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Collection « Les auteur(e)s classiques »
Une édition électronique réalisée à partir du texte de George STAUNTON, Voyage dans l’intérieur de la Chine et en Tartarie, fait dans les années 1792, 1793 et 1794 par Lord Marcartney. Londres: G. Nicol, 1797. Traduction française de J. CASTERA, éditions Buisson, 1798. Nombreuses rééditions. Édition utilisée : Genève: Éditions Olizane, 2005 (pages 21-58, 283-768 et 783-790). Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris. Extrait Le même jour, le légat vint trouver l’ambassadeur et, sans le moindre préambule, sans chercher à se disculper, il lui remit le mémoire cacheté, qui avait rapport à la cérémonie de réception, mémoire dont il avait eu communication à Pékin, et qu’il s’était chargé de faire parvenir au grand colao, ainsi que nous l’avons déjà rapporté. Le légat voulait, en même temps, qu’on crût que ce mémoire était toujours demeuré en sa possession ; mais on savait déjà très bien qu’il l’avait fait passer à Zhé-Hol, et que son contenu y avait été approuvé. Qu’est-ce qui pouvait donc avoir occasionné un changement à ce sujet ? Il était difficile de l’expliquer, mais les anciennes idées d’orgueil et les prétentions de prééminence l’emportèrent de nouveau ; et l’on soupçonna qu’elles avaient été suggérées par le vice-roi de Canton, qui venait d’arriver à Zhé-Hol, à son retour du Thibet, où il avait commandé l’armée chinoise. Il était l’ennemi déclaré des Anglais, et les peignait comme un peuple usurpateur, qu’il était dangereux d’encourager. Il eut même, à cet effet, recours au témoignage d’un homme condamné pour ses concussions, de ce même mandarin, que nous avons déjà dit avoir été hoppo, ou receveur général des revenus et des douanes de Canton. Ce coupable fut conduit exprès à Zhé-Hol ; et il n’est pas douteux qu’il ne parlât des Anglais conformément aux vues et à l’opinion partiale du vice-roi. Le colao était, ce semble, persuadé qu’il fallait que l’ambassadeur anglais se soumît à rendre à l’empereur de la Chine l’hommage des vassaux, sans que le gouvernement chinois reconnût l’indépendance du roi d’Angleterre. Ainsi, l’on crut qu’il était expédient de ne pas avouer que le mémoire de l’ambassadeur avait été transmis à la cour, afin de pouvoir se dispenser de répondre à une proposition trop raisonnable pour être rejetée ; et l’on s’attendit que, lorsqu’une fois l’ambassadeur serait en présence de sa majesté impériale, il ferait, sans aucune condition, les prosternements d’usage. D’après tout cela, l’ambassadeur désira vivement d’avoir une décision sur l’affaire du cérémonial, avant d’être obligé de paraître dans le palais impérial. Le colao désirait de l’y voir sans délai, afin d’apprendre de lui le contenu de la lettre du roi d’Angleterre à l’empereur. Mais quand l’ambassadeur n’aurait pas eu des raisons particulières pour ne point faire cette visite en ce moment, il était trop indisposé pour l’entreprendre. Il résolut donc de charger le secrétaire d’ambassade d’aller, à sa place, chez le premier ministre, et de lui porter une copie de la lettre du roi d’Angleterre et le mémoire qu’avait rendu le légat. Les Chinois, qui étaient liés avec l’ambassadeur, craignaient tellement d’être accusés d’avoir écrit ce mémoire, qu’ils prièrent ce ministre de le faire contresigner par le page qui l’avait copié, afin de prouver que c’était son écriture. L’ambassadeur donna des instructions au secrétaire sur tous les points qu’il pouvait avoir à traiter. L’étiquette de la cour de la Chine ne permettant pas au secrétaire d’ambassade d’avoir, en cette qualité, aucun entretien avec le premier ministre, ni même de s’asseoir en sa présence, il fut nécessaire de faire usage de la commission de ministre plénipotentiaire que lui avait accordée le roi d’Angleterre, pour qu’il pût suppléer l’ambassadeur en cas d’absence ou d’indisposition. En cette qualité, il se rendit chez le colao, qu’il trouva dans un petit appartement du palais impérial. Quelque grand, quelque puissant que soit un vizir dans un empire despotique, il ne paraît qu’un petit personnage en comparaison du prince lui-même, qui croit qu’une très petite partie de sa vaste et magnifique demeure suffit à l’importance relative de la créature de sa faveur. Le vizir de la Chine, qui jouissait presque exclusivement de la confiance de l’empereur, était un Tartare d’une naissance obscure, et tiré par hasard d’un emploi subalterne depuis environ vingt ans. Il était de garde à l’une des portes du palais, lorsque l’empereur passa et fut frappé par sa bonne mine. Ce prince trouvant ensuite qu’il avait reçu de l’éducation, et possédait beaucoup de talent, l’éleva rapidement aux dignités. On peut dire qu’après l’empereur, il était l’homme le plus puissant de l’empire. Une si grande élévation, du sein d’une si humble origine, paraîtra peut-être singulière à ceux qui sont accoutumés à l’ordre et aux gradations régulières des gouvernements mixtes ; mais les exemples n’en sont rares ni dans les pays où le monarque peut satisfaire ses volontés et ses caprices sans crainte d’être blâmé, ni dans ceux qui sont divisés par les partis, et où des qualités brillantes et des efforts extraordinaires se font bientôt distinguer. Dans le premier cas, il arrive fréquemment que le prince abandonne à celui qu’il a choisi presque tout l’exercice de son autorité, et qu’il passe sa vie dans l’indolence et les plaisirs sensuels ; mais l’empereur de la Chine continua à s’occuper de l’administration des affaires avec une attention infatigable ; il partagea avec son vizir, plutôt qu’il ne lui céda, tous les soins qu’exigeait son vaste empire. Ce prince ne se laissait point guider aveuglément par ses avis. Croyant une fois qu’il avait voulu lui faire un mensonge, il le disgracia aussi promptement qu’il l’avait élevé, et le colao rentra pendant quinze jours dans l’obscurité de son premier emploi. Un accident heureux ayant ensuite donné à l’empereur occasion de connaître qu’il n’avait pas eu de justes raisons d’être irrité contre son favori, il lui rendit ses dignités et sa puissance. Lorsque le colao donna audience au ministre plénipotentiaire, il était assis sur une estrade couverte d’une étoffe de soie, entre deux mandarins tartares et deux mandarins chinois, membres du conseil d’État. Une chaise fut présentée au ministre anglais. Le légat, plusieurs autres mandarins et l’interprète furent obligés de rester debout. Le colao demanda, pour la forme, quel était l’objet de l’ambassade anglaise à la Chine. Il fut aisé de le satisfaire sur cela, en lui présentant une traduction chinoise de la lettre que le roi d’Angleterre adressait à l’empereur ; ce qui parut lui être très agréable, ainsi que le contenu de la lettre. Après une courte pause, le ministre lui remit le mémoire de l’ambassadeur, mémoire qu’il feignit de ne pas connaître. Il parut cependant préparé à faire des objections aux propositions contenues dans cet écrit. On lui répondit par les arguments sensibles qu’exigeait un cas aussi simple, et de la manière que l’ambassadeur avait prescrite. Le colao termina la discussion en priant le ministre de faire part de ses raisons à l’ambassadeur, afin qu’il les prît en considération. Il est à remarquer que, pendant toute cette conférence, la salle où elle se tint fut remplie de gens, employés dans le palais, et à qui il était permis d’écouter ce qu’on disait. Il semblait qu’en traitant avec des étrangers, à tous égards, si éloignés de la Chine, il n’était nécessaire de rien dérober à la connaissance des Chinois. Peut-être un si grand nombre de spectateurs fut-il cause que le colao affecta un grand air de dignité et de réserve ; et par ses manières, et par sa conversation, il semblait vouloir donner à entendre que les civilités qu’il faisait au ministre anglais n’étaient qu’une condescendance de sa supériorité nationale et personnelle. C’était aussi, sans doute, l’orgueil national qui avait fait prendre la résolution d’éviter, s’il était possible, de payer par des formalités pareilles celles auxquelles l’ambassadeur consentait de se soumettre à la cour de l’empereur. Le lendemain, le légat et deux autres mandarins se rendirent chez l’ambassadeur, et le pressèrent, de la part du colao, de renoncer à ses prétentions. En discutant cette affaire, ils furent dans la nécessité de flotter entre des idées contraires, en représentant le prosternement comme une cérémonie extérieure et insignifiante, quand ils proposaient à l’ambassadeur de s’y soumettre à l’égard de l’empereur de la Chine, et d’une grande importance quand il s’agissait de le faire faire par un Chinois devant le roi d’Angleterre. Ils hasardèrent même de faire entendre à l’ambassadeur qu’un refus absolu pourrait bien ne pas être sans inconvénient pour lui. Mais cette menace indirecte lui fournit occasion de témoigner que le sentiment de son devoir envers son roi l’emportait de beaucoup sur la crainte d’aucun danger. Il déclara qu’il devenait particulièrement indispensable pour lui que la cérémonie fût réciproque, ou qu’un compliment, fait au nom d’un souverain puissant et indépendant, fût distingué de l’hommage des princes tributaires ; parce qu’il savait qu’on avait déjà cherché à confondre ces deux choses, en donnant aux présents anglais le nom de tribut, dans les inscriptions chinoises qu’on y avait mises. La connaissance que l’ambassadeur avait de cette particularité força les mandarins à sentir la justice de sa proposition ; et à lui demander jusqu’à quel point il pensait que son devoir lui permettait de témoigner son respect à sa majesté impériale, sans se soumettre au prosternement des tributaires ? L’ambassadeur répondit qu’attaché à son souverain par tous les liens du devoir et de la fidélité, il pliait un genou quand il paraissait en sa présence, et qu’il consentait volontiers à témoigner, de la même manière, son respect envers l’empereur de la Chine. Les mandarins parurent extrêmement contents de cette réponse, et dirent qu’ils rapporteraient bientôt la résolution de la cour, pour s’accorder sur la cérémonie réciproque, proposée par l’ambassadeur, ou pour accepter l’hommage anglais au lieu du prosternement chinois. . . . . . . . . . . . . . . . Peu après qu’il fut jour, le son de plusieurs instruments et des voix confuses d’hommes éloignés annoncèrent l’approche de l’empereur. Bientôt il parut venant de derrière une haute montagne, bordée d’arbres, comme s’il sortait d’un bois sacré, et précédé par un nombre d’hommes qui célébraient à haute voix ses vertus et sa puissance. Il était assis sur une chaise découverte et triomphale, portée par seize hommes. Ses gardes, les officiers de sa maison, les porte-étendards, les porte-parasol et la musique l’accompagnaient. Il était vêtu d’une robe de soie de couleur sombre, et coiffé d’un bonnet de velours, assez semblable, pour la forme, à ceux des montagnards d’Ecosse. On voyait sur son front une très grosse perle, seul joyau ou ornement qu’il parût avoir sur lui. En entrant dans la tente, il monta sur son trône par les marches de devant, sur lesquelles lui seul a droit de passer. Le grand colao, Ho-Choong-Taung, et deux des principaux officiers de sa maison, se tenaient auprès de lui, et ne lui parlaient jamais qu’à genoux. Quand les princes de la famille impériale, les tributaires et les grands officiers de l’État furent placés suivant leur rang, le président du tribunal des coutumes conduisit l’ambassadeur anglais jusqu’au pied du côté gauche du trône, côté qui, d’après les usages chinois si souvent le contraire des nôtres, est regardé comme la place d’honneur. L’ambassadeur était suivi de son page et de son interprète. Le ministre plénipotentiaire l’accompagnait. Les autres principales personnes de l’ambassade, avec un grand nombre de mandarins et d’officiers inférieurs, se tenaient à l’entrée de la tente, d’où l’on pouvait voir la plus grande partie de la cérémonie. L’ambassadeur était vêtu d’un habit de velours, richement brodé et orné de la plaque de l’ordre du Bain, en diamants. Par-dessus son habit, il portait un manteau du même ordre, assez long pour couvrir ses jambes. Le désir de montrer de l’attention pour les idées et les mœurs chinoises, rendait assez important le choix du costume, et est cause que nous en parlons ici. Le respect particulier qu’à cette nation pour tout ce qui tient à l’extérieur influe même sur le système de ses vêtements, dont le but est d’inspirer de la gravité et de la réserve. En conséquence, ils ont la forme la plus opposée à celles qui laissent apercevoir quelque partie du corps. Certes, parmi les nations sauvages, il n’en est peut-être point auxquelles un sentiment intérieur, indépendant de toute espèce de précaution contre l’inclémence de l’air, n’apprenne qu’il est bien de se couvrir quelque partie du corps. Ce sentiment qu’on appelle décence, parce qu’il indique ce qu’il convient de faire, s’accroît en général avec les progrès de la civilisation et le perfectionnement des mœurs, et peut-être n’a-t-il été nulle autre part porté aussi loin que parmi les Chinois qui, dans leurs robes larges et flottantes, cachent absolument la forme de leur corps. Il n’y a même à cet égard presque aucune différence entre les vêtements des deux sexes : bien plus, la délicatesse des Chinois s’offense à la vue des ouvrages de l’art qui imitent le corps humain, soit nu, soit couvert seulement des draperies qui suivent et déploient ses contours. Aussi cette délicatesse a retardé, parmi eux, les progrès de la peinture et de la sculpture, du moins en ce qui a rapport à ces sortes de sujets. Elle a aussi obligé les missionnaires à adopter les vêtements du pays, comme étant plus chastes et plus décents que les habits courts et serrés de l’Europe moderne. Le grand manteau que l’ambassadeur avait droit de porter en qualité de chevalier de l’ordre du Bain était un peu analogue à la mode de s’habiller la plus agréable aux Chinois. D’après les mêmes principes, le ministre plénipotentiaire qui était docteur honoraire ès lois de l’université d’Oxford, prit la robe d’écarlate qui appartient à ce rang ; ce qui se trouvait aussi très convenable dans un pays où les degrés en science conduisent à tous les emplois civils. L’ambassadeur, instruit par le président du tribunal des coutumes, tint avec ses deux mains, et leva au-dessus de sa tête la grande et magnifique boîte d’or, enrichie de diamants, et de forme carrée, dans laquelle était renfermée la lettre du roi d’Angleterre à l’empereur. Alors, montant le peu de marches qui conduisent au trône, il plia le genou, fit un compliment très court, et présenta la boîte à sa majesté impériale. Ce monarque la reçut gracieusement dans ses mains, la plaça à côté de lui, et dit : « Qu’il éprouvait beaucoup de satisfaction du témoignage d’estime et de bienveillance que lui donnait sa majesté britannique, en lui envoyant une ambassade avec une lettre et de rares présents ; que de son côté, il avait de pareils sentiments pour le souverain de la Grande-Bretagne, et qu’il espérait que l’harmonie serait toujours maintenue entre leurs sujets respectifs. Cette manière d’accueillir le représentant du roi de la Grande-Bretagne était considérée par la cour de la Chine comme très honorable et très distinguée. L’empereur monte rarement sur son trône pour recevoir les ambassadeurs ; et ils ne remettent point leurs lettres de créance dans ses mains, mais dans celles d’un de ses courtisans. Quoique très peu importantes en elles-mêmes, les distinctions accordées aux Anglais étaient regardées par la nation polie des Chinois comme un changement très marqué, en leur faveur, dans l’opinion de son gouvernement, et il fit une heureuse impression sur elle. Après quelques moments d’entretien avec l’ambassadeur, l’empereur lui donna, pour premier présent, une pierre, appelée par les Chinois pierre précieuse, et qu’ils estiment beaucoup. Elle était de plus d’un pied de long, et on l’avait curieusement sculptée, dans le dessein de lui donner la forme du sceptre, qui est toujours placé sur le trône impérial, et qu’on regarde comme l’emblème de la prospérité et de la paix.
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