EXTRAIT
L’acuponcture en Europe
Avant de publier le complet et volumineux exposé que je prépare sur l’acuponcture, avec traductions précises des textes chinois, références et citations, je me décide, pour répondre aux demandes de nombreux médecins, à donner ici l’essentiel de la méthode, les points principaux et la manière de traiter quelques maladies pour lesquelles l’Europe est plus ou moins désarmée.
Le public, d’autre part, par ce petit volume, pourra distinguer, parmi les médecins qui pratiquent l’acuponcture, ceux qui ont étudié aux sources et ceux qui, devant le grand développement de la méthode, prétendent l’appliquer sans l’avoir étudiée, se fiant soit honnêtement à la suggestion, soit moins honnêtement à l’ignorance de leur clientèle ou même à la puissance de la publicité.
Depuis en effet que, l’ayant étudiée en Chine dès 1901, j’ai, le premier dans le monde Blanc, introduit en France, il y a déjà six ans, la Méthode des Aiguilles et Moxas, et qu’ainsi l’Europe et l’Amérique, qui n’avaient sur elle que des notions confuses, ont pu enfin la pratiquer, les expériences se sont multipliées. Les succès se sont affirmés. Il n’est plus possible de l’ignorer.
Il faut reconnaître que si, au début, le Docteur Paul Ferreyrolles ne m’avait pas arraché ce que j’avais appris en Chine, l’Europe serait encore dans son ignorance à ce sujet.
Pour moi, en effet, consul, sinologue et littérateur, je n’étais devenu médecin chinois que par émerveillement des effets obtenus par de si faibles moyens et sans pensée autre que d’étudier un art presque miraculeux à mes yeux. De retour en Europe, le scepticisme que je rencontrais m’avait vite empêché de parler.
Mais c’est surtout grâce aux docteurs Marcel et Thérèse Martiny que, sous un contrôle sévèrement scientifique, l’étude de la vraie acuponcture chinoise a pu se poursuivre, s’affirmer, et ne pas se détourner ou se fausser vers l’application aveugle de formules incomprises, avec résultats incertains ou temporaires.
Depuis lors, le docteur Flandin, de l’hôpital Bichat, et ses internes MM. Macé de Lépinay et Gallot, utilisant mes documents et ce que leur en transmettait le docteur Ferreyrolles, ont soumis la méthode à l’expérimentation sévère de la Faculté. Ils ont communiqué leurs succès et leurs insuccès à nos grandes sociétés savantes.
Les docteurs J. Landowski, Barishac, Poret, M. Lavergne, Sauvageot, Bonnet-Lemaire, etc., ont obtenu, grâce à cette méthode, des guérisons souvent sensationnelles.
Quelques médecins audacieux ont, sur lecture de mes articles ou de ceux des adeptes, tenté et réussi des cures inattendues.
D’autres, devant le succès de la méthode, ont proclamé l’avoir inventée, sans même l’avoir étudiée superficiellement.
Il est temps de préciser et de réunir les notions éparses en plusieurs documents afin que les expériences poursuivies depuis tant de siècles par la Chine, tiers de l’humanité, ne soient pas rendues inutilisables par incompréhension de leurs principes directeurs, et que les chercheurs honnêtes et consciencieux puissent avoir un moyen de plus de soulager leurs malades.
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Mais, pensera-t-on, comment se fait-il que l’acuponcture ait attendu si longtemps d’être connue en Europe ? Comment a-t-il fallu que ce fût un sinologue et non un de nos docteurs, qui la fît connaître ?
Tout d’abord, elle n’était pas ignorée. Les missionnaires et surtout les savants jésuites de la Mission Scientifique de Péking, au XVIIe siècle, en rapportent les merveilles et en décrivent les grands points.
Mais le dogmatisme de l’esprit humain a toujours empêché d’intégrer une formule nouvelle obligeant à modifier les positions prises mentalement et matériellement. Pasteur a été honni avant d’être déifié. Le radium a été nié tout d’abord. L’homéopathie n’est pas encore enseignée à la Faculté.
Malgré que les notions transmises par les missionnaires fussent fort restreintes, le docteur Berlioz, de Tours (père du musicien) et le docteur Jules Cloquet, professeur à la Faculté de Paris, entreprirent, vers 1825, de traiter des malades à coups d’aiguille. Mais, dans leur ignorance, ce n’était pas l’acuponcture chinoise qu’ils appliquaient, car ils enfonçaient de très longues aiguilles jusque dans les organes et les laissaient en place pendant vingt et trente heures. L’étude de leurs expériences est pourtant instructive. Mais la cruauté du traitement, malgré des succès intéressants, mit vite fin à la grande vogue que le docteur Cloquet connut pendant plusieurs années.
La vraie acuponcture chinoise, par cette fausse présentation, fut déconsidérée. L’Europe cessa de s’y intéresser, malgré qu’en 1863 le consul Dabry eût publié un important travail sur la médecine chinoise et donné une idée déjà plus précise sur l’acuponcture.
Pour étudier la vraie méthode il fallait réunir bien des hasards heureux : d’abord la connaissance courante de la langue parlée ; puis celle de la langue écrite, fort différente de la langue parlée. D’autre part il fallait se constituer un dictionnaire sino-européen de termes médicaux, ce qui n’existe encore que par mon travail et en manuscrit. Il fallait aussi connaître l’étiquette chinoise assez à fond pour ne pas choquer des susceptibilités aussi grandes que celles d’un de nos maîtres à qui s’adresserait pour en obtenir l’enseignement un Hottentot ignorant de notre langue et de nos coutumes.
Nos médecins envoyés en Chine pour enseigner nos méthodes ne savent pas le chinois. Ils sont là pour enseigner et non pour apprendre. Peuvent-ils, sans « perdre la face »... et le prestige, se mettre à l’école d’un maître indigène, même si celui-ci consentait à les instruire ?
Il fallut encore que, présenté par les missionnaires auxquels appartenait l’hôpital que je visitai, je vis de véritables miracles opérés sous mes yeux. Le médecin chinois consentit à m’instruire et à me trouver les livres nécessaires. Plus tard, juge à la Cour mixte de Shanghai, je trouvai, à la direction sanitaire, un excellent acuponcteur qui acheva de m’instruire. Et c’est ainsi que, parce que sinologue, j’obtins de pouvoir exercer en Chine, et que je pus transmettre à la science française une variété de réflexothérapie qu’elle n’avait pas encore étudiée.
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En Chine, dès le XXVIIIe siècle avant J.-C., époque suivant de près la découverte du cuivre, la méthode semble avoir été connue et mise au point. On connaissait déjà la circulation du sang, le rôle de la rate, etc. Et depuis lors, l’étude n’en a jamais été interrompue. Les livres parus de siècle en siècle ont tous été gardés. J’en possède la collection.
Le Japon avait adopté l’art médical chinois dès l’antiquité. En 1884, il fonda des facultés de médecine à l’européenne. Notre art prit aussitôt une grande extension. Les savants japonais acquirent une renommée considérable.
Le public japonais cependant, à mesure que notre médecine devenait plus chirurgicale, redoutait de plus en plus, pour son corps et pour sa bourse, vaccins, sérums, injections aux effets inconnus, radiographies, opérations pour ce qu’on traitait autrefois. Il retourne de plus en plus à l’acuponcture.
Les cliniciens, eux, s’apercevaient que bien des maladies devant lesquelles notre art est désarmé étaient guéries instantanément par l’acuponcture. Ils employèrent celle-ci de plus en plus.
Les savants à l’européenne étudièrent alors la méthode des aiguilles selon nos principes scientifiques. Les résultats en furent confirmés et expliqués en partie.
Aujourd’hui ce grand mouvement s’affirme. L’acuponcture reprend sa prédominance. D’illustres savants tels les docteurs Savada, Nakayama, Fujii, etc, en dirigent l’étude.
Efforçons-nous de les aider et de nous associer à leurs travaux, pour le bénéfice des malades.
Que peut guérir l’acuponcture ?
Le véritable registre de l’acuponcture est le trouble fonctionnel opposé aux lésions qui relèvent de la chirurgie ou d’autres méthodes.
Cependant, on constate très souvent des soulagements notables, même en cas de lésions, des troubles causés par celles-ci, et sans que l’état organique soit amélioré.
Mais la guérison complète et définitive, qui doit être atteinte dans le trouble fonctionnel pur, ne doit pas être attendue quand il y a un substratum organique. A tel point que l’existence de ce dernier est presque toujours découverte par une recherche patiente quand, l’acuponcture ayant été appliquée dans de bonnes conditions, le soulagement obtenu n’a duré que quelques heures ou quelques jours.
Pour les organes internes, il est possible et d’usage courant d’accélérer ou de freiner la fonction. Le foie peut être, en quelques heures, ou activé en cas d’atonie, ou calmé en cas d’irritation ou congestion. Tachycardie ou bradycardie cèdent aussitôt. L’estomac et les intestins peuvent être modifiés notablement dans leur fonctionnement. Reins et vessie sont ralentis ou activés.
Certains organes obéissent aisément, toujours et définitivement : tel est le foie. D’autres, au contraire, sont moins aisés à remettre dans la bonne voie. Parmi ceux-là, les reins sont les plus récalcitrants.
La rate et la vésicule biliaire, enfin, dont les méthodes occidentales d’exploration ne permettent que bien mal de connaître l’activité, ont leurs fonctions vérifiées et réglées aisément par la méthode des pouls et des aiguilles.
Pour l’organisme, d’autre part, les aiguilles sont vraiment souveraines. Les algies de toute nature cèdent instantanément et (s’il n’y a pas de lésion) définitivement à des piqûres faites aux points voulus. Les contractures, même anciennes, se relâchent presque toujours. Il est même possible de renforcer la force musculaire.
Les maladies microbiennes, que l’on penserait en dehors de ce rayon d’action, cèdent cependant avec une rapidité inconcevable. Les Chinois, par ce moyen, guérissent même en quelques heures le choléra.
Les organes des sens sont également améliorés. Il est hors de doute que certaines surdités et de nombreux troubles oculaires ont été améliorés grandement par les aiguilles. Mais la question m’était mal connue ; elle est encore à l’étude. Il n’est pas encore possible d’assurer des résultats.
Le pourcentage des guérisons obtenues varie selon les affections. Il atteint certes 90 p. 100 dans les algies, les maladies du foie, les contractures, les troubles nerveux du cœur, etc. Les reins ne donnent guère plus de 60 p. 100. La vessie, plus de 75 p. 100.
Mais il faudra encore de nombreuses observations avant que l’on puisse affirmer si les insuccès sont dus à l’impuissance de la méthode ou à l’insuffisance de celui qui l’applique.
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