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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Fragments sur les institutions républicaines (1800)
Premier fragment: préambule


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Louis Antoine Léon de Saint-Just (1767-1794), [homme politique français et révolutionnaire enflammé], Fragments sur les institutions républicaines (1800). Transcription d'un cahier manuscrit déposé à la Bibliothèque nationale de France. Paris: Les Éditions 10-18. Collection Fait et cause, octobre 2003, 54 pages. Une édition numérique réalisée par Pierre Palpant, bénévole, pré-retraité, Paris.

Premier fragment: préambule

Les institutions sont la garantie du gouvernement d'un peuple libre contre la corruption des mœurs, et la garantie du peuple et du citoyen contre la corruption du gouvernement.

Les institutions ont pour objet de mettre dans le citoyen, et dans les enfants même, une résistance légale et facile à l'injustice; de forcer les magistrats et la jeunesse à la vertu ; de donner le courage et la frugalité aux hommes ; de les rendre justes et sensibles; de les lier par des rapports généreux ; de mettre ces rap-ports en harmonie, en soumettant le moins possible aux lois de l'autorité les rapports domestiques et la vie privée du peuple; de mettre l'union dans les familles, l'amitié parmi les citoyens ; de mettre l'intérêt public à la place de tous les autres intérêts; d'étouffer les passions criminelles; de rendre la nature et l'innocence la passion de tous les cœurs, et de former une patrie.

Les institutions sont la garantie de la liberté publique; elles moralisent le gouvernement et l'état civil ; elles répriment les jalousies, qui produisent les factions; elles établissent la distinction délicate de la vérité et de l'hypocrisie, de l'innocence et du crime; elles assoient le règne de la justice.

Sans institutions, la force d'une république repose ou sur le mérite des fragiles mortels, ou sur des moyens précaires.

C'est pourquoi, de tout temps, la politique des voisins d'un peuple libre, s'ils étaient jaloux de sa prospérité, s'est efforcée de corrompre ou de faire proscrire les hommes dont les talents ou les vertus pouvaient être utiles à leur pays.

Scipion fut accusé ; il se disculpa, en opposant sa vie entière à ses accusateurs : il fut assassiné bientôt après. Ainsi les Gracques moururent ; ainsi Démosthène expira aux pieds de la statue des dieux ; ainsi l'on immola Sidney, Barneveldt; ainsi finirent tous ceux qui se sont rendus redoutables par un courage incorruptible. Les grands hommes ne meurent point dans leur lit.

C'est pourquoi l'homme qui a sincèrement réfléchi sur les causes de la décadence des empires s'est convaincu que leur solidité n'est point dans leurs défenseurs, toujours enviés, toujours perdus, mais dans les institutions immortelles, qui sont impassibles et à l'abri de la témérité des factions.

Tous les hommes que j'ai cités plus haut avaient eu le malheur de naître dans des pays sans institutions. En vain ils se sont étayés de toutes les forces de l'héroïsme : les factions, triomphantes un seul jour, les ont jetés dans la nuit éternelle, malgré des années de vertus.

Parmi tous les cœurs qui m'entendent, il n'en est point, sans doute, qui ne soit saisi d'une horreur secrète à l'aspect de ces vérités tristes.

Ce furent elles qui m'inspirèrent le dessein généreux d'effectuer la garantie pratique du gouvernement, par l'amour du bien, devenu la passion de tous les citoyens. Ce furent ces vérités tristes qui, me conduisant au-devant des orages et des jalousies que j'entrevoyais, me firent concevoir l'idée d'enchaîner le crime par des institutions, et de faire pratiquer à tous la justice et la probité dont j'avais proféré les noms sacrés...

J'avais aussi l'idée touchante que la mémoire d'un ami de l'humanité doit être chère un jour. Car enfin, l'homme obligé de s'isoler du monde et de lui-même jette son ancre dans l'avenir, et presse sur son cœur la postérité, innocente des maux présents...

Dieu protecteur de l'innocence et de la vérité, puisque tu m'as conduit parmi quelques pervers c'était sans doute pour les démasquer!...

La politique avait compté beaucoup sur cette idée, que personne n'oserait attaquer des hommes célèbres, environnés d'une grande illusion... J'ai laissé derrière moi toutes ces faiblesses ; je n'ai vu que la vérité dans l'univers, et je l'ai dite...

Les circonstances ne sont difficiles que pour ceux qui reculent devant le tombeau. Je l'implore, le tombeau, comme un bienfait de la Providence, pour n'être plus témoin de l'impunité des forfaits ourdis contre ma patrie et l'humanité.

Certes, c'est quitter peu de chose qu'une vie malheureuse, dans laquelle on est condamné à végéter le complice ou le témoin impuissant du crime...

Je méprise la poussière qui me compose et qui vous parle; on pourra la persécuter et faire mourir cette poussière! Mais je défie qu'on m'arrache cette vie indépendante que je me suis donnée dans les siècles et dans les cieux...

Il est essentiel, dans les révolutions, où la perversité et la vertu jouent de si grands rôles, de prononcer très nettement tous les principes, toutes les défini-tions. Il arrive un moment où ceux qui ont le plus d'esprit et de politique l'emportent sur ceux qui ont le plus de patriotisme et de probité. Malheur à ceux qui vivent dans un temps où la vertu baisse les yeux, la rougeur sur le front, et passe pour le vice auprès du crime adroit! Malheur à ceux qui vivent dans un temps où l'on persuade par la finesse de l'esprit, et où l'homme ingénu au milieu des factions est trouvé criminel, parce qu'il ne peut comprendre le crime! Alors toute délibération cesse, parce que, dans son résultat, on ne trouve plus, et celui qui avait raison, et celui qui était dans l'erreur; mais celui qui était le plus insolent et celui qui était le plus timide. Toute délibération cessant sur l'intérêt public, les volontés sont substituées au droit : voilà la tyrannie.

Je n'aime point les mots nouveaux; je ne connais que le juste et l'injuste ; ces mots sont entendus par toutes les consciences. Il faut ramener toutes les définitions à la conscience: l'esprit est un sophiste qui conduit les vertus à l'échafaud.

Il est des imputations faites par l'esprit hypocrite, auxquelles l'homme sincère et innocent ne peut répondre. Il est tels hommes traités de dictateurs et d'ambitieux, qui dévorent en silence les outrages. Quel est le puissant, de celui qui traite impunément un homme de dictateur, ou de celui qui est traité ainsi ?...

Il faut substituer, par les institutions, la force et la justice inflexible des lois à l'influence personnelle. Alors la révolution est affermie; il n'y a plus de jalousies, ni de factions ; il n'y a plus de prétentions, ni de calomnies.

Les institutions ont pour objet d'établir de fait toutes les garanties sociales et individuelles, pour éviter les dissensions et les violences ; de substituer l'ascendant des mœurs à l'ascendant des hommes.


Retour au texte de l'auteur: Louis Antoine Léon de Saint-Just (1767-1794). Dernière mise à jour de cette page le Vendredi 26 décembre 2003 09:52
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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