le croyant toujours un bonhomme, est ridicule, si l’on veut, mais touchant. Aucune faute n’y put rien, non pas même les fusillades de Paris, en 88.

Nul fiel en cette âme de France. Tellement haïe par l’Angleterre, elle ne la hait pas du tout. Et c’est juste au moment où l’Angleterre la ruine, que la France l’admire, s’en engoue, la copie. Et notez que, pour le progrès des idées, la France fait tout, l’Angleterre rien, pendant soixante-dix ans. De la mort de Newton à Watt, elle est exactement stérile (loyal aveu de M. Buckle).

Ce cœur exubérant, si facile et si bon, si charmant de la France, il faudrait bien le dire tout au long, ce que je n’ai pu. Ces justices dues à nos pères pour une foule d’héroïsmes obscurs, il faudrait, tôt ou tard, qu’on les rendît enfin. On dit que Camoëns eut aux Indes un emploi, fut l’administrateur du bien des décédés. Ce titre, cette charge, sont ceux de l’historien. Je n’en resterai pas indigne, j’acquitterai ces dettes et ne mourrai pas insolvable.

Il me convient d’être mon juge. J’essayerai, si je vis, dans un travail à part, d’apprécier cette œuvre, en ce qu’elle a de bon, d’incomplet, de mauvais. Je ne sais que trop ses défauts. Alors, je pourrais faire ce qu’on ne peut dans une préface : je dirais les méthodes dont j’ai usé selon les temps, la spécialité de nos arts historiques que l’on connaît fort peu.

Mais je voudrais surtout y dire le travail personnel, intime, qui se faisait en moi pendant ce long voyage. Mon œuvre était pour moi (plus qu’un livre) la voie de l’âme. Elle m’a fait et a fait ma vie.

Paris, 1er octobre 1867.



[1] Est-ce à un étranger qu’on doit remettre l’épée, l’armée et le salut ? grosse question. — Un livre spécial là-dessus, un livre fort, est parti de Zurich, livre amer, mais salubre et sain (chose aujourd’hui si rare), plein de réveil et plein de vie, dont plus d’un dormeur vibrera. (Marc Dufraisse, Histoire du droit de guerre et de paix, de 1789 à 1815. Paris, édit. Lechevalier.)

[2] L’ignorance où l’on était explique l’indulgence des historiens, de MM. Thiers, Mignet, Droz, Louis Blanc, Lanfrey, Carnot, Ternaux, Quinet. — C’est en juin 1865 que M. Geffroy, le premier en France, fit connaître la publication d’Arneth, apprécia les vraies et les fausses lettres du roi et de la reine avec une ingénieuse et pénétrante critique. — Voir l’appendice de son livre, Gustave III et la cour de France, si riche de faits nouveaux sur l’histoire de ce temps.

[3] En revanche, j’ai développé certains faits vraiment capitaux, par exemple, la révolution de Grenoble qui fit celle de la France, et pour laquelle M. Gariel m’avait ouvert les sources les plus précieuses. Je regretterais beaucoup plus mes lacunes si mon ami, M. Henri Martin, dans sa judicieuse Histoire, si riche en précieux détails, n’y suppléait souvent avec autant d’exactitude que de talent. — L’histoire de l’art est mieux dans les fines et savantes notices de MM. de Goncourt, que je n’aurais pu faire. — Deux sérieux esprits, si nets et si loyaux, MM. Bersot, Barni, ont donné sur nos philosophes d’excellents jugements qui resteront définitifs. Ils corrigent ce que peut avoir peut-être d’excessif ma critique de Rousseau.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 15 décembre 2009 20:25
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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