Avant-propos
de la 4e édition, 1850
Source : Alfred Sudre, Histoire du communisme ou réfutation historique des utopies socialistes, pp. 1-2. Paris: Victor Lecour, Éditeur, 1850. 4e édition. 536 pp.
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Un an s’est écoulé depuis la publication de la première édition de l’Histoire du Communisme. Pendant cette période, des faits remarquables se sont produits dans le domaine des théories. Le sol est jonché des ruines des systèmes préconisés par nos modernes réformateurs, et ces ruines, ce sont les coryphées de l’utopie eux-mêmes qui les ont faites. Nous avions signalé l’anarchie qui régnait dans leur camp, les contradictions de leurs systèmes. Il nous a été donné depuis de voir ces contradictions se manifester au grand jour et la guerre civile éclater entre les principaux athlètes du socialisme. L’Organisation du travail et le Phalanstère, l’Icarie et la Triade se sont mutuellement terrassés dans la lutte. L’inventeur du crédit gratuit est venu achever les blessés et enterrer les morts. Resté seul debout sur les débris des systèmes, ils s’est pris à douter lui-même de sa chimère ; mais reprenant aussitôt sa logique à outrance, il a de nouveau proclamé, comme conséquence de la révolution prochaine, la négation absolue du capital et de l’État, la destruction de la propriété et du pouvoir. M. Proudhon ne s’est pas trompé. Au point où en sont les choses, ce ne serait plus au communisme qu’aboutirait une révolution nouvelle, car le communisme est encore une forme sociable intelligible et suppose un ordre et un gouvernement quelconques ; ce serait à l’anarchie, au désordre absolu, à la dissolution universelle, à ce je ne sais quoi qui n’a de nom dans aucune langue.
Si les révolutions ne s’accomplissaient que pour le triomphe d’idées claires, nettement définies ; si elles n’avaient de [2] chances de succès, qu’autant que leurs promoteurs présenteraient d’avance le plan tout tracé de l’édifice à construire sur les ruines de celui qu’ils se proposent de renverser, le spectacle des divisions intestines du socialisme serait de nature à rassurer les amis de l’ordre et du progrès pacifique. Quoi de plus propre, en effet, à mettre en relief la vanité et l’impuissance des utopies, à détromper les naïfs adeptes entraînés par leurs séduisantes promesses ? Mais les révolutions sont du domaine des passions plus encore que de celui de la logique. Or, si les chefs du socialisme se sont combattus sur le terrain des théories, ils se sont malheureusement accordés pour faire appel aux plus mauvais sentiments du cœur humain, la haine et l’envie. Si on les a vus se convaincre réciproquement d’impuissance à rien organiser, ils n’en ont pas concouru avec moins d’ensemble et d’ardeur à provoquer la destruction de l’ordre social. Leurs excitations n’ont été que trop entendues. Le funeste levain fermente encore dans les âmes ; le mal est comprimé, pallié, mais il existe toujours.
Qu’on ne se hâte donc pas de croire à une victoire définitive. La situation est encore grave, et doit appeler toute l’attention des hommes politiques auxquels il est donné d’influer sur les destinées du pays. Qu’ils n’oublient pas qu’aux époques d’agitations, ce qui sauve les Empires, c’est, avec l’énergie, l’initiative intelligente qui réalise les améliorations rendues nécessaires par la marche du temps ; c’est surtout le dévouement, l’abnégation personnelle et la grandeur des caractères. Pour nous, nous ne pouvons que présenter de nouveau au public les sévères leçons de l’histoire.
10 janvier 1850.
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