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Introduction
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DANS QUELLE MESURE
IL EXISTE UNE AMÉRIQUE LATINE
« Les Amériques », tel est le terme dont le langage populaire s'est longtemps servi pour désigner le Nouveau Monde. Il existe en effet une Amérique du Nord : l'expression North America, que les impérialistes anglais réprouvent, on devine pourquoi, évoque une personnalité géographique en même temps qu'une civilisation de type anglo-saxon, qui englobe, avec les États-Unis, le Dominion du Canada. Mais peut-on, dans le même sens, parler d’Amérique du Sud ou d’Amérique latine ? Le singulier, en l'espèce, ne répond-il pas à une simplification excessive ? Après plusieurs visites au Mexique et à Cuba, un périple rapide m'a permis de parcourir les Antilles, le Vénézuéla, l'isthme de Panama, le Pérou, le Chili, l'Argentine, [p. 8] l’Uruguay, le Brésil : j'en ai rapporté l'impression que tous ces pays offrent des traits communs qui permettent de les grouper dans une atmosphère Amérique latine commune, et c'est la justification du titre de cette étude.
Oserai-je aller plus loin ? Les deux sections du continent ne possèdent-elles pas, en dépit de leurs différences, des caractéristiques qui les apparentent l'une à l'autre ? N'existe-t-il pas, au singulier encore, un « nouveau monde », s'opposant globalement aux masses géographiques de l’Europe et de l’Asie ? J’en ai éprouvé non seulement le sentiment mais presque la sensation lorsqu'après sept ou huit voyages aux États-Unis j'ai, pour la première fois, pris contact avec la robuste échine des Andes, puis avec l'immensité de la Pampa.
Ainsi les deux Amériques s'éclairent mutuellement d'être comparées. De ce point de vue le panaméricanisme, corrigé du virus impérialiste qui en ferait l'instrument de puissance d'une seule nation, exprime une vérité essentielle, l'unité fondamentale du continent américain. Les Latins, les Anglo-Saxons du Nouveau Monde respirent le même air, foulent du [p. 9] pied le même sol ; et, quand ils sont en présence des problèmes internationaux, c'est encore du même instinct politique qu'ils réagissent. M. de La Palice constaterait sans doute que les uns et les autres sont en effet américains. Mais là s'arrête la ressemblance des deux Amériques, car l'histoire leur a imposé des destinées différentes. Les Anglo-Saxons protestants du Nord, les Latins catholiques du Sud évoluent dans des cadres de civilisation distincts, ils sont de part et d'autre marqués par leur origine. C'est alors que reparaît, dans sa durable solidité, le lien de culture avec la vieille Europe : la formation britannique se retrouve aux États-Unis ; l'inspiration latine, de source méditerranéenne, dans tous les pays de colonisation espagnole ou portugaise. Entre Buenos Aires et New York il y a la parenté géographique de deux villes américaines ; mais entre Buenos Aires, Montevideo ou Rio d'une part et Barcelone, Marseille ou Paris de l'autre, il existe une autre parenté, méditerranéenne, latine, non moins évidente. L'axe géographique du continent américain est en direction Nord-Sud, mais ne méconnaissons pas un autre axe, celui des [p. 10] influences de la culture, qui va de l'Est à l'Ouest.
C'est sous le signe de cette rose des vents que doit se faire toute étude de l'Amérique latine. Pour la bien comprendre, il est indispensable, d'abord, d'avoir le sens, en quelque sorte physique, du nouveau continent, j'entends par là de connaître la saveur de son atmosphère, la couleur de ses montagnes et de ses plaines, enfin, du point de vue économique, de communier avec son optimisme, sa hardiesse, sa légèreté.... Mais il n'est pas moins important d'avoir connu la source spirituelle, qui est à la fois très loin dans l'espace et dans le temps : de même qu'il faut savoir le latin pour bien parler le français et avoir pénétré l’Angleterre puritaine pour connaître les États-Unis, il faudrait posséder à fond l'Espagne et le Portugal pour interpréter, avec une pleine intelligence, les civilisations latines au delà de l'Océan. Rares sont en somme ceux qui se révèlent capables d'envisager l'Amérique du Sud sous deux angles aussi différents : l'Américain du Nord, à son aise parmi des circonstances économiques qui lui rappellent son pays, ne comprend guère [p. 11] l'esprit latin et surtout n'arrive pas à l'estimer ; l'Européen de culture méditerranéenne se met facilement à l'unisson d'une société dont la tradition ressemble à la sienne, mais une étape reste nécessaire dans son assimilation avant qu'il se comporte, dans le domaine économique, en véritable Américain. Encore qu'elles expriment un loyal effort de compréhension et une sympathie instinctive, je ne me dissimule donc pas l'insuffisance des pages qui vont suivre.
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